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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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M me Drapier était absolument abasourdie par l’éloquence extraordinaire de ce journaliste.

Au surplus, celui-ci ne tenait pas en place.

Il allait et venait dans la salle à manger. Tout en bavardant, il furetait partout, regardait de tous côtés.

À un moment donné, ayant soulevé une portière, il constata qu’elle dissimulait une porte et demanda :

– De l’autre côté, madame, c’est bien le cabinet de travail de M. Léon Drapier ?

– Oui, monsieur, fit Eugénie Drapier en étouffant un soupir.

Le journaliste se rapprocha d’elle.

– Vous seriez bien aimable de me le montrer. Je ne l’ai point revu depuis le jour du crime, et je serais heureux d’en revoir l’aménagement !

Cette fois, M me Drapier se levait à son tour.

– Ah ! c’est impossible ! déclara-t-elle. Cette fois, je vous arrête, monsieur !… Je vous en prie, n’essayez pas d’ouvrir cette porte !…

– Pourquoi donc ? fit le journaliste surpris.

– Parce que, monsieur, expliqua M me Drapier, voilà plusieurs jours déjà que l’accès de cette pièce nous est interdit ainsi qu’à tout le monde. Voyez plutôt : on a mis sur les battants de la porte des scellés.

Mirat poussa un cri de joie.

– Des scellés !… Que ne le disiez-vous plus tôt, madame ! Ah ! par exemple ! J’allais faire une belle gaffe ! Aucun de mes confrères n’en a parlé, et je vais être le premier à l’annoncer ! Les scellés sur le cabinet de travail de M. Drapier ! Mais c’est un tuyau de premier ordre, cela !…

Brusquement, le journaliste bondissait hors de la salle à manger. Il traversa la galerie en trombe et, en personnage familier de la maison, il ouvrit la porte qui donnait sur l’escalier.

– Sigissimons ! appela-t-il.

Un cri rauque, ressemblant à la fois au hululement de la chouette et à la plainte criarde de la pintade, lui répondit, et Mirat aperçut, assis sur les marches de l’escalier, un être à l’allure extravagante, vêtu en globe-trotter, chaussé d’énormes souliers à clous, coiffé d’une casquette à carreaux, et qui portait en bandoulière une énorme boîte recouverte de cuir noir.

Ce personnage n’était autre que Sigissimons, le célèbre reporter photographe de La Capitale, Sigissimons, l’homme qui avait fourni les documents photographiques les plus extraordinaires, les reportages les plus audacieux, les plus difficiles, l’homme qui, comme pas un, prenait à cinquante centimètres de distance le portrait du président de la République ou de la reine d’Espagne lorsque, incognito, elle traverse Paris.

C’était Sigissimons, Sigi, comme l’appelaient ses familiers, qui attendait dans l’escalier et venait de pousser ce cri saugrenu pour répondre à l’appel de Mirat.

Le journaliste toutefois précisait :

– Grouille-toi, mon vieux ! Un cliché superbe à faire ! Les scellés sur la porte du cabinet de travail !…

Quelques instants après, M me Drapier voyait sa salle à manger, non seulement encombrée par tous les accessoires du photographe, mais encore empestée par un dégagement de fumée de magnésium.

– Avez-vous fini, cette fois ? demanda-t-elle, lorsque le journaliste et le photographe eurent établi un courant d’air pour chasser l’impalpable et âcre poussière qui prenait tout le monde à la gorge.

Les journalistes enfin se retiraient et, comme Caroline était venue sur le pas de la porte s’assurer de leur départ, Mirat gagna ses bonnes grâces en lui glissant quarante sous dans la main.

Eugénie Drapier rejoignait alors son mari :

– Il est impossible, expliqua-t-elle, de dîner dans la salle à manger, ce magnésium est une infection !

Léon Drapier haussa les épaules.

– Ils abusent !… Vraiment, ils abusent, ces journalistes !… Et cependant, on ne peut pas les envoyer promener, sans quoi ils imprimeraient des horreurs sur notre compte !…

En attendant que le dîner fut prêt, chacun des deux époux se replongeait dans sa lecture.

