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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Pierre Souvestre et Marcel Allain

Le Voleur d’Or

FANTÔMAS 28

(1913 – Arthème Fayard)

BOUQUINS – ROBERT LAFFONT




I


Vers le drame

La clef tourna dans la serrure, il était six heures et demie du soir environ, Léon Drapier rentrait chez lui.

À peine avait-il franchi la porte faisant communiquer avec l’escalier l’appartement qu’il habitait rue de l’Université – un vaste appartement au troisième étage – que sa femme Eugénie apparut à l’extrémité de la galerie.

Elle avait passé la tête, de derrière une tenture, pour s’assurer que le bruit qu’elle avait entendu était bien produit par l’arrivée de son mari.

Lorsqu’elle se fut rendu compte qu’elle ne se trompait point, M me Drapier vint à la rencontre de son époux.

Elle lui demanda :

– Tu sais la nouvelle, Léon ?

M. Drapier qui, à ce moment, ôtait son pardessus et l’accrochait dans l’antichambre au-dessous de son chapeau, haussa les épaules et, considérant sa femme d’un air légèrement méprisant, répliqua :

– Comment veux-tu que je la connaisse ?… La nouvelle !… Quelle nouvelle ? D’ailleurs j’arrive à l’instant…

– Eh bien, fit Eugénie Drapier d’un air mystérieux, j’ai reçu une dépêche de tante Denise cet après-midi…

– Alors ? interrogea Drapier.

– Tante Denise est souffrante, poursuivit M me Drapier, elle reste à Poitiers, elle ne viendra que dans une huitaine de jours.

« Pauvre tante, j’espère qu’elle n’est pas gravement souffrante…

– C’est assommant ! gronda Léon Drapier.

– N’est-ce pas ? fit sa femme, tante Denise a constamment quelque chose…

– Oui, sans doute, déclara Léon Drapier, interrompant sa femme, et ce qui est assommant c’est que je sois revenu pour elle ; je t’avoue que si j’avais su qu’elle retardait son arrivée, je ne serais pas rentré dîner… Nous avons au cercle une réunion très intéressante…

Drapier regardait sa montre, il parut hésiter un instant.

– Ne t’en va pas ! demanda M me Drapier, j’aime autant que tu restes ce soir.

Son mari cependant paraissait ne point tenir compte de la demande de sa femme.

Mais il ne manifestait pas non plus l’intention de ressortir…

Il éprouvait, comme tous les hommes occupés lorsqu’ils rentrent chez eux, cette lassitude instinctive qui les fait hésiter à repartir lorsqu’ils ne s’y attendent pas, et qui fait que, finalement, ils se résolvent à rester chez eux en vertu de la loi du moindre effort.

M. Léon Drapier, toutefois, passait dans son cabinet de travail qui se trouvait attenant au vaste salon de réception.

Sa femme ne l’y suivit point.

Voyant que son mari ne manifestait plus l’intention de sortir, elle avait rebroussé chemin, elle était repartie vers le fond de la galerie, d’où elle était venue.

M. Léon Drapier ferma précautionneusement la porte de son cabinet de travail, abaissa sur le battant les lourdes portières destinées, semblait-il, à atténuer le bruit des conversations, puis il décrocha le récepteur de son appareil téléphonique et demanda une communication :

– Clichy 122.03 ?

À deux reprises différentes, M. Léon Drapier sollicitait de la téléphoniste cette communication, il ne parvenait pas à l’avoir.

– Clichy 122.03 ne répond pas ! déclarait l’employée.

Et M. Drapier, après avoir eu un instant l’idée de demander la surveillante, y renonça, car, au fond, cela ne l’étonnait pas outre mesure, que le numéro demandé ne répondit point.

– Je téléphonerai à nouveau ce soir après dîner, pensait-il. Dieu ! que cette histoire est assommante ! Je suis rentré dîner uniquement par politesse pour tante Denise, et voilà qu’elle ne vient pas… Ah ! si j’avais su, vraiment !… Eugénie aurait pu me faire prévenir au bureau. A-t-elle écrit au moins à tante Denise, pour lui exprimer tous ses regrets ?

