355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » Le Voleur d'Or (Золотой вор) » Текст книги (страница 12)
Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 12 (всего у книги 24 страниц)

Avec cela, il était content, le sourire ne quittait pas ses lèvres, et quand il se promenait il ne soulevait d’autre exclamation que des exclamations d’admiration sur son passage.

– Ah ! le bel invalide ! disait-on.

C’était, en effet, un invalide, et la chambrée Desaix n’était autre que le grand dortoir affecté à ceux de ces vieux braves qui, point encore malades, n’étaient point devenus à tout jamais les pensionnaires de l’infirmerie voisine.

Ils étaient là une trentaine à vivre dans une grande chambrée, qui passaient leur temps à se raconter leurs campagnes, à comparer les décorations qui brimbalaient sur leurs vieilles poitrines, qui, aussi bien, grondaient, perpétuellement secoués de furieuse colère, s’emportant contre la République qui, cependant, les hospitalisait, parlant de l’Autre qu’ils n’avaient pas connu pourtant, et petit à petit se figurant qu’ils avaient été ses serviteurs.

Dans les Invalides même, dans cet énorme bâtiment qui tient à la fois du musée et de l’asile, l’ombre de l’Empereur planait d’ailleurs. Elle emplissait tout. Le personnage semblait sorti de son tombeau, rôder dans les couloirs et, par le seul prestige de sa gloire militaire, par la seule autorité de son nom, chaque jour faire des prosélytes, se recruter une armée, battre le rappel.

Lorsque les invalides arrivaient à l’asile, leur brevet de retraite en poche, ils ne connaissaient pas toujours, forcément, les campagnes de Napoléon le Grand. Ils étaient de vieux soldats, ayant combattu dans toutes les campagnes où le drapeau français s’est illustré, ils avaient l’âme guerrière, ils croyaient à la suprématie de la France, mais c’était là tout.

Les nouveaux venus, alors, étaient reçus par les autres avec une cordialité heureuse.

Immédiatement, la bande se chargeait de les instruire. La tradition se passait, en effet, de grognard en grognard et l’histoire était contée, point très fidèlement peut-être, mais toujours embellie, toujours magnifiée, devenant peu à peu légendaire, miraculeuse, surnaturelle.

Et le phénomène classique se produisait alors, il arrivait que le nouvel hospitalisé se prenait à la fièvre de ses collègues, il devenait plus impérialiste qu’eux tous, il parlait de l’Autre avec des hochements de tête significatifs, toute une admiration pieuse, tout un respect exagéré.

Et les pauvres vieux vivaient ainsi, déchets de gloire, lamentables loques, laissés-pour-compte de toutes les batailles, ne concevant rien de plus beau que leur sort, s’enthousiasmant pour les charges de Waterloo en jouant paisiblement aux dames dans l’arrière-salle de la buvette.

Leur existence était paisible, monotone. La grande affaire était pour eux les tours de garde. Ils avaient, en effet, comme service, de loin en loin, quelques heures de faction, soit à la porte des galeries du musée, soit encore à l’entrée du tombeau.

Ce service, d’ailleurs, ne leur coûtait pas. Ils en étaient heureux, ils étaient fiers d’être un peu comme chez eux dans le tombeau de l’Autre et de vivre, avec lui, sur un pied d’intimité, dans le frôlement des grands drapeaux effrangeant leur étamine sur le granit impérissable.

Depuis quelque temps, cependant, depuis une huitaine, à vrai dire, une certaine animation semblait régner parmi les invalides.

Croquemitaine chantait moins gaiement, et l’adjudant Radrap lui-même, un vieux brave qui avait fait le Mexique et la Crimée, délaissait les parties d’échec.

Perpétuellement, le long des couloirs, dans les galeries balayées par la pluie, à la chapelle, où pendent les aigles conquises à l’ennemi, dans le tombeau de l’Empereur même, les invalides s’abordaient. Ils échangeaient quelques mots, hochaient la tête gravement, grognaient d’incompréhensibles paroles, puis se séparaient avec toutes les apparences d’une colère vivement ressentie.

– Il faudra écrire à la place ! disait Laveigne, un ancien fourrier qui avait eu les deux bras emportés par un boulet à l’instant où il dressait pour une acclamation de joie, au moment de la prise d’une position.

