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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Qui donc, se demandait Juve, peut avoir intérêt à la mort de cet homme ? Comment se fait-il qu’on l’ait assassiné dans le cabinet de travail de son maître ?… Qu’y faisait-il, au surplus, à cette heure avancée de la nuit ? C’est cela que je ne puis comprendre.

Un instant, Juve avait pensé à quelque douloureuse histoire d’amour qui s’achevait en menaces de chantage.

Il s’était demandé si la bourgeoise, M me Drapier, n’avait pas commis une faute… n’était pas la maîtresse de ce domestique, et si, au cours d’une scène pénible, elle ne s’était pas vue dans l’obligation de frapper cet amant, devenu pour elle un adversaire, un épouvantail.

Et Juve avait haussé les épaules, en se disant :

– Non ! M me Drapier n’est pas femme à prendre un amant, surtout un tel amant ! Au surplus, il apparaît bien que le crime a été commis, non point par une femme, mais par un homme et même par un homme qui a l’habitude, un homme dont la sûreté, la précision de main dénotent de la façon la plus précise la rigoureuse énergie et la froide cruauté.

Comme on l’avait constaté dans le milieu des inspecteurs de la Sûreté, le meurtre de Firmain était un crime crapuleux, un crime fait par un professionnel…

Juve réfléchissait à toutes ces choses en marchant le long de la Seine, et s’il était ému, troublé, s’il mâchonnait nerveusement sa cigarette, l’allumant, la laissant éteindre, la jetant, la remplaçant par une autre, c’est qu’une idée lancinante obsédait son esprit.

Juve, malgré lui, songeait que chaque fois qu’un crime mystérieux, incompréhensible se produisait, il lui fallait évoquer la sinistre silhouette du Génie du crime, du Maître de l’effroi…

Juve, malgré lui, songeait à Fantômas et se disait que peut-être la vraie piste à suivre était celle qui consisterait à chercher si le bandit n’avait point joué dans toute cette affaire un rôle aussi mystérieux que sanguinaire et féroce.

Mais Juve demeurait quand même perplexe :

– Quand Fantômas assassine, se disait-il, c’est qu’il y trouve un intérêt de vengeance, ou alors un bénéfice pécuniaire. Or rien dans l’existence de la famille Drapier, pas plus que dans celle de Paulette de Valmondois, ne fait prévoir que Fantômas ait eu, à un titre quelconque, à s’occuper d’eux. D’autre part, l’assassinat de ce valet de chambre Firmain n’a été suivi d’aucun vol, d’aucune disparition d’objet de valeur, ou simplement même d’argent. Le meurtrier n’a donc pas tué pour s’emparer de quelque chose… Quel a bien pu être son but ?

Juve arrivait à préciser les données du problème, mais il ne réussissait pas à en découvrir les solutions.

C’est dans cet état d’esprit qu’il arriva quai des Orfèvres et se dirigea vers le cabinet de M. Havard.

Juve venait là dans l’intention de conférer avec son chef. Un inspecteur qu’il rencontra dans le corridor lui lança non sans émotion :

– Ah ! monsieur Juve ! que n’étiez-vous là voici cinq minutes !

– Cinq minutes ? fit Juve, pourquoi ?…

– Le chef aurait bien voulu vous voir !

– Moi de même, fit Juve. Mais encore, avait-il donc quelque chose d’urgent à me dire ?…

L’inspecteur prenait Juve à part, puis, lorsque ces deux hommes furent en tête à tête, il déclara :

– Monsieur Juve, le chef est parti comme un fou en s’écriant :

– Décidément, cette affaire prend des proportions extraordinaires et il va falloir que je m’en occupe moi-même !

Juve fronça les sourcils.

– Et, demanda-t-il, le chef parlait du crime de la rue de l’Université ?

– Précisément.

– Il y a du nouveau ? demanda Juve.

– Oui, fit encore l’inspecteur. Vous savez, la maîtresse du directeur de la Monnaie, la fille Poucke, dite Paulette de Valmondois ?…

– Oui, fit Juve intrigué, eh bien ?

– Eh bien, articula le policier, elle s’est suicidée.

