Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Vous êtes fatiguée ? Dormez un peu !
Puis il se retira…
Mais à peine était-il parti qu’Eugénie Drapier se redressait brusquement.
Elle comprima son front de ses deux mains tremblantes, et de sa poitrine oppressée sortirent ces mots hallucinants :
– Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quel rôle a-t-il joué dans cette affaire ? Pourquoi donc Léon a-t-il menti ?… Car il a menti !… menti !… menti !… Il a dit au commissaire qu’il avait passé la nuit dans sa chambre et ce n’est pas vrai, puisque sa chambre était vide quand j’y suis allée ! Il a montré son lit défait pour prouver qu’il y avait couché. Or, c’est moi qui ai défait ses couvertures ! moi qui ai froissé son oreiller ! Mon Dieu, mon Dieu, qu’a donc fait Léon et pourquoi cet effroyable mensonge ?
III
Devoir filial
Tandis que ces événements tragiques se passaient à Paris et commençaient à faire naître dans la capitale un scandale qui devait aller en croissant chaque jour, que devenaient Juve et Fandor ?
Que devenait également Fantômas, le sinistre et effroyable bandit qui n’avait pas craint, raillant les choses les plus sacrées, se moquant des sentiments les plus respectables, d’abuser la malheureuse M me Rambert, de se faire passer pour son mari, de prendre à son foyer la place du mort, de ce malheureux M. Eair disparu en Hollande, tué par lui après avoir déjà ruiné sa vie ?
À la vérité, la situation était tragique. Voyant Fantômas en face de lui, Fandor, une seconde, avait été sur le point de se lancer en avant, de l’agripper au collet, de le maîtriser de force. Depuis tant d’années, en effet, Fandor luttait contre le bandit, depuis tant d’années il avait à souffrir des sinistres audaces du malfaiteur, qu’il eût éprouvé comme une joie débordante à se mesurer enfin avec lui, à pouvoir enfin, face à face, lutter contre lui jusqu’à la mort.
Fantômas, c’était le Génie du crime dont l’influence néfaste avait ruiné sa vie !…
Fantômas était celui qui avait bouleversé le foyer de ses parents. C’était le monstre qui, se traçant une route triomphale malgré le sang, la douleur et les larmes de ses victimes, n’avait jamais reculé devant aucune atrocité !
Fantômas, c’était le légendaire assassin. C’était le Roi de l’épouvante, le Maître de l’effroi, c’était le Crime en personne… C’était encore le ravisseur d’Hélène !
Les sentiments les plus divers se mêlaient en effet dans le cœur de Fandor pour lui inspirer une haine toujours grandissante, toujours plus justifiée aussi, du détestable meurtrier.
Ah ! Fantômas n’était pas seulement l’homme qui avait ruiné sa vie passée, c’était encore et surtout, aux yeux de Fandor, l’insaisissable ennemi qui menaçait son avenir, celui-là qui le séparait d’Hélène, celui-là qui, fort de son audace et bravant les lois pour ne suivre que les caprices de sa volonté, osait considérer Hélène comme sa fille et lui interdisait d’aimer le journaliste, de l’épouser, de vivre avec lui !
Tout cela faisait que, frémissant, à l’instant où Fantômas apparaissait au chevet de sa mère, de la pauvre M me Rambert qui le prenait pour son mari, Fandor ressentait, au fond de son cœur, comme un douloureux tressaillement fait de joie et d’épouvante.
Il s’épouvantait en effet de voir Fantômas, mais il s’en réjouissait en même temps.
Il allait lutter !…
La force jugerait entre eux et déciderait du triomphateur, car l’un des deux hommes ne sortirait pas vivant de cette chambre où le hasard les enfermait face à face.
À l’instant où Fandor allait s’élancer sur cet ennemi mortel, une réflexion l’immobilisait, l’arrêtait net, le forçait à demeurer impassible.
