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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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L’infirmière n’avait pas dépassé le mur sinistre qu’un éclat de voix l’accueillait :

– Tiens, mademoiselle Berthe ! Et comment ça va ?

La pimpante jeune fille éclatait de rire, en reconnaissant celui qui lui souhaitait le bonjour. C’était un grand gaillard, un infirmier de la section des contagieux, qui plaisantait volontiers avec elle pour le plus mauvais des motifs.

– Vous m’avez fait peur ! protesta l’infirmière, donnant la main à son ami. Beau temps ce matin !

– Oui, beau temps, riposta l’infirmier. Et quoi de neuf, chez vous ? Il y a bien longtemps qu’on ne vous a pas vue…

– Pas étonnant, monsieur Jules, le service était bourré. Ma parole, on ne savait plus où donner de la tête ! Y avait des brancards dans toutes les salles !

L’infirmier avait tiré une cigarette, il l’allumait, en dépit des règlements, et ripostait en homme blasé :

– C’est comme chez nous. Il y a eu un moment de presse, de la typhoïde en masse ! Heureusement qu’on a claqué beaucoup ; maintenant il y a de la place !…

Il disait cela sans méchanceté, en homme que le métier a durci et qui ne peut plus guère s’apitoyer sur les malades qui ne sont pour lui que des numéros, des lits occupés, des occasions de travail.

L’infirmière, d’ailleurs, ne tressaillait point aux paroles de son compagnon.

– Ah ! vous avez de la veine ! ripostait-elle. Chez vous, en effet, on claque pas mal, et cela fait de la place ! Chez nous, ils ont la vie dure ! En ce moment, ils s’en tirent tous ! C’est à dégoûter du métier… Il y a plus de quarante pansements chaque matin !

Elle parlait avec une rage contenue : l’infirmier hocha la tête.

– Oui, approuvait-il, c’est embêtant, ces choses-là ! Vous êtes toujours avec Chautant ?

– Toujours.

Ils échangèrent un sourire. Chautant était le chef de clinique chargé du service dont dépendait M lle Berthe. Il avait la réputation d’être exigeant, méticuleux, on disait de lui qu’il faisait du zèle et qu’assurément il en voulait aux pompes funèbres tant il faisait tous ses efforts pour leur arracher des clients.

– Et le patron, interrogeait maintenant l’infirmier, il gueule toujours à la visite ?

– Plus que jamais.

Le patron était le Dr Tillois. C’était un jeune médecin des hôpitaux, nouvellement promu, un chirurgien des écoles récentes, qui osait tout, opérait dans les cas les plus désespérés, et cela avec un bonheur qui surprenait tous ses collègues.

Lui aussi était exigeant, lui aussi voulait que tout marchât à la perfection dans le service. Il n’admettait ni les erreurs, ni les paresses, ni le moindre relâchement à la discipline.

M lle Berthe joignait les mains :

– Ah ! Tillois, faisait-elle, celui-là, je vous assure que je ne l’encaisse pas ! Les malades en raffolent, mais ils sont bien les seuls… Il est doux avec eux, mais c’est une vraie brute avec nous ! Pour une fiole qui traîne, on attrape tout de suite un savon. Aussi, le matin, à la visite, il faut voir si ça barde ! Je vous assure que tout le monde en prend pour son grade !… Les internes comme nous autres !

L’infirmier riait, hochait la tête, il trouvait cela très cruel et plaignait beaucoup M lle Berthe.

– Tout de même, remarquait-il, il sauve pas mal de monde…

– Oui… concéda M lle Berthe. À force de bons soins, il remet sur pied les malades. Mais en attendant, il esquinte les bien portants.

Elle se frottait les mains, frissonnait au vent de la matinée, il était tout juste huit heures. Elle ajouta :

– Sur ce, bonsoir ! Si je flâne, moi, je suis sûre de mon paquet…

– Il faut que vous soyez là à la visite ?

– À la visite, non, mais j’ai du service tout de même. Je dois me trouver à la chambre 24, il y a une enquête judiciaire.

M lle Berthe serrait la main à son compagnon qui continuait à fumer béatement, ne paraissant pas pressé d’aller rejoindre son poste, puis elle s’éloigna.

