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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Et comme Œil-de-Bœuf s’étonnait encore :

– Non, vrai, c’est pas possible, y a si longtemps qu’on n’en avait pas d’nouvelles !… Il avait si bien abandonné les copains !…

Dégueulasse appelait en témoignage ses amis :

– Ma vieille branche, insistait-il, Fumier, Mon-Gnasse et la Puce te le diront tout comme moi ! C’est pour Fantômas qu’on turbine, et l’métal dans lequel on turbine, c’est de l’or…

– De l’or ? répéta Bec-de-Gaz dont la face s’épanouissait d’aise. Ah çà ! Quel métier exercez-vous donc ?

Ce fut Mon-Gnasse qui répondit ; il le fit avec un grand sérieux paraissant jouir d’avance de la surprise d’Œil-de-bœuf et de Bec-de-Gaz :

– Le métier qu’on fait ? demanda-t-il, eh bien, voilà, on est « gratteurs », ou, si t’aimes mieux, on est « découvreurs ».

Et Mon-Gnasse s’interrompait pour demander :

– Passe-moi donc le litre, Dégueulasse, si c’est qu’il le caresse encore, sûr que Fumier va tout licher !…

Le tas de sable miroitait au soleil, se pailletait d’étincelles, et la Seine qui le frôlait avait des reflets moirés.

En vérité, comme l’avait dit Œil-de-Bœuf c’était un joli coin pour causer.

Les apaches allaient causer longuement d’ailleurs, l’heure des confidences sonnait. Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz devaient apprendre d’étranges choses…




V


Les incorrections de Juve

– Allez donc ouvrir, Caroline ; n’entendez-vous pas qu’on sonne ?

Eugénie Drapier, qui se tenait dans la galerie, appelait par deux fois la cuisinière.

Celle-ci enfin apparut, surgissant du couloir de la cuisine. Elle était essoufflée, écarlate, car elle venait de quitter son fourneau qu’elle chauffait à force.

Elle gronda :

– C’est pas Dieu possible de faire un service pareil ! Il y a huit jours… on était trois domestiques, la femme de chambre, le valet de chambre et moi. Voilà la femme de chambre qui tombe malade, le domestique qu’on assassine, qu’est-ce qui va arriver à la cuisinière ?

– Cela s’arrangera, ne vous mettez pas en colère, ma bonne Caroline ! recommandait M me Drapier, vous comprenez qu’il n’y a pas de notre faute dans tout cela et que nous en sommes les premiers ennuyés ?

Caroline, qui était une brave fille, s’adoucissait.

– Oh ! je sais bien qu’il n’y a pas de la faute de madame ni de monsieur !

Et elle allait entreprendre une conversation, lorsqu’un troisième coup de sonnette retentit, plus impérieux, plus prolongé que précédemment.

– Allez ouvrir, Caroline ! supplia M me Drapier, laquelle s’éclipsait aussitôt, entrant dans le petit salon attenant à la salle à manger.

Caroline ouvrit.

Il y avait sur le palier un monsieur qui attendait. La cuisinière, au premier coup d’œil, jugea que c’était quelqu’un de comme il faut, car il était bien chaussé, il était coiffé d’un chapeau melon de bonne forme, revêtu d’un pardessus au col de velours, à la coupe anglaise, à l’étoffe élégante et riche.

Il pouvait avoir une quarantaine d’années environ, ses cheveux, à ses tempes s’argentaient légèrement.

Le visiteur fit un imperceptible signe de tête et demanda à la domestique :

– M. Drapier est-il visible ?

Caroline n’avait pas l’habitude des relations extérieures ni des rapports officiels avec les maîtres, elle savait toutefois qu’il ne fallait jamais répondre ni oui ni non à de semblables questions, mais dire simplement :

– Je ne sais pas ! Je vais aller voir ! Si monsieur veut attendre…

Elle articulait la phrase classique que le visiteur approuva d’un léger signe de tête.

Il pénétrait à la suite de la cuisinière dans la galerie. Caroline se retourna et lui demanda :

– Qui annoncerai-je à monsieur, si monsieur est là ?

Le visiteur avait posé son chapeau, il articula :

– Vous annoncerez M. Juve !