Léon Drapier étudiait un dossier, un important rapport qu’un inspecteur des finances avait fait sur la frappe des monnaies.

M me Drapier, à qui Caroline venait d’apporter les journaux du soir, jetait un rapide coup d’œil sur les feuilles qui venaient de paraître.

À peine avait-elle déployé l’une d’elles, qu’elle poussa un petit cri de surprise.

– Encore un drame ! fit-elle. Une demi-mondaine qui s’est donné la mort, dit le journal. Oh suppose d’autre part qu’il s’agit peut-être d’un crime, en tout cas, ce serait une affaire mystérieuse…

Léon Drapier écoutait sa femme d’une oreille distraite.

– Ah ! ah ! fit-il, de qui s’agit-il donc ?

M me Drapier lisait :

– C’est une certaine fille Poucke, que l’on a trouvée étendue agonisante dans son appartement, un revolver à côté d’elle.

Léon Drapier ferma son rapport et, se tournant vers sa femme :

– Que dis-tu ?

M me Drapier répétait :

– Une certaine fille Poucke, attends donc… voici son nom, dans la galanterie, elle se faisait appeler Paulette de Valmondois.

– Ah ! nom de Dieu !

C’était Léon Drapier qui venait de proférer ce juron ; tout d’un coup, il devint livide.

– Qu’est-ce que tu as ? fit sa femme.

– Rien ! mais je ne me sens pas bien. N’as-tu pas quelque chose à me faire boire… un cordial quelconque… de l’eau de mélisse ?

– Mais si, mais si ! s’écria M me Drapier, qui quittait aussitôt le petit salon pour courir à son cabinet de toilette où, dans un placard, elle avait une petite pharmacie.

Léon Drapier profitait de ces instants de solitude pour se précipiter sur le journal et lire avidement les détails du drame dont venait de lui parler sa femme.

Depuis deux heures qu’il avait quitté sa maîtresse, depuis deux heures qu’il avait laissé Paulette de Valmondois agonisante dans sa chambre, rue Blanche, Léon Drapier ne vivait littéralement plus.

Il s’attendait à ce que le drame fût découvert d’un moment à l’autre, or voici que, désormais, le scandale éclatait !

Que disait-on à ce sujet ?

C’est ce qu’il importait de savoir au plus tôt.

Et si d’abord Léon Drapier ne s’était pas ému en entendant parler de la fille Poucke, c’est qu’il ignorait que tel était le nom véritable de sa maîtresse.

Léon Drapier poussait un profond soupir de satisfaction. Égoïstement, il se rassérénait.

– Mon nom n’est pas prononcé, fit-il à voix basse. Mon Dieu ! mon Dieu ! que ma femme ne sache jamais… et surtout que ma tante ignore !…

Léon Drapier apprenait en effet que la police, convoquée par la concierge, laquelle avait été mise au courant du drame par la petite bonne normande, était accourue aussitôt, et qu’on avait transporté cette infortunée Paulette de Valmondois à l’hôpital de Lariboisière.

Son état était grave. Les médecins avaient constaté, au premier examen, que la balle avait touché un poumon et était ressortie juste au-dessous de l’omoplate. On ne savait pas si l’on sauverait la malheureuse…

Léon Drapier, au surplus, ne s’apitoyait pas.

Tout sentiment était anéanti chez lui par le seul fait de la peur qu’il avait que sa femme connût ses relations avec la demi-mondaine de la rue Blanche. Jusqu’à présent, il avait pu dissimuler, il espérait, malgré tout, qu’il pourrait continuer à en être de même.

M me Drapier entra. Elle fit boire à son mari quelques gouttes d’eau de mélisse qu’elle lui apportait, mêlée à de l’eau minérale.

Il n’éprouvait aucunement la sensation qu’il allait s’évanouir. Néanmoins, Léon Drapier absorba la boisson qu’on lui présentait.