M lle Berthe traversait une première cour que l’on appelait dans tout l’hôpital la « Cour des Richards ». C’était là que l’on installait d’ordinaire, dans des pavillons tranquilles, les malades qui n’appartenaient pas directement à la classe pauvre, ceux qui étaient recommandés d’une manière ou d’une autre et qui jouissaient en somme d’un certain confort, se trouvant à l’hôpital dans les conditions où ils se fussent trouvés dans quelque maison de santé normalement payante.

La cour franchie, M lle Berthe entrait dans un long couloir où les senteurs d’hôpital étaient particulièrement violentes. Ce couloir avait le nom vraiment significatif, dans l’argot des infirmiers, de « Passage des Bourreaux ». Il menait tout bonnement aux cinq salles d’opération de chirurgie mises à la disposition des cinq chirurgiens qui, chaque matin, faisaient les opérations graves, les opérations bénignes étant faites l’après-midi par les chefs de service ou par les internes, qui, de la sorte, étaient libres de s’exercer.

M lle Berthe se rangea pour laisser passer une civière dont le drap se tachait de rouge.

– Une hémorragie ? demandait-elle.

– Oui, fit l’un des porteurs.

Et il confiait, dans un sourire :

– Paraît que c’est une gaffe, un coup de bistouri de trop !

M lle Berthe eut un sourire. Elle escomptait immédiatement, après cette confidence, l’un de ces scandales qui, de temps à autre, divertissaient tout l’hôpital, c’est-à-dire une maladresse d’un chirurgien amenant, dans de fâcheuses conditions, la mort d’un opéré.

– Qui traitait ? demandait-elle.

Mais la question s’arrêta net sur ses lèvres. Un homme, en grand tablier blanc, la tête coiffée d’une calotte noire, entouré d’une dizaine de jeunes gens également vêtus de blanc, sortait d’une des salles d’opération. C’était le Dr Tillois. Il professait encore :

– Vous avez vu, messieurs, le terrible danger de la résection que je tentais ce matin. L’hémorragie qui s’est déclarée était impossible à prévoir, mon diagnostic était exact, mais le pronostic doit être désormais des plus réservés.

À cet instant, le chirurgien apercevait M lle Berthe.

– Allons, faisait-il, qu’est-ce que vous faites ici à traîner ? Est-on arrivé à la chambre 24 ?

– Je ne sais pas, monsieur le professeur. Justement, j’y vais.

– Bien, dépêchez-vous, dites que j’arrive tout de suite.

M lle Berthe, dès lors, ne flânait pas davantage. Se sentant poursuivie par le regard inquisiteur du professeur Tillois, qui, suivant ses propres expressions, ne la gobait pas beaucoup, M lle Berthe se mettait à courir.

Elle entrait dans une grande salle, claquait la porte, se faufilait entre les lits.

Tillois, avant de gagner la salle d’opération, avait dû passer la visite et examiner les opérés de la veille. On achevait de faire les pansements. C’était, dans la salle, le terrifiant concert des hurlements que la souffrance arrache aux plus courageux. Des internes s’occupaient à replacer les appareils, cependant que des infirmières, debout derrière eux, leur passaient les outils nécessaires, les pinces à ligatures, les flacons d’antiseptiques, les tas d’ouate, les longues bandes de tarlatane.

M lle Berthe ne prêtait même pas attention aux cris qui montaient de toutes parts. Simplement, elle interrogeait du regard un lit dont les rideaux étaient baissés.

– Tiens, le 13 est claqué ! pensa-t-elle.

Elle demandait confirmation à une collègue qui la croisait, affairée.

– Il a mis l’arme à gauche, le frère ?

– Oui, cette nuit.

M lle Berthe eut encore un petit éclat de rire.

Décidément la veine tournait. Tillois n’avait pas de chance, ce matin. Une hémorragie à la salle d’opération et un décès pour les opérations de la veille, le pourcentage serait mauvais, d’autant que le cas était simple à cet endroit. Qu’est-ce qu’il avait donc bien pu avoir, le 13 ? On le croyait tiré d’affaire.

