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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Enfin, si telles étaient les fautes commises par Léon Drapier sur l’instigation de Mix, ce dernier, qui avait acquis la certitude que quelqu’un avait précédé dans le piège de la cave le directeur de la Monnaie, quelqu’un qui vraisemblablement devait être le coupable, n’en avait rien dit au chef de la Sûreté, que cette révélation aurait certainement intéressé.

Le détective privé avait laissé partir la police officielle et, alors que Léon Drapier soignait sa jambe meurtrie, le détective privé avait interrogé son client de telle façon que celui-ci pouvait croire un moment qu’il était suspect aux yeux de celui qu’il avait attaché à sa personne à titre de témoin de son innocence.

Ce soir-là, le soir du drame, sur les instances de Léon Drapier, Mix avait consenti à redescendre avec lui dans la cave.

Le directeur de la Monnaie voulait, en effet, être renseigné sur un fait qui lui paraissait extraordinaire.

Y avait-il réellement quelqu’un de caché sous l’amoncellement des pièces d’or éparpillées dans la cave ?

Et, dans l’affirmative, quel était ce quelqu’un ?

Les deux hommes étaient donc descendus vers onze heures du soir, c’est-à-dire après la capture de Léon Drapier dans le piège, revoir la cave mystérieuse.

Or, ils avaient retrouvé le tas de pièces d’or, et ils s’étaient bien rendu compte qu’assurément quelqu’un avait dû fuir par un trou creusé à même le sol, mais lorsque Léon Drapier avait voulu en aviser la police, Mix s’y était opposé.

– À quoi bon ? disait le détective. En voulant trop prouver, on ne prouve rien, et si nous montrons à M. Havard ce passage souterrain, qui communique certainement avec l’extérieur et par lequel a dû s’introduire le voleur, nous sommes certains que tout le monde sera au courant de ce qui s’est passé et que plus jamais on ne parviendra à prendre le coupable ! Il faut avoir l’air d’ignorer que nous avons découvert le chemin par lequel l’homme dérobe les pièces d’or, l’homme qui s’est fait prendre au piège et qui s’est échappé, et ceci pour que le personnage, convaincu qu’il ne risque rien, se décide à revenir. Alors nous le prendrons, et non seulement votre innocence, monsieur Léon Drapier, sera prouvée, mais encore nous apporterons à la justice les preuves de cette innocence, et le coupable ne pourra plus nier !

Léon Drapier, peu à peu, s’était rendu à ce raisonnement, car Mix lui avait fait valoir cet argument :

– Ce passage souterrain, du moment qu’il n’y a personne dedans et que nul ne s’en sert, ne justifie pas votre honnêteté ! Et si la police vous soupçonne, elle imaginera très certainement que c’est vous-même qui avez fait creuser ce passage afin de lui donner le change !…

Et Mix concluait, d’une façon doctorale et sentencieuse :

– Le personnel de la Sûreté, depuis le plus petit inspecteur jusqu’au chef, est composé de gens simples et de gens entêtés qui, lorsqu’ils ont trouvé une piste qui leur paraît vraisemblable, ne changent plus jamais d’opinion et s’y tiennent en dépit de tout.

Léon Drapier alors, sur les conseils de Mix, avait quitté la cave, dont il refermait soigneusement la porte à clé, ayant soin de laisser tout en état, puis il avait regagné son domicile.

Et, pendant quarante-huit heures, Mix avait disparu…

Ce soir-là, Léon Drapier retrouvait son détective chez lui.

À peine avait-il ôté son chapeau et son pardessus que Léon Drapier s’entendait dire par son énigmatique conseiller :

– Si vous voulez m’en croire, monsieur Léon Drapier, nous allons sortir immédiatement pour nous rendre à la Monnaie.

– Pourquoi faire ? interrogea Drapier surpris.

– Parce que, articula Mix à voix basse, comme s’il redoutait d’être entendu par quelqu’un dans la maison, j’ai l’impression, la conviction, presque la certitude que, si nous nous rendons cette nuit dans les caves de l’hôtel des Monnaies, nous y apprendrons du nouveau…

– Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? demandait Drapier.