– Monsieur Juve ! s’écria Caroline, ah ! par exemple ! L’agent de police ?

Juve esquissa un ironique sourire.

– Agent de police, fit-il, si vous voulez.

Caroline, toutefois, demeurait abasourdie, elle regardait l’inspecteur de la Sûreté et son visage exprimait une réelle émotion.

– Mon Dieu, mon Dieu, balbutia-t-elle, c’est vous M. Juve !… Le fameux Juve !

– N’exagérez pas !

– Oh, fit Caroline, j’ai bien souvent entendu parler de vous, lu votre nom sur les journaux !…

Elle s’arrêtait net et reprenait, presque terrifiée :

– Ah ça ! vous croyez donc que Fantômas est compromis dans l’affaire ?

– Pourquoi ? demanda Juve interloqué.

– Mais parce que, monsieur… fit naïvement la brave cuisinière, chaque fois qu’il s’agit d’une affaire de Fantômas, vous y êtes mêlé, chaque fois que vous vous occupez d’un drame, c’est qu’à ce drame se mêle le nom de Fantômas… Enfin, comme qui dirait, dès qu’il y a du grabuge quelque part, là où on trouve Juve, on trouve Fantômas, et là où vient Fantômas, Juve ne tarde pas à arriver ! Je m’explique peut-être mal, mais c’est là ma façon de penser !

Juve, malgré lui, souriait…

– Fantômas n’est pas nécessairement dans toutes les affaires dont je m’occupe, et rien ne prouve qu’il soit intervenu dans l’assassinat de ce malheureux Firmin ! Mais le temps passe et vous seriez bien aimable de m’annoncer à M. Drapier. N’est-ce pas, ma bonne Caroline ?

La cuisinière qui tournait les talons s’arrêta, stupéfaite :

– Vous me connaissez, monsieur Juve ?

– Depuis cinq minutes, oui !

– Mais vous savez mon nom !

Le policier souriait encore :

– Affaire d’habitude, nous sommes tous comme ça, nous, les agents de la police, mais ne vous émotionnez pas et dépêchez-vous !…

« M me Drapier, tout à l’heure, semblait fort ennuyée du temps que vous mettiez à venir ouvrir, et je suis convaincu que M. Drapier, qui travaille actuellement dans son bureau, doit se demander quels sont les gens qui bavardent ainsi dans son antichambre !

Caroline était de plus en plus étonnée.

– C’est pas Dieu possible, murmura-t-elle, ces gens de la police savent tout !

Elle interrogeait Juve.

– Qui c’est qui vous a donc dit que monsieur était là ? Je parie que c’est encore la concierge ; cette femme se mêle de tout ce qui ne la regarde pas !…

– Ça n’est pas la concierge, fit Juve doucement, c’est son chapeau.

– Son chapeau ? Elle n’a pas de chapeau !

Juve insistait toujours avec calme.

– Je vous parle du chapeau de M. Drapier qui est pendu ici à ma droite, au porte-manteau, et dont le cuir intérieur est encore tout luisant de la légère transpiration de M. Drapier, ce qui prouve qu’il est rentré il y a dix minutes à peine et qu’il a marché très vite, car il ne fait pas une température à transpirer, si l’on marche à son pas !

– Mais, vous êtes sorcier !

– Ma bonne Caroline, interrompit Juve, je suis surtout un peu pressé, voulez-vous avoir l’obligeance de prévenir ?

Enfin, Caroline se décidait…

Et perdant de plus en plus la tête, au lieu d’observer les règles protocolaires, elle ouvrit simplement en grand la porte du cabinet de M. Drapier, et d’une voix de stentor annonça :

– Monsieur Juve, agent de police !

– Elle y tient décidément, pensa l’inspecteur de la Sûreté !

Juve, toutefois, avait trop le respect et l’amour de sa profession pour estimer qu’il y avait quelque chose de dégradant dans la qualification d’agent de police…

M. Drapier se leva, et vint au devant du célèbre personnage.

Il lui désigna un siège, d’un air grave et compassé, Juve fit semblant de ne pas apercevoir cette offre et resta debout cependant qu’il prenait un air aimable, pour entreprendre sa conversation avec M. Drapier.