– Vous plaisantez, cria Juve, je viens de la voir, il y a trois heures de cela !

– Il y à deux heures, fit l’inspecteur que cette personne s’est logée une balle dans la peau. Il y a vingt-cinq minutes que nous sommes prévenus, et c’est pour cela que le chef est parti !

– Où est-il allé ? demanda Juve.

– Rue Blanche, déclara l’inspecteur.

Juve quittait son jeune collègue sans se préoccuper des salutations d’usage, il le lâchait au milieu du corridor et, avec une agilité extraordinaire de la part d’un homme de son âge, Juve bondissait en bas de l’escalier, sautait dans un taxi, arrivait rue Blanche quelques minutes après.

Devant la maison où habitait Paulette de Valmondois était arrêtée une des voitures automobiles des ambulances urbaines.

Naturellement, une foule considérable se pressait autour du véhicule, et l’on attendait avec une curiosité malsaine l’apparition de quelque blessé, quelque malade, quelque moribond qu’assurément on allait transporter de l’intérieur de la maison à la voiture.

Juve, en apercevant le véhicule municipal, ne douta pas un seul instant qu’il ne soit là pour emporter Paulette de Valmondois. Toutefois, le policier laissa échapper un soupir de satisfaction.

– Oh, oh ! se dit-il, voilà qui vaut mieux que ce que je redoutais ! Du moment que les ambulances urbaines sont là, c’est qu’il ne s’agit point d’un cadavre, mais de quelqu’un de vivant encore. Espérons que Paulette s’est manquée, puisqu’il y a suicide, et que nous ne tarderons pas à connaître les motifs de cette décision désespérée qu’elle aurait prise !…

Juve fendait la foule, pénétrait à l’intérieur de la maison dont deux agents de police interceptaient l’accès.

Avant de monter à l’appartement de Paulette de Valmondois, il s’introduisit dans la loge de la concierge, où se tenait, semblait-il, un mystérieux conciliabule.

La concierge le connaissait, et Juve lui fit signe de ne point le nommer.

Il y avait dans la loge quelqu’un qui pleurait à chaudes larmes, et que Juve reconnut aussitôt : c’était la petite bonne normande de Paulette de Valmondois.

Elle était si bouleversée qu’en voyant Juve elle ne reconnut point le personnage qui, quelques heures auparavant, était venu rendre visite à sa maîtresse.

La petite bonne, au surplus, était légèrement grise. Depuis près de trois quarts d’heure, sous prétexte de lui remonter le cœur, on lui faisait absorber vulnéraire sur vulnéraire, et à un abattement occasionné par la violence de l’alcool absorbé succédait une nervosité fébrile et un besoin de parler sans discontinuer, qui d’ailleurs ne déplaisait pas à Juve.

Le policier s’était assis dans un coin de la loge, comme un camarade, comme un familier de la maison.

Et il faisait signe à la concierge de continuer à laisser parler la petite bonne. Juve escomptait, en effet, qu’au cours des nombreuses paroles qu’elle proférait sans suite, la Normande finirait bien par dire quelque chose qui aurait quelque intérêt pour le policier.

La Normande geignait :

– Qui c’est qu’aurait dit ça tout d’même, quand j’étions en train d’manger du saucisson avec ma patronne, pas plus tard que ce midi, qu’elle allait s’périr deux heures après !… Mais voilà ! on n’sait jamais c’qui se passe chez les uns comme chez les autres ! Comme elle me l’expliquions, c’est point parce qu’elle rigolait qu’elle était heureuse, p’tête ben que c’était le contraire… Enfin, les choses ont mal tourné, puisque la v’là quasiment morte à c’te heure !… Tout d’même ça m’fait de la peine !… J’oublierai jamais ça !… Quand j’suis rentrée dans le boudoir, et que j’l’ai trouvée saignant comme un veau, blanche comme la nappe et pas capable de dire trois paroles !… Ah ! j’en ai eu les sangs tout retournés. Quand j’ai trouvé le pistolet à côté d’elle, même que j’osais pas y toucher rapport à c’que j’avais peur que ce machin-là me parte dans les mains… C’est curieux, s’interrompait la petite Normande, comme j’ai soif !…

– Encore un vulnéraire ? proposa la concierge.