M lle Berthe quitta la salle, claqua encore la porte vitrée sans prêter attention aux hurlements de douleur qu’elle occasionnait par la brusquerie de ses mouvements.

– Quel gueulard ! pensait M lle Berthe, haussant les épaules à la plainte d’un pauvre diable dont on avait, quelques jours auparavant, réduit une fracture au bassin.

Hors de la salle, M lle Berthe s’engagea dans un petit couloir qui conduisait à une série de chambres affectées aux besoins du service.

C’étaient les chambres d’isolement. On couchait là les malades qui ne pouvaient s’accommoder de la salle commune, ceux dont l’état était désespéré, ceux aussi dont la convalescence exigeait des précautions extrêmes.

M lle Berthe croisa au passage deux hommes graves qui paraissaient chercher leur chemin avec peine.

– J’arrive à temps ! pensa l’infirmière.

Elle voulut dépasser les deux inconnus, mais ceux-ci l’arrêtèrent :

– S’il vous plaît, demandait l’un d’eux, avec une grande politesse. Pouvez-vous nous indiquer, mademoiselle, la chambre 24 ?

Et il se nommait, éprouvant le besoin de justifier sa présence en pareil endroit :

– Je suis le juge d’instruction, et je viens procéder à un interrogatoire.

– Veuillez me suivre, messieurs.

M lle Berthe précéda les magistrats. Elle les conduisit jusqu’à la porte d’une chambre, elle se retourna pour les avertir.

– Voulez-vous attendre quelques instants, messieurs ? La règle de la maison exige la présence du chirurgien de service. M. Tillois est prévenu, il sera ici dans quelques instants.

– C’est fort bien, mademoiselle, c’est fort bien.

Et le personnage qui s’était donné pour le juge d’instruction s’inclinait, cependant que son compagnon, un petit vieillard à lunettes, avait un geste d’assentiment.

M lle Berthe entra dans la chambre.

La pièce avait bien cette allure, à la fois banale et tragique, qui caractérise les chambres d’hôpital.

Elle était tout simplement meublée d’un grand lit de fer, au-dessus duquel pendait, attachée au plafond, une corde terminée par une poignée.

Il était impossible, en entrant dans cette pièce, de ne pas comprendre que ceux-là seuls qui souffraient, qui risquaient de mourir, consentaient à habiter un pareil endroit. Aussi bien qui donc aurait pu dire combien de mains crispées s’étaient accrochées à cette corde, combien de corps douloureux avaient essayé de se soulever en s’agrippant à elle ?

M lle Berthe, du premier coup d’œil examinait la malade couchée dans le lit et immobile.

– Comment ça va, ce matin ? demandait-elle par habitude de métier.

Une voix faible, très faible, ripostait lentement :

– Mieux, il me semble. J’ai moins de fièvre.

Et c’était la demande habituelle, la demande classique, celle que formulent tous les blessés :

– Est-ce que le médecin ne va pas venir, ce matin ?

– Si, riposta M lle Berthe. Vous allez avoir des visites. Il faudra être sage et ne pas trop vous agiter.

En parlant, d’un geste machinal, l’infirmière tapotait les oreillers. Elle arrangeait les couvertures, disposait en ordre les quelques flacons qui traînaient sur les tablettes, reculait le verre comble jusqu’au bord d’une potion calmante.

– Oui, vous avez moins de fièvre, approuva-t-elle, jetant un coup d’œil à une pancarte fixée au-dessus de la tête de la blessée. Hier soir, vous aviez 39,8, vous avez maintenant 39,2. Allons, vous vous en tirerez !

À ce moment, la porte de la chambre s’ouvrait, le Dr Tillois entrait, suivi des deux personnages que l’infirmière avait rencontrés dans le couloir.

– Passez donc, messieurs ! faisait le chirurgien.

– Après vous, docteur.

– Nullement. Ici, je suis chez moi.

On faisait assaut de politesse, puis les trois hommes pénétraient dans la pièce.