C’était la première fois que le policier venait à la maison du crime.

Assommé d’être obligé d’interrompre son voyage, il n’avait consenti à s’occuper de l’affaire qu’avec une certaine mauvaise grâce.

Il estimait qu’elle s’embarquait fort mal pour lui, les conditions de l’assassinat étaient mystérieuses, les motifs du crime n’apparaissaient point, la qualité de la victime, c’était triste à dire, mais vrai, n’avait rien de bien sensationnel, et enfin Juve considérait qu’il était dans une situation peu favorisée, par ce fait qu’il n’avait pas assisté aux premières constatations et que très certainement il n’arriverait jamais à reconstituer exactement ce qui avait pu se passer.

Toutefois, ces objections, lorsqu’il les avait eu faites dans son esprit, n’avaient pas été pour le décourager, bien au contraire !

Juve, en effet, estimait que dans ces sortes de problèmes plus les inconnues sont nombreuses, et plus les problèmes sont attrayants.

Toutefois, au lieu d’aller vite en besogne, il se proposait d’agir doucement, de faire une enquête de tout repos.

Il s’était fait préciser les détails du crime par le commissaire de police, il avait noté la position dans laquelle on avait retrouvé le mort dans le cabinet de travail de M. Drapier et, bien qu’il se trouvât pour la première fois dans cette pièce, dont la disposition des meubles avait été changée, il se rendait parfaitement compte de l’endroit exact où était tombé le cadavre.

Il y avait, recouvrant le tapis qui était étendu sur le plancher, de petits tapis en peau de chèvre, disposés çà et là. Juve, qui ne s’était pas assis, malgré l’invitation de M. Drapier, alla soudain près d’un petit guéridon, enleva le petit tapis qui était à sa base, et découvrit alors une tache brunâtre, qu’il considéra quelques instants.

– C’est là, n’est-ce pas, monsieur, fit-il, que s’est produit l’épanchement de sang ?

Drapier paraissait étonné mais voulut n’en rien montrer, et se contenta de répondre :

– En effet, monsieur !

Juve, d’ailleurs, n’attendait pas d’approbation.

Il avait sorti de sa poche un mètre et un morceau de craie et sur le tapis il traçait quelques lignes, sans souci de faire des saletés.

– Oui, continua-t-il, comme s’il se parlait à lui-même, il avait les pieds tout près de la cheminée, et s’il est tombé de côté, c’est parce qu’en s’effondrant sa tête est venue heurter le bureau de travail et qu’elle a rebondi en avant…

« Voilà, d’ailleurs, la trace bien nette de ce choc…

Juve appuyait le doigt sur l’angle du bureau empire de M. Drapier, et le directeur de la Monnaie, machinalement, regardait. Il remarquait en effet une légère écorchure au vernis du panneau.

Juve, alors, se dirigea du côté de la fenêtre et, de la façon la plus indifférente, demanda à M. Drapier :

– Voulez-vous avoir l’obligeance de m’ouvrir cette fenêtre ?

Léon Drapier obéissait sans comprendre.

Juve s’éloignait.

– Restez là, dit-il à Drapier qui voulait faire comme lui.

Le directeur de la Monnaie obéit.

– Merci ! lui cria le policier du milieu de la pièce ; maintenant, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, ayez donc l’obligeance de fermer cette fenêtre, car il me semble qu’il ne fait pas très chaud !

Ces paroles simples, qui semblaient cependant dissimuler un projet mystérieux, étonnaient profondément le directeur de la Monnaie…

Léon Drapier, toutefois, n’osait rien dire ; il savait que Juve, dont la réputation était mondiale, passait pour un original et qu’il aurait été d’une mauvaise politique de le contrarier.

Après avoir ouvert la fenêtre, Léon Drapier la referma donc ; or, comme il tournait l’espagnolette, la voix de Juve retentit à nouveau.

Elle était toute changée, elle se faisait désormais aimable, cordiale ; Juve, du milieu de la pièce, appelait Léon Drapier et lui disait :

– Et maintenant, monsieur, voulez-vous que nous causions ?