– Sûrement ! lui accordait Andrieu, un adjudant dont les deux jambes manquaient, ce qui le rendait inséparable de son compagnon, l’un prêtant ses bras, l’autre aidant à marcher le béquillard. Il faudra écrire à la place.

La place, c’était tout bonnement l’administration tutélaire qui s’occupait de ces pauvres gens.

Mais le mot administration leur écorchait les lèvres. Ils n’étaient pas des administrés, que diable !… Ils étaient des militaires. Ils n’habitaient pas à Paris, ils y étaient casernés, cantonnés… Et les militaires cantonnés, cela dépend de la place !

Ce soir-là, cependant, dans le grand dortoir, dans la chambrée énorme, aux lits blancs, Radrap était entré avec une brusquerie sans pareille. Il avait, d’un coup d’épaule, claqué la porte derrière lui et depuis il gourmandait Croquemitaine qui, puni de tabac pour s’être relevé la nuit, ce qui était un délit grave, s’asseyait sur son lit et balançait ses jambes dans le vide en chantant son « ba be bi bo bu ».

– Ça n’a pas de bon sens ! disait Radrap. Qu’est-ce qu’ils font donc les autres ? Le rendez-vous était donné pour ce soir huit heures. Il est huit heures, que diable ! J’entends l’horloge qui sonne. Est-ce qu’ils ont oublié le mot de passe ?

Croquemitaine s’interrompit de chanter tout comme il s’était interrompu en entendant la menace qui l’effrayait le plus, à savoir qu’il allait réveiller l’Autre.

– Pour sûr, déclarait-il avec onction, pour sûr qu’ils sont encore à la buvette. Ils doivent fumer !…

Radrap, cependant, allait et venait. C’était un des favorisés de la bande. Il lui manquait tout juste la main gauche et le pied droit. Cela ne l’empêchait pas d’être d’une agilité remarquable, marchant avec une grande béquille, se cognant partout, frisant sa grande moustache blanche et grognant d’une voix de stentor :

– C’est ça, déclarait-il, ils fument !… Ah ! c’est du propre ! Il y a de l’indiscipline, mon général.

On appelait Croquemitaine mon général en raison d’un fait d’armes que le vieux brave avait commis jadis. Il avait, en effet, dans une mêlée furieuse, sauvé le commandant de sa division et, par son heureuse intervention, évité une panique.

Croquemitaine, cependant, s’était repris à chanter.

– Ba be bi bo bu…

Alors, Radrap marcha sur lui :

– Mon général, tais-toi ! répétait-il. Saperlotte, ce n’est pas le jour de faire l’imbécile ! On a du travail sur la planche…

Radrap disait cela d’un tel ton qu’on ne pouvait se tromper à ses paroles. Le travail dont il s’agissait devait être terrible et sanglant. Le travail, ce devait être quelque combat affreux, quelque furieuse révolution, quelque charge audacieuse à effectuer dans les rangs ennemis.

Mais quel était donc le rêve du vieil invalide et pourquoi ses yeux lançaient-ils des éclairs ?

Radrap, brusquement, prit une décision :

– C’est bon, dit-il à Croquemitaine. Tu ne veux pas te taire, mon général ? Et si tu es grognon, c’est parce que tu es privé de tabac ? Eh bien, tiens… on est des frères… Prends une prise dans ma tabatière… et vive l’Empereur !

Radrap faisait un cadeau merveilleux à Croquemitaine. Il ouvrait sa tabatière, en effet, il laissait celui-ci y prendre une prise de la main valide qui lui restait. Cela n’allait pas cependant sans quelque difficulté car, ainsi qu’il le disait lui-même, si Radrap voulait bien être généreux, il n’entendait pas être bête.

– Prends une prise, tonnerre de sang ! tonnait-il, mais n’en prends pas deux !… Hein ! mon général, si je n’y veillais pas, vieux farceur que tu es, tu viderais ma tabatière !

Et Croquemitaine avait tout juste pris une pincée. Il avait protesté de sa discrétion lorsque la porte s’ouvrit :

– Austerlitz ! criait une voix.

– Waterloo ! reprit Croquemitaine.