Le Dr Tillois, alors, s’approchait du lit où la malade demeurait sans mouvement. Le chirurgien, d’un regard aigu, considérait son visage, puis il tâtait son pouls, examinait la langue, enfin il déclarait :

– Beaucoup mieux, ce matin. La fièvre tombe, la surexcitation nerveuse disparaît.

Le juge d’instruction, cependant, s’approchait.

– Puis-je tenter un interrogatoire ?

– Oui, à condition qu’il soit court.

– Je ne demanderai que l’indispensable.

Le juge d’instruction, à ce moment, s’approchait tout à fait du lit et se penchait au-dessus de la blessée à qui il adressait un bon sourire. Ce juge d’instruction, M. Gabert, était d’ailleurs un brave homme. Il n’aurait pas fait de mal à une mouche et il était fort troublé de se trouver ainsi, ce qui ne lui était encore jamais arrivé, contraint d’exercer son redoutable ministère au chevet d’une malade.

– Voyons, madame, commençait-il, je vais vous poser quelques questions et vous me répondrez le plus brièvement possible. Un simple signe de tête quand ce sera oui, un autre quand ce sera non, deux mots lorsqu’il vous faudra parler…

Puis, malgré lui, repris par les habitudes du métier, le juge d’instruction haussait la voix :

– Je n’ai pas besoin, n’est-ce pas, déclarait-il, de vous rappeler toute la gravité de vos paroles. Il faut me faire le serment de dire la vérité, rien que la vérité. Répondez tout bas : Je le jure.

– Je le jure ! fit la malade.

Le juge d’instruction se tournait alors vers son compagnon, examinant d’un coup d’œil à la dérobée l’attitude du Dr Tillois qui, indifférent à cette scène, s’était rapproché de la fenêtre et tapotait du bout des doigts une marche militaire sur les carreaux.

– Monsieur le greffier, dit le juge d’instruction, veuillez noter que j’ai fait prêter le serment d’usage.

Il se penchait à nouveau vers la malade, il demandait encore :

– Dites-moi, madame, vous êtes bien madame Paulette de Valmondois, et de votre nom de famille, la fille Poucke ? Vous habitez bien rue Blanche ? Vous avez bien pour amant M. Léon Drapier, directeur de la Monnaie ?

– Oui, articula la malade, qui était devenue très pâle.

– Inscrivez, greffier, dit le juge d’instruction.

Et pendant que la plume du greffier grinçait sur une feuille de papier blanc, le juge d’instruction s’épongeait le front, car, étant très ému, il avait terriblement chaud.

Mais était-ce donc bien la jolie Paulette de Valmondois qui se trouvait dans cette chambre d’hôpital, confiée aux soins mercenaires de Berthe l’infirmière, exposée encore aux essais scientifiques du chirurgien Tillois, fort préoccupé de se créer de la réclame en tentant d’audacieuses interventions ?

Il s’agissait en effet de Paulette de Valmondois.

Lorsque celle-ci avait reçu tout d’abord, chez elle, rue Blanche, l’étrange visite du personnage qui l’avait interrogée sur le valet de chambre de son amant, lorsqu’elle avait, quelques instants plus tard, reçu la visite de Léon Drapier lui-même, venu lui faire une scène terrible en raison des fameux certificats qu’elle semblait avoir rédigés elle-même au profit du domestique Firmain, la jolie Paulette, évidemment, n’avait point pu se douter des terribles et tragiques événements dont elle devait être, sur l’heure même, la malheureuse victime.

Ceux-ci s’étaient produits cependant. Lorsque Léon Drapier, émotionné par le coup de revolver qu’il avait entendu nettement, était rentré dans la pièce où Paulette venait de disparaître, il avait vu sa maîtresse écroulée sur le sol, perdant son sang à grands flots, et il s’était enfui.

Léon Drapier, par bonheur, n’avait pas été le seul à entendre le coup de feu. Il n’était pas au bas de l’escalier que la domestique de Paulette accourait. Elle relevait sa maîtresse évanouie, la poitrine trouée d’une balle ; elle pensait mourir de peur, mais elle avait cependant l’énergie nécessaire pour donner l’alarmé, appeler la concierge, faire prévenir la police.

Tout s’était alors passé normalement, avec cette lente et parfaite tranquillité qui est la tranquillité des indifférents lorsqu’ils se trouvent en présence d’un malheur qui ne les touche pas personnellement.

On avait été chercher le pharmacien, qui n’avait rien osé faire. Un médecin avait été prévenu qui, ayant doctement examiné la blessure, avait fini par déclarer qu’il lui était impossible d’apprécier la gravité du mal et que le mieux était de faire transporter Paulette à l’hôpital.

Ce transport avait naturellement été long. Il avait fallu obtenir une ambulance, puis descendre la malade. C’était seulement cinq grandes heures après le drame, évanouie, presque à court de sang, qu’était admise à Lariboisière et, vu son état, installée dans une chambre à part, la malheureuse Paulette.

Tillois avait, le lendemain matin, sondé la blessure, examiné la plaie et hoché la tête d’un air sentencieux.

– Cette femme a de la chance ! murmurait-il à ses internes. La balle a dévié sur une côte et frôlé le poumon. Un peu plus le cœur était atteint et la mort instantanée. Nous allons tenter l’extraction de la balle.

On avait à peine endormi Paulette, car elle était encore si faible que le chloroforme paraissait dangereux, et, toute vive, on l’avait opérée jusqu’au moment où Tillois s’était tranquillement aperçu que la balle n’avait pas dû rester dans les chairs, qu’elle avait traversé la jeune femme de part en part, qu’elle était sortie en frôlant la colonne vertébrale.

Il y avait quelques jours de cela, et Paulette était toujours entre la vie et la mort. Les choses n’en suivaient pas moins leur cours, la jeune femme n’en était pas moins en butte au zèle intéressé des magistrats.

À l’heure où les médecins se résignaient, en somme, à laisser la nature agir, les magistrats accouraient à son chevet, la société déléguait auprès de la moribonde, pour la venger, un juge d’instruction…

Celui-ci continuait :

– À l’heure actuelle, chère madame, nous ne savons pas grand-chose de ce qui s’est passé chez vous. L’enquête a tout juste établi que, le jour du drame, vous avez reçu des visites : celle d’un inconnu, d’abord, celle de votre amant, Léon Drapier, ensuite. Voyons, pouvez-vous me donner le nom de la première personne que vous avez reçue ?

La malheureuse Paulette de Valmondois paraissait, à cet instant, éprouver une nouvelle faiblesse. L’effort qu’elle faisait pour comprendre les paroles du magistrat lui coûtait évidemment horriblement. Elle avait grand peine à le suivre dans ses déductions, et pourtant elle voulait parler…

– Je ne sais pas… râla Paulette de Valmondois. Je ne sais pas comment s’appelait ce… ce misérable… Je crois que…

Le juge d’instruction se pencha plus encore sur le lit, il demanda haletant, avec la joie du chasseur qui pense découvrir un gibier difficile :

– C’est ce premier visiteur qui a tiré sur vous ?

– Oui, fit Paulette.

– Où était-il donc ? demanda encore le magistrat, pendant que vous receviez M. Drapier ?

– Je ne sais pas… répondit encore Paulette.

Mais cette fois, le juge d’instruction se prenait à sourire.

– Oh ! oh !… déclarait-il, je crois que l’on ne veut pas être franche ! Voyons, comprenez-moi bien. C’est très clair, et je ne suis pas dupe de vos affirmations. Ce premier monsieur, c’était votre amant, n’est-ce pas ? votre amant de cœur ?

– Non, fit Paulette.

– Mais si, insista le magistrat. Ne le niez pas, c’est évident. Il s’est caché dans votre chambre pendant que vous receviez M. Drapier, et quand vous avez quitté celui-ci, dans un mouvement de jalousie…

– Non !… Non !… interrompit sourdement Paulette de Valmondois. Ce n’est pas cela… pas du tout…

À ce moment, le Dr Tillois parut sortir par miracle de son indifférent silence.

– Permettez, faisait-il en s’approchant à son tour de la malade. Elle me semble bien nerveuse, bien fatiguée. Il faudrait, monsieur le juge, suspendre votre interrogatoire pendant quelques instants.

– À vos ordres, docteur.

Déjà le magistrat s’était relevé, il se reculait, faisant un signe à la malade, l’invitant à rester tranquille, puis il se rapprochait du médecin.

– Voyez-vous, docteur, déclarait-il à voix basse, ce qu’il y a de terrible, dans tous les crimes passionnels, c’est que les victimes ne veulent pas dénoncer leur assassin. Ainsi, cette jeune femme, il n’y a pas de doute, avait deux amants. Si elle n’avait pas deux amants, l’affaire serait inexplicable, ou bien alors il faudrait soupçonner ce M. Léon Drapier dont le rôle, dans cette affaire, paraît d’ailleurs, je dois le dire, des plus équivoques.

Le Dr Léon Tillois hochait la tête.

En toute autre circonstance, il aurait répondu avec brusquerie, car la brusquerie faisait partie de sa pose de médecin arrivé, que tout cela lui était bien égal. Mais précisément, les noms que prononçait le juge d’instruction suffisaient à l’intéresser.

– Diable ! faisait le médecin, Drapier… Léon Drapier… Qui est-ce donc, ce monsieur ? J’ai connu quelqu’un de ce nom-là, jadis… Il ne s’agit pas du directeur de la Monnaie ?

– Si, confirma le juge d’instruction, précisément.

Et comme M. Gabert était quelque peu bavard, il entrait immédiatement dans la voie des confidences.

– Il s’agit bien de lui, confirma-t-il, et le plus étrange, c’est que malgré sa haute situation ce personnage paraît des plus compromis.

M. Gabert, là-dessus, résumait sa pensée au Dr Tillois, qui l’écoutait avec un intérêt un peu distant.

Assurément, il était invraisemblable que l’on pût soupçonner un personnage de l’importance de Léon Drapier. Son rôle pourtant était des plus louches. La tentative d’assassinat contre Paulette de Valmondois était en somme la seconde affaire criminelle à laquelle il se trouvait mêlé en quinze jours.

D’abord, on a tué, tué chez lui son valet de chambre, disait le juge d’instruction. Maintenant, on tue sa maîtresse… Évidemment, tout cela peut être le fait de coïncidences malheureuses, mais enfin, c’est troublant, troublant et même inquiétant !…

Le juge d’instruction avait un petit ricanement pour ajouter d’un air convaincu :

– D’autant plus qu’en somme l’attitude de ce monsieur est bizarre, oh ! très bizarre !…

Il allait peut-être ajouter d’autres paroles, préciser davantage sa pensée, lorsqu’à ce moment la porte de la chambre s’ouvrait, M lle Berthe apparaissait.

L’infirmière qui, d’ordinaire, avait le visage quelque peu sévère et se montrait toujours un tantinet brutale, souriait à ce moment et paraissait toute douce et de fort bonne humeur.

– Monsieur le docteur, demandait-elle, est-ce qu’on peut faire entrer ? Justement on vient de demander au service des nouvelles de la blessée et on lui amène son fils à embrasser.

Si M lle Berthe, en effet, avait un visage tout souriant, contrairement à son habitude, c’est qu’elle tenait par la main un bambin qui n’était autre que le petit Gustave, celui-là même que le père Martin avait joué au zanzibar et dont il s’était débarrassé sous prétexte que ses mois de nourrice n’étaient pas régulièrement payés.

M lle Berthe, comme toutes les pierreuses de la veille, venait d’être touchée par la grâce de l’enfant qu’elle tenait par la main.

– On peut laisser entrer ? répéta-t-elle.

Le Dr Tillois eut un geste de mécontentement.

– C’est insupportable ! déclarait-il. Cela va encore la fatiguer. Enfin, faites entrer son gosse, qu’il l’embrasse et qu’il s’en aille !

La permission était donnée, c’était tout ce que voulait M lle Berthe. Elle prenait le bambin dans ses bras, elle s’approchait du lit.

Paulette de Valmondois, cependant, évidemment épuisée par les efforts qu’elle avait faits pour écouter le juge d’instruction et lui répondre, avait fermé les yeux.

– Tenez ! appela l’infirmière, regardez qui vient vous voir !…

Et elle penchait le gosse sur le lit.

Alors, l’ordinaire miracle de l’amour maternel se produisit. Il parut brusquement que Paulette reprenait conscience d’elle-même, qu’elle recouvrait une subite santé. Ouvrant les yeux, elle avait aperçu le visage de son fils. Le petit la reconnaissait à peine, vaguement effrayé par cette dame qui était si pâle et qui bougeait si peu.

Paulette, elle, le mangeait littéralement des yeux.

– Oh, mon chéri ! murmurait-elle. Comme je suis contente de te voir !…

Et Paulette ajoutait, pensant au père et à la mère Martin, ne pouvant se douter de la vérité :

– Quels braves gens, tout de même… Ils ont dû lire le drame dans les journaux, ils ont conduit le petit m’embrasser…

Elle s’agitait cependant, et le Dr Tillois s’en apercevait.

– Assez ! ordonnait-il. Allons, embrassez-le encore une fois, et qu’il s’en aille…

L’infirmière allait déjà remporter le petit Gustave lorsque celui-ci, brusquement, paraissait se souvenir d’une leçon apprise et récitait des paroles qui avaient dû lui être répétées sur tous les tons :

– Tiens, madame, commençait-il, on m’a dit de te dire bonjour et de te donner ça, c’est pour toi !

Il levait sa petite main, il tendait un humble bouquet de violettes.

Alors Paulette de Valmondois oublia son mal, son inquiétude et ses souffrances. Elle prit le bouquet de violettes que lui apportait son fils, elle l’approcha de ses lèvres, elle le huma avec transport.

– Ah, mon amour !… commença Paulette.

Mais la parole s’arrêta sur ses lèvres. Brusquement, ses yeux se révulsaient. Le bouquet qu’elle tenait encore tombait sur le sol.

Et, tandis que l’infirmière, effrayée, se rejetait en arrière, posait le petit Gustave sur le sol en lui disant :

– Ne bouge pas !

Le Dr Tillois se précipitait vers Paulette.

– Nom de Dieu ! jura le praticien.

Il oubliait en un instant sa pose, sa morgue d’homme savant, toute son attitude de grand médecin.

– Nom de Dieu !… fit-il encore.

Il s’était penché sur le visage de Paulette ; du pouce, il soulevait les paupières retombées.

Alors, il eut un cri de rage :

– Syncope foudroyante… mort subite… Ah, sapristi !…

Puis, un instant plus tard, le Dr Tillois se relevait :

– Ah, ça, murmurait-il, il y a déjà la coloration de l’orbite ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Un empoisonnement ?

Le juge d’instruction tremblait de tous ses membres, M lle Berthe était blanche d’émotion.

Brusquement, des cris perçants retentirent.

C’était le petit Gustave qui avait pris peur et qui éclatait en sanglots. M lle Berthe alors emporta l’enfant. Le Dr Tillois le suivit pensivement des yeux.

– Ah çà, grommelait-il, est-ce donc lui, l’assassin ?

Une heure après, le Dr Tillois se trouvait dans son laboratoire. Il avait le visage masqué et le préparateur qui l’aidait était masqué, lui aussi.

Devant eux, dans des fioles remplies de réactif, des violettes macéraient.

Ils paraissaient fort émotionnés. Depuis trois quarts d’heure, le chirurgien n’avait pas dit un mot. Enfin, il rompit le silence :

– C’est abominable ! déclarait le Dr Tillois. Il n’y a aucun doute à conserver, et c’est à croire que nous sommes revenus à l’époque des Borgia… Cette Paulette de Valmondois est morte empoisonnée, empoisonnée par les fleurs que lui a apportées son fils… Qui donc envoyait l’enfant, par exemple ?

Le préparateur ôtait son masque, il eut un geste de doute :

– Ça, c’est plus curieux, remarquait-il. J’ai vu M lle Berthe il y a un quart d’heure, il paraît que c’est une femme qui a amené le petit, mais cette femme a disparu… Personne ne sait ce qu’elle est devenue…

– Naturellement ! dit Tillois.