M. Léon Drapier marchait vers la cheminée, appuyait sur un bouton de sonnette.

– Je vais le lui faire demander tout de suite.

Il attendit quelques instants.

M. Léon Drapier était allé s’asseoir devant son bureau ; personne ne vint.

Alors il haussa les épaules et murmura :

– Je suis sûr qu’elle n’a rien écrit du tout, je vais le faire, cela m’occupera en attendant l’heure du dîner !

Et M. Drapier, plongeant sa plume dans une encre violette aux reflets mordorés, commença une belle page d’écriture par ces mots :

Ma chère tante, votre dépêche, cet après-midi, nous a plongés dans la désolation

M. Léon Drapier noircissait quatre pages, au cours desquelles il avait multiplié les protestations de tendresse et les expressions de sympathie les plus touchantes.

Assurément, lorsque tante Denise recevrait cette lettre, elle en serait émue jusqu’aux larmes !

À vrai dire, si M. Léon Drapier, qui n’aimait pas écrire en temps ordinaire, s’était donné la peine de rédiger une lettre de quatre pages pour sa tante retenue à Poitiers par un simple malaise, c’est qu’il avait des raisons sérieuses pour cela !

La tante Denise était une vieille fille, susceptible de laisser un jour un gros héritage à sa nièce Eugénie et, par suite, à son mari Léon Drapier.

Le couple Drapier n’était pas dans le besoin, loin de là. M. Léon Drapier, qui frisait la cinquantaine, était un fonctionnaire de l’administration des finances, ayant déjà fait une belle carrière et appelé à un avenir plus beau encore.

À l’heure actuelle, il était directeur de l’hôtel des Monnaies à Paris, et on prévoyait, lorsqu’il quitterait ce poste, qu’il aurait soit une situation prépondérante au ministère, soit une des plus productives recettes des finances, de Paris ou des environs.

Officier de la Légion d’honneur, membre de plusieurs cercles élégants, très bien considéré dans les milieux politiques et gouvernementaux, M. Léon Drapier était ce qu’il est convenu d’appeler une « personnalité ». Il comptait dans le monde, à Paris, c’était quelqu’un.

M. Léon Drapier non seulement par sa situation avait une large aisance, mais encore il possédait une fortune personnelle. En outre, il n’avait point d’enfant… Mais à l’instar des gens riches, M. Drapier, comme sa femme d’ailleurs, était éminemment désireux de voir sans cesse augmenter sa fortune, et il eût été désespéré si jamais on lui avait dit que, peut-être, l’héritage de la tante Denise ne lui reviendrait pas.

En tout cas, il faisait l’impossible pour s’assurer les bonnes grâces de la vieille fille de Poitiers, qui, d’ailleurs, éprouvait tous les ans un réel plaisir à venir passer quelques mois de printemps chez ses neveux.

Ceux-ci occupaient, rue de l’Université, un fort bel appartement dans une de ces vieilles maisons qui remontent au siècle dernier et qui comportent non seulement des escaliers monumentaux, des salons de réception spacieux, mais encore des chambres confortables, et des étages hauts de plafond.

M. et M me Léon Drapier vivaient là, en bonne intelligence, en époux de Paris qui ont, l’un pour l’autre, une vieille sympathie basée, peut-être, plus sur l’habitude que sur une attirance spontanée, mais qui ne cherchent pas midi à quatorze heures et qui comprennent très bien qu’au bout de vingt ans de mariage monsieur lise son journal – lorsqu’il est en tête à tête avec sa femme – et que celle-ci s’adonne à la tapisserie – silencieusement absorbée – tandis que son mari fume son cigare en digérant !

Depuis longtemps d’ailleurs, ainsi qu’il convient chez les gens comme il faut et suffisamment riches pour avoir de la place dans leur appartement, M. et M me Léon Drapier faisaient chambre à part…

Sa lettre terminée, Léon Drapier parut s’étonner que son coup de sonnette n’ait point amené qui que ce fût.

Il retourna à la cheminée, appuya plus longtemps encore sur le bouton.