– Certainement ! articula Léon Drapier.

Juve l’invitait aimablement.

– Prenez donc la peine de vous asseoir !

Machinalement, Léon Drapier obéissait et s’installait dans un fauteuil, constatant que Juve avait, sans la moindre vergogne, pris sa propre place devant son bureau.

– Ce policier, pensa-t-il, manque d’éducation ; il m’invite à m’asseoir chez moi, alors que ce devrait être le contraire, et il s’installe à la place où j’ai l’habitude de me mettre !

Mais Léon Drapier rougit soudainement ; Juve, en effet, qui avait parfaitement lu dans ses yeux sa pensée, lui répondait d’un air ironique :

– J’ai l’air mal élevé comme cela, mais au fond, je le suis moins que je n’en ai l’air ! Et si j’ai pris votre place, monsieur le directeur, c’est parce qu’au fond je suis un maniaque ! Vous m’en excuserez !

Léon Drapier ne savait que répondre…

Juve, d’ailleurs, ne laissait pas tomber la conversation.

– Vous devez être fort occupé, monsieur Drapier, déclarait-il, en votre qualité de directeur de la Monnaie ? C’est là une situation très importante et qui comporte d’extrêmes responsabilités ; toutefois, j’imagine que la direction de cette usine d’un caractère si spécial… doit être fort attrayante…

– Mais certainement, monsieur, répliquait Drapier, qui s’imaginait peu qu’on allait le questionner sur ses occupations.

Juve, toutefois, poursuivait :

– Vous êtes en somme une personnalité dans le monde des fonctionnaires, et vous devez sans cesse être sollicité pour des recommandations ; si j’en juge par l’importance de votre appartement, non seulement vous êtes riche, monsieur Drapier, mais encore vous devez beaucoup recevoir ?

– C’est-à-dire, fit Drapier, que pendant la saison nous voyons quelques amis, mais ma femme est très sédentaire…

– Je sais, oui, elle sort rarement !

– Pour ainsi dire jamais ! poursuivit Drapier.

– Ce n’est pas comme vous, sourit aimablement Juve, vous appréciez la vie parisienne, charmante, d’ailleurs. Les restaurants élégants ont l’honneur de vous compter au nombre de leurs clients ?

Interloqué, Drapier interrogea :

– Mais comment savez-vous cela ?

– Parce que c’est de notoriété publique, monsieur Drapier, sans doute !

– Vous m’étonnez, fit le directeur de la Monnaie. Je ne dis pas que je ne vais pas quelquefois au restaurant, mais on ne m’y connaît pas sous mon nom et bien peu de gens peuvent m’y voir…

– C’est juste ! fit Juve. J’imagine en effet que si vous allez dans les restaurants parisiens, vous y dînez dans les cabinets particuliers !

– Pardon, monsieur, interrompit Drapier, il me semble que ce sont là des questions d’un ordre tout à fait privé et qui ne concernent guère l’enquête que vous êtes venu faire à mon domicile ?

Juve protestait d’un geste de la main.

– Excusez-moi, monsieur Drapier, en effet, notre conversation s’est égarée à mon insu, nous bavardions agréablement, j’oubliais mon rôle.

« Voyons, je redeviens l’inspecteur de la Sûreté, monsieur Drapier ; veuillez me raconter les circonstances dans lesquelles le drame découvert chez vous est survenu.

« Mais avant que vous ne commenciez, monsieur Drapier, je dois vous dire que j’ai lu votre déposition au commissariat de police, et que si vous n’avez rien d’autre à y ajouter, il est inutile de me répéter les faits que je connais !

– Je n’ai rien d’autre à dire, en effet, monsieur Juve… Mais pardon, que faites-vous ?…

Drapier considérait à ce moment le policier non sans stupéfaction.

Juve, en effet, se livrait à une étrange besogne.

Juve, tout en bavardant avec M. Drapier, avait sorti de sa poche un petit trousseau de clefs, il les essayait les unes après les autres, puis, ayant fini par en découvrir une qui ouvrait l’un des tiroirs, il fouillait dans ce tiroir, en sortait des papiers, que, sans la moindre vergogne, il se mettait à lire.