– Non ! fit la jeune bonne. La carafe d’eau, s’y vous plaît, madame la concierge.

Et elle ajoutait en soupirant :

– Ah ! si seulement j’avions une bolée de cidre !…

Juve, qui avait écouté attentivement les propos désordonnés de la petite bonne, se hasardait à l’interroger prudemment, ne voulant pas se faire connaître.

– Probable qu’elle avait des chagrins d’amour, votre maîtresse, et que c’est pour cela qu’elle a cherché à se tuer !…

La Normande haussait les épaules.

– Oh ! des chagrins, je ne crois pas ! Pour ce qui est de l’amour qui fait pleurer, elle s’en moquait bien, ma patronne ! Je crois plutôt que ça doit être un de ces hommes qui sont venus, cet après-midi, qui lui a cherché des raisons… Quand on en a plusieurs à la fois, ça ne rate jamais !… La patronne me l’a dit bien souvent : plusieurs hommes ensemble autour d’une femme, les hommes se disputeront toujours !… Or, justement qu’il en est venu trois aujourd’hui !

– Trois ? interrompit Juve. Je croyais qu’il n’en était venu que deux ?

– Ma foi, fit la petite bonne, je me trompe peut-être !…

Elle réfléchit une seconde, avala un grand verre d’eau, puis, ayant passé la main sur sa poitrine pour justifier que cette absorption lui faisait du bien, elle reprit :

– Non, je ne me fiche pas dedans, c’est bien trois hommes qui sont venus. L’premier ce d’vait être un assez drôle de type : il était pas mal habillé à c’qui m’a semblé, pas très vieux mais pas très jeune, car ses cheveux grisonnaient. J’ai guère remarqué sa figure, mais j’crois bien qu’il n’avait pas de barbe ! Peut-être que c’est un domestique aussi, lui, ou alors un acteur. Il est ben resté vingt minutes avec la patronne, puis il s’est débiné sans faire de tapage.

Juve dissimula un sourire, il se reconnaissait à ce signalement ; il questionna d’un air indifférent :

– Y en a donc qui font du tapage, chez votre patronne ?

– C’est probable ! rétorqua la bonne, vous pensez bien que dans son commerce, ça ne va pas toujours tout seul !… Y en a qui trouvent qu’elle demande trop cher… Y en a qui sont plus exigeants que les autres… J’ai r’marqué ça bien souvent, quand c’est pas eux qui la disputent, c’est elle qui fait des chichis…

– Ah ! ah ! déclara Juve, et alors qu’est-ce que vous faites, vous, pendant ce temps-là ?

– Oh moi ! fit la bonne en se carrant dans le fauteuil que lui avait aimablement offert là concierge, moi je ne m’en occupe pas ! Je m’enferme dans la cuisine, et je surveille le fricot. D’ailleurs, j’aime pas m’occuper des affaires des autres !… J’ai été bien contente tout à l’heure, lorsque le vieux birbe de la police s’est amené dans l’appartement et m’a dit : « Vous, la bonne, foutez le camp ! »

À cette déclaration, Juve comprenait que M. Havard était, à l’heure actuelle, dans l’appartement de la demi-mondaine. Il reconnaissait son chef et ses habitudes, et Juve ne pouvait s’empêcher de hausser les épaules.

M. Havard procédait tout à fait à l’inverse de lui.

Lorsqu’il faisait une enquête, il commençait par écarter tous les gens susceptibles de lui fournir des renseignements. Ceci, disait-il, afin de ne pas se laisser influencer.

Juve, au contraire, aimait à bavarder avec tout le monde, et n’arrivait d’ordinaire sur le lieu même du drame qu’après s’être documenté de toutes les façons possibles et imaginables.

Juve avait recommencé à faire parler la petite Normande.

– Alors, demanda-t-il, il en est venu un autre après ce monsieur à la figure rasée ?