Jérôme Fandor crut entendre résonner dans sa tête, avec le lugubre tintement d’un glas, les dernières paroles que le médecin avait prononcées relativement à M me Rambert :
– Surtout, avait recommandé le praticien, épargnez-lui toute émotion. Une grande joie ou une grande douleur seraient capables de la tuer, et si la mort ne faisait pas son œuvre, il y aurait à craindre pour la raison de cette malheureuse, ébranlée si terriblement déjà par les horreurs de la vie…
Fandor, songeant à cela, se tut. Le devoir filial lui commandait de demeurer immobile. Il ne pouvait pas, prévenu comme il l’était, s’exposer à tuer sa mère du même coup de poignard dont il rêvait d’abattre Fantômas !…
Et certes, il était évident que la pauvre M me Rambert ne résisterait pas à la terrible secousse morale qui résulterait pour elle d’une lutte entre son fils et celui qu’elle croyait être son mari.
Fantômas était entre le lit de la vieille femme et Fandor. Le jeune homme, un instant, cessant de fixer le bandit, aperçut le pâle visage de sa mère, si blême sur les oreillers, que sa pâleur avait quelque chose d’effroyable. Il vit surtout, répandu sur le visage de M me Rambert, comme une extraordinaire expression de joie.
La pauvre femme, à ce moment, se trompant sur la qualité de Fantômas, devait goûter une véritable félicité en imaginant qu’enfin elle voyait réunis ceux qu’elle avait cru perdus pour toujours, ceux qu’elle chérissait entre tous, son mari et son fils.
– Je n’ai pas le droit de la détromper ! songea Fandor.
Il se répéta plus bas :
– Ce serait un assassinat !
Et, se maîtrisant lui-même, donnant une preuve merveilleuse de l’autorité suprême qu’il possédait sur ses nerfs, Jérôme Fandor demeurait immobile ! Jérôme Fandor adressait un sourire à Fantômas !…
Et, alors, d’une voix basse, d’une voix douloureuse, d’une voix que torturait la rage contenue, la haine déguisée, il saluait le bandit :
– Bonjour, papa…
À l’instant où Fandor cependant se décidait ainsi, par devoir filial, à ne point démasquer Fantômas, quelles étaient les secrètes pensées du Maître de l’effroi ?
Certes, si Fandor venait de soutenir avec lui-même un combat moral formidable, certes, s’il avait dû faire appel à toute sa volonté pour ne point se jeter sur le misérable, Fantômas, lui aussi, devait terriblement lutter avec lui-même pour ne point s’élancer sur Jérôme Fandor.
C’était en effet une chose curieuse. Si Jérôme Fandor haïssait Fantômas en raison du mal que celui-ci lui avait fait, Fantômas haïssait le jeune homme en raison du mal qu’il désirait lui faire !
Fandor, c’était, aux yeux de Fantômas, celui qu’Hélène chérissait, c’était lui que la jeune fille lui préférait, celui-là qu’elle adorait, et cela suffisait à faire que le bandit eût éprouvé une âpre volupté, goûté un horrible plaisir en massacrant Fandor !
Fantômas détestait le jeune homme, mais il était capable, lui aussi, de maîtriser sa haine, de s’imposer, de réfléchir.
Tuer Fandor à la minute, ah ! certes, Fantômas l’aurait fait s’il n’avait point eu peur, s’il n’avait point redouté les conséquences de son acte.
Fantômas, en effet, ne savait pas exactement où se trouvait Juve. À l’instant où il fouillait dans sa poche pour y prendre son revolver et faire feu sur Jérôme Fandor, il songea :
– Et si Juve bondit sur moi ? Et si Juve accourt au bruit de la détonation ?
Et Fantômas frissonna…
Il lisait en même temps dans les yeux de Jérôme Fandor les pensées secrètes du jeune homme. Il vit le regard de celui-ci se poser un instant sur la vieille M me Rambert. Fantômas alors, toujours maître de lui, devina les raisons secrètes qui interdisaient à Fandor de faire feu. Il les devina si bien qu’un sourire railleur détendit ses lèvres.
– Allons, murmura-t-il, il ne peut rien, il ne tentera rien !
Et comme Jérôme Fandor l’avait salué d’un mot, comme il lui avait dit :
– Bonjour, papa.
Fantômas tranquillement, répondit, laissant à peine deviner une secrète ironie dans sa voix :
– Bonjour, mon fils…
Les deux hommes, cependant, se toisaient du regard et demeuraient frémissants l’un en face de l’autre.
Comment allait s’achever cette situation tragique entre toutes ?
M me Rambert, à cet instant, s’agita faiblement sur son lit.
– Mon Dieu ! faisait la vieille femme, fort éloignée, à la vérité, de deviner le drame extraordinaire qui se passait si près d’elle, mon Dieu ! Que je suis heureuse !
Puis elle ajoutait :
– Je ne souffre plus, vous pouvez parler… Parlez donc, mes bons amis…
Et son regard, où se lisait sa tendresse, allait de Fandor à Fantômas.
Fandor, cependant, saisissait l’occasion que lui tendait sa mère pour tâcher de dénouer une situation qui persistait.
– Non, répondit-il, ma chère maman, il ne faut pas que nous causions ici. Nous avons tant de choses à nous dire, tant de souvenirs à évoquer, mon père et moi, que nous vous fatiguerions certainement. Pourquoi vous troubler ainsi, d’ailleurs ? Voulez-vous nous permettre de nous absenter quelques minutes ? Père et moi nous causerons, nous reviendrons vous voir ensuite.
M me Rambert acquiesça du geste à la proposition de Jérôme Fandor. Sans doute elle était dupe de la ruse inventée par le jeune homme. Elle trouvait naturel, d’ailleurs, que le père et le fils eussent à causer.
– Allez, dit-elle, mes bons amis, mais revenez vite ; il y a si longtemps que mes pauvres yeux vous pleurent, qu’ils ne peuvent plus se rassasier de vous voir !…
Fantômas, cependant, sourit en écoutant Fandor.
La ruse qu’inventait le journaliste pour sortir de la chambre de sa mère lui paraissait plaisante.
Elle lui paraissait aussi profitable. Il était désireux, en effet, de quitter cette pièce où, d’un instant à l’autre, Juve pouvait survenir, ce qui ne serait évidemment pas sans causer un redoublement d’embarras, un surcroît de péril.
Il appuya la proposition de Fandor :
– Eh bien ! c’est cela, dit-il, sortons !
Et, s’étant rapproché du lit de M me Rambert, Fantômas eut le geste sacrilège que lui imposait le rôle qu’il jouait.
Il prit la main de la pauvre femme, il la baisa dévotement.
Mais Fandor, à son tour, s’approchait de sa mère ; Fandor, avec une brusquerie dont il n’était pas maître, arrachait à Fantômas la main de la vieille femme.
– Maman !… Maman ! ma chère maman ! faisait-il.
Et il embrassait la main de sa mère avec le secret désir d’effacer le baiser de Judas que Fantômas n’avait point hésité à imposer à la vieille dame.
Les deux hommes, cependant, se dirigeaient désormais vers la porte de la chambre à coucher. Fandor réglait son pas sur celui du bandit. Il considérait Fantômas de son clair et franc regard, il semblait littéralement lui dire :
– En ce moment, je ne puis rien et je ne yeux rien tenter. Mais, une fois cette porte franchie, je redeviendrai maître de mes actes, libre de me jeter sur vous et ce sera la lutte sans merci…
Fantômas, de son côté, considérait le jeune homme.
Mais ce n’était point la franchise qui se lisait dans son regard. C’était une expression de raillerie, d’audace et de dépit.
Fantômas semblait dire à Fandor :
– À nous deux !… Je suis encore certain d’échapper à la juste punition de mes crimes, et je me réjouis à la pensée de faire encore le mal !
Fandor ouvrit la porte de la chambre, et il dut frôler Fantômas. Il dut, pour ne point inquiéter sa mère, s’effacer pour laisser passer le bandit.
– Après vous ! déclarait Fandor.
– Bah ! répondit Fantômas sur un ton bonhomme. Je ne suis pas un père terrible ! Passe donc, mon petit, ne fais pas de cérémonie !
Fandor passa.
Lentement, alors, Fantômas sortit de la chambre. Il fermait la porte d’un geste mesuré, il gardait la main sur la poignée.
Encore un instant, évidemment, et Fandor allait être libre de se jeter sur le misérable, allait être libre de combattre…
Et c’était à cet instant que Fantômas, brusquement, changeait d’attitude. Le visage du bandit devenait dur et impérieux. Une flamme s’allumait dans ses prunelles, il siffla d’une voix haletante :
– Fandor, nous nous sommes reconnus ! La lutte va reprendre entre nous, sans merci ni pitié. Soit, je l’accepte et je la désire. Mais en ce moment, je suis le plus fort, prenez garde !…
C’étaient là des paroles étranges, Fandor railla :
– Vous êtes le plus fort, Fantômas ? C’est à savoir !…
Fantômas lui coupa la parole :
– C’est indiscutable, répondit-il d’un ton narquois. Et en voici la preuve : au moindre de vos mouvements, Fandor, je rouvre cette porte, je me précipite auprès de votre mère et je la tue en lui disant la vérité… Est-ce cela que vous voulez ?
Fandor frémit, mais dut se taire.
Il voyait toujours la main du bandit crispée sur le bouton de la porte ; il se rendait compte que Fantômas, en effet, avait tout le loisir de rentrer dans la pièce sans qu’il pût l’en empêcher.
Fantômas poursuivit :
– Je suis le plus fort, Fandor, puisque je suis resté près de cette porte et que je puis rentrer dans cette chambre. Je vais donc vous poser mes conditions et vous les accepterez.
Fantômas fit une pause, puis il continua :
– J’entends sortir d’ici et disparaître sans m’exposer à vos coups de feu. Fandor, voici ce que j’exige : vous allez monter au premier étage de cette maison, vous allez entrer dans la pièce qui est au bout du couloir et dont la porte grince. Quand j’entendrai le grincement de cette porte, je m’enfuirai. Vous serez libre alors de me poursuivre. Mais, jusqu’à ce moment, je resterai là où je suis, c’est-à-dire à deux pas de votre mère et prêt à me venger si bon me semble !
Fandor, alors, grinça des dents. Une rage folle l’envahissait en écoutant Fantômas.
Ah ! certes, le Maître de l’effroi était bien toujours le génial criminel, le tortionnaire qui ne reculait devant rien, qui inventait toujours une douleur nouvelle…
Fandor comprenait fort bien le plan de Fantômas. Le bandit voulait profiter du voisinage où il était de la vieille M me Rambert pour dicter ses conditions au journaliste.
En lui ordonnant de monter au premier étage, d’entrer dans la chambre dont la porte grinçait, Fantômas, naturellement, ne visait qu’à une chose : l’éloigner. Il aurait de la sorte quelque avance, et pourrait profiter pour s’enfuir, pour tenter de disparaître, pour disparaître certainement même, car il était avant tout l’insaisissable, celui que l’on n’arrête pas !
Fandor, en quittant le bandit, crut un instant qu’il ne serait pas maître de ses sentiments, qu’il ne triompherait pas de sa colère. Ses mains eurent un tremblement. Il se précipita comme un fou, comme un furieux sur Fantômas, mais l’imperceptible mouvement que fit le bandit, s’avançant un peu vers la chambre de sa mère, l’immobilisa encore.
– Allons ! jugea Fandor, je suis le plus faible… Il a raison, il faut céder, c’est mon devoir, mon devoir de fils.
Et, lentement, Jérôme Fandor baissa la tête.
– Soit, disait-il simplement, j’accepte vos conditions. Nous recommencerons la lutte dans quelques instants.
– Entendu ! fit Fantômas en ricanant.
Jérôme Fandor alors se recula, marchant en arrière, car il ne voulait point perdre de vue Fantômas qui était fort bien capable de prendre son revolver et de tirer sur lui. Il s’approcha du petit escalier conduisant au premier étage de la maison. Lentement, il en gravit les degrés ; il atteignit le palier, il longea le couloir, il entra dans la chambre…
Or, au moment où Jérôme Fandor entendait le grincement de la porte qu’il ouvrait, il percevait aussi un bruit de pas précipités.
Fantômas fuyait, Fantômas disparaissait, Fantômas échappait…
Jérôme Fandor, pris d’un vertige, bondit vers l’escalier.
Il pensait donner la chasse au bandit, il voulait, maintenant qu’il n’avait plus à craindre que sa mère ne fût mêlée au drame qui allait se passer, en terminer enfin avec le terrible monstre.
– Lui ou moi !… pensait-il.
Et des visions rouges passaient dans ses yeux…
Jérôme Fandor, cependant, qui, en deux bonds, avait atteint l’escalier, s’arrêta net et rebroussa chemin.
– Je deviens fou !…
Il avait entendu tout simplement le bruit d’une clé tournant dans une serrure. Pour gagner du temps, pour retarder la poursuite de Jérôme Fandor, Fantômas avait évidemment fermé la porte d’entrée de la maison. Il faudrait donc au jeune homme, s’il tentait de sortir par là, perdre quelques instants, dilapider quelques minutes pour enfoncer cette porte… Et les minutes étaient précieuses, les secondes avaient leur valeur…
Jérôme Fandor rebroussa chemin, suivit à nouveau le corridor. Il traversa la chambre dans laquelle il avait pénétré ; d’un geste, il ouvrit la fenêtre.
Jérôme Fandor était toujours le gymnaste entraîné ne redoutant aucune acrobatie. Le jeune homme n’hésitait donc pas un instant.
Sauter d’un premier étage, c’était pour lui moins qu’un jeu, à peine une plaisanterie. Il s’élança dans le vide. D’un bond, il franchit un énorme massif de fleurs, puis, retrouvant son équilibre, il se prit à courir vers le bout du jardin.
Jérôme Fandor, à ce moment, était envahi d’un grand espoir.
Il n’avait guère perdu de temps. En sautant par la fenêtre, il avait en quelque sorte déjoué la ruse de Fantômas, qui l’avait forcé à monter au premier étage de la maison. Le bandit n’était pas loin, Jérôme Fandor aperçut sa silhouette au détour d’une allée. Fantômas fuyait, il escaladait évidemment la clôture du jardinet, il allait gagner la route, il trouverait moyen de disparaître.
Mais Fandor, attaché à sa poursuite, ne désespérait pas de le rejoindre.
Et la course s’engageait, une course effrénée, une course qui devait peut-être s’achever par la mort, la mort d’un de ces deux hommes, le poursuivant ou le poursuivi.
À deux reprises, tout d’abord, Jérôme Fandor put apercevoir Fantômas et pensa tirer sur lui.
Mais, au moment où il serrait la crosse de son revolver, une pensée rapide le forçait encore à demeurer calme. Ce coup de revolver, sa mère l’entendrait ; ce coup de revolver terrifierait assurément la vieille femme. Non, non, il ne fallait pas lui donner l’éveil, il ne fallait pas qu’elle pût soupçonner le drame, dont les péripéties se déroulaient si près d’elle !
Que faisait cependant Fantômas ?
Pourquoi n’avait-il pas quitté le jardin ?
Il semblait en effet que le bandit, au lieu de sauter la clôture, tournait sur lui-même, faisait de brusques crochets, cherchant à faire perdre sa piste.
Jérôme Fandor, tout en courant, réfléchit à l’extraordinaire conduite du misérable.
– Que veut-il donc ? se demanda-t-il.
Et il imagina brusquement que Fantômas n’osait peut-être pas se lancer sur la grand-route, songeant qu’il serait alors trop facile à Jérôme Fandor de le prendre pour cible et de l’abattre d’une balle de son browning.
Or, comme Jérôme Fandor, un instant, redoublait d’efforts pour atteindre le meurtrier dont il venait d’apercevoir, au tournant d’un massif, la silhouette, le jeune homme roula brusquement sur le sol. Pour rompre la poursuite, pour gagner quelque temps, Fantômas avait brusquement tendu, au travers de l’allée, un mince fil de fer arraché à la bordure d’une pelouse.
Jérôme Fandor n’avait pas vu l’obstacle, il tomba, jurant !…
Hélas ! quand il se releva, il était trop tard pour agir. En quelques secondes, évidemment, Fantômas avait trouvé moyen de disparaître réellement. L’Insaisissable avait-il découvert une cachette ? L’Insaisissable avait-il pris la fuite tout bonnement ? Jérôme Fandor ne pouvait pas le savoir. Il ne le voyait plus, en tout cas. Il ne l’entendait plus, il n’avait aucune idée de ce qu’il avait pu devenir.
Alors, la rage au cœur, baissant la tête et dévorant les sanglots qui l’étouffaient, Jérôme Fandor se résigna :
– Trop tard ! pensait-il. Fantômas vient d’échapper, je ne puis plus espérer le rejoindre.
Jérôme Fandor, abandonnant toutes poursuites, qui désormais ne pouvaient plus guère avoir de résultats, se dirigea vers la maison d’habitation, pensant rejoindre sa mère, et frémissant encore en se demandant quelles seraient les explications qu’il pourrait lui donner de la disparition de son père.
Or, comme le jeune homme, à pas lents, se rapprochait de la maison, il s’arrêta brusquement, stupéfié, prêtant l’oreille.
Que se passait-il donc encore ?
Jérôme Fandor venait de remarquer qu’il entendait depuis quelques instants un bruit extraordinaire, comme un véritable ronflement, un ronflement formidable, qui semblait s’accompagner de crépitements, d’effondrements aussi.
– Bon Dieu, qu’y a-t-il donc ? se demanda-t-il.
Il soufflait encore ; pourtant, il reprit sa course, un pressentiment le tenait haletant en effet.
Et Jérôme Fandor, quelques instants plus tard, devait concevoir une nouvelle horreur.
Qu’était devenu Fantômas ? Qu’avait-il fait ? Ah ! désormais, le journaliste ne le savait que trop ! Fantômas avait dû se précipiter en toute hâte dans la direction de la maison. Le crime qu’il avait commis alors, il avait dû le préméditer depuis longtemps, il avait dû même le préparer.
Jérôme Fandor, au tournant d’une allée, aperçut soudain la maisonnette où sa mère dormait, qui flambait.
Une fumée noire, âcre, la fumée que produit le pétrole en brûlant, se dégageait de l’incendie. Par moments, on ne voyait qu’elle, en d’autres, des flammes immenses s’élevaient vers le ciel bleu, comme de terribles langues de feu qui claquaient au vent.
– Ma mère !… ma mère ! hurla Fandor…
Et le journaliste fonça vers le brasier.
Il n’avait fallu qu’un instant à Fantômas, en effet, pour commettre l’abominable forfait.
Fantômas, depuis de longs jours, s’était dit qu’assurément le rôle qu’il jouait lui craquerait dans les mains. Juve et Fandor, certainement, l’obligeraient à se démasquer.
Et c’était dans la pensée de cet inévitable événement que Fantômas avait pris ses précautions, qu’il avait inventé la ruse dernière de l’incendie.
Depuis de longs jours, Fantômas transportait mystérieusement dans les caves de la maisonnette des bidons de pétrole dont il aspergeait les murs. Il avait entassé un peu partout des provisions de ce terrible liquide. Il lui avait donc suffi de jeter une allumette pour que l’incendie s’allumât, comme il avait suffi de quelques secondes pour qu’il prît une intensité formidable.
Mais pourquoi Fantômas brûlait-il ainsi la maison de M me Rambert ? Pourquoi voulait-il la mort de cette pauvre femme, qui avait toujours été sa victime et qui ne pouvait pas être pour lui une ennemie dangereuse ?
Fantômas agissait-il par un simple besoin de cruauté, dans le simple désir de torturer Fandor ?
À la vérité, Fantômas avait cédé, en incendiant la maison, à de pressants motifs.
Une fois encore, en effet, il avait tranquillement raisonné, tranquillement réfléchi, tranquillement conclu ce qu’il importait de faire.
Le bandit connaissait en effet la ténacité de Juve et de Fandor. Il savait que ceux-ci ne lui laisseraient point la paix, que, lancés sur une piste, ils le poursuivraient sans trêve ni répit, s’il ne les forçait pas à s’occuper de tout autre chose.
Et Fantômas, qui peut-être à cet instant nourrissait un colossal dessein, peut-être méditait un crime effroyable, ourdissant une de ces intrigues ténébreuses dont il aimait à dénouer les fils, Fantômas, qui avait besoin de ne pas être talonné par Juve et par Fandor, inventait de mettre le feu à la maison de M me Rambert, en se disant :
– Assurément, ils perdront ma trace, ils s’occuperont de la morte, j’aurai le temps de disparaître !
Fantômas ne se trompait pas, en vérité. Dès la minute où il apercevait le terrible incendie, dès l’instant ou il prenait conscience du danger que courait sa mère, Jérôme Fandor cessait de s’acharner à la poursuite de Fantômas pour ne plus songer qu’au péril qui menaçait celle qu’il venait enfin de retrouver.
Fandor n’hésita pas.
Il fonçait vers le brasier comme il avait foncé sur Fantômas. Le vent projetait la fumée de son côté, il crut vite qu’il allait étouffer, asphyxié par l’atmosphère suffocante.
Mais qu’importait, grand Dieu, puisqu’il courait vers sa mère, puisqu’il s’agissait de sauver sa mère ?
Le jeune homme, traversant les flammes, sentant ses habits roussir sur lui, se brûlant aux pans de bois qui commençaient à s’écrouler, s’élançait bientôt à l’intérieur de la maison en flammes.
Des paysans déjà étaient accourus. Il y avait des cris, des hurlements.
Comme dans un rêve, Jérôme Fandor crut comprendre que toute une foule lui conseillait de ne pas entrer, hurlait dans une folie d’épouvante qu’il allait à la mort.
La lueur de l’incendie était aveuglante à l’intérieur de la maison. La chaleur qui y régnait eût suffi à faire l’air irrespirable.
Jérôme Fandor crut que sa poitrine était en feu. Chaque aspiration entraînait dans ses poumons des gaz asphyxiants et surchauffés ; un vertige commençait à faire tourner sa tête. Ses joues saignaient, il avait un bras horriblement brûlé. Il avança encore…
À ce moment, Jérôme Fandor n’agissait plus qu’à la manière d’un automate, incapable de raisonner et de réfléchir.
– La chambre est là, se disait-il, au fond du couloir, à droite…
Et, les mains en avant, comme s’il eût pu écarter les flammes et la fumée, il avançait.
Jérôme Fandor titubait bien vite. L’incendie semblait couler pour ainsi dire devant lui. Des bidons de pétrole, en effet, éclataient à la chaleur du feu et déversaient, du haut du premier étage, un véritable fleuve de flammes.
Il lui fallait traverser cela.
– Maman ! maman ! râla-t-il.
Mais il se jetait toujours en avant. Il atteignait la porte de la chambre de sa mère, cette porte où, quelques instants plus tôt, il avait eu avec Fantômas un scène si terrible.
Fandor, aux trois quarts asphyxié, mort presque, debout par un prodige d’énergie, ouvrit la porte qui flambait.
Une surprise devait lui être réservée.
La chambre de M me Rambert était peut-être le seul endroit de la maison qui ne fût pas encore tout à fait en feu. Comme la malade, en effet, n’avait pas quitté cette pièce depuis de longs jours, Fantômas n’avait pas pu y dissimuler du pétrole.
Fandor, en entrant, eut l’impression de trouver un peu d’air respirable ; il vit en même temps que sa mère était toujours là, qu’elle était à genoux sur son lit, qu’elle faisait de grands gestes, des gestes de démence, qu’elle riait !…
– Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit Fandor.
Il ne sentait plus à ce moment ses brûlures terribles. L’incendie grondait… Il n’avait point conscience que les flammes s’attachaient sur ses pas, qu’elles entraient par la porte ouverte, que, trouvant des matériaux nouveaux, elles renouvelaient de vigueur… Il ne pensait point que la retraite lui serait coupée et qu’il ne sortirait pas vif de cet enfer !…
Jérôme Fandor ne pouvait imaginer rien d’autre que le danger couru par sa mère.
Épuisé, il retrouvait pourtant quelque peu d’énergie, une vaillance même, pour sauver celle qui lui était naturellement si chère.
Jérôme Fandor prit sa mère dans ses bras, il l’entourait dans une couverture pour la protéger de la chute des décombres. Puis, chargé de ce fardeau précieux, n’ayant pas dit un mot, entendant toujours rire d’un rire étrange et démoniaque celle qu’il emportait, il revint en arrière, voulut sortir de la maison.
Jérôme Fandor avait fait un prodige en se frayant un passage à travers l’incendie jusqu’à la chambre de sa mère, et c’était en réalité un miracle qu’il essayait en tentant de quitter cette chambre, et de s’évader des flammes.
Désormais, la maison s’écroulait tout entière.
Les murs s’affaissaient les uns contre les autres, des poutres de fer tordues par la flamme, rougies à blanc, s’écroulaient en un enchevêtrement inextricable.
Il n’y avait plus un coin de la bâtisse qui ne fût en flammes.
Jérôme Fandor, pourtant, avança.
Il se jetait en avant, comme un soldat se jette à l’assaut. Les flammes lui faisaient l’effet d’être de véritables ennemies, il luttait avec elles corps à corps.
Il parut au journaliste qu’il restait une heure dans cette géhenne, il lui fallait en réalité trois minutes au moins pour traverser la maison, se rapprocher de la porte. Déjà, il entrevoyait le salon, déjà il se croyait sauf, lorsqu’un coup violent le heurtait à l’épaule, le renversait.
Jérôme Fandor ne lâcha point sa mère, mais il s’écroula comme une masse, il sentit qu’il était écrasé entre le dallage surchauffé du vestibule et quelque énorme morceau de ferraille que les flammes léchaient encore…
– Mais, fichtre de nom d’un chien ! Juve, vous êtes assommant, il n’y a pas moyen de causer avec vous !… Si maintenant, chaque fois que j’ouvre la bouche, vous fichez le camp sans vouloir me renseigner, j’aime autant que vous me plaquiez ici !
C’était Jérôme Fandor qui fulminait, Jérôme Fandor qui s’essayait à affecter une gaieté qui était loin de son cœur.
Le jeune homme se trouvait alors étendu dans le lit blanc d’une chambre d’hôtel assez confortable. Il avait un énorme bandeau autour du front. Un pansement lui enserrait le cou, son bras droit était en écharpe, et, sous les couvertures, on devinait sa jambe raidie dans un appareil de plâtre.
Juve était devant lui, Juve fumait une cigarette, haussait les épaules et grognait.
À la diatribe de Fandor, il répondit :
– Eh bien, c’est cela, je vais te plaquer ! Après tout, tu deviens assommant, Fandor. Tu radotes comme un vieillard de soixante-dix ans…
– En quoi, Juve ?
– En tout !
Et Juve, haussant les épaules, continuait :
– Voilà vingt fois au moins que tu me demandes comment il se fait que tu n’es pas mort ! Eh bien, mon bon, tu n’es pas mort tout bonnement parce que, quand tu es tombé, tu étais à peu près sorti de la maison et que l’on n’a eu qu’à te retirer un peu plus loin, toi et ta mère, car tu n’avais pas lâché ta mère !
Juve, à la vérité, mentait.
Si Fandor n’était pas mort, c’était en réalité parce que Juve l’avait bel et bien sauvé.
Le policier était survenu sur les lieux du sinistre, juste à temps, en effet, pour entendre la clameur dont la foule saluait l’écroulement d’un pan de muraille.
– Il n’y a personne, là-dedans, au moins ? s’informait Juve.
On lui répondit qu’un jeune homme s’était précipité pour sauver la propriétaire, et qu’il n’avait pas reparu.
Juve, naturellement, n’en demandait pas davantage.
Il comprenait immédiatement que le jeune homme était Fandor, il devinait quelque drame effroyable, et, n’écoutant que son courage, tranquillement, il entrait dans le brasier.
Juve, par bonheur, n’avait pas à aller trop loin. Il découvrait assez vite les corps enlacés de Jérôme Fandor et de M me Rambert qui étaient pris sous une énorme poutre. Juve fit effort, les arracha de cette terrible situation.
Il sauva M me Rambert, d’abord, puisque c’était une femme, puis, risquant une effroyable mort, il rentra une seconde fois dans le brasier pour en retirer Jérôme Fandor.