– Voyez, déclara-t-il très simplement à M. Drapier, sans paraître se rendre compte de l’incorrection qu’il commettait, voyez, monsieur, comme le hasard sert souvent la police !

« Je venais chez vous dans l’intention de vous demander à voir les certificats qui vous ont décidé à engager ce malheureux valet de chambre !

« Or, voici que sans vous occasionner le moindre dérangement, je trouve ces certificats dans votre bureau. Vous me permettez, n’est-il pas vrai, de les emporter ?

Drapier était si abasourdi qu’il ne répondait absolument rien.

Juve, cependant, parcourait les fameux certificats si élogieux qui avaient si aisément décidé M me Drapier à choisir son valet de chambre.

– C’est curieux ! articula-t-il, Alvarez ?… Alvarez Cruisa ?… Voilà un consul du Mexique que j’ai rarement vu figurer dans les annuaires !… Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il habitait, à Paris, une rue ne comportant que quatorze numéros, quinze au maximum, or le certificat indique que son domicile se trouvait au numéro 27 !…

– Ah ! vraiment, vous croyez ? fit dès lors M. Drapier qui, intrigué, se rapprochait de Juve, venait voir le certificat.

Le policier se mit à lire, il regardait l’autre certificat fourni par une certaine baronne de Laverdier .

– La baronne de Laverdier, fit Juve, j’ai connu cela, autrefois, grand nom de l’Empire, famille disparue, si je ne me trompe, avec le décès du fils unique de la baronne, mort dans une maison de fous !

« Il faut décidément tout savoir, lorsqu’on est de la police, n’est-il pas vrai, monsieur Drapier ?

– Monsieur Juve, articula le directeur de la Monnaie, vous commencez à m’inquiéter sérieusement. Je comprends où vous voulez en venir, vos observations ne tendent-elles pas à conclure que ces certificats étaient faux ?

– Je n’affirme rien ! fit Juve, mais à vous parler franchement, ma conviction est faite, ces certificats sont faux, la seule chose intéressante d’ailleurs, c’est de savoir qui les a fabriqués…

– Ce ne peut être que le domestique lui-même, articula Léon Drapier.

– Ce que vous dites semble logique au premier abord, poursuivit Juve, malheureusement l’observation démontre le contraire !

« Je suis un peu graphologie, monsieur Drapier ; à mes moments perdus, j’étudie, comme cela, les écritures. C’est une science à laquelle je crois et je ne suis d’ailleurs pas le seul !

« Or, il ressort de mon examen que ces certificats ont été rédigés par une main féminine, et que la personne qui les a écrits, sans avoir une éducation bien extraordinaire, possède néanmoins une bonne petite instruction…

« Elle ne manque pas d’une certaine ambition – un bon sentiment –, elle aime l’argent, le luxe, elle professe pour tout travail matériel une paresse irréductible… Mais voilà que je m’emballe, monsieur Drapier, sur la graphologie, or, nous sommes ici pour autre chose !

« Mon Dieu, monsieur Drapier, que c’est remarquable d’avoir de l’ordre comme vous en avez ! Les tiroirs de votre bureau sont rangés à merveille ; vous m’excuserez, n’est-il pas vrai, de les fouiller comme s’ils m’appartenaient ? Mais c’est un usage consacré par la loi qui permet aux inspecteurs de la Sûreté de visiter les objets personnels de leurs clients, or j’ai l’honneur de vous compter comme client et même, à ce propos, je solliciterai de votre obligeance une faveur…

Drapier était de plus en plus interloqué par l’attitude de son interlocuteur.

Vraiment, ce Juve était un original, avec qui il ne fallait s’étonner de rien !

– Que va-t-il me demander encore ? songea Drapier.

Or la requête de Juve était si simple que le directeur de la Monnaie en fut presque désappointé.

– Je voudrais avoir, fit Juve, votre carte de visite.

– Vraiment ? il y en a dans mon tiroir de gauche.

– Pas celle-là, interrompit vivement le policier, une de celles que vous avez certainement dans votre portefeuille ?

– Soit ! fit Drapier, qui ne savait pas où Juve voulait en venir.