Le chirurgien, à deux reprises, se passait la main sur le front.

– C’est abominable ! murmurait-il. Un crime comme cela, cela vous donne le frisson !…

Et le grand chirurgien, le célèbre Dr Tillois, celui-là même qui, par ses opérations osées, tentait la mort chaque jour, ne pouvait s’empêcher de pâlir.

Le Dr Tillois était un jeune marié, il avait un enfant un peu moins âgé que le petit Gustave. Le chirurgien oubliait la science, l’homme s’épouvantait d’un drame dont il comprenait brusquement toute l’atrocité.

Un instant, il resta silencieux, puis il déclara froidement :

– Il faudra prendre les dispositions pour prévenir la famille, si cette femme a de la famille. En tout cas, je vais aujourd’hui même avertir la police, le crime n’est pas douteux, l’assassinat est flagrant !




XII


Pour défendre l’autre

– Ba be bi bo bu… ba be bi bo bu…

– Ah ça, tais-toi donc, mon général !… Tu deviens assommant, à la fin !

– Ba be bi bo bu… ba be bi bo bu…

– Animal, va ! Voyons, rappelle-toi plutôt la prise de Solférino…

– Ah ! çà, c’était une bataille ! Ba be bi…

– Mon général, si tu ne te tais pas, je te fourre dedans ! Ah ça, tu ne reconnais pas mes galons, ce soir ?

– Si donc, mon capitaine ! Mais je sonne la charge quand même. Ba be bi…

– Zut !

– Et puis, j’ai bougrement mal à mon pied.

– Des inventions extraordinaires ! Tu as mal à ton pied, maintenant ? Sacré farceur, va ! Tu n’as pas mal à ton pied, puisqu’il est en Italie à six mètres sous terre !

– Ça n’empêche pas !

– Mon général, un fois, deux fois, tu vas te taire !

– Bien sûr, mais tout de même, ba be bi…

– Ah çà, toi aussi, tu veux réveiller l’Autre ?

À cette demande, le silence se fit brusquement. On n’entendit plus au lointain, dans la résonance d’un couloir désert, que le heurt régulier et monotone de deux béquilles et de deux jambes de bois qui trottinaient d’un pas allègre.

Où cette scène se passait-elle et quels en étaient les héros ?

La pièce était immense et, avec son plafond bas, ses murs de pierre, la vingtaine de lits blancs qui la meublaient, elle avait un air de dortoir, une physionomie tranquille et reposante.

Était-ce donc un dortoir ?

Le mot eût paru injurieux à ceux qui l’habitaient, ils ne l’eussent pas admis. On appelait cette pièce la chambrée, et même elle portait un nom retentissant, c’était la chambrée Desaix.

Mais quels étaient les occupants de cette chambrée ? Quel était surtout ce général qui s’entêtait à chanter sur un air de marche guerrière le « ba be bi bo bu » ?

Il avait au moins soixante-quinze ans. Sa chevelure blanche tombait en longues boucles sur ses épaules. Toutefois, ce n’était pas sur ces boucles que le regard s’arrêtait, c’était sur le visage du personnage, un visage énergique, sculpté, semblait-il, à coups de canif et que balafrait, dans toute la largeur, une effroyable cicatrice allant du sourcil droit jusqu’à l’oreille gauche.

De plus, ce vieillard avait deux jambes de bois et, à la place du bras droit, se balançait un moignon informe qu’il brandissait à chaque instant, parlant de casser la figure, de briser en deux, de pourfendre et d’écraser ceux qui ne se pliaient pas à son caprice.

Il avait même l’air si terrible, ce bonhomme dont la tête tremblait un peu, que les enfants, dans la rue, ne manquaient pas de s’écarter à son passage. On le connaissait aussi bien dans les environs, il avait même son surnom, on l’appelait Croquemitaine, et cela n’était peut-être pas sans flatter un peu sa vanité.

Croquemitaine, d’ailleurs, à part l’habitude qu’il avait prise de toujours chanter le « ba be bi bo bu », était facile à vivre. Il ne demandait, pour toute félicité terrestre, que deux sous de tabac par jour et la goutte chaque matin.


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