Il prit un air indifférent pour déclarer à sa femme :

– Cette histoire que tu viens de me lire, dont on parle dans le journal, n’a aucun intérêt, aucune importance. C’est une de ces pauvres filles qui s’est donné la mort, souhaitons que les journalistes n’aillent pas amplifier cette affaire et soulever un scandale à ce propos !…

– Ma foi, déclara M me Drapier, je souhaiterais plutôt le contraire ! Un clou chasse l’autre ! Et si les journalistes pouvaient s’occuper de cette demoiselle et nous laisser tranquilles, j’en serais, pour ma part, fort heureuse !… Oui, concluait-elle, plus cette affaire-là grossira, et plus nous aurons la paix… Ce M. Mirat me l’a bien expliqué, les affaires, quelles qu’elles soient, n’ont que l’importance que leur donnent les journalistes. On étouffe un incident, un drame, comme on les grossit à volonté !

– Eh bien ! pensait en lui-même Léon Drapier, on ferait bien de l’étouffer, cette histoire-là !…

Mais ce n’était pas l’avis de sa femme, et Drapier ne pouvait dire à cette dernière les raisons qu’il avait pour désirer que le suicide de Paulette de Valmondois passât inaperçu.

Les deux époux, au surplus, apprenaient à ce moment-là, par Caroline, que le dîner était prêt, et dès lors ils se mettaient à table.

Le couple Drapier bavardait peu en temps ordinaire. Depuis la singulière aventure, depuis le drame à l’issue duquel on avait découvert le cadavre de Firmain, ils échangeaient encore moins de propos.

Léon Drapier ne tenait pas à donner à sa femme des détails sur cette affaire, craignant d’être obligé de lui avouer qu’il avait découché toute la nuit du crime. Quant à M me Drapier, elle conservait au fond de son cœur cette émotion très troublante, la certitude que son mari avait menti à la justice en affirmant qu’il était là, dans sa chambre, à l’heure où, vraisemblablement, Firmain avait été tué, alors qu’en fait M me Drapier savait que son mari n’était pas là.

Lorsqu’ils eurent achevé de dîner, les deux époux ne tardèrent pas à aller se coucher.

Il était à peine huit heures un quart du matin, quelqu’un parlementait à la porte de l’appartement avec Caroline, la cuisinière, qui était restée seule domestique pour le moment chez les Drapier. On n’avait pas encore remplacé le valet de chambre ; quant à la femme de chambre, elle était toujours souffrante.

Au surplus, Caroline n’avait pas grand-chose à faire, d’autant que la tante Denise, douloureusement impressionnée par ce qui s’était passée, était brusquement repartie pour Poitiers, ce qui laissait fort ennuyé Léon Drapier, qui redoutait de perdre l’héritage.

Un homme, dans l’antichambre, sollicitait d’être introduit auprès de M. Drapier.

– Je vous dis, fit Caroline maussade, que monsieur est parti pour son bureau !

Mais l’homme secouait la tête et, esquissant un sourire qui signifiait qu’il en savait long, il rectifia :

– M. Drapier n’est pas parti ! M. Drapier ne partira que tout à l’heure et même arrivera très en retard à son bureau ce matin !

– Ah ! vraiment ! fit Caroline, vous êtes mieux renseigné que personne, vous !

– C’est peut-être mon métier, répliqua l’individu.

Caroline le considéra. Elle avait en face d’elle un homme bien constitué, robuste, assez élégant de tournure ; il pouvait avoir quarante à quarante-cinq ans environ, il portait une épaisse moustache, il était mis avec recherche.

– Encore un journaliste ! pensa-t-elle.

Elle demanda la carte de visite de l’interlocuteur.

Celui-ci tendit un bristol sur lequel Caroline lut ce simple nom : Mix.

Il n’y avait pas de qualité, pas d’adresse.

– De quel journal ? demanda-t-elle.

– Je n’appartiens pas à un journal.

Puis l’homme, qui s’impatientait, ajouta :

– J’insiste pour que vous apportiez ma carte à M. Drapier.

Caroline reprit son air guindé.

– Je vous dis, moi, que monsieur ne reçoit personne, et que seule madame reçoit les journalistes. C’est de bien bonne heure pour la voir.

Sans se départir le moindrement de son calme, l’individu, qui s’entêtait, ajouta encore :

– Je n’ai rien à dire à M me Drapier, je veux voir M. Drapier !