Comme il sortait son portefeuille de sa poche pour en retirer le carton demandé, une enveloppe tomba.

Juve, avec une soudaine rapidité, se précipitait, la ramassait.

La lettre était adressée : M. Léon Drapier. Juve tressaillit légèrement en apercevant la suscription de l’enveloppe !

Toutefois, avec une incorrection parfaite, il sortait de cette enveloppe la lettre qui s’y trouvait…

Drapier redevenait tout rouge.

– Monsieur ! commença-t-il.

Juve l’interrompait encore d’un sourire.

Affectant de ne point regarder la lettre, il la tendait au bout de son bras à Drapier.

– Reprenez ceci qui vous est absolument personnel, monsieur, et permettez-moi simplement de conserver l’enveloppe ! Oui, je collectionne les vieux timbres ! même les plus communs !

« Mais revenons, si vous voulez bien, car tout ceci n’a aucune importance, à la question de ces certificats…

« Il est véritablement étrange que ce domestique que vous avez engagé fût porteur de deux certificats, que nous sommes disposés l’un et l’autre à considérer comme faux.

« Entre nous, M. Drapier, voyons, ce Firmin avait-il bien l’allure d’un domestique ? D’après vous, était-il de la partie ? Ça se voit tout de suite, ces choses-là.

La question que venait de poser Juve, après tant de circonlocutions en apparence inutiles, tombaient évidemment dans un très bon terrain, car M. Drapier poussa une sorte de soupir de soulagement.

– Eh bien, fit-il, je ne suis pas fâché de vous donner mon opinion. Dès la première heure, dès le premier instant où je vis cet homme, ce Firmain, j’ai eu l’impression qu’il avait quelque chose de louche et qu’il était chez moi pour un tout autre motif que le simple but d’y gagner soixante-dix francs à faire mes bottines, brosser mes vêtements et me servir à table !

– C’était, d’après vous, fit Juve, un cambrioleur, un bandit ?

– À vous dire vrai, répliqua M. Drapier, je ne le crois pas ! Et je me suis demandé même si ce n’était pas un policier… un espion !

– Un policier ! un espion ! Pourquoi ?

Juve, sincèrement, dès lors, interrogea du regard son interlocuteur qui se rapprocha de lui et articula à voix basse :

– Voyez-vous…, je me méfie de ma femme et surtout de sa tante, je me défie de tante Denise qui habite Poitiers et qui devait arriver ces jours-ci, pour passer comme d’ordinaire le printemps avec nous…

« Ma femme est la meilleure personne qui existe au monde, elle est incapable de soupçonner quoi que ce soit, et surtout qui que ce soit, mais il n’en est pas de même de sa tante !

« C’est une personne inquiète, méfiante, vindicative, qui est capable d’employer tous les moyens pour se renseigner !

– Ah ! ah ! fit Juve, mais cependant, monsieur Drapier, vous n’avez rien à cacher ?

– Moi ! monsieur Juve ! absolument rien !

– C’est bien ce que je pensais. Vous êtes un haut fonctionnaire, officier de la Légion d’honneur, directeur de la Monnaie, marié à une femme charmante, vivant très retiré avec elle, soit seul, soit en compagnie de votre parente, la tante Denise, lorsque celle-ci vient à Paris, c’est parfait, parfait, je vous félicite vivement…

Tout d’un coup, Juve changea de ton :

– Dites-moi, monsieur Drapier… une simple question encore.

Le directeur de la Monnaie posa son regard perplexe, inquiet, sur celui du policier.

– De quoi s’agit-il ?

– Dites-moi, monsieur Drapier, est-elle brune ou blonde ?

Le directeur de la Monnaie se leva :

– Brune ou blonde ? De qui voulez-vous parler ? de la tante Denise ?

– Non pas ! fit Juve, je ne connais pas votre tante Denise, mais je suis convaincu qu’elle doit avoir une chevelure grisonnante, des cheveux très tirés et quelque peu jaunis à la naissance de la raie… qu’elle doit porter au milieu de la tête, ainsi qu’au bout du chignon. Je ne me permettrais point de vous demander au surplus des détails de ce genre sur quelqu’un de votre famille…

« Voyons, monsieur Drapier, répondez-moi, est-elle brune ou blonde ?