– Mes pressentiments ! faisait simplement Mix, qui ajoutait encore : Vous n’ignorez pas, monsieur Drapier, que je crois aux pressentiments de la façon la plus formelle et la plus absolue. Jamais, jusqu’à présent, je n’ai été trompé par ces mystérieuses révélations de l’au-delà et, au surplus, si nous ne réussissons pas, si nous ne voyons personne, cela ne saurait nous nuire en aucune façon…

Léon Drapier, qui était accablé par les successions de drames qui se produisaient autour de lui, Léon Drapier, qui, depuis la mort de sa maîtresse, mort mystérieuse et tragique, demeurait comme frappé par un coup de massue, avait perdu toute volonté d’agir et de penser.

Il se laissait guider comme un enfant et, Mix lui ayant manifesté son désir de partir le plus tôt possible pour l’hôtel des Monnaies, Drapier s’en allait remettre son pardessus et son chapeau.

Depuis quarante-huit heures, c’était à peine s’il avait vu sa femme, s’il s’était préoccupé de ce qu’elle devenait.

Toutefois, malgré son ahurissement, Léon Drapier n’avait qu’une idée, qui persistait à la manière d’une idée fixe dans son esprit.

Il s’inquiétait uniquement de savoir si la tante Denise était ou non au courant de ce qui s’était passé, et jusqu’à présent il avait le bonheur d’apprendre que la tante Denise, dans son isolement provincial et lointain de Poitiers, ignorait absolument tout des drames survenus, à l’exception toutefois des fuites mystérieuses que l’on avait constatées à la Monnaie et dont on parlait dans les journaux, mais à propos desquelles on n’incriminait en aucune façon le haut fonctionnaire des finances qui dirigeait l’atelier de la frappe des monnaies.

Quelques instants après, Mix et Léon Drapier se trouvaient dans la rue de l’Université et s’acheminaient d’un pas rapide dans la direction de l’hôtel des Monnaies.

– Le gardien va être surpris de nous voir ! articula Drapier, qui songeait qu’il était une heure avancée de la nuit et qu’on allait sûrement s’étonner de le voir arriver.

À peine avait-il proféré ces paroles que Mix s’arrêtait net sur le trottoir et regardait fixement son compagnon.

– Ah çà ! interrogea-t-il, perdez-vous la tête ?

– Pourquoi donc ? demanda Léon Drapier.

– Mais, poursuivit Mix, parce qu’il n’est pas dans mes intentions, le moindrement, d’informer vos gardiens de votre venue à l’hôtel !… Il faut au contraire que celle-ci passe absolument inaperçue…

Léon Drapier ne comprenait pas le motif de cette attitude préconisée par son détective.

– Pourquoi donc ? demanda-t-il encore.

Mix haussa les épaules.

– Décidément, vous n’entendez rien aux enquêtes ! grogna-t-il d’un ton méprisant, et vous pouvez bénir le ciel qui m’a mis sur votre chemin, sans quoi j’aime à croire qu’à l’heure actuelle, bien que vous soyez aussi innocent que l’enfant qui vient de naître, vous seriez inculpé par le service de la Sûreté et peut-être déjà convoqué chez le juge d’instruction ! Laissez-moi faire, et si je vous demande de vous introduire avec moi cette nuit incognito dans l’hôtel des Monnaies, c’est parce que j’ai mes raisons !

Les deux hommes se remirent à marcher en silence, car Léon Drapier n’avait rien répondu, mais en lui-même il croyait comprendre désormais l’intention de son détective.

– Assurément, pensait-il, Mix soupçonne quelqu’un de mes employés d’être l’auteur de ces vols mystérieux ! Après tout, peut-être n’a-t-il pas tort. Plus j’y réfléchis, et plus il me semble évident que seul un homme qui a ses grandes et ses petites entrées à la Monnaie peut parvenir à en distraire les sommes énormes dont nous avons constaté la disparition. C’est déjà difficile, et cela nécessite une audace extrême en même temps qu’une connaissance parfaite des lieux ! Il est certain qu’un étranger serait incapable de commettre de semblables vols !…

Les deux hommes arrivaient sur les bords de la Seine et ils allaient s’engager, Léon Drapier précédant Mix, sur le quai Conti, lorsque le détective toucha l’épaule du directeur de la Monnaie.