Puis il alla entrouvrir la porte donnant sur la galerie, prêta l’oreille quelques secondes et, n’entendant point de bruit de pas, revint une troisième fois sonner.

– Ah ça ! commença-t-il, mais c’est assommant ! La sonnette n’est pourtant pas démolie !

Par la porte qu’il venait d’entrouvrir et qui donnait sur la galerie, M. Drapier entendait, en effet, le tintement du grelot qu’il actionnait en établissant le courant électrique.

Soudain un bruit de pas précipités se perçut dans la galerie, et M me Drapier apparut :

– C’est toi qui sonnes, Léon ?

– Eh oui, c’est moi ! J’ai besoin qu’on m’apporte mon veston d’intérieur…

M me Drapier s’apprêtait à rebrousser chemin.

– Je m’en vais le dire à Firmain ! fit-elle.

Puis, changeant d’avis, elle revint sur ses pas, pénétrant dans le bureau de son mari, fermant la porte derrière elle :

– Au fait, Léon, déclara-t-elle, j’avais oublié de te prévenir : nous avons un nouveau valet de chambre. Je l’ai définitivement arrêté ce matin, après avoir vu ses certificats : ils sont excellents. Ce garçon est resté près de trois ans chez le consul du Mexique qui ne s’en est séparé que parce qu’il retournait dans son pays…

« Il a été aussi chez une baronne, dans le centre de la France, et tu sais que les baronnes, dans le centre de la France, ce sont toujours des gens très bien…

– Je ne dis pas le contraire, fit M. Drapier… Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi les baronnes du centre de la France seraient mieux que celles de l’ouest ou du nord…

– C’est pourtant comme cela ! déclara péremptoirement M me Drapier. Donc Firmain est resté deux ans chez cette baronne, il n’en est parti que parce que la pauvre femme est morte. Il est à Paris depuis une huitaine de jours…

– Eh bien, interrompit M. Drapier, qu’il m’apporte ma veste.

– Je vais le lui dire, poursuivit M me Drapier qui ne bougeait pas…

Puis elle ajoutait, considérant son mari d’un air étrange :

– Tu le regarderas bien, n’est-ce pas, quand il viendra ? Tu l’observeras sans qu’il s’en doute, et tu me diras ton opinion ?

– Mon opinion, pourquoi ?

– Eh bien, fit M me Drapier, il me semble qu’un nouveau domestique à la maison cela doit t’intéresser, moi je t’avoue que je n’aime pas introduire des inconnus chez moi, et que c’est toujours avec une nouvelle appréhension que je prends des domestiques que je ne connais point…

– Mais puisqu’il a de bons certificats ?

– En as-tu jamais donné un mauvais ? interrogea M me Drapier, et pourtant, rappelle-toi, cette cuisinière que nous avons renvoyée parce qu’elle volait ! Les certificats, au fond, ça ne rime à rien ! On devrait se renseigner de vive voix…

– La baronne est morte ! observa Léon Drapier.

– Oui, soupira sa femme, et je ne puis pourtant pas m’en aller au Mexique interroger le consul !

– Bah ! fit M. Drapier, il ne faut tout de même pas s’affoler… Je t’en prie, Eugénie, envoie-moi ce… ce comment s’appelle-t-il ?…

– Firmain.

– Oui… envoie-moi Firmain, et qu’il m’apporte ma veste !

Brusquement, M me Drapier tournait les talons, elle ouvrit la porte du cabinet de son mari, qui communiquait avec l’antichambre, elle s’arrêta net sur le seuil, étouffant un cri de surprise.

– Ah ! j’ai eu peur !

– Qu’y a-t-il ? demanda M. Drapier.

Sa femme se retournait, comprimant, d’un geste machinal, son cœur qui battait un peu.

– C’est stupide, fit-elle, c’est Firmain qui passait justement au moment où j’ai ouvert la porte, je me suis presque heurtée à lui…

Se tournant vers le domestique, M me Drapier articula :

– Firmain, entrez ! Voici monsieur, vous aurez particulièrement à vous occuper de son service. Lorsque monsieur rentre, on lui donne sa veste d’intérieur, je vous indiquerai le placard dans lequel elle se trouve… Et puis il faut avoir soin, lorsque vient la nuit, de fermer les persiennes et, s’il fait froid, d’allumer du feu dans le cabinet de monsieur…

– Bien, madame ! déclara le domestique.