– Un autre, oui, fit la Normande, deux autres même ! Tout d’abord, le premier homme, je ne l’connaissais pas. Il n’était jamais venu chez nous, et pourtant il avait l’air de très bien connaître la maison. Mais, pour un mal poli, c’est un mal poli ! Il avait son chapeau sur la tête, enfoncé sur ses yeux. C’est un frileux aussi ; bien qu’il ne fasse pas froid, le col de son paletot était relevé jusqu’à son nez ! Maintenant encore, p’t’êt’ben que c’était un homme marié !… Tout le monde sait que les hommes mariés, ça se cache pour entrer chez les cocottes… C’t’homme-là, j’l’ai mis dans l’boudoir, et j’ai bien fait, car, dix minutes après peut-être, c’était l’ami de madame qui s’amenait. C’était l’ami sérieux, celui qui paie le terme, et que connaît madame la concierge, Léon Drapier, comme on dit qu’il s’appelle. C’est alors qu’il s’est passé quelque chose que j’ai pas pu comprendre !…

La petite bonne s’interrompit pour avaler une gorgée et reprit :

– On s’est disputé, la patronne et l’homme… ou les hommes… mais j’crois ben qu’elle s’est surtout engueulée, sauf votre respect, avec son amant Léon Drapier. C’est d’ailleurs lui qui criait le plus fort !… Tout d’un coup, silence… puis, pan ! un coup de revolver !… J’étais en train de récurer les casseroles, je m’dis : c’est pas possible ! On dirait un coup de fusil !…

« J’entends plus rien, je continue à m’occuper de ma cuisine. À un moment donné, je r’commence à entendre un bruit de pas précipités dans l’entrée, j’vais voir, et j’aperçois Léon Drapier qui se sauve de l’appartement… Alors j’m’amène en douce, histoire d’aller bavarder avec la patronne ; c’est là que je l’ai trouvée par terre, trempée dans son sang.

– Mais, l’autre homme ? fit Juve.

– Lequel ? demanda la bonne.

– Celui qui est entré en second lieu ! précisa le policier, le mal poli, comme vous dites, qui avait son chapeau sur la tête et le col de son pardessus relevé. Qu’est-il donc devenu ?

La Normande demeurait interdite.

– C’est rigolo tout de même ! fit-elle. Eh bien, pour tout vous dire, j’avais complètement oublié celui-là. J’ai plus pensé du tout à ce qu’il a pu devenir !…

Juve questionna :

– N’est-il pas sorti de l’appartement avant l’arrivée de Léon Drapier ?

– Oh pour ça, non ! fit la bonne, car j’ai quitté l’entrée…

– Ensuite, l’avez-vous vu ?

– Mais non, je ne l’ai point vu ! Et c’est ça le plus extraordinaire, car, j’en jurerais sur la tête de ma mère, lorsque ma pauvre patronne a été retrouvée par moi, elle était seule dans son appartement, et, à moins que je n’aie la berlue, je croirais plutôt alors que ce type-là s’est débiné par la fenêtre ou par la cheminée… Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Naïvement, la petite bonne normande formulait à Juve la question que depuis quelques instants le policier se posait à lui-même.

Il était assez perplexe, étonné de ce qu’il venait d’entendre ; toutefois les choses commençaient à se préciser dans son esprit. Il lui apparaissait désormais évident, certain, que trois hommes étaient venus successivement voir Paulette de Valmondois.

Le premier c’était lui, le dernier Léon Drapier. Quand au second, le mal poli, comme disait la bonne, l’homme au visage dissimulé par son collet de manteau et son chapeau, celui qu’on n’avait point vu sortir de l’appartement, c’était l’inconnu, c’était le mystère…

– Ce que j’en pense ? répondit Juve, mais pas grand chose, ma petite. Ce que je vous en ai dit, c’est histoire de bavarder.

La Normande était enchantée de l’importance qu’elle prenait dans l’aventure. Elle avait encore soif, mais cette fois elle demanda à la concierge :

– Encore du vulnéraire !

Elle y prenait goût décidément. Juve la considéra d’un œil de pitié.

– Pauvre petite gamine ! pensa-t-il. Encore une qui aurait bien mieux fait de garder ses vaches dans sa campagne que de venir à Paris où elle se perdra, tôt ou tard.