Et l’échange du mot de passe continua :

– Le Vol de l’Aigle !

– La chute du Géant !

– Plus tard la Revanche !

– C’est bon, entrez ! dit enfin Radrap.

Ils avaient tous l’innocente manie de compliquer leur existence en s’astreignant volontairement à toutes les règles militaires.

Tant d’années ces vieux braves avaient traîné dans les camps, tant de longs jours ils avaient dû courber leur volonté sous la loi inflexible de la discipline que leur âme était restée marquée d’un secret besoin de consigne. Ils n’auraient point compris la liberté absolue et s’astreignaient à obéir toujours. Et comme on ne leur donnait pas d’ordres, ils s’en donnaient à eux-mêmes, échangeant des mots de passe, organisant des rondes supplémentaires, se forçant à être sur leurs gardes, bons pour l’alerte, comme ils disaient.

Le mot de passe donné, cependant, la porte de la chambrée s’était brusquement ouverte et tous les invalides y pénétraient.

C’est une lamentable cohorte d’infirmes glorieux, de mutilés admirables. Il n’en était pas un qui n’eût son nom inscrit au livre de l’héroïsme, il n’en était pas un qui ne pût, avec fierté, prétendre avoir écrit quelques pages de l’histoire, avec son sang, avec sa vie.

Sur leur poitrine, les décorations se heurtaient, médailles militaires, médailles de Crimée. Elles pâlissaient toutes devant la tache rouge, la tache sanglante de la Légion d’honneur.

La croix brillait sur les humbles capotes d’un éclat tout particulier.

Il semblait qu’ainsi se justifiât la parole d’une général français :

– Ce joujou-là, disait-il, ne produit son effet que sur la capote d’un invalide quand celui-ci n’a plus ni bras ni jambes !

La cohorte, cependant, entrait avec ordre. Ils s’efforçaient tous de marcher en rang. Ceux qui avaient des jambes soutenaient les béquillards. Les manchots n’avaient pas l’air le moins fier. Un aveugle même, avec ses pauvres yeux sans regard, haussait le front et paraissait vouloir défier quiconque se permettrait quelque parole ou quelque geste imprudent.

Ils étaient une trentaine à peu près. Quand le dernier fut entré dans la chambre, Radrap, qui s’était levé et s’était mis au pied de son lit dans une position militaire, commanda :

– Halte ! Sur deux rangs… Repos !

Ce fut le dispersement.

La parade singulière s’achevait dans une débandade malheureuse. Ils toussaient, ils geignaient…

Beaucoup qui, tout à l’heure, en rang, gardaient encore une attitude martiale, se souvenaient désormais qu’ils avaient la goutte ou que de furieux rhumatismes disjoignaient leurs articulations.

– Ouf ! soufflait un vieux grognard. Deux étages, c’est haut tout de même !

Mais il fut interrompu par Radrap. Celui-ci était le chef de tous. Il commandait, tout en laissant, par coquetterie, le titre de général à l’excellent Croquemitaine qui, d’ailleurs, était toujours son ami et toujours hochait la tête approbativement.

– Silence… dans les rangs ! ordonna Radrap.

Et comme ses compagnons se taisaient, il passa sa main de bois dans un bouton de sa capote, imitant le geste fameux de Napoléon cachant sa main dans un pli de sa redingote grise.

Et Radrap, immédiatement, tenta une proclamation :

– Soldats ! commençait-il.

L’attention était extrême. On eût entendu une mouche voler.

– Soldats ! continuait Radrap. Vous n’ignorez pas pourquoi nous avons sonné ce soir le rassemblement. Les faits sont graves… J’ajoute qu’ils sont certains, que personne ne peut les nier…

– Si, interrompit un vieux grognard. La place prétend que nous rêvons.

Mais Radrap foudroya l’interrupteur du regard comme il foudroya aussi Croquemitaine qui s’était repris à chanter.