Firmain venait d’entrer dans le cabinet de M. Drapier, il demeurait respectueusement immobile devant ses patrons.

C’était M me Drapier qui parlait, Léon Drapier put examiner à loisir le domestique.

Tout d’abord, il ne prêtait qu’une attention distraite à la physionomie de cet homme, vêtu d’un gilet rayé jaune et noir, avec des manches de lustrine, et portant un grand tablier blanc.

Toutefois, au fur et à mesure qu’il l’observait, M. Drapier regardait les yeux du serviteur…

Ce n’étaient pas des yeux ordinaires. Firmain n’avait pas l’air, encore qu’il en eût les manières et l’apparence, d’un véritable valet de chambre !

Il paraissait plutôt un de ces valets de comédie, à la physionomie intelligente, aptes à la soudaine repartie, ayant sans cesse le mot pour rire, la réflexion juste, perpétuellement observateurs et souvent de bon conseil !

Il avait, comme ces héros du théâtre d’ailleurs, la classique chevelure rousse et la face à l’expression comique.

Mais, malgré tout, M. Drapier s’inquiétait en le considérant, car il avait toujours ces yeux, ces yeux bizarres, ces yeux au regard indéfinissable, qui malgré lui le troublaient…

M me Drapier, cependant, se disposait à indiquer au domestique où se trouvait le veston de son nouveau maître, mais Firmain l’interrompit :

– Madame n’a pas besoin de se déranger, je sais où sont toutes les affaires de monsieur !

Il s’éclipsait prestement, revenait quelques instants après avec le vêtement en question.

M me Drapier regarda l’heure au petit cartel qui ornait la cheminée du cabinet de travail de son mari.

– Sept heures et quart ! fit-elle ; il faut aller vous habiller, Firmain, et aujourd’hui la cuisinière mettra le couvert.

Mais Firmain interrompait :

– La cuisinière n’aura pas besoin de se déranger, madame, j’ai déjà mis le couvert… Puisque madame veut bien me le permettre, je vais m’habiller. Dans dix minutes je servirai monsieur et madame !

Encore une fois Firmain s’éclipsait, les deux époux se considérèrent quelques instants, sans rien dire.

– Eh bien ? fit Drapier, il m’a l’air très bien ce domestique.

Sa femme hochait la tête.

– Il est très bien… certainement ! Au début il ne me plaisait pas beaucoup malgré ses bons certificats, or voici que maintenant je me rends compte que c’est un garçon intelligent et que je vais m’y attacher. Nous en ferons quelque chose, j’en suis sûre, c’est si rare d’avoir de bons domestiques… Enfin, je suis heureuse qu’il te plaise.

Drapier protesta :

– Je n’ai pas dit ça du tout ! Et, tiens, c’est même tout le contraire ! Loin de me plaire, il me déplaît, ce garçon-là, avec son air d’être très à son aise ici, avec sa façon de tout connaître avant qu’on lui ait rien montré… Je suis certain que ce gaillard-là doit avoir de lui une opinion excellente et qu’il ne tardera pas à devenir insupportable !

– Enfin, protesta M me Drapier, tu ne vas pas le juger avant de l’avoir vu à l’œuvre. Si c’était toi qui t’occupais des domestiques…

– C’est bien, fit Drapier, on verra ! En attendant passons à table, veux-tu ?

Le quart d’heure s’était écoulé et, ponctuel comme un chronomètre, Firmain, le valet de chambre, s’était trouvé à point nommé dans la salle à manger pour annoncer : « Madame est servie ! » au moment précis où monsieur Drapier manifestait l’intention d’aller se mettre à table.

Même, encore une fois, M me Drapier avait poussé un cri de surprise, car elle ne s’attendait en aucune façon à ce que son domestique fût déjà là, au moment où elle passait du salon dans la salle à manger.