Juve, cependant quittait la loge, non sans avoir, comme on dit vulgairement, graissé la patte à la concierge pour la féliciter de la façon adroite dont elle s’était comportée pendant cet interrogatoire que Juve faisait clandestinement subir à la Normande.

Le policier se disposait à monter désormais à l’appartement de Paulette, mais à peine était-il engagé dans l’escalier qu’il dut reculer.

Des hommes descendaient lentement, portant une civière qu’ils avaient grand-peine à faire passer dans les tournants brusques de l’escalier.

Juve recula, se dissimula dans un angle du vestibule ; la civière passa devant lui.

Le policier eut tout le temps d’observer la malheureuse qui se trouvait sur ce lit de douleur.

C’est à peine s’il reconnaissait la séduisante jeune femme qu’il avait vue, quelques heures auparavant, si coquettement attifée, si gracieuse dans son déshabillé d’intérieur.

Ses joues fraîches n’avaient plus leur coloration rose et veloutée. Ses yeux pétillants étaient clos, les paupières s’étaient abaissées, dissimulant l’éclat des prunelles, et lorsque l’une d’elles s’entrouvrait, elle laissait filtrer un regard vitreux, sans expression.

Ses lèvres étaient toutes pâles, et les cheveux de la malheureuse, au lieu d’être savamment ébouriffés sur ses tempes, étaient tirés en arrière, nattés par les soins d’une infirmière. Son front apparaissait bas et fuyant, complètement dénudé.

Étendu sur la civière, le joli corps de Paulette de Valmondois semblait n’être plus qu’une loque informe, sans consistance et sans grâce.

Un vague gémissement ininterrompu partait de cette dépouille que la plupart des assistants s’accordaient à considérer comme une dépouille mortelle.

– Elle n’est pas encore décédée, chuchotaient les commères qui surgissaient de tous les côtés, mais elle n’en vaut guère mieux !

– Une balle de revolver dans la poitrine, ça ne pardonne pas !

On avait jeté sur la malheureuse une sorte de grand drap qui ressemblait à un suaire. Elle était à demi-nue sous ce drap.

Au moment où la civière passait devant Juve, celui-ci s’approcha de la blessée et voulut soulever ce drap afin de voir la plaie, mais l’une des deux infirmières qui étaient là l’en empêcha brusquement.

– Voyons, monsieur ! gronda-t-elle, que faites-vous ?

Juve s’excusait.

– Pardon ! fit-il, j’aurais voulu observer quelque chose sur la plaie elle-même.

L’infirmière paraissait suffoquée.

– Et qui êtes-vous donc, pour vous permettre de vous occuper de ces choses-là ?

Juve allait se nommer, il n’en fit rien.

– Je le saurai toujours ! se dit-il.

Et dès lors, renonçant à son premier projet, dont il ne précisait point le but ni l’importance, Juve, laissant les porteurs emmener leur malade dans la voiture d’ambulance, grimpait à l’appartement de Paulette de Valmondois, où il se trouva soudain face à face avec M. Havard, son chef.

Celui-ci tendit les mains cordialement au policier.

– Eh bien ! mon cher Juve, vous voilà enfin !

Et il ajoutait avec une ironie satisfaite :

– Par exemple, vous arrivez comme les carabiniers… En retard de deux heures, Juve !… Deux heures, ce n’est rien dans l’existence d’un homme ! C’est encore moins dans l’histoire des siècles, c’est énorme lorsqu’il s’agit d’une enquête de police !… Enfin, que voulez-vous ! On ne peut pas être partout à la fois !… Heureusement que vous avez un chef de la Sûreté qui se déplace, et c’est pourquoi, mon cher Juve, je m’en vais pouvoir vous donner quelques renseignements sur le drame qui vient de se produire !

Juve acceptait sans broncher les ironies railleuses de M. Havard.

Celui-ci ne dissimulait pas sa satisfaction d’être arrivé le premier sur les lieux du drame ; Juve ne prétendait point lui contester cette vaine gloire.

– Mon cher, articula M. Havard, la chose est des plus simples. Cette petite demi-mondaine était la maîtresse, comme vous savez, de Léon Drapier. Il est probable qu’elle a dû commettre quelque gaffe, ou alors simplement se faire surprendre par son amant en compagnie d’un gigolo, car Léon Drapier a certainement rompu avec elle.