– Mais enfin, qu’avez-vous à lui dire ?

– Des choses importantes et graves. Assurez-lui qu’il ne regrettera pas de m’avoir vu et reçu.

Subjuguée par l’ascendant de cet homme, Caroline se décidait à aller trouver son maître.

Le visiteur la rappela.

– Dites à M. Drapier, fit-il, qu’il s’agit de l’affaire de Firmain.

– Bien, monsieur !

Quelques instants après, dans sa chambre à coucher où il achevait de se vêtir, M. Drapier voyait entrer un homme qui n’était autre que le visiteur auquel Caroline avait tout d’abord déclaré que son maître ne recevait pas, puis qu’elle avait annoncé ensuite.

Tout en enfilant sa jaquette, Drapier, se tournant vers le nouveau venu, lui demanda d’un air rogue :

– Vous êtes ce M. Mix qui m’a fait passer sa carte à l’instant ?

L’homme s’inclina légèrement.

– Je suis ce M. Mix qui vous a fait passer sa carte à l’instant.

– Votre insistance est peut-être un peu exagérée, monsieur, ce qui fait que je vous reçois, contrairement à mes habitudes.

– Contrairement à mes habitudes, monsieur, rétorqua l’individu, j’ai sollicité de vous voir alors qu’en temps ordinaire c’est moi qui suis supplié de recevoir les visiteurs !

– Qu’est-ce à dire, monsieur ? Et quel rôle remplissez-vous donc ?

L’individu esquissait un léger sourire.

– Je suis Mix.

– Je ne prétends pas le contraire !

– Il ne manquerait plus que ça ! Et cela ne vous dit donc rien ?

– Cela ne me dit rien ! Votre nom m’est inconnu, monsieur Mix !

Le mystérieux visiteur souriait toujours.

– J’aurais dû m’en douter, en effet, car jusqu’à présent vous n’avez jamais eu affaire à la justice.

– Et j’espère, interrompit Léon Drapier, que je n’aurai pas affaire à elle de longtemps !

L’interlocuteur du directeur de la Monnaie reprocha d’un air scandalisé :

– Vous avez une mémoire détestable, monsieur, car vous avez précisément affaire à la justice en ce moment… et il est à craindre pour vous que vous ayez affaire à elle pendant longtemps encore !

– Que savez-vous donc ? s’écria Léon Drapier.

– Tout ! fit l’homme. Ou rien… à votre goût !…

De plus en plus, Léon Drapier était interloqué et il se demandait à qui il avait affaire. Il balbutia, considérant fixement son interlocuteur :

– Je ne vous comprends pas du tout, monsieur. Que signifie ce « tout ou rien » ?

Enfin, l’homme paraissait disposé à fournir des explications.

Il posa son chapeau sur un coin de table, prit place dans un fauteuil sans y être invité, croisa ses jambes l’une sur l’autre et, regardant le plafond comme pour s’inspirer, il commença, s’exprimant avec élégance, faisant entendre une voix harmonieuse et séduisante.

– Vous allez comprendre, monsieur Drapier !

« Vous avez devant vous un personnage… mettons une personne, un monsieur. Ce monsieur s’appelle Mix, et il exerce la profession de policier, disons, pour être plus exact, de détective, car en France, ce qualificatif qui désigne à l’étranger les professionnels de la police, s’applique chez nous aux policiers privés.

« Ce Mix, c’est-à-dire moi, c’est donc un policier privé. Je vis de ma profession, monsieur, et comme je prétends en bien vivre, je ne donne point mes conseils et ma protection pour rien ! Par contre, lorsqu’on me paie, et vous êtes capable de bien me payer, j’accorde ma protection tout entière à mes clients.

« De là ma devise : “Tout ou rien”, c’est simple comme vous le voyez !

Léon Drapier frémissait.

– Très simple, en effet, monsieur Mix. Si je crois bien comprendre, vous êtes une sorte de maître chanteur. Vous avez appris les ennuis que j’éprouve actuellement et vous venez me menacer !