Le dîner était hâtivement expédié, encore qu’il fût servi selon un protocole rigoureux, nécessitant la présence du valet de chambre, dans la salle à manger, tandis que ses maîtres dînaient.

Enfin, vers huit heures et demie, M. et M me Drapier passaient dans le salon et dès lors, en prenant leur café, recommençaient à discuter sur les qualités et défauts du personnage qui, ce soir-là, captait leur attention, de ce nouveau domestique que l’on venait d’engager.

À la cuisine cependant, Caroline, la vieille cuisinière, avait attendu pendant dix minutes que le valet de chambre revînt de la salle à manger pour se mettre à dîner.

Elle ne le vit point venir, elle attendit encore quelques instants, puis, impatiente, ayant faim, désireuse également d’aller se coucher, elle suivit le couloir du service qui conduisait de la cuisine à la galerie et s’en vint à pas de loup dans cette dernière pour voir ce que devenait le domestique.

Elle l’aperçut l’oreille collée au trou de la serrure de la porte qui donnait sur le salon.

– Eh bien, grommela-t-elle, en voilà un qui n’est pas curieux, par exemple !

Et elle lui toucha du doigt l’épaule.

Firmain tressaillit. Voyant la cuisinière, il eut une expression farouche qui épouvanta la vieille femme.

– Il n’a pas l’air aimable, ce garçon ! pensa-t-elle. Puis c’est des drôles de manières que d’écouter aux portes. Enfin ça ne me regarde pas !

Au surplus Caroline connaissait mal Firmain et, bien qu’il y eût entre eux, une grande différence d’âge, elle ne pouvait guère lui faire d’observations.

– Je vous cherchais, disait-elle, c’est l’heure de manger, voulez-vous ?

Caroline repartait pour la cuisine, Firmain la suivit.

Installés l’un en face de l’autre, ils absorbèrent en silence du potage à peu près froid, tandis que la cuisinière s’en allait remettre sur le fourneau le plat de viande à moitié consommé par les maîtres et dont la sauce était figée.

En attendant qu’il fût réchauffé, les deux domestiques engagèrent la conversation.

– Alors, demanda Caroline, comme ça, vous venez de province ?

Le valet de chambre eut un air énigmatique, il considéra la vieille bonne, puis d’une voix légèrement grasse et éraillée, presque faubourienne, il répliqua :

– J’en arrive, en effet !

Caroline Continuait :

– Vous allez vous plaire à Paris… Il y a du mouvement, de l’entrain, quoique dans notre quartier ce soit bien tranquille. On n’est pas gêné par le tapage…

– Oui, reconnut Firmain, les murs sont épais dans les maisons…

Caroline avait toutefois un petit sourire ironique à l’adresse du valet de chambre.

– Les portes aussi ! Mais heureusement qu’il y a le trou des serrures, par lequel, en y collant son oreille, on peut entendre ce qui se passe à côté, hein ?…

Le domestique prit un air vexé.

– C’est pas des choses qu’il est nécessaire d’aller répéter aux patrons ! Quand j’écoute comme cela, de temps en temps, c’est par curiosité, c’est histoire de savoir ce qu’on pense de moi. Un homme averti en vaut deux !

– Vous n’avez pas tort, fit Caroline, après tout, moi, pour mon compte, je sais bien que ça me gênerait d’aller ainsi les espionner, mais chacun fait comme il veut !

Après un silence elle demanda :

– Ont-ils parlé de moi ?

– Non ! déclara Firmain, mais de moi. Ils sont épatés, que j’aie de bons certificats… Ça les embête que je m’appelle Firmain… Ils se demandent s’ils ne vont pas m’obliger à répondre au nom de Charles, et enfin il est question de m’acheter des vêtements neufs… Mais ça finira probablement par le rafistolage de ceux que portait le précédent valet de chambre.

Un coup de sonnette impérieux retentit, qui interrompit le dîner des serviteurs.

– Allez voir, fit la cuisinière, c’est pour vous, voyez le tableau : c’est le patron qui sonne !

Et elle concluait :

– Moi, j’ai bien assez de m’occuper du service de la femme de chambre qui est malade en ce moment !