Radrap faisait une pause, tirait sur sa moustache, toussait un peu, puis reprenait :

– Soldats ! On prétend, pour se débarrasser de nous, sans doute, que nous sommes des invalides… Des invalides ! Cela fait rire ! Est-ce qu’une jambe ou un bras de moins ont jamais dispensé personne de faire son devoir ? Soldats ! Aujourd’hui, nous avons précisément un devoir à remplir. Il se passe des faits graves. L’ennemi est là, et nous devons défendre l’Autre… Qui d’entre vous veut risquer sa vie, offrir sa poitrine à la mort, conquérir de la gloire encore et défendre l’Autre ?

Il y eut un frémissement.

Radrap était en vérité éloquent. Il avait l’art des proclamations qui enthousiasment, qui électrisent.

Les invalides, d’un même mouvement, se levaient, avançaient d’un pas.

Comme jadis, lorsqu’on demandait deux hommes de bonne volonté pour les envoyer à la mort, ils sortaient tous du rang. Et c’était quelque chose de terrible et d’impressionnant que la tranquillité de ces vieux bonhommes, enfantins un peu, qui semblaient jouer à la guerre et dont l’ambition suprême, alors qu’ils avaient tant donné déjà leur vie, était de donner encore un peu de ce reste de vie qui leur appartenait…

– Bien ! dit Radrap. Vous êtes des hommes !

Il fit une pause, ayant l’air de rouler de sombres projets.

– Voilà ce qu’il faut faire, déclarait-il. Le service d’éclaireurs d’abord… Quatre hommes de bonne volonté à Sa grille.

Il n’était pas besoin d’autres explications ; la grille dont il s’agissait était évidemment la grille qui défendait l’entrée des Invalides, à côté du tombeau.

Radrap continuait :

– Quatre hommes de bonne volonté dans Sa chapelle.

Et il forçait le ton :

– Mission spéciale leur est donnée de veiller aux Aigles… Nous ne pouvons pas tolérer que l’on touche à Ses Aigles…

Et, après avoir fait une nouvelle pause, il ajoutait, continuant à donner ses instructions :

– Trois éclaireurs dans le passage… Trois autres dans la cour d’entrée… Deux à l’intérieur du tombeau… Mon général donnera la clé qu’il a. Cinq resteront ici, corps de réserve, les autres me suivront… C’est compris ?… Pas de rapport aux ordres ?… Bon, allez, marche !

Radrap, d’un pas saccadé, d’un pas qui visait à être le pas militaire et qu’un maudit rhumatisme pris dans les tranchées de Sébastopol faisait tout de même hésitant, longeait la chambre, avançait vers la porte. Il crut entendre derrière lui comme un murmure.

– Pas d’attendrissement, fit-il. On fait son devoir. Et c’est pour Lui !

Puis, la gaieté lui revenait, cette gaieté gavroche des soldats qui plaisantent au moment d’aller au feu.

– Ah, on leur montrera, aux embusqués de la place, de quel bois ils sont faits, les invalides !

Et son ricanement trahissait la douleur qu’il éprouvait d’être vieux.

Le long des couloirs alors des groupes cheminèrent, silencieux. On exécutait fidèlement les ordres du vieillard. On les exécutait avec zèle, avec précaution aussi, car les missions données n’étaient pas sans péril.

Les Invalides ne sont pas, en effet, exclusivement affectés aux vieux braves. Dans les énormes bâtiments du palais, une sorte de caserne existe, occupée par tous les bureaux de l’administration, cependant que de merveilleux appartements sont réservés aux généraux de la place de Paris, aux officiers supérieurs attachés à l’administration.

Les sentinelles, de jeunes soldats, ceux-là, étaient de faction un peu partout. Il convenait de les éviter.

Les invalides ne les aimaient guère, il y avait rivalité entre eux, trop de gloire d’un côté, trop de jeunesse de l’autre.

– Les vieux bonshommes ! disaient les jeunes soldats.

– Les blancs-becs ! ricanaient les invalides.

Parfois des disputes naissaient où les uns se traitaient de moutards et les autres d’infirmes.

Les petits groupes, cependant, les grognards, devaient avoir l’avantage. Dans la tranquillité paisible des bâtiments, les factionnaires montaient une garde fort distraite et peu soucieuse de surveiller les événements.

Les vieux, d’ailleurs, connaissaient tous les détours du palais. Ils savaient se glisser dans la nuit, furtifs comme des ombres, sans faire de bruit. Leurs béquilles elles-mêmes étaient silencieuses, seules auraient pu donner l’éveil leurs médailles s’entrechoquant.

