Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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La physionomie du vieillard était grave, Juve se demanda quel incident allait encore survenir. Le bonhomme pourtant continuait :
– Job Askings ! Tu m’as dit que tu avais cinquante mille balles dans tes profondes. Est-ce vrai ?
– C’est vrai ! fit Juve, qui n’avait pas un sou sur lui.
Le chef continua encore :
– Job Askings, les flics sont là-haut. Une surprise est toujours possible. Les balles sont mauvaises. Tu peux être tué… Veux-tu me laisser ici en dépôt ta fortune ? Si tu es sauf, je te la rendrai ; si tu meurs, je la garderai, et du moins les flics ne l’auront pas !
Juve, à cet instant, était de plus en plus surpris. Il n’y avait en effet pas à s’y tromper. Les Grouilleurs semblaient être, non point seulement une bande de voleurs, une horde de pègres se débattant comme des forcenés au milieu de la vie civilisée, c’était plutôt une peuplade, une peuplade de bandits, et cette peuplade pratiquait l’hospitalité, prétendait à l’honnêteté, avait son honneur et ses vertus !…
– Les étranges gens ! estima Juve.
Mais le policier surtout était épouvanté chaque fois qu’il entendait prononcer par ces surprenants individus un mot ayant trait à la police.
La police ! C’était véritablement l’ennemi de tous les jours. Il y avait guerre acharnée entre elle et les Grouilleurs !
Juve, brusquement, songeait que cette haine féroce de ces individus, c’était peut-être bien l’explication de tant de crimes incompréhensibles, de tant de meurtres inexpliqués.
Ah ! sans doute, lorsque les Grouilleurs se glissaient hors de leur repaire, lorsqu’ils se répandaient pour effectuer leurs rapines dans Paris, il devait se passer d’horribles choses que personne n’avait jamais soupçonnées !
Combien d’agents étaient tombés victimes du devoir !
Combien d’inspecteurs de la Sûreté avaient été retrouvés quelquefois, la poitrine trouée d’un coup de couteau, sans que nul pût se douter de la cause de leur mort !
À coup sûr, les Grouilleurs devaient être pour beaucoup dans ces forfaits !
Ces hommes, que leur repaire insoupçonné faisaient en quelque sorte inattaquables, devaient tout oser. Ils devaient surtout tuer, tuer pour le plaisir de tuer, affolés de colère lorsque le hasard les amenait à rencontrer un agent.
Juve, toutefois, devait répondre et répondre vite à la question du chef.
Or le policier était avant tout un curieux des mœurs d’apaches. Il lui semblait très amusant de confier un dépôt au chef des Grouilleurs. Il voulait savoir si ce dépôt serait réellement et scrupuleusement gardé. Juve prit dans sa poche son portefeuille ; il avait heureusement sur lui une grosse enveloppe bourrée de papiers sans importance et dont le poids et les dimensions permettaient d’affirmer qu’il s’agissait de billets de banque.
Juve pris cette enveloppe et la cacheta.
– Tu as raison, dit-il, prends, chef ! Si je ne suis pas mort, tu me rendras cela. Au cas contraire, tu le garderas.
Le vieillard prit l’enveloppe et la serra dans sa propre poche.
– C’est bon ! dit-il, va maintenant !
Juve, à cet instant, se demandait de quelle façon les Grouilleurs allaient rejoindre les berges.
Assurément, ils ne voudraient pas sortir par la porte de l’Enfer par laquelle était entré Juve. Cela eût attiré l’attention, cela eût pu les compromettre.
Le fils du chef, d’ailleurs, à la tête des cinq compagnons qui s’étaient rangés derrière lui et précédant Juve, se dirigeait d’un côté tout opposé. Il marchait vers le fond du souterrain.
Juve, à cet instant, réfléchissait encore.
Qu’allait-il faire ? Que devait-il faire ?
Le policier se sentait cruellement embarrassé.
Son devoir était peut-être de se jeter sur le fils du chef dès qu’il serait sorti de l’Enfer, son devoir de policier était peut-être d’aider les agents qui combattaient, de leur indiquer le repaire des bandits, de les faire capturer ?