– Pardon ! articula-t-il à voix basse, venez par ici !

Et, du geste, il lui indiquait l’étroite et sombre rue Guénégaud sur le côté droit de laquelle s’élève une des façades de l’hôtel des Monnaies.

– Que comptez-vous faire par là ? demanda Léon Drapier.

Mix, sans répondre à cette demande, posait alors à son compagnon cette étrange question :

– Êtes-vous bon gymnaste ?

– Ma foi, s’écria Drapier, je n’en sais rien, mais je ne le crois pas ! Autrefois, au collège, je n’étais pas mauvais à la barre fixe et à la corde à nœuds, mais dame, depuis cette époque, étant donné qu’au régiment j’étais dans les bureaux…

Mix se mit à sourire.

– Eh bien, articula-t-il simplement, il faudra essayer de retrouver votre souplesse de jeune homme, car nous allons grimper sur les toits !

– De quelle façon ? demanda Léon Drapier intrigué.

– En nous aidant, fit imperturbablement Mix, des tuyaux de gouttière et des grilles qui protègent les fenêtres.

– Décidément, pensait Léon Drapier, cet homme me fait faire les choses les plus extravagantes, et je me demande où cela me conduira !…

La question que se posait le directeur de la Monnaie n’avait cependant pas pour résultat de le déterminer à discuter la proposition faite par son détective.

Et, quelques instants après, si d’aventure un passant attardé de la rue Guénégaud, où ils sont heureusement rares, s’était avisé de lever la tête et de regarder le long des murs de l’hôtel des Monnaies, il aurait vu ce spectacle extraordinaire et suspect de deux hommes agrippés à un tuyau de gouttière, qui, parvenus au troisième étage de l’immeuble, à la hauteur du toit, faisaient une sorte de rétablissement sur la corniche en zinc et, dès lors, brisant un carreau, s’introduisaient par une étroite lucarne à l’intérieur du grenier de l’hôtel des Monnaies.

Vers une heure du matin, un violent coup de sonnette retentissait à la porte de l’appartement de Léon Drapier, rue de l’Université.

M me Drapier, qui demeurait dans sa chambre, assoupie dans un fauteuil, sursauta et prêta l’oreille, croyant avoir mal entendu.

Mais il n’y avait pas d’erreur possible, un deuxième coup de sonnette, aussi bref qu’impératif, se percevait à nouveau.

Eugénie Drapier se leva et se décida d’aller ouvrir elle-même. Au surplus, elle était seule dans l’appartement. La cuisinière Caroline couchait au septième, M me Drapier savait parfaitement que son mari avait découché.

Si le directeur de la Monnaie était atterré, terrassé par les événements depuis quelques jours, sa femme, Eugénie Drapier, n’était guère plus tranquille et, si elle ne communiquait point à son époux ses appréhensions, cela ne signifiait point qu’elle n’était pas inquiète.

Les craintes de la malheureuse femme étaient encore plus angoissantes que celles de son mari.

Eugénie Drapier, depuis le jour fatal où l’on avait découvert dans l’appartement le corps de Firmain si mystérieusement assassiné, vivait dans une appréhension épouvantable.

Au cours de la première enquête, elle s’était rendu compte que son mari avait menti. Elle avait acquis la nette certitude que celui-ci avait juré être dans sa chambre pendant la nuit fatale, alors qu’en réalité M me Drapier savait parfaitement qu’il avait découché, ou tout au moins que son lit n’avait pas été défait.

Pourquoi donc Léon Drapier avait-il dissimulé la vérité ?

Pourquoi n’avait-il pas osé dire qu’il n’était point là et avait-il menti alors que ce mensonge lui était plutôt nuisible qu’avantageux et qu’il pouvait faire croire que, vu sa présence dans la chambre voisine du cabinet de travail dans lequel avait été commis le crime, il pouvait y avoir participé soit à titre de complice, soit même en qualité d’auteur principal ?