M. Mix se leva :

– Je ne menace jamais, monsieur. Je fais quelquefois des promesses qui se réalisent toujours. Quant à vous faire chanter, non, monsieur ! Cela n’est point mon rôle. Et pour parler net, pour résumer, je viens vous offrir simplement ceci :

« Vous m’avez accordé cinq minutes d’attention, vous réfléchirez cinq minutes à ce que je vais avoir l’honneur de vous dire, et cinq minutes après, vous m’aurez signé un engagement de trois mois à raison de mille francs par mois, en échange duquel je m’engage à vous débarrasser de tous les soucis que vous éprouvez à l’heure actuelle et à vous donner tous les éléments de votre innocence dans l’affaire Firmain comme dans l’affaire de la fille Poucke. Cela fait au total un quart d’heure. Il est maintenant, si j’en crois votre pendule, huit heures et demie du matin, à neuf heures moins un quart nous en aurons terminé !

Léon Drapier voulut placer une parole, son interlocuteur l’en empêcha :

– Inutile ! fit l’homme, je commence. Notez l’heure, je vous prie, huit heures trente et une !

L’individu, dès lors, s’installait à nouveau dans le fauteuil qu’il venait d’abandonner. Il sortit de sa poche un étui à cigarettes, en offrit une à Léon Drapier qui refusa et, nullement vexé, se mit à fumer.

– Résumons les faits, déclara cet homme étrange.

« Dans la nuit du 26 au 27, le valet de chambre que M. et M me Drapier ont engagé de la veille est mystérieusement assassiné dans le cabinet de travail de son maître.

« Celui-ci, qui couche dans la chambre voisine, déclare n’avoir rien entendu alors que M me Drapier, qui habite l’autre extrémité de l’appartement, a été réveillée par des bruits suspects. Première invraisemblance. M. Léon Drapier est un homme fort bien constitué et qui n’est aucunement atteint d’une infirmité connue sous le nom de surdité !

« Pourquoi donc M. Léon Drapier n’a-t-il rien entendu ?

« Oh ! la chose est fort simple ! M. Drapier n’a pas voulu entendre. M. Drapier, au surplus, pendant une bonne partie de la nuit, était absent de son domicile. Où était-il, M. Drapier ?… Il était chez une certaine demoiselle Poucke, connue dans la galanterie sous le nom de Paulette de Valmondois. C’était sa maîtresse, et M. Drapier en était fort jaloux. Quelle fut, au cours de cette nuit, la conversation intervenue entre M lle Poucke, dite Paulette de Valmondois, et son amant M. Léon Drapier ? Nul ne le sait, mais il faut croire que M. Léon Drapier apprit certaines choses et notamment les relations qui existaient entre la demoiselle et son nouveau valet de chambre Firmain. Il a cru, à tort d’ailleurs, que Firmain était l’amant de sa maîtresse. M. Drapier est alors rentré chez lui. C’est un homme vif et coléreux.

« Il a trouvé dans son cabinet ce Firmain qui y faisait je ne sais trop quoi, les deux hommes se sont disputés, battus, M. Léon Drapier a eu le dessus… il a assassiné le domestique !

– Qu’en dites-vous, monsieur ? hurla Léon Drapier.

– Je dis, poursuivit l’homme qui répondait au nom de Mix, il n’est que huit heures trente-trois et j’ai encore deux minutes à vous consacrer pour mon discours, conformément à mon programme fixé… La police survient, ne comprend rien à ce qui s’est passé et M. Léon Drapier se rassure, au fur et à mesure que s’écoulent les heures qui succèdent au drame.

« Toutefois, lorsqu’il vient chez sa maîtresse, il lui fait une scène épouvantable et lui reproche les faux certificats grâce auxquels Firmain a pu s’introduire chez M. Drapier.

« M. Drapier, qui n’est pas mauvais homme à l’ordinaire, voit rouge, sitôt qu’il s’agit d’un danger couru par sa propre tranquillité personnelle. Il apprend que Firmain était, non point l’amant de sa maîtresse, mais le frère de cette femme. Il se rend compte qu’elle va être interrogée si ce n’est déjà fait, qu’elle va parler, révéler qu’elle était la maîtresse de M. Léon Drapier ; une altercation s’ensuit, M. Léon Drapier tire sur Paulette de Valmondois et s’enfuit terrifié, très heureux que la police, décidément bien maladroite, prenne le drame pour un vulgaire suicide… »

Une fois encore Léon Drapier interrompit.