C’était là son devoir de policier, oui, mais où était son devoir d’homme ?
Et Juve, subitement, se trouva embarrassé.
Il était allé chez les Grouilleurs pour leur demander asile ; il était entré dans l’Enfer alors qu’il fuyait la police, alors qu’on le poursuivait.
Dans l’Enfer, il s’était présenté sous le nom de Job Askings. On l’avait reçu, on l’avait accueilli, on l’avait sauvé…
Juve pouvait-il, désormais, honnêtement, livrer ces gens ?
– Non ! non et non ! se déclara le policier.
Il ne voulait pourtant pas, l’excellent Juve, rester du côté des misérables et faire avec eux le coup de feu contre les agents !
Il ne voulait même pas, par sa présence, sembler pactiser avec ces gens qui étaient, après tout, des assassins.
Et Juve, brusquement, prit son parti.
– Une fois sur la berge, décidait-il, je m’enfuirai, je les laisserai se débrouiller, je ne puis que cela pour eux, mais cela je le puis et je le dois !…
La petite troupe cependant, après avoir longé le souterrain, tournait à droite dans une galerie dont Juve reconnaissait évidemment la destination. Il s’agissait très certainement d’un égout encore, d’un égout que la ville avait depuis longtemps abandonné et qui devait longer les quais.
Comment allait-on en sortir ?
Juve fut rapidement documenté. Ses compagnons s’arrêtaient en effet devant de grossiers crampons de fer qui montaient le long d’un puits.
– Attention ! lui souffla l’un d’eux. Au-dessus de notre tête, il y a tout juste une grosse trappe qui est cadenassée et à laquelle personne ne prête attention. C’est une plaque de fonte qui pèse fort lourd. Le chef seul en a la clé. Il va la soulever, et nous allons nous glisser dehors. Compagnon, il faudra faire vite, car il ne faut pas que personne puisse jamais se douter de l’importance de cette plaque d’égout !
Juve le comprenait fort bien et se hâtait en effet de se couler hors du puits à la suite de ses compagnons.
Le temps avait changé cependant.
Cependant que Juve, avec bonheur, respirait à pleins poumons de larges bouffées d’air pur, il notait que la pluie cinglait avec force, que le vent sifflait par rafales.
C’était d’ailleurs une nuit d’horreur, une nuit tragique d’épouvante.
À peine sorti du trou, à peine échappé de l’Enfer, Juve entendait brusquement la fusillade crépiter autour de lui.
Qui se battait et qui tirait ? De quel côté était la police, de quel côté étaient ses adversaires ?
Juve, d’abord, ne put pas le savoir.
Les berges étaient complètement noires ; des balles perdues avaient brisé les réverbères qui longent les quais et l’on devinait avec peine, parmi les amoncellements de matériaux disposés près des péniches, le passage furtif d’ombres rapides.
Était-ce des amis ou des ennemis ?
Par moments seulement de vives lueurs éclataient. Une détonation retentissait alors, un coup de feu venait d’être tiré. Qui tombait, si quelqu’un tombait ?
Interdit, Juve venait d’imiter la manœuvre de ses compagnons. Il s’était jeté à plat ventre, il écoutait.
Le fils du chef des Grouilleurs se retourna vers lui.
– Job Askings, disait-il, l’affaire a l’air bougrement grave. La police est à droite, et nous autres nous devons aller à gauche.
– Comment le sais-tu ? demanda Juve.
Mais, à cette simple question, le jeune homme haussait les épaules.
– Si tu n’étais pas anglais, déclarait-il à Juve, tu ne me demanderais pas quelque chose d’aussi simple ! Les frères qui s’battent là-bas ont tous des cartouches de la Ruisselance. Elles ne claquent pas comme les autres, on ne peut pas s’y tromper. Les nôtres sont à gauche, je l’entends rien qu’au bruit des rigolos…
Le jeune homme se retournait vers ses compagnons, il commandait à voix basse :
– Vite ! Allons !
À ce moment, Juve, les voyant partir en rampant dans la direction des combattants qui se trouvaient sur la gauche, éprouvait une violente envie de se glisser vers la droite.