« C’était beaucoup d’argent qui s’en allait avec Léon Drapier ; peut-être, au surplus, la petite l’aimait-elle !

« Toujours est-il, en tout cas, que lorsque son amant lui signifiait la rupture, elle s’est logée une balle dans la poitrine dont elle ne réchappera probablement pas. Voilà les faits tels qu’ils se sont passés, la tentative de suicide est indiscutable, l’affaire fort banale…

« Je vous avoue que si vous aviez été à la Sûreté lorsque j’ai été informé du drame, je me serais bien abstenu de venir !… Si je l’ai fait, c’est uniquement parce qu’il s’agissait de la maîtresse d’un haut fonctionnaire et que j’ai voulu, en prenant moi-même l’enquête en main, prévenir, éviter une gaffe toujours possible de la part d’un subordonné !

« J’ai fait conduire Paulette de Valmondois à l’hôpital de Lariboisière, on la soignera. De deux choses l’une ; ou elle va mourir et alors l’affaire est enterrée, sans jeu de mots, ou elle se rétablira, et alors nous lui ferons comprendre qu’il est de son intérêt de ne point faire de scandale, et qu’il importe qu’elle ne mêle pas le nom de Léon Drapier à son acte de désespoir…

Cependant que M. Havard pérorait ainsi, Juve, qui l’écoutait d’une oreille distraite, visitait attentivement l’appartement de Paulette de Valmondois. Il allait d’une pièce à l’autre, et le chef de la Sûreté le suivait, très heureux de raconter à Juve tout ce qu’il croyait savoir.

L’attitude de Juve, cependant, était si bizarre, le policier fouillait l’appartement avec tant de minutie, que M. Havard s’en aperçut. Il comprit les motifs de l’attitude de Juve.

– Je vous vois venir, mon cher ! Vous cherchez midi à quatorze heures, et si vous observez tous les détails de cet appartement, c’est que vous vous demandez s’il n’y a pas eu crime !… Rassurez-vous, Juve ! Je suis sûr de ce que j’avance. Paulette de Valmondois a voulu se suicider !… Au surplus, lorsque je l’ai relevée, elle me l’a presque avoué.

– Ah ! fit Juve, qu’entendez-vous par presque avoué ?

– Voici ! fit Havard. Je reconnais qu’elle était dans un état bien précaire lorsque je lui ai adressé la parole. Je l’ai soulevée, elle a crié, alors je lui ai demandé si elle souffrait.

– Vraiment ? fit Juve ironique.

– Naturellement ! fit Havard qui ne comprenait point la naïveté des paroles qu’il venait de prononcer.

– Et alors ? poursuivit Juve.

– Alors elle a désigné, d’un geste à peine sensible, sa poitrine à l’endroit où saignait la blessure.

« – Vous avez eu tort ! lui dis-je. Il est défendu de se donner la mort. Vous avez donc eu bien du chagrin, bien du désespoir ?

– Quelle a été sa réponse ? demanda Juve.

– Eh bien, fit Havard, je crois qu’elle a hoché la tête affirmativement.

– Et, insista Juve, c’est de cela que vous concluez qu’elle vous a fait l’aveu de son suicide ?

– Évidemment ! fit Havard. Au surplus, je ne vois pas qui aurait pu la tuer. À moins que ce ne soit son amant Léon Drapier ? Au fait, pourquoi pas ?… Juve, vous commencez à m’ébranler !

Mais, dès lors, Juve rassurait son chef.

– Non, non ! fit-il précipitamment, je vous en prie, ne vous embarquez point sur la piste de Léon Drapier. Cet homme-là n’est évidemment pour rien dans l’assassinat, je veux dire dans le suicide de sa maîtresse !

– Ah ! vous voyez, fit Havard satisfait, vous y venez, au suicide !

– C’est entendu, fit Juve d’un air évasif, j’y viens, au suicide !

Juve, toutefois, ne pouvait s’empêcher à ce moment de regarder avec insistance du côté de la fenêtre.

Il demanda à M. Havard :

– Cette fenêtre était-elle fermée comme elle l’est actuellement, quand vous êtes arrivé ?