– Ah çà, monsieur, c’est de la pire folie ! Vous imaginez tout cela ! Votre roman ne tient pas debout ! Car c’est un roman…

M. Mix regardait la pendule, il articula à mi-voix :

– Huit heures trente-quatre et demie, encore trente secondes !… C’est effectivement un roman, monsieur, mais un roman parfaitement plausible et je sais qu’à l’heure actuelle c’est la version officielle qui prévaut dans les milieux policiers !

« Il y a en outre des preuves qui paraissent convaincantes à votre égard !

« On a mis sous scellés, aussi bien chez vous que chez Paulette de Valmondois, des objets qui vous appartiennent. Lorsque la justice reconstituera les deux crimes, vous y serez si directement mêlé qu’il faudra bien que vous fournissiez des explications aux magistrats… Encore quatorze secondes ! Si je vous parle, monsieur Drapier, c’est parce que je sais que d’ici demain matin vous serez inculpé d’un double crime. Encore dix secondes !… et que je suis le seul homme capable qui peut vous tirer d’affaire, car seul je possède les preuves de votre innocence. Encore trois secondes pour les derniers mots !… et que seul je suis capable de les faire valoir !

« Les cinq minutes sont écoulées, monsieur Drapier, vous avez jusqu’à huit heures quarante pour réfléchir sur la situation !

« De deux choses l’une : ou vous allez vous débattre entre les magistrats, les inspecteurs de la Sûreté, le Parquet et les fonctionnaires de votre administration, ou vous allez en vous confiant à moi éviter d’être même inquiété un seul instant…

« De deux choses l’une : ou vous allez risquer un scandale et le divorce ensuite, la perte de l’héritage de votre tante enfin, si l’on apprend que vous étiez l’amant de Paulette de Valmondois, ou alors grâce à moi, nul ne pourra jamais déclarer que M. Léon Drapier a été, fût-ce cinq minutes, en relations avec la fille Poucke !

« Vous ne risquez rien à m’employer, décidez-vous, monsieur Drapier !

Quelques instants, le directeur de la Monnaie demeurait profondément perplexe.

Il se méfiait de cet individu qu’il ne connaissait point, et d’autre part l’homme parlait avec une telle assurance, il venait de formuler une chose si juste que, malgré lui, M. Drapier était bien tenté de lui accorder sa confiance.

– Après tout, qu’est-ce que je risque ? se disait-il. Il n’est pas interdit d’avoir un homme d’affaires lorsqu’on a des soucis dans une entreprise commerciale, et je ne crois pas qu’il soit malséant d’avoir son détective privé si, d’aventure, on risque des ennuis avec la justice criminelle !… Cet homme doit avoir raison. Il m’offre ses services, si je le paye, il me sera dévoué.

Léon Drapier n’était pas l’homme des hésitations longues.

Il se tourna vers Mix et lui déclara :

– Monsieur, c’est une affaire entendue. Vous me proposez la défense de mes intérêts. Vous avez, dites-vous, d’excellents arguments, non point pour prouver mon innocence, c’est inutile, je ne suis pas criminel, mais pour que ma mise hors de cause s’effectue sans scandale. Eh bien, soit ! je suis d’accord avec vous, j’accepte votre proposition…

Pas un muscle du visage de M. Mix ne bougea.

– C’est bien ! fit-il, nous sommes d’accord ! Mille francs par mois, trois mois garantis, vous allez me faire un papier.

Il regardait la pendule.

– Nous avons déjà gagné deux minutes sur l’horaire. Il n’est que huit heures trente-huit au lieu de huit heures quarante !

M. Mix, plus imperturbable, ajoutait encore :

– Nous avons donc sept minutes pour rédiger le contrat, c’est plus qu’il n’en faut !

– Drôle d’homme ! pensa M. Drapier.