Fidèle à sa résolution, en effet, le bon Juve n’avait qu’une idée, rejoindre les agents, trouver un prétexte, s’enfuir, ne pas prendre part à une lutte où ses sentiments chevaleresques lui interdisaient de figurer.
Or, à cet instant, Juve cependant se glissait furtivement vers la gauche.
Pourquoi donc ?
Juve rampait sur le sol. Il s’écorchait les mains et les genoux. Il se meurtrissait le visage. Qu’importe ? Tenant son browning d’une main, prêt à faire feu si d’aventure il était en danger, s’il devait défendre sa vie, Juve, s’écartant de la police, allait vers les apaches, frissonnant à la pensée que c’était peut-être une balle d’ordonnance qui allait, d’un instant à l’autre, le frapper…
Juve n’agissait pas au hasard, Juve ne perdait nullement la tête et faisait volontairement ce qu’il faisait.
Juve n’allait pas faire le coup de feu contre la police, et Juve n’avait pas non plus l’intention de trahir les misérables dont il était, après tout, l’obligé.
Non ! Ce qui poussait Juve à la suite des Grouilleurs qui couraient à la bataille, c’était seulement la curiosité, une curiosité ardente, formidable, une curiosité qui le faisait haleter.
Ils étaient sortis sept en effet de l’égout. Ils étaient sortis six Grouilleurs et Juve…
Or, depuis qu’ils rampaient tous dans la direction de la bande qui livrait une véritable bataille à la police, Juve comptait sept corps étendus sur le sol, sept corps qui, péniblement, se faufilaient, gagnaient du terrain au risque d’être découverts, au risque d’être fusillés par les agents aussi bien que par les misérables, car aucun des deux partis ne pouvait les reconnaître.
Quel était donc le septième personnage qui venait de rejoindre la bande ?
Quelle était l’ombre qui était sortie de l’ombre, qui se mêlait à eux ?
Et Juve, merveilleux de sang-froid, superbe de présence d’esprit, se disait à ce moment :
– Ce septième individu qui vient de se joindre à nous devait être embusqué tout près de l’entrée de l’Enfer. Il ne devait pas prendre part à la bataille. Il a dû assister à notre arrivée ! Mon Dieu ! Ce serait à croire qu’il espionnait les Grouilleurs !
Juve, en vérité, pouvait penser ainsi.
Il se passait, en effet, dans la petite bande, quelque chose d’extraordinaire, de surprenant, de mystérieux. Tandis que les six compagnons rampaient sur le sol, leur septième camarade, Juve le reconnaissait parfaitement, manœuvrait de telle façon qu’il frôlait les Grouilleurs, l’un après l’autre.
Il rompait alors quelques instants auprès d’un des hommes, puis il se laissait distancer, il en rejoignait un autre.
Juve continuait à l’observer.
– Du diable si je sais ce que cela signifie ! pensa-t-il. Cet homme n’est pas, cependant, ne peut pas être un agent ! S’il voit les autres, les autres doivent le voir aussi ; aucun d’eux très certainement n’hésiterait à le poignarder !…
Et ce fut Juve alors qui manœuvra à son tour pour se rapprocher de l’inconnu.
Juve, dédaignant la menace des balles qui sifflaient toujours de tous côtés, Juve, n’écoutant même pas les clameurs de rage qui, par moments, montaient vers le ciel noir, Juve, insensible au spectacle étrange qui l’entourait, oubliant cette bataille que des hommes se livraient dans l’ombre, Juve, sans peur, sans inquiétude, curieux seulement, pressentant un mystère et voulant coûte que coûte en avoir la solution, se relevait avec précaution.
À genoux maintenant, car il cessait de ramper, Juve avança jusqu’à l’inconnu. Celui-ci d’ailleurs paraissait l’attendre. Les deux hommes furent côte à côte.
La nuit toutefois était si noire que Juve, pendant quelques secondes, cherchait en vain à deviner les traits de ce rôdeur qui devait l’examiner lui aussi.