Firmain, cependant, était allé prendre les ordres de ses maîtres. Il revint au bout d’un quart d’heure.

Le domestique avait l’air tout guilleret, il but d’un trait le café bouillant que la cuisinière avait préparé dans un verre, puis lui souhaita le bonsoir.

– Vous avez votre clé ? demanda Caroline. Vous savez où est votre chambre ?

– Mais oui ! s’écria Firmain. Je connais la tôle ! N’ayez pas peur !

– À quelle heure qu’on vous a dit de descendre ?

– Pour sept heures du matin.

– Eh bien, alors, bonsoir !

Le domestique cependant montait rapidement dans sa chambre, au septième.

Mais il ne s’y installait pas, et loin de se disposer à se coucher, s’il enlevait son gilet rayé jaune, c’était pour y substituer un gilet ordinaire, sur lequel il revêtait un veston.

Firmain se coiffa d’une casquette, puis, ayant allumé une cigarette, il descendit par l’escalier de service.

Il était environ dix heures du soir. Comme l’avait dit Caroline la cuisinière, le quartier était tranquille.

Quelques rares voitures passaient… La plupart des lumières aux fenêtres étaient éteintes, et s’il y avait quelques personnes sur le trottoir, c’était surtout des domestiques, des collègues de Firmain qui promenaient des chiens ou alors venaient à des rendez-vous d’amour !

Par les soupiraux des cuisines, placées au sous-sol, des colloques s’engageaient entre des gentilles femmes de chambre et des mécaniciens, ou alors parfois c’était la cuisinière qui, furtivement sortie, venait conférer à voix basse avec le maître d’hôtel d’un immeuble voisin…

Firmain descendit la rue de l’Université, puis, par le boulevard Saint-Germain, gagna les quais.

Il affectait une démarche nonchalante, toutefois il semblait vouloir avancer assez vite. Étant arrivé à l’entrée du pont de la Concorde, il obliqua brusquement sur la droite, longea la berge de la Seine, assez élevée à cet endroit au-dessus du niveau du fleuve, puis, par un petit escalier métallique, descendit au bord de l’eau.

Il faisait très sombre, à cet endroit. Mais Firmain paraissait connaître à merveille cette berge de la Seine cependant encombrée de matériaux, de grosses pierres et de cahutes en planches réservées aux agents de la navigation.

Il alla se dissimuler derrière l’une d’elles et attendit en fumant une cigarette.

Pour un garçon qui arrivait de province, Firmain semblait bien au courant des détails de Paris !

Sur le quai au-dessus de lui passaient à intervalles irréguliers des tramways électriques. On entendait le bruit de leurs timbres aigus retentir dans le silence de la nuit…

Or, à un moment donné, Firmain, qui prêtait l’oreille, laissa échapper une exclamation.

– Ça y est, voilà la roulante de Rosny-sous-Bois !

Il avait reconnu – au coup de timbre – le tramway venant de cette localité.

Dès lors il sortit de derrière sa cachette, revint dans la direction de l’escalier métallique qui accédait à la berge.

Puis il attendit un homme qui précisément à ce moment le descendait et, lorsque ce personnage fut arrivé à quelques pas de lui, Firmain, touchant du doigt sa casquette, articula ces simples mots :

– Salaud ! salut !

Le nouveau venu rétorquait alors :

– Salut ! salaud !

Et après cet échange de propos qui, évidemment, constituait un signal et un moyen de se reconnaître, les deux hommes s’écartèrent de l’escalier et descendirent le long du quai, fort étroit, jusqu’au bord de la Seine.

Le personnage qui était venu rejoindre Firmain était un solide gaillard aux épaules carrées. Son visage paraissait rasé, il était toutefois difficile d’en apercevoir les traits, car le col de son manteau était relevé jusqu’au dessus de ses oreilles et son chapeau mou à large bord abaissé sur ses yeux.

– Alors, interrogea-t-il à brûle-pourpoint, m’as-tu fait le plan de la tôle ?

Pour toute réponse Firmain sortait de sa poche un papier sur lequel figurait, dessinée à la hâte, mais avec exactitude, la répartition exacte d’un appartement, avec de gros traits bleus figurant les portes et les fenêtres.