M me Drapier ne s’en était pas expliquée avec son mari. Elle avait peur de l’interroger, et même, une fois que Léon Drapier avait voulu amener la conversation sur ce sujet, instinctivement inquiète, même terrifiée, M me Drapier avait éludé la question.

Résolue à sauver son mari coûte que coûte, convaincue que moins il y aurait d’oreilles indiscrètes informées, mieux cela vaudrait, M me Drapier avait refusé les offres de Caroline qui lui avait offert, après le crime, de coucher dans l’appartement.

C’est pourquoi, ce soir-là comme les soirs précédents, Eugénie Drapier était seule chez elle.

Un troisième coup de sonnette retentit, Eugénie Drapier traversa la galerie, s’approcha de la porte donnant sur l’escalier et demanda d’une voix inquiète :

– Que désirez-vous ? Qui va là ?

De l’extérieur, quelqu’un lui répondit :

– Excusez-nous, madame Drapier, de vous déranger, et n’ayez pas peur, c’est M. Havard et deux de ses inspecteurs !

Cette recommandation était superflue, car, en entendant le chef de la Sûreté se nommer, M me Drapier le reconnaissait à sa voix, la malheureuse femme se sentit devenir livide et manquait de défaillir. Tout d’un coup, ses craintes se précisaient et ses appréhensions, jusqu’alors vagues, devenaient formelles et catégoriques.

Oui, c’était bien évident ; du moment que le chef de la Sûreté et ses deux inspecteurs venaient sonner à l’appartement à une heure aussi tardive, c’est que quelque chose de grave se préparait et que peut-être les policiers venaient arrêter Léon Drapier !

Et, machinalement, M me Drapier poussa un soupir de satisfaction en se disant que son mari n’était pas là.

Elle ouvrit ; le chef de la Sûreté se présenta devant elle et la salua.

– Excusez-moi, fit-il, madame, de vous importuner de ma présence à une heure aussi tardive, mais il est des questions urgentes que je dois poser à votre mari. Veuillez avoir l’obligeance de m’annoncer à lui en ajoutant que je me présente à titre officieux, étant donné que la loi ne me permet point d’intervenir pendant les heures qui s’écoulent entre le coucher du soleil et son lever.

Machinalement, sans réfléchir, M me Drapier ouvrait la porte du cabinet de travail de son mari et y introduisait le chef de la Sûreté ainsi que ses deux inspecteurs.

– Asseyez-vous, messieurs, dit-elle.

Puis elle demeurait silencieuse, immobile au milieu de la pièce, le regard perdu dans un rêve, abasourdie, perplexe, à la manière de quelqu’un qui ne comprend pas.

M. Havard l’arrachait à sa prostration.

– Eh bien, madame, fit-il, veuillez prévenir M. Drapier !

Il n’obtenait point de réponse et, comme il venait de répéter sa question sur un ton étonné, enfin M me Drapier articula :

– Mais, monsieur, mon mari n’est pas là…

– Votre mari n’est pas là !

– Non, monsieur.

– Où est-il ?

– Je n’en sais rien, il est sorti.

– Depuis combien de temps ?

M me Drapier considérait la pendule, elle calcula :

– Environ une heure trois quarts, monsieur…

– Ah çà, par exemple ! fit le chef de la Sûreté en se tournant vers ses inspecteurs, voilà qui n’est pas ordinaire !

M. Havard fronçait le sourcil, toussotait, s’agitait sur sa chaise à la manière de quelqu’un qui a bien envie de parler, de quelqu’un fort en colère et qui, cependant, se retient pour dissimuler ses sentiments.

Il reprit, dominant l’émotion nerveuse qui faisait trembler sa voix :

– Madame, savez-vous à quelle heure M. Drapier va rentrer ? Tout au moins savez-vous où il est en ce moment ?

Eugénie Drapier se tordait les mains, elle les joignit dans un geste de supplication.