Drapier demeurait perplexe, ne répondait point. Juve insista :

– Eh bien, je vais vous le dire ! Elle est blonde, et lorsqu’elle vous écrit elle rédige ses lettres dans son cabinet de toilette avant d’être coiffée et, cependant qu’elle écrit, ses cheveux épars sur ses épaules font à son visage un cadre fort seyant !

Cependant que Juve parlait, M. Drapier haletait, son visage devenait blême.

– Monsieur, jusqu’à présent, vous m’avez parlé sur un ton d’ironie persifleuse que j’ai toléré, eu égard à votre situation, mais n’oubliez pas que je suis moi-même un fonctionnaire, un haut fonctionnaire, et que vos insinuations peuvent paraître du plus mauvais goût. Où voulez-vous en venir et que signifient ces propos ?

Juve ne s’émotionnait pas, bien au contraire !

– Je voulais dire simplement ceci, monsieur Drapier, et, je vous en supplie, ne vous en formalisez pas ! Je veux dire que vous avez une petite amie, une maîtresse, que cette maîtresse, vous sortez fréquemment avec elle et que vous allez dîner en sa compagnie dans les restaurants à la mode… mais en ayant soin de prendre un cabinet particulier pour n’être point reconnu !

« Je veux dire, chose que vous ignorez certainement à l’heure actuelle, qu’il y a un lien indiscutable entre l’assassinat de Firmain, votre valet de chambre ou soi-disant tel, et vos relations amoureuses ! Voilà, monsieur, ce que je puis vous révéler pour le moment !

« J’aurai l’honneur de vous revoir bientôt. En attendant, je vous invite à vous tenir à la disposition de la justice !

Juve proférait ces dernières paroles sur un ton très sec. Il se levait. M. Drapier se précipita vers lui.

– Je vous prie de m’excuser, monsieur Juve. Je viens d’avoir à votre égard un mouvement de vivacité que je regrette profondément, car je sais avec quelle conscience et avec quelle correction vous menez votre enquête, mais vous m’avez désespéré, car ce que je croyais absolument secret, je vois que vous le saviez déjà !

« J’imaginais que nul n’était au courant de la liaison avec Paulette, et je suis désespéré !…

Juve interrompait son interlocuteur :

– Vous étiez dans le vrai, monsieur, dit-il, votre liaison n’est pas connue, étant donné que je l’ignorais il y a encore cinq minutes… et si cela peut vous tranquilliser, je n’ai aucune raison de vous le dissimuler, je l’ai apprise en causant avec vous !

– En causant avec moi !…

– Oui, monsieur ! Oh ! la chose est très simple. Dans ce petit vide-poche, où vous mettez le soir avant de vous coucher les menus objets que vous retirez de vos vêtements, se trouvent quelques cure-dents enveloppés dans du papier, lesquels portent la suscription, l’adresse des restaurants à la mode. Ceci me prouva que vous alliez parfois dîner au restaurant…

« Pas avec M me Drapier ! m’avez-vous dit ! Elle ne sort jamais ! J’ai insinué que vous étiez populaire dans ces établissements, vous m’avez répondu qu’au contraire, nul ne vous y rencontrait !…

« C’était donc que vous alliez dans les cabinets particuliers !

« On ne va pas seul dans un cabinet particulier, on y va toujours à deux, quel était l’autre ? Je vous ai demandé votre carte de visite pour vous inciter à sortir votre portefeuille, c’est là d’ordinaire qu’on met les lettres qui ne doivent point traîner…

« Précisément, l’une de ces lettres est tombée de votre poche, je vous l’ai rendue… Son contenu ne m’intéresse pas, mais j’ai gardé l’enveloppe et j’ai trouvé, à l’endroit où la fermeture porte de la gomme, un cheveu qui s’est intercalé… C’est en mouillant avec ses lèvres cette gomme que M lle Paulette a pris un de ses cheveux qui est resté dans l’enveloppe !