À la lueur d’un bec de gaz, placé au-dessus d’eux sur le quai, les deux hommes examinèrent ce plan.

L’homme au visage dissimulé demanda à Firmain :

– Où c’est que pieute la patronne ?

– Dans la carrée au fond du couloir…

– Et le singe ?

– Dans la tôle à côté du bureau !

– T’as les clés ?

– Probable ! Ne suis-je pas le domestique ? Alors, par conséquent, j’ai la confiance !

L’homme au visage dissimulé hocha la tête. Pendant quelques instants il demeura silencieux, puis il proféra :

– Eh bien, mon vieux, dès lors, on n’a plus rien à se dire. Ah ! si ! tout de même… Donne-moi une de tes clés… celle de l’escalier principal… et tu garderas celle de l’escalier de service, c’est plus naturel !

– Mais, interrogea Firmain, en hésitant, pour quand c’est-y ? Pour ce soir ou plus tard ?

L’homme rétorqua :

– T’occupe pas, tiens-toi prêt… Le plus tôt sera le mieux !

Les deux hommes alors se séparaient et, tandis que Firmain revenait rue de l’Université, son interlocuteur, pour n’avoir point l’air de le suivre, regagnait le pont de la Concorde et regardait attentivement couler l’eau noire dans la nuit…

À peu près à la même heure, Léon Drapier téléphonait.

Sans doute avait-il obtenu la communication qu’il avait demandée avant le dîner et qui paraissait tant lui tenir à cœur, car il souriait désormais, faisait des grâces devant l’appareil.

Lorsqu’il eut raccroché le récepteur, son visage était rayonnant.

Puis, soudain, ses traits s’assombrirent :

– Ah ! sapristi ! fit-il, j’ai oublié de donner des instructions à ce nouveau domestique au sujet de… précisément…

M. Léon Drapier se promena de long en large dans son cabinet.

– C’est embêtant, songeait-il, je n’aime pas quand c’est ma femme qui engage un valet de chambre… Il est évident que celui-ci me paraît fort bien… beaucoup trop bien, peut-être… Qu’est-ce qui lui a pris, à Eugénie, d’engager ce garçon-là ?… J’ai essayé de lui faire peur en lui disant que cet homme avait un mauvais regard, elle qui est si peureuse à l’ordinaire n’a pas eu l’air de s’en émotionner.

Léon Drapier, qui venait d’ouvrir un tiroir, paraissait de plus en plus soucieux.

– Il n’y a pas à dire… quelqu’un a fouillé dans mon bureau. Ce désordre n’existait pas hier. Est-ce que, par hasard, Eugénie se douterait de quelque chose ? Non ! pourtant, c’est impossible ! Et cependant…

Léon Drapier se promenait encore, il avait l’air de plus en plus agacé.

– Ça c’est vu… ça c’est vu, ces choses-là… J’ai une femme qui est capable de faire un coup pareil… et puis pour se renseigner, savoir ce qu’elle veut savoir, elle n’hésiterait pas à aller jusqu’à introduire un espion chez moi… Oh ! si jamais cela était, par exemple !… Je me montrerais tel que je suis ! Et c’est extraordinaire… J’en ai le pressentiment. Ce Firmain n’a pas une tête de domestique… Mais là, pas le moins du monde… Si c’était un espion ? un agent de police ? un mouchard ?…




II


Un mensonge grave…

Eugénie Drapier s’était couchée, ce soir-là, un peu plus tard qu’à l’ordinaire.

Minuit avait sonné depuis vingt minutes environ lorsqu’elle se mettait au lit. Non seulement en bonne maîtres se de maison elle avait été surveiller les rangements effectués par son nouveau domestique, s’assurer que l’argenterie était au complet, mais encore Eugénie Drapier avait cru bon, une fois le personnel parti, de veiller plus minutieusement encore qu’à l’ordinaire à toutes les fermetures de la maison.

Elle avait vérifié les persiennes, les verrous de la cuisine, comme ceux de la porte d’entrée.

Sachant son mari dans son cabinet de travail et certaine qu’il ne viendrait pas se moquer d’elle, l’épouse du haut fonctionnaire n’avait pas dédaigné de s’agenouiller dans la salle à manger et dans le salon pour regarder sous les meubles afin de s’assurer qu’ils ne dissimulaient personne de caché !

Le balcon et les grands rideaux, que l’on tirait sur les fenêtres du salon, avaient été l’objet également d’une visite minutieuse et spéciale.

C’était là, en effet, dans l’esprit de M me Drapier, que se cacheraient assurément les cambrioleurs… si d’aventure ceux-ci s’avisaient de venir dévaliser l’appartement !

Cette visite derrière les rideaux, Eugénie Drapier la faisait régulièrement chaque soir, et ce n’était jamais sans une certaine appréhension qu’elle s’approchait de ces redoutables tentures qui, la nuit venue, lui faisaient l’effet de repaires de bandits, car elle les attendait en somme chaque soir, ces fameux cambrioleurs ; elle n’aurait pas été étonnée de découvrir un homme dissimulé dans l’embrasure de ses fenêtres ou caché sous un meuble ; elle pressentait dans son for intérieur qu’infailliblement cela se produirait un jour… de même qu’il y a des gens qui se considèrent comme certains de mourir écrasés, ou de périr en mer !

Ce soir-là, l’émotion de M me Drapier était plus grande qu’à l’ordinaire, car il y avait un nouveau venu dans la maison…

En réalité, bien qu’elle s’accusât souvent de pusillanimité, M me Drapier se convainquit que rien n’était dangereux comme d’introduire du jour au lendemain, sous prétexte qu’il était « domestique », un inconnu dans sa maison.

Et puis enfin, son mari n’avait-il pas remarqué, comme elle d’ailleurs, les yeux de cet homme, son regard intelligent, mystérieux, inquisiteur, regard qui n’était pas celui d’un valet de chambre ordinaire ?

L’appartement était grand, il paraissait immense ce soir-là à M me Drapier.

D’autant plus que sa chambre et son cabinet de toilette se trouvaient tout à l’opposé de la chambre de son mari, laquelle était voisine du cabinet de travail.

Il fallait, pour aller de chez M me Drapier à la chambre de M. Drapier, traverser le grand salon, le petit salon, le fumoir et la salle à manger, ou alors suivre cette interminable galerie sur laquelle s’ouvraient toutes ces pièces.

Revenue enfin dans son cabinet de toilette, après avoir depuis longtemps souhaité le bonsoir à son époux, M me Drapier, qui se sentait un peu fatiguée, se mit en devoir de se dévêtir.

Elle alluma toutes les ampoules électriques, fit beaucoup de lumière pour avoir moins peur ; puis, machinalement, par habitude, et parce qu’elle faisait cela depuis vingt ans, elle se mit, non sans ennui, à couvrir son visage, sa poitrine, ses mains et ses bras de pâtes et d’onguents destinés, lui assurait la marchande, à donner à sa peau l’éclat et le velouté d’une peau de vingt ans !

Hélas ! malgré tous les artifices, la peau de M me Drapier avait bien près de cinquante ans et tous les onguents étaient inutiles…

Ayant orné sa chevelure d’une quantité incommensurable de bigoudis, M me Drapier finit par aller se coucher.

Elle voulut lire un journal, elle n’y trouva que des histoires de crimes ; elle le rejeta dans la ruelle de son lit et, ayant mis sa lampe en veilleuse, chercha à s’endormir.

Elle y parvint aisément.

M me Drapier dormait d’un sommeil lourd et profond, lorsque brusquement elle sursauta dans son lit.

Sa gorge se serra, ses paupières battirent, elle sentit sur son front et ses mains courir les frissons précurseurs d’une transpiration déterminée par l’inquiétude.

Puis elle prêta l’oreille, doutant de ce qu’elle avait cru entendre alors que peut-être elle dormait encore.

M me Drapier avait l’impression qu’on avait marché dans la galerie de l’appartement.

Sous les tapis épais, le plancher avait craqué, puis ç’avait été le bruit d’une porte qui s’ouvre et se referme lentement.


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