– Mon Dieu, monsieur, n’insistez pas ! dit-elle, j’ignore tout, absolument tout ! Rentrera-t-il, ne rentrera-t-il pas, le sais-je ?… Depuis le malheureux drame qui s’est produit ici, non seulement nous sommes affolés l’un et l’autre, mais nous vivons plus étrangers encore que précédemment l’un à l’autre ; Léon ne me dit rien de ce qu’il fait, il s’occupe encore moins de ce que je deviens. Ah, mon Dieu !… Mon Dieu !…

Le chef de la Sûreté s’était levé, il se promenait de long en large ; il articula comme s’il se parlait à lui-même :

– C’est véritablement étrange !… extraordinaire !… Vous dites, madame, que M. Léon Drapier est parti depuis une heure trois quarts, or voici quarante-cinq minutes à peine que je téléphonais avec lui et qu’il me répondait, de ce bureau où je me trouve actuellement : « Vous n’avez qu’à venir quand il vous plaira, je vous attends. »

M me Drapier trouvait toutefois une réponse à faire au chef de la Sûreté.

– Quand je vous ai dit tout à l’heure, monsieur, que mon mari est absent depuis une heure trois quarts, je me suis trompée, ce n’est pas tout à fait exact. Je me souviens maintenant qu’il a dû rentrer dans ces trois quarts d’heure, pour repartir au bout de quelques instants.

– Savez-vous s’il était seul ?

– Je ne sais pas, mais j’imagine qu’il devait être avec ce détective privé que mon mari a engagé à son service, il y a quelques jours de cela…

– Monsieur Mix ? interrogea le chef de la Sûreté.

– Monsieur Mix, précisa M me Drapier.

Havard se tournait vers ses inspecteurs :

– Dites-moi donc, Léon, demanda-t-il, vous qui êtes au courant de tout ce qui se passe dans les officines de renseignements, avez-vous jamais entendu parler d’un certain M. Mix, détective privé ? Savez-vous d’où il vient ?

Léon secouait la tête :

– Je l’ignore absolument, monsieur le chef de la Sûreté, ce doit être un nouveau, je n’ai jamais entendu prononcer ce nom-là devant moi… avant la nuit de combat… de l’autre jour…

Havard poursuivait, grommelant entre ses dents :

– Il faudra tout de même que j’aie quelques renseignements sur cet homme ! À quel titre et dans quel but se mêle-t-il des complexes affaires qui gravitent autour de Léon Drapier ? Il n’a pas l’air d’un imbécile, tout au contraire, et son attitude dans l’affaire de la Monnaie est tout à fait à son avantage. Néanmoins, ce ne sont pas les hommes les plus bêtes qui sont les plus dangereux… Enfin, là n’est pas la question… Nous verrons !

Le chef de la Sûreté s’inclinait devant M me Drapier.

– Veuillez m’excuser, madame, du dérangement que je vous occasionne, je me retire !

Il ajoutait cependant d’un air pincé :

– La faute en est à M. Drapier, je l’avais catégoriquement prié de m’attendre, de se tenir à ma disposition ; il n’a pas cru devoir le faire, c’est bien !

L’air du chef de la Sûreté était si significatif que M me Drapier s’alarma :

– Oh ! monsieur ! supplia-t-elle, qu’entendez-vous par là ?

– Rien du tout, madame, fit sèchement le chef de la Sûreté, si ce n’est que je m’étonne fort du départ de votre mari cette nuit. Il y a là tout au moins de sa part, notez que je dis : tout au moins, un manque de courtoisie à mon égard, que je ne puis m’empêcher de noter !

M. Havard était déjà sur le seuil de la porte, lorsque Michel le rappela :

– Pardon, chef ! un instant…

– Qu’y a-t-il ? fit le haut fonctionnaire de la Sûreté.

M. Havard rebroussait chemin et venait à côté de Michel.

L’inspecteur de police était accroupi devant un petit coffre-fort sur lequel on avait mis, quelques jours auparavant, les scellés. Il regardait les cachets de cire rouge, ainsi que la bande blanche du papier qui dissimulait la serrure du meuble.

Il paraissait plongé dans une contemplation mystérieuse et celle-ci, qui durait trop longtemps au gré de la patience de M. Havard, attira à Michel cette question de son chef :

– Eh bien quoi ? Comptez-vous vous endormir devant ces scellés ?