M. Mix, cependant, s’était levé. Les bras croisés, il allait et venait dans la pièce, semblant réfléchir profondément. Enfin il articula :

– Mettons-nous en règle d’abord ! Voulez-vous écrire sous ma dictée, monsieur Drapier ?

Et, comme le directeur de la Monnaie prenait une plume en hésitant, Mix le rassura :

– Il s’agit simplement du petit engagement de me payer mes appointements, et non d’autre chose. Vous ne risquez rien à mettre sur ce papier blanc : Je soussigné, m’engage à payer à M. Mix, pour ses bons services, la somme de mille francs par mois, et ce, pendant trois mois consécutifs.Veuillez dater et signer, monsieur Léon Drapier.

Quel pouvait bien être cet étrange personnage qui, en l’espace de quelques instants, avait, par son indiscutable ascendant, capté la confiance du haut fonctionnaire qui dirigeait l’administration de la Monnaie ?

S’agissait-il d’un véritable policier ?

Était-ce au contraire un adversaire de Léon Drapier ?

Nul assurément n’aurait pu le dire, Léon Drapier moins que tout autre. Le directeur de la Monnaie avait réfléchi et il s’était rendu compte qu’en somme il ne risquait rien à faire la promesse demandée. Et puis Léon Drapier avait tellement peur du scandale susceptible de l’amener au divorce qu’il aurait fait n’importe quoi pour l’éviter ; même la plus terrible des maladresses.




IX


Innocentement

La matinée s’annonçait fort belle. Bien qu’il trainât un peu de brouillard à ras de terre, on devinait le ciel bleu, très pur, et tout éblouissant de soleil matinal.

Les berges avaient un air de fête et, dans l’atmosphère de la matinée, tout apparaissait avec un air de neuf, de pimpant, de guilleret, qui eût suffi à disposer à la gaieté les esprits les plus moroses.

Comme un fleuve d’argent, la Seine, qui cependant ne peut prétendre à rouler des flots purs, coulait paisiblement dans l’admirable décor de la Cité, ce décor naturel qui semble cependant, tant il est merveilleux, avoir été composé par quelque artiste de talent.

À droite, on apercevait la masse sombre du Louvre, sa façade merveilleuse, ses colonnades à la fois puissantes et légères ; à gauche, trapu, ramassé en force, l’institut paraissait quelque géant accroupi prêt à happer les passants assez téméraires pour s’engager sur le pont des Arts.

Puis c’était, à la file, dans le pittoresque désordre de leurs casiers ouverts, la théorie des bouquinistes que les passants, les uns après les autres, interrogeaient, marchandaient, et qui, finalement, avaient toujours gain de cause.

Il était à peine huit heures du matin. C’était encore dans les rues un va-et-vient affairé, des écoliers se rendant aux classes, des apprentis se hâtant vers l’atelier, des ouvriers, beaucoup moins pressés, semblait-il, se dirigeant vers leur travail, en fumant tranquillement quelques cigarettes dont la bleuâtre fumée montait en spirale dans l’air pur.

De temps à autre, le cri d’un remorqueur, strident, prolongé, retentissait, on voyait une file de péniches aux ventres rebondis, aux flancs combles de matériaux, s’avancer majestueusement et, dans un tourbillon d’écume, franchir les arches des ponts où la Seine se resserrait avec peine.

À ce moment, une sirène poussa un lugubre hurlement.

Et c’était immédiatement, sur les quais, la galopade rapide d’une foule d’ouvriers qui, les uns après les autres, se hâtaient vers un bâtiment sombre que les passants regardaient avec un air d’intérêt. On entendait des exclamations joyeuses :

– Vite, mon vieux, cavale !…

– Encore une journée où l’on ne va pas s’amuser. Le singe est d’une humeur de chien !

On s’appelait encore de groupe en groupe, on se souhaitait le bonjour.

– C’est toi, Émile ? comment ça va, ma vieille ?

Et tout ce flot d’ouvriers s’engouffrait sous la porte basse avec de véritables tourbillons qui rappelaient la lutte du fleuve sous les ponts, cependant qu’un concierge, un « pointeau », disaient les ouvriers, se promenait sur le trottoir, agitant un trousseau de clefs et prêt à refermer inexorablement la porte au nez des derniers retardataires lorsque le second coup de sirène aurait retenti.