– Ma foi non ! fit Havard. Elle était entrebâillée, mais je l’ai poussée, parce qu’il faisait assez froid dans cette pièce.

– Ah ! dit simplement Juve.

Le policier n’insistait pas, mais son regard perçant avait découvert sur le petit balcon de la fenêtre, qui venait précisément d’être repeint, des écorchures très fraîches et très nettes comme pouvait en faire la chaussure d’un homme posant le pied sur la barre d’appui du balcon.

Juve jeta un coup d’œil à travers les carreaux.

– Si l’on saute par cette fenêtre, où va-t-on ? demanda-t-il.

Et il constata que, sans danger, on pouvait sauter sur un petit toit voisin.

– Parfait ! se dit le policier, qui rentra dans la pièce.

Havard se disposait à le quitter.

– Nous allons, pour le principe, faire mettre les scellés, dit-il, mais je crois bien que l’affaire n’aura pas de suite.

– Espérons-le ! fit Juve.

Le policier, toutefois, songeait à part lui :

– Cette affaire est beaucoup plus mystérieuse qu’elle n’en a l’air et il s’agit d’opérer avec prudence et subtilité. Jusqu’à présent, dans les enquêtes, c’est Juve, Juve lui-même qui s’est montré. Dorénavant, Juve va disparaître, et celui qu’on verra seulement agir, c’est…

Le policier n’achevait pas.




VIII


Un sauveteur

– Caroline !

– Monsieur ?

– Où est madame ?

– Elle est au salon, monsieur.

– Seule ?

– Non pas, monsieur. Monsieur sait bien que madame est encore avec les journalistes !…

Léon Drapier leva les bras au ciel.

– C’est véritablement insupportable ! On n’en finira donc jamais de toutes ces interviews qui ressemblent à des interrogatoires !

La vieille cuisinière insinua :

– Je serais à la place de monsieur que je n’hésiterais pas à prendre le balai et à fourrer tous ces gens-là à la porte. C’est pas Dieu possible d’embêter le monde comme ils le font les uns et les autres !

Léon Drapier haussa les épaules. Il se mit à se promener de long en large dans le petit salon, où depuis quelques jours il s’était installé au lieu de continuer à vivre dans son cabinet de travail.

– Un de parti, dix de revenus ! grommelait-il en songeant aux journalistes. Et nous serions encore plus harcelés si je n’avais pris la décision de disparaître chaque fois qu’il s’en présente un et d’envoyer ma femme leur répondre à ma place !

Depuis le mystérieux assassinat de son valet de chambre, M. Léon Drapier était, en effet, assailli par tous les reporters de Paris.

À la Monnaie, on ne venait pas l’y chercher, car il était impossible de parvenir jusqu’à son bureau sans être muni d’une autorisation spéciale ; mais il n’en était pas de même à son domicile, et Léon Drapier ne pouvait rentrer sans trouver devant sa porte, à l’intérieur de l’ascenseur, dans l’escalier, voire même dans la galerie de son propre appartement, des jeunes gens aux allures obséquieuses et affairées qui, après l’avoir hâtivement salué, sortaient un carnet de leur poche et se préparaient à prendre des notes.

Au lendemain du crime, Léon Drapier avait éconduit tous les reporters ; mais il s’était rendu compte de l’inconvénient qu’il y avait à ne pas compter avec la presse.

Les journaux, en effet, avaient été unanimes pour le traiter durement, pour l’incriminer, avec des sous-entendus redoutables, d’une complicité quelconque dans le mystérieux drame qui avait eu lieu chez lui.

Léon Drapier avait alors décidé de changer d’attitude et il le faisait avec d’autant plus d’empressement que certains journalistes avaient été jusqu’à suggérer qu’après ce scandale il ferait bien de donner sa démission de directeur de la Monnaie !

Drapier, toutefois, s’était heurté à une difficulté. La justice, désormais, était saisie de l’affaire, et il devenait incorrect de sa part de parler aux journalistes sans froisser le Parquet.

Comment fallait-il faire pour éviter de se mettre à dos les uns comme les autres ?