Mais où allaient-ils et que faisaient-ils ?

Radrap, à la tête des dix compagnons qui constituaient le gros de son armée, avait, au sortir de la chambrée, suivi un long corridor. Il conduisait son monde par une galerie jusqu’à la face des bâtiments des Invalides qui regardent le dôme recouvrant le tombeau de l’Empereur.

Quand on arriva à proximité de la chapelle, Radrap se retourna et d’un geste imposa le silence.

– Attention ! dit-il. L’ennemi ne doit pas être loin… Ah ! fichu temps de chien, tout le même !… C’est comme en Crimée, le soir que j’étais de garde et qu’il neigeait si fort qu’au bout de mon bras je ne voyais plus ma main ! Ouvrez l’œil, vous autres !

Ils s’étaient tous arrêtés, ils considéraient la masse sombre du tombeau de l’Empereur, ils écarquillaient leurs yeux, attentifs, émus, grelottant de froid aussi.

Et ce fut l’aveugle, le malheureux aveugle, qui donna le premier l’alarme.

– Entendez-vous ? demandait-il.

Lui, avec ses sens affinés par la cécité, avec cette ouïe merveilleuse qu’acquièrent si vite ceux qui ont perdu l’usage des yeux, venait de surprendre un bruit extraordinaire.

– Sûrement, répétait-il, sûrement l’ennemi est là !…

Les invalides alors tendirent l’oreille anxieusement.

La nuit noire était venteuse. De gros nuages, lourds de pluie, prêts à crever, couraient à ras du sol dans une galopade effrénée.

Sous les invalides, penchés à leur balcon, le vent sifflait avec rage dans les longs couloirs sans porte. Il poussait des hurlements plaintifs, faisait grincer des volets mal attachés, jetait des « hou, hou » tragiques au silence nocturne.

Mais ce n’étaient pas ces bruits de tempête, ce vacarme de mauvais temps, le grondement de la bourrasque que les héroïques invalides épiaient.

Ce qu’ils entendaient maintenant, c’était comme un bruit sourd de marteaux, de chocs d’outils de fer, vigoureusement maniés. Par moments enfin, entre deux rafales, on entendait comme un bruit de lime ou encore, il le semblait du moins, des éclats de voix éloignées.

– Fichtre ! bougonna Radrap.

Et, dans ce mot, il mettait toute son inquiétude, toute sa joie aussi.

Radrap se pencha vers ses compagnons.

– Attention, les hommes ! L’ennemi est là, il faut le surprendre. Demi-tour à droite ! Il faut investir la chapelle. Quand l’investissement sera fait, eh bien, ce sera l’assaut… En avant !

Ils dégringolèrent tous un escalier, arrivèrent dans la petite cour qui longe la chapelle et de laquelle on aperçoit les admirables vitraux qui garnissent les fenêtres. Là, ils tombaient sur les factionnaires envoyés par Radrap.

– Austerlitz !

– Waterloo !

Le mot de passe s’échangea, Radrap, comme un général de corps d’armée, questionnait :

– Avancez, les estafettes ! Au rapport ! Qu’avez-vous entendu ?

Ils n’avaient rien entendu du tout… Grelottant de froid, battus par la tempête, ils parlaient de rentrer dans la chambrée, disant qu’après tout les jours précédents ils avaient dû se tromper.

Alors Radrap les gourmanda :

– Est-ce qu’on avait idée de poules mouillées pareilles ? Peut-être bien qu’ils réclamaient l’artillerie, ou bien encore ces messieurs exigeaient un régiment entier ?

Radrap conclut brusquement :

– On est là pour faire son devoir, on le fera ! Que ceux qui ont peur s’en aillent !

Personne ne bougea, naturellement.

Alors Radrap commanda :

– Mouvement tournant ! Il faut entourer la chapelle, attendre et ouvrir l’œil. Si je juge l’assaut opportun, on verra bien…

Dans une accalmie de tempête, les bruits suspects redoublèrent.

– Ah ! mais, on le défendra, l’Autre ! gronda Radrap.