« Il y a en outre, sur cette enveloppe, quelques taches très caractéristiques, provenant de l’eau dentifrice qu’emploie votre charmante amie, car je ne doute pas qu’elle ne soit charmante, c’est ce qui m’a permis de conclure que M lle Paulette, puisque Paulette il y a, a l’habitude d’écrire sa correspondance dans son cabinet de toilette avec ses cheveux étendus sur ses épaules… Et voilà !

Léon Drapier restait abasourdi devant les logiques déductions de Juve.

Il abandonnait son air arrogant et il se fit très humble désormais, pour murmurer à voix basse :

– Monsieur Juve, je vous admire, et je m’excuse encore une fois de l’attitude que j’ai eue à votre égard. Écoutez-moi bien. Je vous jure que je ne sais ce qui s’est passé… Je vous jure que je ne suis pour rien dans cette mystérieuse affaire… Un seul point au surplus me préoccupe et m’inquiète, surtout qu’on ne sache jamais chez moi que j’ai une maîtresse et que je suis en relation avec Paulette de Valmondois !

Juve souriait aimablement.

– Vous pouvez compter sur moi, déclara-t-il d’un ton sincère, pour être la discrétion même ; puisque nous voici en confiance, et pour m’éviter des recherches inutiles, ayez donc l’obligeance de me donner l’adresse exacte de M lle Paulette ?

Léon Drapier sursauta :

– Et vous voudriez aller la voir ?

– Oui ! fit Juve.

– Et que lui direz-vous ?

– Ceci me regarde.

– Mais qu’a-t-elle à faire dans tout ce drame ? Paulette n’est aucunement mêlée au malheur qui s’est produit…

– Peu importe !… J’aurai plaisir à la connaître !

– Monsieur Juve, je vais vous accompagner chez elle.

– J’irai seul, je vous en prie !

– Monsieur Juve…

Juve était déjà sur le pas de la porte, et c’était en lui prenant sa main dans les deux siennes, que Léon Drapier le retenait.

– Monsieur Juve… monsieur Juve…

– Quoi, monsieur ?

– Vous disiez tout à l’heure, il me semble, qu’il y avait peut-être, entre ma maîtresse et la mort de Firmain, un lien quelconque. Je vous en supplie… fournissez-moi une explication, qu’est-ce que cela signifie ?

– N’ayez pas peur ! déclara Juve d’un ton rassurant, et ne prenez point pour parole d’évangile chacune des idées que j’émets ! Jusqu’à présent je ne peux rien vous dire, mais comptez que je ferai l’impossible pour savoir la vérité, et que, d’autre part, je la dirai discrètement. Alors ? nous disions que M lle Paulette de Valmondois habitait, habite du moins… ?

Résigné, subjugué par l’ascendant de Juve, Léon Drapier articula :

– 187, rue Blanche, au premier au-dessus de l’entresol !

Juve, posément, prenait note de l’adresse, et il se retirait. Il était déjà dans la galerie, lorsque, rebroussant chemin, il s’en vint demander à Léon Drapier en le fixant dans les yeux :

– Vous avez fait des déclarations formelles à cet égard, vous avez signé deux procès-verbaux bien nets et bien précis, de votre nom, de votre titre de directeur de la Monnaie, de votre grade d’officier de la Légion d’honneur, procès-verbaux dans lesquels vous aviez affirmé avoir passé chez vous la nuit à l’issue de laquelle s’est produit le crime…

– J’ai signé cela, en effet, fit Léon Drapier, qui visiblement pâlissait.

– C’est donc que c’est la vérité ? insista Juve.

Après un instant de silence, Léon Drapier articula en hésitant :

– C’est bien la vérité !

– Merci, monsieur !

– Au revoir, monsieur !

Quelques instants après, Juve descendait l’escalier.

Le policier paraissait fort joyeux.

– Elle se présente de façon bizarre, cette affaire, songeait-il, tandis qu’en réalité elle est fort simple !

« Voyons, j’imagine que cet homme ne tardera pas à dire la vérité. J’ai déjà sa confiance, il ne me ment plus qu’à moitié. Et encore, par pudeur… parce qu’il est gêné d’avouer qu’il a fait un mensonge…

« Tout va bien !




VI


Maîtresse infidèle

Paulette de Valmondois téléphonait.


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