Drapier avait alors trouvé ce moyen qui consistait à faire recevoir les journalistes par sa femme qui répondait le plus aimablement possible à toutes les questions qui n’avaient pas trait directement à l’affaire !

Tandis que Léon Drapier s’impatientait de ce que M me Drapier n’ait point fini avec les journalistes, et qu’il ne tenait point compte du conseil de Caroline qui aurait voulu mettre à la porte tous ces gens-là, Eugénie Drapier était en conférence dans la salle à manger avec un reporter du nom de Mirat, attaché au journal La Capitale.

– Mon Dieu ! monsieur, proférait M me Drapier, vous avez des idées véritablement bien extraordinaires ! Et si vous n’étiez recommandé par un collègue de mon mari au ministère des Finances, je crois que je vous demanderais si vous ne vous moquez pas de moi !

Le journaliste protestait :

– Qu’a-t-elle donc de si extraordinaire ma question, madame ? articulait-il. Je vous demande quels sont les cigares préférés de M. Drapier. Il me semble que c’est là une information excessivement intéressante pour nos lecteurs et qui, au surplus, loin de nuire à la réputation de votre mari, ne peut que lui être favorable !

– Je ne vois pas en quoi, monsieur ! répondit naïvement M me Drapier.

– C’est bien simple ! reprit le journaliste. De même qu’un chapelier a dit : « Le chapeau, c’est l’homme », et qu’un tailleur a prétendu qu’un homme bien habillé en vaut deux, moi, j’estime qu’un fumeur qui fume de bons cigares révèle, par la marque qu’il a choisie, sa plus ou moins grande distinction. Il ne s’agit pas de les payer cher, il s’agit de les prendre bons. Les cigares, à mon avis, madame, se divisent en trois grandes catégories… Mais, pardon !… – le journaliste s’interrompait. – Je m’aperçois, fit-il, que c’est moi qui parle et que vous ne me dites rien, madame, c’est mal ! Les lecteurs de La Capitalevous en voudront d’être aussi discrète et, j’aurai beau faire, ils jugeront mal M. Drapier !

– Réellement ? interrogea Eugénie Drapier.

– Réellement, madame ! fit le journaliste.

– C’est que… murmura la pauvre femme, j’aime autant vous le dire tout de suite, mon mari n’a jamais fumé, que je sache, le cigare…

– Eh bien ! s’écria Mirat, voilà quelque chose de net et de précis !… Le fumeur qui se limite à la cigarette, et qui, dans l’intimité, s’adonne à la pipe, est encore une autre catégorie de fumeur… Mais, pardon…

Le journaliste s’interrompait encore. Il s’approcha de la cheminée et considéra longuement un petit vase de Sèvres dans lequel on avait placé quelques fleurs, des œillets.

Il interrogea M me Drapier :

– Ce sont là vos fleurs de prédilection ?

Eugénie Drapier leva les bras au ciel.

– Mon Dieu ! monsieur, vous m’ahurissez, vous me parlez de cigares, de fleurs… Tout à l’heure, vous faisiez un interrogatoire sur les couleurs que je préfère !… Et vous me demandiez si mon mari était partisan des bouts carrés ou des bouts pointus pour les chaussures !… Vraiment, où voulez-vous en venir ?

Le journaliste, qui s’était animé, vint se placer en face de M me Drapier et sagement il articula :

– Je veux en venir, madame, à l’information parfaite, au reportage documenté complet. Je suis de l’école du journalisme compris à l’américaine, et j’ai l’honneur d’avoir fait mes débuts dans la carrière sous l’égide de notre célèbre confrère, Jérôme Fandor. Ah ! madame ! quel dommage qu’il ne soit point resté dans la presse ou qu’il ne nous envoie point de reportage sur les terribles et tragiques aventures qu’il vit perpétuellement lorsqu’il est à la poursuite de Fantômas ! Madame ! s’écria Mirat dans l’élan de sa péroraison, si Jérôme Fandor était ici, peut-être découvrirait-il la clef du mystère ! Peut-être le mystère du crime qui s’est produit dans votre demeure l’éclairerait-il d’un jour nouveau en y découvrant la trace de Fantômas !…


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