Et tandis que ses hommes se massaient, prenaient leurs positions, Radrap grognait de sourds jurons :

– Foutre de nom d’un chien !… On leur crèverait la panse à ceux-là qui oseraient s’attaquer à l’Autre, on les étriperait !

– À coups de sabre ! rugissait soudain, de sa voix chevrotante, Radrap… à coups de sabre, tout à l’heure ! Et ce sera de la bonne besogne !

Ils n’avaient d’armes ni les uns ni les autres, ils grelottaient tous de froid, les nuages menaçaient de crever, mais ils restaient là tous, et ces vieux étaient héroïques.

– Dégueulasse, mon vieux, tâche voir moyen à bien te t’nir !

– Fumier, ma vieille, numérote tes abattis… Si jamais tu t’les cassais, faudrait pas qu’on t’les r’monte à l’envers !

– Avance donc, limace. Passe-moi la main, au lieu de gueuler…

Un instant le silence régnait, puis Dégueulasse reprenait :

– Chien de métier, tout d’même ! Ah bien, ils ont eu raison, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, de bouder à la besogne, on y laissera sa peau !

– Jamais de la vie !… Ce qu’on y laissera, c’est son pantalon !

Fumier avait raison de prétendre que son pantalon courait le plus grand risque. Il avait précisément entendu un craquement sinistre et significatif, il concluait sur un ton pleurard :

– Encore un vieil ami qui me lâche !… Mon fond de culotte qui s’fiche rentier et se r’tire des affaires !

Mais où donc se tenait ce dialogue ?

Dégueulasse et Fumier étaient tout simplement dans une gouttière. Il faisait nuit sombre. Le vent sifflait avec rage, à grosses gouttes la pluie commençait à tomber.

Dégueulasse et Fumier, une heure plus tôt, s’étaient tranquillement cachés dans le musée des uniformes installé aux Invalides. Ils en étaient sortis aux environs de neuf heures du soir. Une lucarne ouverte leur avait permis de descendre sans difficulté sur la toiture d’un petit bâtiment. De là, en hommes qui connaissent le chemin, ils s’étaient dirigés sans hésitation vers d’énormes crampons de fer scellés dans une muraille qui leur avaient servi d’escalier.

Dégueulasse et Fumier, invisibles dans la nuit, s’étaient hissés par ces crampons. Leur ascension avait été pénible et n’avait pas été dépourvue de péril. Il leur avait fallu grimper longuement et ils étaient à bout de souffle lorsqu’ils parvenaient dans une vaste gouttière où Fumier perdait son fond de culotte.

Dégueulasse paraissait ne pas porter attention aux mésaventures de son compagnon.

– Bon, bon, gueule pas ! conseillait-il. Mets-y un bouchon cacheté, ma vieille ! Des fois, ça n’a pas d’importance, l’essentiel est que maintenant on touche au turbin. As-tu les outils, nom de d’là ?

– Bien sûr, que je les ai !

Ils avancèrent encore. Une échelle de fer leur servit opportunément à se hisser à nouveau.

– Qu’est-ce que c’est que ce toit-là ? interrogea Fumier.

– Le toit de la chapelle, c’est là-dedans qu’il y a les drapeaux.

Dégueulasse paraissait très renseigné, il continuait :

– On a plus loin à aller, ma vieille. Tiens, la v’là, la coupole.

En suivant le toit de la chapelle, en effet, ils arrivaient au dôme qui surmonte le tombeau de l’Empereur.

Fumier alors s’arrêtait, interdit, les bras ballants.

– Ah, nom de d’là, faisait-il. Et quand j’pense que c’est en or !

Il ne continuait pas. L’énorme coupole, immense, gigantesque, le plongeait dans une stupéfaction ravie.

Jamais Fumier n’aurait inventé pareille chose. Jamais il n’aurait cru pareil prodige…

– Vrai, remarquait-il, si c’était pas Fantômas qui nous l’avait dit, je te jure bien que je ne l’aurais pas cru !

Et, trouvant la chose énorme, Fumier éclatait de rire.

– C’est tout de même une drôle d’idée, bougonna-t-il, d’avoir été fiche des plaques d’or sur une toiture ! Fallait-il qu’ils y tiennent à leur empereur !