Et c’était une chose brusque, soudaine. L’homme, brusquement, faisait un geste ; il tenait un browning, il tira un coup de feu au hasard, en l’air, si près de la figure de Juve que celui-ci fut brûlé par la poudre.
Le coup de feu, toutefois, avait pour une seconde projeté une vive lueur. C’était comme un éclair de lumière qui trouait l’obscurité de la nuit.
Et, encore que Juve ne se fût pas attendu à cette clarté soudaine, elle lui suffisait pour voir, pour comprendre quel était le personnage qui le frôlait.
Deux cris, deux exclamations, furent poussées…
Et c’étaient deux noms, deux noms surprenants à entendre qui résonnaient dans la nuit !
Le policier avait crié :
– Fantômas !…
Une voix lui avait répondu :
– Juve !…
Et Juve, certes, était assuré de ne pas se tromper. À la lueur fulgurante du coup de feu, il avait vu, nettement vu quel était le septième individu qui s’était ainsi mystérieusement joint à la bande. Cet individu, c’était Fantômas !… C’était le Maître de l’effroi, le Roi de l’épouvante, c’était le Génie du crime !…
Alors une colère folle, une rage indicible, une fureur insensée s’empara de Juve.
Une fois encore, il était en face du misérable que depuis tant d’années il s’acharnait à poursuivre ! Ah ! la lutte allait être terrible, sans pitié, sans merci !
Juve bondit en avant. Il voulait se jeter sur Fantômas, l’empoigner à la gorge, l’étrangler…
Juve, qui, d’ordinaire, était toujours maître de lui, perdait la tête et, grisé peut-être par l’odeur de la poudre, voyait rouge, voulait tuer…
– Fantômas ! Défends-toi !…
Juve avait fait un bond. Il s’élançait sur le bandit, il croyait le tenir déjà, mais il ne rencontrait que le vide.
Fantômas s’était jeté de côté. Le misérable, en même temps, tirait. Juve sentit une vive douleur à l’oreille. Fantômas l’avait visé au front, et sa main peut-être avait tremblé, sa balle avait seulement écorché le policier.
À ce moment, d’ailleurs, et tandis que Juve, emporté par son élan, allait buter dans un tas de matériaux contre lesquels il roulait, des cris s’élevaient de toutes parts.
Les Grouilleurs, stupéfiés, s’étaient brusquement redressés eux aussi. La voix de Fantômas appelait :
– À moi !… À moi !… Tirez donc, c’est Juve !
Et le policier, cependant, entendant cette clameur, ne bougeait plus. Tapi sur lui-même, ramassé, prêt à bondir, Juve écarquillait les yeux, s’efforçait de percer l’obscurité.
Où était Fantômas ?
Où étaient les Grouilleurs ?
Juve entendit ceux-ci qui répétaient :
– Juve est là ? Allons donc ! Tu te moques de nous, Fantômas !
– Non, ripostait le bandit. Il était là, il s’est mêlé à vous à la sortie de l’Enfer !
À ce moment, Juve se prit à sourire. Malgré l’effroyable danger qu’il courait, il ne pouvait s’empêcher de s’amuser de l’erreur où était Fantômas. Ainsi donc, celui-ci imaginait que Juve avait épié les Grouilleurs à l’instant où ils surgissaient sur les berges !
Il ne savait pas que Juve sortait de l’Enfer !
Et le policier, qui déjà songeait à tirer parti de la situation, s’applaudissait de cette erreur.
– Très bien ! très bien ! pensait-il. Il ne faut pas que Fantômas se doute de la vérité !
Juve, à ce moment d’ailleurs, éprouvait brusquement une extraordinaire émotion.
– Ah ça ! mais n’y avait-il pas un rapprochement à faire entre les extraordinaires habitants de l’Enfer, entre les Grouilleurs qui fréquentaient les égouts et les larves qui jadis, au moment des affaires du Japisme, avaient si fort épouvanté Paris ?
Juve, alors, avait multiplié les enquêtes pour savoir ce qu’il était advenu du terrifiant royaume des ténèbres que Fantômas avait fondé à cette époque. Il n’en avait jamais eu de nouvelles. Les complices de Fantômas avaient ou semblaient avoir disparu. Les Grouilleurs n’étaient-ils pas leurs successeurs ?