Michel ne répondit pas directement, mais il demanda à son chef :

– Dites-moi, chef, quel était donc le juge d’instruction qui a mis les scellés sur ces meubles ?

– Ma foi, fit Havard, je ne sais plus très bien… C’est M. Cheminal, je crois.

– C’est bien ce que je pensais, fit Michel.

Dès lors, l’inspecteur de la Sûreté se relevait, il paraissait prêt à s’en aller.

– Eh bien ? interrogea M. Havard, continuez !

Michel secoua la tête.

– Oh ! ce n’est pas la peine, je n’ai plus rien à vous dire !

Le chef de la Sûreté n’insista point, mais malgré lui, il ne put s’empêcher de remarquer que, au regard qu’avait lancé son inspecteur à M me Drapier, celle-ci brusquement était devenue livide.

– Partons-nous ? insistait Michel, qui, désormais, semblait avoir grande hâte de s’en aller.

Pour la seconde fois, le chef de la Sûreté gagnait le seuil de la porte.

Cette fois, il le franchissait et, s’étant incliné à nouveau devant M me Drapier ainsi que ses subordonnés, il quitta l’appartement.

Lorsque les trois hommes furent dans l’escalier, séparés par deux étages de l’appartement de M. Léon Drapier, Havard questionna Michel :

– Qu’avez-vous donc remarqué ? lui demanda-t-il.

– Ceci, chef ! fit l’inspecteur. Les cachets rouges portent bien l’initiale de M. Cheminal, c’est-à-dire un C, mais j’ai l’habitude de la signature de ce magistrat et il me semble que le C des cachets diffère légèrement du C qui constitue l’amorce de la signature habituelle de M. le juge d’instruction.

Havard sursauta :

– Oh ! Michel ! mais c’est très grave, ce que vous dites là ! Cela tendrait à supposer qu’on a enlevé les scellés puis qu’on les a remis en faisant un faux cachet !

– C’est bien ce que je me demande, poursuivit Michel, mais je n’ose l’affirmer, et c’est pour cela que je n’ai rien voulu dire devant M me Drapier.

Les trois hommes descendaient silencieusement, ils se faisaient ouvrir la porte de la rue. Lorsqu’ils se retrouvèrent dans une voie déserte à cette heure tardive, ils s’arrêtèrent encore au milieu de la chaussée pour conférer de leur démarche.

– Cette affaire, articula M. Havard, est de plus en plus étrange. J’ai beau essayer d’y comprendre quelque chose, je n’y parviens guère. Il est vrai, ajouta-t-il, pour s’excuser de son impuissance, que j’ai tellement d’affaires à suivre qu’il m’est impossible de les connaître toutes à fond !

– Évidemment, reconnut Léon.

Michel articula lentement :

– Nous-mêmes, nous sommes peu au courant… n’ayant pas suivi les opérations à leur début. Il faudrait, sur cette piste mystérieuse, quelqu’un accoutumé aux enquêtes les plus compliquées, quelqu’un comme…

M. Havard coupait la parole à son inspecteur.

– Je vois, s’écria-t-il, qui vous voulez dire. D’après vous, seul Juve pourrait tirer au clair cette histoire compliquée ?

Et, d’un commun accord, Léon et Michel approuvaient la suggestion de leur chef.

– Seul Juve, en effet, disaient-ils, est capable de faire la lumière !

Il était quatre heures du matin, M me Drapier ne dormait pas ou, pour mieux dire, ne dormait plus.

Depuis la visite du chef de la Sûreté et de ses inspecteurs, la malheureuse femme était plus encore alarmée que précédemment.

Elle avait été considérablement troublée en apprenant que son mari avait donné rendez-vous au chef de la Sûreté et qu’il était parti.

– Ce départ, pensait-elle, a tout l’air d’une fuite ! Or, il n’y a que les coupables qui s’enfuient !…

Une autre chose avait également terrifié M me Drapier, c’était l’examen minutieux auquel s’était livré l’inspecteur Michel, accroupi devant le petit coffre-fort.

Eugénie Drapier, sans en être absolument sûre, avait eu le pressentiment que, quelques jours auparavant, son mari, d’accord avec le détective Mix, avait fait dans le cabinet de travail quelque chose d’irrégulier et de pas correct.

Elle se souvenait être entrée dans cette pièce et, à ce moment, les deux hommes, qui s’y trouvaient depuis longtemps, s’étaient brusquement arrêtés dans un travail auquel ils se livraient.

M me Drapier avait alors senti dans la pièce une odeur très précise, celle de la cire que l’on vient de brûler.

Elle n’y avait alors point prêté attention à ce moment-là, elle n’avait tiré de ce détail aucune conclusion, mais voici qu’en constatant l’examen auquel se livrait l’inspecteur de police elle s’était soudainement demandé si l’on n’avait pas modifié quelque chose aux scellés apposés par le juge d’instruction sur certains meubles du cabinet de travail quelques heures après la découverte de l’assassinat du valet de chambre Firmain.

M me Drapier en était là de ses réflexions lorsqu’elle sursauta.

Le grand silence de la nuit venait d’être troublé par un léger craquement qui se produisait dans le cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher de M me Drapier.

La malheureuse femme sentit son cœur battre et s’arrêter soudain.

Qu’arrivait-il encore ? Quel était ce nouveau mystère ?

Un drame inattendu allait-il se produire ?

M me Drapier prêtait l’oreille, écoutait encore ; elle ne perçut plus rien.

– Je deviens folle ! se dit-elle en prenant sa tête à deux mains pour comprimer la brûlure de son front, auquel perlaient des gouttes de sueur froide.

Mais elle sursauta de nouveau.

Des craquements plus précis, plus nets se faisaient encore entendre.

– Oh ! cette fois, cette fois, balbutia-t-elle, je suis sûre de ne pas me tromper…

Elle s’avança lentement, plus légère qu’une ombre, le tapis de sa chambre étouffait le bruit de ses pas.

Elle avait éteint la lumière de la pièce dans laquelle elle se trouvait, et cela depuis quelques instants, au moment où elle avait voulu, terrassée par la fatigue, s’assoupir dans son fauteuil. De ce fait, sa chambre était plongée dans l’obscurité.

M me Drapier s’approcha de la porte donnant dans le cabinet de toilette et constata avec une surprise effrayée que l’ampoule électrique était allumée dans cette pièce.

Par l’entrebâillement de la porte elle regarda, et elle vit, tournant le dos à cette porte, un homme, le dos courbé, qui brossait avec un soin extrême le bas de son pantalon et ses chaussures couvertes de poussière.

Il y avait à côté de lui, sur la table de toilette, une cuvette remplie d’eau.

– Mon mari ! articula tout bas M me Drapier.

C’était en effet le directeur de la Monnaie qui se trouvait là.

Comment donc était-il rentré sans que sa femme l’ait entendu ?

Une seule hypothèse était possible : Léon Drapier était revenu chez lui par l’escalier de service.

Mais pourquoi ?

Après s’être brossé, Léon Drapier se rapprocha du lavabo et se disposait à plonger ses mains dans l’eau préparée. M me Drapier, qui ne perdait pas un seul de ces gestes, poussa un cri d’épouvante.

Les mains de son mari étaient couvertes de sang !…

Drapier cependant, ayant pris le savon et la brosse, se lavait les mains avec autant de précaution et de minutie qu’il en avait mis à enlever la poussière de ses chaussures et de ses vêtements.

Eugénie Drapier crut qu’elle allait défaillir à la vue du spectacle qui la terrifiait.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! songea-t-elle, d’où vient Léon ? Qu’a-t-il bien pu faire ? D’où vient cette poussière sur ses vêtements ? Pourquoi ce sang répandu sur ses mains ?

Involontairement, M me Drapier s’appuyait sur la porte du cabinet de toilette et celle-ci grinça sur ses gonds.

Alors, brusquement, tout d’une pièce, Léon Drapier se retourna.

Son visage prit une expression effrayante et féroce.

Le directeur de la Monnaie, après avoir mis brusquement la main à la poche, en sortit son revolver et se précipita dans la direction de la chambre à coucher plongée dans l’ombre.