Fumier aurait volontiers causé longuement, mais Dégueulasse, ce soir-là, avait une âme de travailleur.

– Bon, bon ! bougonnait-il, t’occupe pas de ça, mon poteau… C’est d’la politique, et la politique, on s’en fout…

Dégueulasse ajoutait d’un air bonhomme :

– L’important, vois-tu, ma vieille, c’est que l’dôme des Invalides, c’est d’l’or, et que cet or-là, Fantômas en a besoin. Paraît que ça rentre dans des combines qu’il est en train de manigancer. T’as les sacs ?

Mais Fumier ne répondait pas. Fumier, brusquement, s’était jeté à plat ventre sur la toiture dorée. Il étendait les bras, il palpait le métal précieux.

– C’est de l’or ! râlait-il. Dire que c’est de l’or !

Alors Dégueulasse se moqua de lui :

– Bougre d’âne, faisait-il. C’est pas la peine de l’embrasser, cet or-là, ma vieille, elle viendra pas avec toi… As pas peur, tu voleras pas la toiture ! Tu la vol’ras pas en entier, s’entend… car pour c’qui est d’emporter les morceaux, c’est autre chose ! T’as les sacs ?

Fumier avait les sacs. Il s’agissait de deux grands fourreaux de soie qu’il avait enroulés autour de son corps. Il tendit l’un à Dégueulasse et garda l’autre.

– Alors, on s’met au travail ?

– Oui, ma vieille, on s’y colle !

– Sûr qu’on va avoir des ampoules…

– Ça t’gêne, madame la marquise ?

– Non, j’m’en fous, mais ça m’dégoûte !

Il n’était évidemment pas habitué à avoir de pareilles traces sur ses mains, qu’il ne fatiguait pas souvent à de rudes besognes.

Dégueulasse, cependant, s’était emparé d’une lime, d’un ciseau à froid et d’un marteau. Il attaquait alors le dôme, il en découpait des morceaux, des rognures, il en raclait le métal précieux.

– C’est tout de même malheureux, grondait alors Dégueulasse, cependant que Fumier l’imitait, c’est tout d’même malheureux d’penser qu’on va remplir ces sacs-là d’or et que Fantômas, pour not’peine, nous aboulera tout juste quelques sous ! Ah, il est généreux, l’mec !…

Mais Fumier n’était pas de cet avis.

– D’abord, faisait-il, on n’sait pas c’que Fantômas donnera. D’autre part, y a quelque chose de sûr et d’certain, c’est que sans lui on n’aurait jamais pensé à venir ici… Et enfin, ma vieille, c’est entendu qu’on raboule de l’or, mais on s’rait joliment empêché s’il fallait le fourguer… Donc, on a tout intérêt à traiter avec le patron…

Ils travaillèrent longtemps. Leurs sacs se remplissaient. Ils avaient pourtant à peine ébréché un peu du dôme, une plaque d’un mètre peut-être. Cela enthousiasmait Fumier.

– Mince de pépites ! disait-il. Et comment, qu’on l’a trouvée, la mine d’or ! On en a pour cent dix ans, bien sûr, avant d’avoir épuisé le lingot…

Fumier, à ce moment, pliait en hâte les sacs, les liant avec des ficelles.

– On n’en a pas pour cent dix ans avant d’être trempés comme des potages, en tout cas ! V’là qu’y lansquine…

Il pleuvait, en effet, il pleuvait maintenant par rafales, toute une averse qui cinglait et remplissait les gouttières.

– Eh bien, c’est gai ! dit Dégueulasse. On a choisi la température… Mince, alors, cavalons ! Moi, j’en ai marre, de la flotte, je n’l’aime pas plus d’ssus que d’dans…

Il était certain que si Dégueulasse disait vrai, il ne devait guère aimer la pluie. Il buvait en effet fort rarement un verre d’eau, si toutefois il en buvait jamais.

Les deux compagnons alors entreprirent de redescendre. Chacun d’eux portait un sac rempli de rognures d’or. En ouvriers méticuleux, ils avaient tranquillement rangé les outils dans la gouttière du dôme, ne se donnant pas la peine de les emporter, car ils étaient bien décidés à revenir.