Ce n’était pourtant pas le moment de réfléchir, et Juve, d’ailleurs, ne mettait qu’une seconde à peine à penser à toutes ces choses.
Fantômas était à deux pas de lui ! Il était là dans l’ombre, à la merci de ses coups, si d’aventure il pouvait l’apercevoir.
Cela affolait Juve au point que, marchant au hasard, étendant le bras, il s’avança.
– Fantômas !… Fantômas ! criait le policier. Si tu n’es pas un lâche, viens t’attaquer à moi !
Mais à ce moment, et comme Juve s’attendait à ce que le Maître de l’épouvante bondît contre lui, comme il était prêt à supporter son assaut, Juve se sentit soudainement saisi par des mains vigoureuses qui l’immobilisaient, le ligotaient, l’emportaient comme un paquet.
– Sûrement, il est de bonne prise ! disait une voix.
– Parbleu ! en répondait une autre. J’ai cru entendre qu’il appelait Fantômas à l’aide !
Un troisième personnage ajouta :
– C’est peut-être l’homme qui était à la Monnaie.
Et Juve alors se rassura.
Cette dernière voix qui venait de parler, il l’avait parfaitement reconnue. C’était la voix du policier Mix !
Juve, certainement, venait d’être fait prisonnier, mais il avait été fait prisonnier par les policiers, cela vraiment n’était pas bien grave !
Juve, s’étant rassuré en reconnaissant la nature et le caractère de ceux qui l’emportaient, se gardait de protester. Instinctivement même, l’excellent policier se félicitait à cette minute des aventures qui survenaient et du caractère qu’elles présentaient.
– Après tout, se disait Juve, puisqu’il ne m’a pas été permis d’arrêter Fantômas, puisque le monstre s’est échappé à la faveur de l’obscurité, puisqu’il a profité de la nuit pour s’enfuir, j’aime autant être prisonnier de la police que libre ! Cela coupe court à mes scrupules de conscience. En ce moment, je ne peux rien faire, et par conséquent je n’ai pas à me mettre martel en tête sur la conduite que je dois tenir !
Juve ne se débattait donc pas. Sagement, il se laissait bousculer, pestant seulement en lui-même contre la façon un peu brusque dont on le transportait.
On l’avait pris par les pieds et par les épaules, on le secouait pas mal, et cette façon de voyager n’avait rien de particulièrement agréable.
La fusillade, d’ailleurs, continuait. Elle semblait toutefois diminuer d’intensité, les coups de feu devenaient de plus en plus rares.
– Fantômas, peut-être, songea Juve, s’occupe à rallier ses hommes… Il les oblige à faire retraite, il les fait reculer !
Et, en disant cela, en le pensant plutôt, car Juve n’articulait pas une parole, le policier ne pouvait s’empêcher de sourire d’un sourire mystérieux.
Juve, en effet, pendant qu’on le transportait et alors qu’on le brutalisait tant soit peu, paraissait véritablement heureux, enchanté au possible.
– Il me semble que je comprends, disait-il, que je comprends bien des choses…
Ces réflexions, toutefois, étaient fort brusquement interrompues. À côté de lui, une voix venait de murmurer :
– Derrière ce tas de briques, nous sommes à l’abri des balles. Déposez le prisonnier à terre, il faut l’interroger !
À l’instant même, ceux qui transportaient Juve ouvrirent les mains. Le policier se sentit choir sur le sol rudement, il poussa, malgré son bâillon, un grognement de colère.
– Doucement, nom d’un chien !
Or, à cet instant, un inspecteur tirait de sa poche une lampe électrique, qu’il allumait. Juve ne pouvait pas voir les traits de l’individu, car on l’avait bâillonné avec une pèlerine enroulée autour de sa tête, une pèlerine analogue à celle dont se servent les agents cyclistes. Il entendit des exclamations surprises :
– Qui diable peut être ce coco-là ?
La voix de Mix, en même temps, s’informa :
– En tout cas, messieurs les agents, il doit être de bonne prise !
À cet instant, Juve pensait :
– Décidément, ce Mix est très fort !… C’est probablement lui qui a guidé les braves individus qui doivent s’emparer de moi ! C’est lui qui a osé tenter ma capture ! Allons, je le féliciterai à l’occasion…
Mais, chose curieuse, tandis que Juve pensait ainsi, il souriait un peu narquoisement sous le bandeau qui l’étouffait.
Juve, une fois encore d’ailleurs, n’avait guère le temps de réfléchir longuement. Comme si sa capture avait été l’occasion d’une trêve, et d’une trêve de courte durée, la fusillade crépitait de plus belle désormais.
– Décidément, c’est un véritable combat ! songea le policier.
Il entendit au même instant, à côté de lui, une voix qui commandait furieusement :
– Il faut en finir, nom d’un chien ! Voilà plus de vingt minutes que nous tiraillons à l’aveuglette, cela ne peut pas durer ! Chargeons !
Juve, encore une fois, sourit sous son bandeau. L’homme qui parlait ainsi, certes, il savait bien qui c’était, la voix le renseignait à merveille.
– Bon ! grogna Juve, voilà cet excellent Léon qui se fâche… Eh ! si seulement il pouvait rencontrer Fantômas… Si seulement un coup de feu pouvait faire justice du monstre…
Puis Juve ajoutait ces paroles énigmatiques :
– Il est vrai qu’il n’y a aucune chance que cela arrive. Fantômas, à ce que je crois, ne court aucun danger !
On s’occupait pourtant de Juve, et ceux qui l’avaient pris se trompaient sur l’importance de leur capture.
À côté du policier, toujours étendu sur la berge, en effet, Mix allait et venait, donnant des ordres.
– Parbleu ! il faut savoir qui nous avons pris !… Non, ne lui ôtez pas son bâillon… Il pourrait crier et signaler notre groupe à ceux qui tirent des coups de revolver… Fouillons-le, d’abord.
Mais à ce moment une voix, une voix inconnue, interrompait Mix.
Ce devait être un agent qui s’écriait :
– Ah sapristi ! regardez donc !… Regardez ce que je viens de découvrir…
Que diable avait-on découvert ?
Juve, assez anxieux malgré tout, n’eut pas à se le demander longtemps. L’agent continuait en effet :
– Regardez les semelles de notre prisonnier !… Ah ! bougre de bougre ! Il n’y a pas de doute à conserver, c’est sûrement lui qui est le voleur de la Monnaie ! Il a encore tout plein d’or collé à la semelle de ses chaussures…
À ce moment, Juve pensa éclater de rire sous son bâillon.
– Bon ! supputa-t-il. Voilà que mon affaire devient tout à fait mauvaise !… Si l’on trouve de l’or sous mes souliers, tout le monde va tomber d’accord pour deviner que c’est moi qui étais à la Monnaie tout à l’heure. C’est exact, mais je ne tiens pas à ce qu’on le sache !
Juve, toutefois, entendait à ce moment des clameurs formidables s’élever du quai.
La bataille continuait. Soudain, les agents crièrent :
– À nous !… À l’aide !… Ah ! canailles, rendez-vous donc !
Les appels étaient angoissés. Juve eut l’impression que ceux qui l’entouraient se relevaient avec brusquerie.
– On nous appelle à l’aide, tant pis ! Allons-y ! Notre bonhomme ne peut pas s’évader ! Nous l’interrogerons tout à l’heure !
Le policier Mix, peut-être, n’avait guère envie de retourner au combat. Il eût sans doute préféré rester auprès de Juve et interroger celui dont il avait fait la capture.
M. Mix était en somme un détective privé qui n’avait rien à voir avec les agents de la préfecture et prêtait très bénévolement son concours aux forces policières.
M. Mix, toutefois, ne pouvait pas sembler se désintéresser d’une lutte à laquelle il avait déjà pris part ; Juve perçut que le détective répondait :
– Bon, bon ! Allons leur prêter main-forte ! Nous reviendrons ensuite…
Juve entendit des pas qui s’éloignaient et, de suite, tenta une étrange manœuvre.
– C’est cela, pensait-il, allez donc vous battre, mes enfants ! Vous reviendrez m’interroger quand vous aurez fini, si toutefois je suis encore là !…
Juve, qui ne tenait guère à révéler son identité, à se voir obligé d’expliquer son rôle extraordinaire dans les affaires actuelles, commençait à ce moment à faire tous ses efforts précisément pour n’être pas là quand on reviendrait le questionner.
Juve avait jadis appris d’un clown forain le secret de pratiquer le tour, toujours amusant, de l’homme enchaîné qui se libère en trois secondes.
Mieux que tous les pitres de barrière, Juve avait étudié à fond cet exercice. Il savait que tous les liens de corde sont susceptibles, par des tractions répétées et prolongées, de se distendre, de prendre du lâche.
Il tendit donc ses muscles, il fit effort de toute sa puissance et, sans respect pour les terribles souffrances qu’il s’occasionnait, il arriva petit à petit à faire plus lâches les cordes qui meurtrissaient ses poignets, qui ligotaient ses chevilles.
Juve, quelques instants plus tard, pouvait sortir l’une de ses mains du nœud coulant qui le tenait immobile. Le reste n’était plus qu’un jeu d’enfant. Libre de se remuer désormais, Juve, en quelques secondes, arrivait à se libérer tout à fait.
Il déliait les cordages, il faisait sauter le bâillon qui l’étouffait et, titubant, endormi, à demi asphyxié et fort étourdi, Juve se trouva debout, debout et libre…
– Tout va bien ! déclara alors le policier, de son habituel ton de voix tranquille. Je n’ai plus qu’à m’en aller !
La fusillade, à nouveau, avait cessé. On entendait seulement dans la nuit des colloques nombreux, des ordres donnés à voix haute.
Évidemment, les agents de police, en chargeant, avaient délogé les bandits qui leur tenaient tête des positions où ceux-ci s’étaient embusqués. La police restait maîtresse du terrain.
– Parfait ! parfait ! approuva encore le policier. Je crois que personne n’a plus besoin de moi…
Et Juve, qui ne se trompait pas d’ailleurs, car un certain nombre d’apaches venaient de tomber dans les mains des agents de la préfecture, commença à s’éloigner.
Tout en s’enfuyant, cependant, le policier songeait.
Les événements auxquels il venait d’assister le laissaient évidemment rêveur.
Juve se demandait :
– Mais enfin, que s’est-il passé ? À qui la police livre-t-elle bataille ?
Et, récapitulant les événements, Juve parvenait difficilement à les comprendre. Il était évident que le commencement de l’affaire résidait tout entier dans la poursuite qui avait eu lieu à la Monnaie lorsqu’il y avait été à moitié surpris en train d’espionner, de surveiller, d’enquêter… dissimulé sous un tas d’or.
À ce moment-là, Juve était entré dans l’Enfer. À ce moment-là encore, on avait donné l’alarme à la police. Les agents avaient dû très certainement commencer une rafle parmi les pauvres hères qui couchaient sur les berges. Au cours de cette rafle, Fantômas était survenu en compagnie des apaches de sa bande ; à lui s’étaient joints les Grouilleurs, et tous ces individus sans aveu avaient livré bataille rangée aux hommes de la préfecture.
– Bien ! bien ! approuvait Juve qui était certain de ne point se tromper, car il ramenait tous les événements extraordinaires à un enchaînement réellement logique. Bien ! très bien ! Mais maintenant, que vais-je faire ?
Juve semblait hésiter sur le parti à prendre. Parvenu sur les quais, il prêta l’oreille. On n’entendait plus aucun bruit. Non seulement la lutte était finie, mais les agents avaient dû renoncer eux-mêmes à toute espèce de poursuite qui pouvait être dangereuse et dont l’utilité n’apparaissait pas.
Le policier hocha la tête. Quelques instants plus tard, toutefois, il ajoutait :
– Décidément, il est très habile, ce M. Mix qui a fait ma capture ! À l’occasion, il faudra que je le félicite !…
Et Juve souriait d’un air bonhomme, en songeant à ces louanges qui, cependant, étaient à coup sûr méritées…
XX
Complications conjugales
C’était décidément un homme étrange que ce M. Mix !