Quels étaient ces ouvriers, quelle était l’usine où ils s’empressaient ainsi ?

L’usine était vraiment spéciale et les travaux qu’on y effectuait pouvaient à bon droit mériter la visite des quelques rares privilégiés qui, chaque année, obtenaient d’y pénétrer.

Il s’agissait de la Monnaie, et les ouvriers étaient tout simplement les monnayeurs, ceux-là qui s’occupent à fondre, à frapper, à polir les pièces d’or et d’argent qui servent de façon si terrible à causer le bonheur ou le malheur des humains.

La petite porte de la rue une fois franchie, les ouvriers arrivaient dans un long couloir séparé dans le sens de la largeur par trois longues barrières dans lesquelles ils prenaient la file. À droite, allaient les fondeurs ; au milieu, se plaçaient les frappeurs ; la dernière série comprenait les compteurs, les pareurs et les expéditeurs.

Ceux-là entraient directement dans leur atelier, et pouvaient se mettre immédiatement au travail. Ils n’avaient à manier que des pièces faites, finies en quelque sorte, et les précautions de sûreté prises à leur endroit n’étaient pas énormes. Au surplus, pour assurer une honnêteté d’ailleurs proverbiale dans le personnel, il suffisait évidemment de compter les pièces d’or fabriquées et par conséquent les erreurs, les vols pour tout dire, n’étaient pas à craindre.

Il en était en revanche tout autrement pour les ouvriers appelés à travailler dans les ateliers de fabrication.

Ceux-là, en raison même de la nature de leur besogne, étaient astreints à des précautions véritablement minutieuses et qu’un profane peut croire exagérées.

Un contremaître de service, en effet, les conduisait immédiatement à de vastes vestiaires, où ils devaient abandonner leurs vêtements pour revêtir un uniforme sévèrement combiné par l’administration.

Il s’agissait d’une sorte de grande blouse faite d’alpaga, une étoffe sèche qui ne retenait pas la poussière. La blouse était serrée aux manches, aux chevilles, au cou, par de puissants élastiques qui garantissaient qu’elle fermait hermétiquement.

Les hommes, enfin, enfonçaient sur leurs cheveux une sorte de calotte noire qui, elle aussi, les serrait au visage étroitement.

Pourquoi prenait-on toutes ces précautions et dans quel but imposait-on cet uniforme ?

Qui eût suivi ces ouvriers s’en fût facilement rendu compte.

En sortant des vestiaires, ils se rendaient, en effet, dans les ateliers de travail, et là c’était un éblouissement, un extraordinaire spectacle, une féerie qui ne pouvait manquer de surprendre et d’halluciner en même temps.

Dans les ateliers de la Monnaie, tout semblait en réalité être en or, et le précieux, le terrible métal se devinait partout.

On s’occupait, en effet, d’une importante frappe de pièces de vingt francs qui devaient être, un peu plus tard, mises en circulation. La Monnaie était donc en pleine période de travail, et l’on y manipulait chaque jour de l’or pour des sommes véritablement fabuleuses.

Or, au cours des différentes manœuvres de fabrication, au cours de l’estampage, du rognage, l’or semblait se pulvériser en une chaude poussière, d’une invraisemblable finesse.

Tout se trouvait dès lors poudré d’or. Tout disparaissait sous une couche jaune et, fort peu de temps après la mise en marche des machines, les ouvriers eux-mêmes, vêtus de leurs grandes blouses, étaient rutilants, comme dorés, ou comme saupoudrés de la précieuse poudre.

Il y avait naturellement des fortunes véritables qui flottaient ainsi dans l’air. L’État ne pouvait admettre que ces fortunes fussent perdues, et c’est pourquoi des précautions spéciales étaient prises. Les ouvriers étaient astreints à changer de vêtements ; de plus, ils devaient, en quittant l’atelier, se débarbouiller dans des eaux que l’on épurait ensuite et, de la sorte, aucune parcelle, si petite fût-elle, de la précieuse matière ne se trouvait égarée.


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