– Léon ! Léon ! s’écria Eugénie Drapier en s’effondrant sur le sol, grâce ! Ne me tue pas !… C’est moi !…




XXI


Sacrifice d’épouse…

Eugénie Drapier reculait effrayée. Son mari, qui s’était interrompu de se laver les mains, s’avança vers elle, d’un air hagard.

Eugénie Drapier s’était reculée dans sa chambre à coucher, elle se laissa choir sur un canapé et, au paroxysme de l’émotion, elle articula, devenue livide :

– Léon Drapier, ne me tue pas !… Je t’en supplie, grâce !… Grâce ! Au secours !

Léon Drapier, qui s’était avancé dans la pièce et qui, machinalement, tenait son revolver dans sa main droite, posa l’arme sur un guéridon et demeura abasourdi.

– Ah çà ! interrogea-t-il en regardant sa femme avec des yeux stupéfaits, qu’est-ce que cela signifie ?… Aurais-tu peur de moi, maintenant ?

Eugénie Drapier avait peur, très peur même, de son mari, peur au point qu’elle était incapable d’articuler une seule parole, peur au point que ses dents claquaient lorsqu’elle le regardait.

En fait, Léon Drapier avait une allure sinistre. Malgré les coups de brosse qu’il avait donnés à ses vêtements, ceux-ci étaient en désordre.

Son pardessus, qu’il n’avait pas encore ôté, portait de nombreuses déchirures. Le col de sa chemise était froissé, cassé en plusieurs endroits, sa chevelure défaite. En outre, comme d’un geste machinal, il avait passé sa main sur son front et, de cette main qui était encore tout humide de sang, il avait souligné son visage de larges lignes rouges.

Eugénie Drapier, sans répondre, se contentait de lui désigner d’un doigt tremblant une glace.

Léon Drapier se regarda dans cette glace et ne put dissimuler un mouvement de surprise, même de violente émotion, en apercevant son visage reflété dans le miroir.

– C’est vrai ! murmura-t-il, j’ai l’air d’un malfaiteur !

Il voulut se rapprocher de sa femme.

Mais celle-ci poussait un cri rauque.

– Non ! non ! hurla-t-elle avec épouvante, ne me touche pas… Ne me touche pas !

– Que t’ai-je fait ? interrogea douloureusement Léon Drapier. Pourquoi donc as-tu peur de moi ?…

Il apparut que M me Drapier faisait un violent effort sur elle-même pour articuler enfin une parole.

Elle parvint, non sans peine, à s’exprimer :

– Mon Dieu ! mon Dieu ! bégayait-elle. Tout à l’heure, je le sais, j’ai deviné ton intention, tu as voulu me tuer…

Léon Drapier, abasourdi, répétait l’accusation portée contre lui par sa femme.

– J’ai voulu te tuer, moi !… moi !… Ah çà, tu es folle !

Mais Eugénie Drapier reprenait, l’œil fixe, comme si elle n’entendait pas les dénégations de son mari :

– Tu as voulu me tuer, oui, j’en suis sûre !… Lorsque tu m’as entendu venir dans le cabinet de toilette, tu t’es précipité vers moi le revolver au poing, tu avais l’air farouche de l’homme résolu à tout !… Ah ! si je ne t’avais pas regardé alors, si tes yeux ne s’étaient pas croisés avec les miens, je suis sûre que tu m’aurais frappée !

« Tu as eu peur de mon regard ! Il paraît que tous les criminels sont comme cela, ils commencent à avoir peur des yeux de leur victime, mais ils s’habituent ensuite… Mon Dieu !… Mon Dieu !… Vas-tu t’habituer, vas-tu m’assassiner tout à l’heure ? Au secours, au secours ! Je ne veux pas que tu fasses de moi comme tu as fait de l’autre !

En dépit de la terreur folle qu’il inspirait à sa femme, Léon Drapier s’était précipité vers elle, il s’était jeté à ses pieds, lui prenait les mains dans les siennes.

– Eugénie !… Voyons, Eugénie ! commençait-il.

Mais, aux dernières paroles de sa femme, il s’était redressé, frémissant.

Il interrogea durement :


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