Pendant quarante-huit heures, il avait disparu et désormais, ce soir-là, il se trouvait à nouveau fort tard dans le cabinet de Léon Drapier, au propre domicile du directeur de la Monnaie.
Léon Drapier n’était pas là, et la sonnerie du téléphone vint à résonner.
Mix se précipitait aussitôt, décrochait le récepteur.
– Allô ! fit une voix que le détective privé reconnut être celle de M. Havard, chef de la Sûreté.
Celui-ci au surplus se nommait ; il demanda en premier lieu :
– Est-ce bien à M. Léon Drapier que j’ai l’honneur de parler ?
Chose extraordinaire, Mix contrefaisait alors sa voix et rétorquait au chef de la Sûreté :
– C’est en effet à M. Léon Drapier que vous parlez. Que me voulez-vous ?
Le chef de la Sûreté ne remarquait nullement qu’il n’avait point affaire au directeur de la Monnaie et que c’était une autre personne qui lui répondait.
– Je désire, fit-il, vous voir tout à l’heure, et je vous prie de ne point quitter votre domicile sans mon autorisation.
Mix affecta une attitude indignée.
– Sans votre autorisation ! s’écria-t-il, est-ce donc, monsieur le chef de la Sûreté, que vous vous arrogez le droit de déterminer la conduite qu’il m’appartient d’avoir ?
Le chef de la Sûreté, sèchement, rétorquait :
– Prenez-le comme vous voudrez, monsieur le directeur, mais il s’est passé des événements tellement graves ces jours derniers et les circonstances dans lesquelles nous vous avons découvert dans les caves de l’hôtel des Monnaies sont tellement extraordinaires que je peux avoir l’opinion qui me plaît !
Mix affectait alors une attitude plus humble et un ton plus courtois.
– Eh bien, déclara-t-il, monsieur le chef de la Sûreté, c’est une affaire entendue !
Il raccrochait à peine l’appareil que la porte du cabinet dans lequel il se trouvait s’ouvrait précipitamment. Léon Drapier arriva.
– Qu’y a-t-il ? demanda celui-ci. Est-ce à moi que l’on téléphone ?
Mix avait repris un air impassible, et nettement il déclara :
– Pas le moins du monde, mon cher monsieur Drapier ! C’était une affaire personnelle, et je m’étais permis en votre absence de me servir de votre appareil !
Pourquoi donc Mix faisait-il au directeur de l’hôtel des Monnaies une semblable réponse ?
Depuis quelques jours, l’attitude de Mix était véritablement extraordinaire et, si Léon Drapier n’avait pas été si abasourdi, si préoccupé par les aventures qui lui survenaient, il l’aurait à coup sûr remarqué.
Mix était pour lui un ami, à la manière de l’ours du jardinier qui jetait un pavé sur la tête de son maître afin d’écraser une mouche susceptible de l’importuner !
Lors de la fameuse affaire de l’hôtel des Monnaies, Mix avait en réalité plus compromis M. Léon Drapier qu’il ne l’avait aidé.
Était-ce volontaire ? Ou était-ce le résultat de coïncidences fortuites ?
Nul n’aurait pu le dire.
Mais un fait demeurait certain, c’est que Mix, ayant appelé la police au moment où la sonnerie retentissait, annonçant que, dans la cave, quelqu’un était pris au piège, avait fait découvrir dans ce piège le directeur de la Monnaie lui-même et qu’il avait laissé s’étonner singulièrement le chef de la Sûreté !
Ce n’était pas la première bêtise que commettait le détective privé à la solde de Léon Drapier.
Sur les conseils de Mix, le directeur de la Monnaie avait, en effet, commis des actes réellement suspects, indiscutablement susceptibles de le compromettre.
Il s’était introduit dans l’appartement de sa maîtresse, Paulette de Valmondois, pour y faire disparaître les traces qu’il pouvait y avoir laissées.
Il s’était rendu coupable de bris de scellés à son domicile et de substitution de faux cachets aux cachets véritables que la justice avait apposés sur certains meubles de son cabinet de travail.