Dégueulasse, le premier, toucha le sol. Il était trempé, il se secoua. Fumier, à ce moment, le rejoignit :

– On va s’payer deux litres à douze ! murmurait-il.

Ils causaient ainsi tranquillement, prêts à sortir des Invalides par une petite porte basse dont ils s’étaient procuré la clef, lorsqu’à l’improviste, tout près d’eux, ils entendirent une vieille voix hurler :

– Préparez-vous à charger… Chargez !

Dégueulasse sursauta. Fumier jura.

– Bon, qu’est-ce qui s’passe ?

À ce moment, les béquilles hautes, les mains en avant, des cannes tournoyant autour de leur tête, un groupe d’invalides fonçait sur les deux voleurs.

– Flûte ! jura Fumier. V’là les débris qui s’réveillent !

Dégueulasse, à ce moment, ordonnait :

– Cavalons, mon poteau, cavalons ! Avec le foin qu’ils font, sûr que les pompiers vont rappliquer !…

Dégueulasse et Fumier eurent tout juste la peine de décocher trois ou quatre coups de poing. Il y eut de sourds jurons, une courte lutte. Radrap était tombé par terre, il jurait comme un fou. Croquemitaine, de son côté, geignait qu’il avait sûrement reçu un coup de sabre. Un autre prétendait avoir eu la poitrine trouée par un boulet.

Dans la bande des invalides, ce fut une véritable panique.

Un quart d’heure plus tard cependant, à la chambrée, ils discutaient leurs exploits.

– Enfin, tout d’même, grondait Radrap, on n’pourra plus dire à la place qu’il ne se passe rien et que nous avons le cauchemar ! La meilleure preuve qu’il se passe quelque chose, c’est que Croquemitaine a l’œil poché, que Ravon a la jambe cassée – il s’agissait d’une jambe de bois – et que j’ai reçu des coups de poing qui m’ont enfoncé les côtes. Ce sont des preuves, cela !

Le lendemain, la place, comme ils disaient, les fit gronder tous très fort. Il y avait six cas de bronchite. Cela n’avait pas le sens commun, aussi, de s’en aller rôder la nuit avec des prétextes de l’autre monde ! S’il n’étaient pas sages, on les suspendrait de leurs grades !

Et le jeune lieutenant qui sermonnait les invalides, n’ajoutant pas un instant foi aux récits de leurs aventures, pour avoir le dernier mot osait un châtiment exemplaire :

Ils furent tous punis de tabac !

Radrap, alors, ne décoléra pas.

– Ah bien, disait-il, on s’aperçoit que ce n’est plus l’Autre qui gouverne ! Maintenant, quand on fait campagne, c’est les embêtements qui vous tombent sur la tête !…

Et, dès lors, les invalides eurent une histoire de plus à se raconter.

Il parlaient d’une invraisemblable émeute qu’ils avaient domptée, d’une attaque à main armée contre le tombeau de l’Empereur, qu’ils avaient heureusement pu repousser.

D’ailleurs, comme ils avaient été grondés très fort, comme ils avaient eu très froid aussi, pas un d’eux ne proposa d’aller à nouveau veiller la nuit pour s’assurer que rien de suspect ne se produisait encore…




XIII


Fin de débauche

Les derniers cavaliers venaient de rentrer aux manèges. Comme lasse d’avoir été parcourue par tant de gens, par tant de couples, la route semblait endormie dans un tranquille sommeil. On se serait cru, en la regardant, en présence d’un extraordinaire serpent qui, tout poudré de poussière, aurait eu la fantaisie de s’endormir à flanc de coteau, en laissant son grand corps zigzaguer entre les maisons.

Au lointain, d’ailleurs, l’obscurité naissait, l’obscurité de ces soirs de printemps qui est bleuâtre et opaque, comme alourdie de chaleur. La forêt s’endormait, elle aussi, on entendait tout juste quelques pépiements d’oiseaux bavards, attardés à chercher une branche pour passer commodément la nuit. Au bas du coteau, tout au contraire, Robinson rutilait, flambait d’une foule de flambeaux allumés, cependant que, des moindres jardins, des accents criards de valses ou de polkas s’échappaient, intimement mélangés à une âcre odeur de pommes de terre frites, d’absinthe renversée et de chaleur humaine.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю