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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fantômas, acteur merveilleux, continuait de sa voix cinglante et terrible :

– Aristocrates infâmes, bourgeois poltrons et prêtres sournois, je les égalise tous. Pour en débarrasser le peuple, je les nivelle au ras des épaules.

Il y avait là une belle tirade, un superbe effet, et, chaque soir, lorsque Dick la déclamait, il remportait un grand succès. Lorsque ce fut le nouveau comédien qui vint à la proférer, lorsqu’on le vit s’avancer jusqu’au ras de la rampe, et, d’une voix énergique, déclamer les phrases sonores et ronflantes qui constituaient la plus belle page du rôle du bourreau Sanson, ce fut un enthousiasme indescriptible qui enleva la salle entière :

Cinq ou six fois de suite, il fallut relever le rideau pour que l’acteur pût venir saluer ; ce n’était pas un succès qu’il remportait, mais un triomphe.

Dans la coulisse, Rigou l’embrassa :

– Ce n’est pas deux francs, déclarait-il, mais c’est… cinquante sous que je te donnerai. Tu as été vraiment superbe, et tu peux être sûr que je te ferai une situation. T’es de la maison désormais ! Demain nous annoncerons par les affiches que Talma Junior vient de signer un engagement magnifique avec le Théâtre Ornano, qui lui fait un pont d’or.

Fantômas, impassible, reçut ces compliments sans prononcer un mot.

Cependant, Rose Coutureau descendait de sa loge où elle venait de se changer pour la troisième fois. La jeune artiste, au cours du spectacle, interprétait plusieurs rôles. Là, elle revenait dans le costume qui lui plaisait le mieux : il n’avait pourtant rien de bien sensationnel, ce costume. Rose ne portait pas de perruque poudrée, de robe à paniers, de petits souliers de satin comme elle faisait au début de la pièce. Elle était au contraire, simplement vêtue d’une jupe sombre et d’une chemisette de grosse toile. Ses cheveux étaient hâtivement noués et c’étaient ses cheveux réels, non point la perruque classique ; elle portait sur la tête un petit bonnet blanc, mais elle était heureuse et fière de cette simplicité même. Désormais, en effet, elle allait avoir un rôle sensationnel, tragique, terrible, poignant. C’était elle, en effet, qui faisait la souveraine. Le dernier tableau du spectacle représentait l’échafaud, l’exécution par le bourreau Sanson de Marie-Antoinette, ex-reine de France.

Tel était le second clou de la pièce sensationnelle que représentait le Théâtre Ornano.

Rose Coutureau était descendue et, devisant sans cesse avec Beaumôme, elle attendait le moment de paraître en scène. Il ne restait plus qu’un tableau avant celui de l’échafaud, c’était le Tribunal révolutionnaire, au cours duquel la femme Capet allait avoir à répondre des accusations portées contre elle. Rose Coutureau, d’ordinaire, aimait beaucoup cette scène, où elle était fréquemment applaudie comme artiste, cependant que la foule houleuse huait le personnage qu’elle interprétait. Toutefois, ce soir-là, elle était bien trop préoccupée, bien trop émue pour prêter attention à son art.

Ses soucis personnels retenaient tout son esprit et Rose Coutureau éprouvait de plus en plus une angoisse secrète. Elle se sentait environnée de dangers, de mystère, et bien que Beaumôme, qui commençait à être alarmé lui aussi par l’attitude angoissée de sa maîtresse, fît l’impossible pour la rassurer, elle avait peur, très peur, peur de rien, peur de tout, peur de l’inconnu, de l’avenir, du présent.

– Je ne sais pas ce que j’ai, disait la jeune fille, mais il me semble qu’il va m’arriver quelque chose d’effroyable. J’ai peur…

– Mais de quoi, voyons ? disait Beaumôme. T’as rien à craindre.

Et, pour faire diversion, le jeune apache, qui semblait beaucoup aimer sa nouvelle maîtresse, essayait de plaisanter :

– C’est pas parce que tu vas être zigouillée au dernier tableau dans le rôle de Marie-Antoinette, que t’as besoin d’avoir la trouille. C’est du carton. La « veuve » est pas méchante, quoi. T’as déjà eu affaire à elle tous ces derniers soirs. Elle t’a pas fait de bobo.

Rose Coutureau sourit gentiment à son amant ; évidemment la jeune artiste ne pensait pas même au rôle tragique qu’elle interprétait et les plaisanteries de Beaumôme étaient tout à fait indifférentes à la reine Marie-Antoinette de la pièce. Elle n’y répondit même pas et se contenta de murmurer à l’oreille de son amant :

– C’est curieux, je trouve que ce type qui est venu juste pour remplacer Dick a un drôle d’air, il a des yeux effrayants. Cet espèce de Talma ne me revient pas du tout. Il a une tête qui me fait peur.

La guillotine était dressée au premier plan, et si l’on avait attendu quelques instants de plus qu’à l’ordinaire pour monter le décor, c’est parce que le vieil acteur qui remplaçait Dick avait voulu s’assurer lui-même des dispositions du « praticable » et de la mise en scène.

Il avait passé quelques instants seul sur le plateau à côté de la hideuse machine, merveilleusement reconstituée d’après les documents exacts de l’époque.

L’exécution faite devant le public était simulée avec un art parfait. L’artiste qui jouait le rôle de Marie-Antoinette devait en effet se laisser basculer sur la planche sinistre et se prendre le cou dans la lunette. Un éclair brillait alors au sommet de l’échafaud et on laissait tomber un cartonnage qui figurait le couperet fatal.

Le rôle du bourreau alors, ou pour mieux dire de l’acteur qui jouait Sanson, consistait à s’interposer entre le public et la guillotine afin de dissimuler par son corps celui de la victime. Il prenait d’ailleurs dans un panier une tête de carton et la levait au bout du bras pour montrer au peuple que justice était faite. Et c’est à ce moment que le rideau tombait.

On avait expliqué à Talma le jeu de scène de ce tableau et lui-même avait été vérifier l’échafaud.

Fantômas le bourreau, était allé changer de costume. Au moment où on levait le rideau, il se dissimula derrière un portant attendant son entrée.

Les apprêts du supplice, l’arrivée sur la scène de la charrette amenant la veuve Capet, prenaient environ dix bonnes minutes et le bourreau n’apparaissait pas tout de suite, il ne devait surgir de derrière le « praticable » qu’au moment où la reine s’approchait.

Comme toujours, l’apparition de la guillotine, placée en plein milieu de la scène, provoqua des murmures divers dans la salle véritablement empoignée par l’intérêt du spectacle.

C’est qu’il y avait là nombre de gens pour qui la vue de la sinistre machine était comme une indication, comme une menace. Savait-on jamais si quelque aventure fâcheuse ne vous amènerait pas un jour à subir pour de bon le supplice que l’on allait applaudir au théâtre ?

Cependant, un brouhaha se produisit dans les coulisses.

– Ah te voilà tout de même ! s’écria M. Rigou, qui, désormais sûr de son interprète, avait jugé inutile de retourner dans le trou du souffleur, et qui restait sur le plateau d’où, d’ailleurs, il pouvait envoyer les répliques, si besoin en était, aussi bien que de sa boîte. Te voilà ! s’écriait-il.

C’était Dick en effet qui, après ses péripéties, arrivait enfin. Il était onze heures trois quarts.

Le jeune artiste, pâle, défait, essoufflé, redoutant les pires événements, était arrivé au théâtre, convaincu que son absence avait déterminé des cataclysmes et qu’il allait trouver la salle mise au pillage par une foule exaspérée, les décors en morceaux, les artistes en fuite.

Au contraire, tout semblait s’être passé très normalement, et, comme d’ordinaire, à onze heures trois quarts, on montait la guillotine sur le « praticable » représentant l’échafaud.

M. Rigou jouit quelques instants de l’ébahissement du jeune artiste. Dick, en effet, écarquillait les yeux, ne trouvait pas une question à poser tant il était abasourdi, stupéfait. Il lâcha enfin :

– Vous m’avez donc doublé ?

– Oui, mon cher, répliqua Rigou qui, triomphalement ajoutait : « Et par Talma lui-même ! »

Le dernier tableau cependant était sur le point de s’achever. Les soldats avaient amené Marie-Antoinette au pied de l’échafaud. La salle était haletante et seule peut-être n’éprouvait aucune émotion celle qui était pourtant l’héroïne de ce terrible drame. Rose Coutureau qui montait automatiquement sur l’échafaud, ne se préoccupait pas du sinistre appareil sur lequel elle allait s’étendre dans un instant. Beaucoup plus prosaïquement, elle regarda dans la coulisse et elle fut fort surprise d’y apercevoir Dick, arrivé depuis quelques instants, se tenant immobile à côté du rideau. Elle pensa, un peu rassérénée, à l’idée que le spectacle allait finir :

– Qu’est-ce qu’il va prendre pour être arrivé si en retard.

Elle songeait en même temps :

– Encore dix minutes et c’est la fuite.

Elle souriait à Beaumôme qui, la main posée sur le fil destiné à manœuvrer le rideau, attendait l’instant propice pour signaler au public la fin du spectacle.

Rose était si peu à ce qu’elle faisait qu’elle entendit à peine la clameur soudaine qui s’éleva de la salle au moment où surgissait à côté d’elle l’acteur qui interprétait aux lieu et place de Dick, la dernière scène, celle de l’exécution.

Sanson, en effet, parut.

Si jusqu’alors le nouveau comédien qui jouait le rôle avait bouleversé la foule et surpris le public par ses attitudes et ses façons d’être, il déroutait désormais tout le monde.

Certes, il n’avait rien de classique ni de conforme à la tradition, ce bourreau qui montait sur l’échafaud pour exécuter Marie-Antoinette.

Il n’avait pas le costume du temps. Le bourreau en effet qui surgissait devant la foule était drapé entièrement dans un grand manteau rouge et son visage était dissimulé derrière une sorte de cagoule, rouge également.

Il était ganté de rouge. C’était effarant et l’on se demandait ce que cela voulait dire, mais les artistes cependant qui n’osaient interrompre et exécutaient leurs mouvements avec des gestes automatiques, précipitaient le dénouement.

Fantômas, dans le rôle de Sanson, s’avançait vers la guillotine. Le Maître de l’Effroi, fixement, regardait Rose Coutureau interprétant Marie-Antoinette, et, tandis que les acteurs figurant les aides la faisaient basculer sur la planche fatale, le faux Talma Junior murmurait entre ses dents, tandis qu’un sourire sarcastique effleurait ses lèvres :

– Ma vengeance commence. D’abord celle-là, les autres après.

Fantômas arrivait près de la guillotine. Comme un bourreau véritable, le Maître de l’Effroi faisait tomber le couperet de l’instrument de supplice.

Quelques secondes passèrent. Puis soudain des hurlements effroyables retentirent de toutes parts.

Les artistes qui entouraient la guillotine avaient distraitement regardé la scène à laquelle ils étaient accoutumés, mais au bout d’un quart de seconde les uns après les autres avaient compris ce qu’ils venaient de voir malgré eux. Et voici que, tandis que certains poussaient des cris épouvantables, d’autres s’évanouissaient, s’enfuyaient en courant. Dans la salle on applaudissait à tout rompre.

– Ce que c’est bien imité, disait-on.

Puis cet enthousiasme brusquement se changea en terreur et une panique indescriptible éclatait dans l’assistance.

– Du sang, du vrai sang, hurlèrent les spectateurs des premiers rangs.

Il n’y avait pas à en douter, ce n’était point une supercherie, ni un tour de passe-passe, et un sang noir giclait sur le plancher de la scène, jaillissant partout, éclaboussant aussi bien les figurants que les spectateurs. C’était du sang véritable, du sang humain.

La guillotine avait fonctionné pour de bon, et la tête de Rose Coutureau était réellement tombée, tranchée par le couperet du Bourreau Rouge, coupée par Fantômas.

25 – EN PLEIN MYSTÈRE

– Et alors Dick ?

– Alors, ma chère Sarah, après les divers incidents qui m’ont empêché, comme je viens de vous le dire, de me rendre au théâtre, j’ai fini cependant par y arriver et cela au moment fatal. Oui fatal, et si terrible, si effroyable, que je ne puis en évoquer le souvenir sans tressaillir, sans trembler, sans éprouver un frisson qui me parcourt le corps de la tête aux pieds et me secoue comme un arbuste tordu par la tempête.

Assurément, le jeune homme disait vrai. Car son aspect extérieur, sa pâleur et la contraction de ses traits, trahissaient son émotion sincère. Sarah Gordon qui le considérait avec calme, murmura :

– Remettez-vous Dick, reprenez vos esprits et dites les détails.

Le jeune homme, cependant, qui avait respiré profondément, s’efforçait de chasser de son esprit les sinistres pensées qui l’obsédaient, et il reprit :

– Je veux être net et clair dans mes explications. Au surplus, les choses qui se sont passées sont tellement effroyables et si compliquées que j’ai besoin de toute ma lucidité d’esprit. Comme je vous le disais, Sarah, arrivé depuis quelques instants au théâtre et très heureusement étonné de voir que l’on avait trouvé à me remplacer, je regardais, dissimulé dans la coulisse, le jeu de l’acteur qui me doublait. C’était la scène terrible, à l’issue de laquelle le bourreau fait le simulacre d’exécuter la reine. Je savais le grand effet que l’on pouvait tirer de cette scène et, avec une certaine curiosité professionnelle, j’observais avec attention la façon de procéder de mon remplaçant. C’est alors, Sarah, que j’ai vu l’affreuse chose. Elle n’a duré qu’un instant. Mais c’était encore trop long pour que je ne puisse en remarquer tous les détails. Conformément à la mise en scène réglée à l’entracte, deux de nos camarades qui jouaient les rôles d’aides du bourreau s’étaient emparés de la future victime et l’avaient jetée sur la bascule fatale. C’est à ce moment, alors, qu’a surgi l’acteur que l’on a prétendu s’appeler Talma et qui n’est autre que le plus sinistre bandit que la terre ait jamais porté. J’ai vu, Sarah, cette scène épouvantable : l’acteur vêtu de rouge, drapé contrairement à la tradition dans un grand manteau rouge qui l’enveloppait des pieds à la tête, faire jouer le déclic de la guillotine. Mais on a entendu aussitôt un bruit sec et sourd, un bruit anormal. D’ordinaire, en effet, le coutelas était un coutelas de carton incapable de faire le moindre mal. Cette fois, on lui avait certainement substitué un véritable couperet, et alors, j’ai entendu nettement le bruit du glaive lourd, glissant dans les rainures de la guillotine. J’ai entendu le coup sec du tranchant s’abattant sur la nuque de la malheureuse Rose Coutureau. Sa tête est tombée lourdement dans le panier, le sang a fusé de toutes parts. Ah, cette vision était si effroyable que j’ai senti venir l’instant où j’allais devenir fou ! On comprit au bout de quelques secondes, sur la scène d’abord, et dans la salle ensuite, l’effroyable drame réel qui venait de se passer, et les applaudissements du début se transformèrent en hurlements d’épouvante.

– Mon Dieu, qu’avez-vous fait alors, mon ami ?

– Qu’auriez-vous fait à ma place ? poursuivit Dick. L’événement était si surprenant, si inattendu, que d’abord je suis demeuré abasourdi. Mon cerveau se refusait à comprendre et ma raison niait ce que mes yeux avaient vu. Puis, brusquement je me suis saisi de mon revolver et, avisant la silhouette rouge du criminel qui s’enfuyait, j’ai déchargé sur lui par deux fois mon arme. Hélas, Sarah, il parvint à s’enfuir avec une agilité surprenante. Ce monstre, bondissant dans les couloirs, s’est frayé un passage à coups de pied, à coups de poing, il a disparu.

« Mais, conclut l’acteur dont le front se rembrunissait, ce n’est que partie remise, croyez-le bien ! J’ai vu son regard d’acier. Sa silhouette affreuse est désormais gravée pour toujours dans mon esprit. Je l’ai reconnu et le reconnaîtrai entre tous : ce sinistre criminel n’est autre que Fantômas.

– Fantômas ? comment le savez-vous ? J’ignorais que vous le connaissiez déjà ?

– Je le sais, poursuivit Dick, je suis sûr que c’est lui.

– Avez-vous donc, pour affirmer toutes ces choses, des arguments bien certains ?

– Peut-être… affirma Dick.

Il y eut un silence pendant lequel les deux interlocuteurs demeuraient immobiles, absorbés tous deux, semblait-il, par de profondes pensées. Ce fut Sarah qui, la première, reprit l’entretien interrompu :

– C’est un terrible malheur, en effet, déclara-t-elle de sa voix calme et pondérée, et malheureusement nous n’y pouvons rien. Si cette malheureuse Rose Coutureau est morte, nous ne la ressusciterons pas.

– Sans doute, reconnut Dick, mais nous la vengerons.

Sarah haussa les épaules :

– Qu’en savez-vous, fit-elle, et que vous importe au fond ? Vous venez de vivre, mon cher ami, un cauchemar affreux, le mieux est encore d’oublier.

Et la jolie Américaine sourit à l’acteur et lui tendit la main.

– Tenez, fit-elle doucement, je vous autorise à la baiser.

Dick s’agenouilla devant la jeune fille, il prit ses doigts fuselés dans les siens, les serra tendrement :

– Merci, murmura-t-il, merci Sarah !

Puis il ajouta d’une voix pénétrée :

– C’est la première fois que vous m’accordez une faveur semblable. Ah, Sarah !

Depuis une quinzaine de jours, l’étrange et riche Américaine dont la présence à Paris et l’existence fastueuse intriguaient tant de gens, était venue s’installer au Lac-Palaceà Enghien. Elle avait brusquement quitté le Gigantic Hôteloù elle occupait un appartement spacieux, dont toutes les fenêtres donnaient sur la place de la Concorde et elle était venue, avec les débuts du printemps, s’installer dans la gentille ville d’eau que les touristes et les joueurs commençaient à fréquenter.

Elle avait retenu le plus bel appartement de l’hôtel et s’était fait affecter un personnel de domestiques qui devait être uniquement à son service.

Depuis le matin même, on lui avait adjoint un majordome, dont la seule mission était de la servir à table et de recevoir les visiteurs qui se présentaient.

Depuis une heure, Sarah était en tête-à-tête avec Dick.

Le jeune artiste, tout vibrant encore d’émotion, tout troublé par le drame qui s’était produit la veille, avait achevé son récit d’une haleine. Mais Sarah semblait désireuse de le voir oublier ce qu’il venait de dire. Elle avait à l’entretenir de nombreux sujets, et, avec condescendance, lui laissait sa main dans les siennes.

D’une voix douce elle lui déclara :

– Écoutez, Dick, un secret me pèse sur le cœur et j’éprouve le besoin de vous le confier. Une autre, peut-être, hésiterait à vous parler comme je vais le faire. Moi, je n’ai pas de ces fausses pudeurs, car nous, filles d’Amérique, n’avons pas été élevées selon les préjugés de l’ancien monde, favorables à la dissimulation. Vous me plaisez, vous me plaisez beaucoup. Et si j’ose interroger mon cœur, je suis certaine qu’il me répondra qu’en vérité, Dick, je vous aime.

– Vous m’aimez, s’écria l’acteur, est-ce possible ?

– Oui. Je suis une femme positive et je vois les choses telles qu’elles sont. Depuis que vous vivez autour de moi, depuis que vous êtes revenu avec moi d’Amérique et que nous nous sommes vus de plus en plus souvent à Paris, j’ai compris, non seulement le sentiment que j’éprouve à votre égard, mais j’ai deviné aussi que je ne vous étais pas indifférente, loin de là.

– Hélas, loin de là, répéta l’artiste, comme vous avez raison, Sarah ! Il y a longtemps que je vous aime éperdument. Mais jamais, au grand jamais, je n’aurais osé vous le dire…

– Pourquoi ?

– Je ne suis qu’un humble comédien. Je n’ai ni talent, ni gloire, ni fortune. En un mot, Sarah, je suis pauvre et vous êtes riche.

– Si ce n’est que cela qui vous retenait, Dick, il fallait parler. Je suis riche, c’est vrai. Tant mieux, puisque je le suis pour deux. Soyez assuré qu’avec moi, vous aurez l’existence la plus heureuse qu’une femme peut faire à l’homme dont elle est éprise. Écoutez, voilà ce que j’ai décidé : les voyages m’ennuient, ce pays de France est peut-être pittoresque, mais il est mesquin, les gens y vivent avec des idées étroites, leurs attitudes sont ridiculement conventionnelles et à l’épanouissement de notre amour, il faut des pays neufs, de vastes horizons. Écoutez, Dick, ce soir, nous prendrons le train tous les deux, demain matin, nous serons au Havre et dans l’après-midi, dans le transatlantique qui, cinq jours après, nous débarquera à New York. Mon père, le milliardaire, sera charmé de vous connaître, lorsque je lui dirai : « Voici l’homme que j’ai choisi pour époux. »

– Grâce, grâce ! supplia Dick, qui se bouchait les oreilles. Ayez pitié, Sarah, vous vous moquez sans doute, ou alors, c’est que je fais un rêve, un rêve insensé, merveilleux, dont je vais m’éveiller brisé de douleur, terrassé par le désespoir, car vous le savez bien, ce serait impossible.

– Impossible ? s’écria Sarah qui ne comprenait pas… Est-ce donc parce que je suis milliardaire et que je peux ainsi braver la fortune, avoir tout ce que je veux, qu’il me serait précisément défendu de choisir pour époux l’homme que mon cœur a librement élu ? Je vous l’ai dit, je veux partir, partir ce soir, tout de suite. Dans six jours, nous serons à New York, dans un mois, nous serons mariés.

L’acteur était devenu très pâle. il se releva, fit quelques pas en chancelant comme un homme ivre, puis vint s’asseoir à côté de la jeune fille.

– Sarah, murmura-t-il, vous ne pouvez pas imaginer l’impression délicieuse qu’ont produite vos paroles sur moi, et il est une chose effroyable, c’est celle que je vais vous avouer : je ne peux pas, je n’ai pas le droit de m’abandonner maintenant à l’amour que j’éprouve pour vous.

– Et plus tard ?

– Plus tard, ce sera le couronnement idéal d’une existence terrible, compliquée, mystérieuse. Plus tard, si vous voulez, Sarah.

– Je n’aime pas être contrariée, et d’ordinaire, les décisions que j’ai prises sont celles de tout mon entourage. Je ne sais pas comment vous faites, vous autres, Français, mais chez nous, il n’est pas d’usage de remettre à une date indéterminée les sentiments de l’amour, comme l’on ferait d’un billet de commerce.

– Sarah, Sarah, gémit l’acteur qui se jeta à ses pieds, ne me jugez pas de cette façon, non, et croyez bien que je suis digne de votre amour. Reconnaissez aussi qu’il est des obligations, des nécessités. C’est pour cela que je suis obligé de vous demander un délai.

Sarah s’était levée, toute frémissante :

– Piètre payeur, déclara-t-elle, que celui qui demande à retarder l’échéance du bonheur. Peut-être avez-vous quelque amour antérieur à chasser de votre cœur, quelque liaison dont il faut vous défaire ?

Dick hocha la tête négativement.

Perfide, Sarah poursuivait :

– Le drame d’hier soir que vous m’avez raconté dénote chez vous, Dick, une sensibilité bien accessible, et peut-être aimiez-vous d’amour cette malheureuse Rose Coutureau ?

Dick ne répondait pas, il semblait atterré. La jeune fille se rapprocha de lui :

– Si cela est, Dick, et s’il n’y a pas autre chose qui vous retienne, comptez sur moi pour vous faire oublier. Car, si je suis malheureuse de l’amour que vous éprouviez pour une autre, mon cœur saigne de la blessure que vous lui faites. Je hais votre attitude et si je vous en veux du mépris dont vous m’accablez, c’est plus fort que moi, Dick, je vous aime, je vous aime, je vous aime !

– Consentez à attendre, j’ai des devoirs à remplir, il est dans mon existence des secrets terribles et d’effroyables obligations auxquelles je ne puis me soustraire. Je vous assure, Sarah, que c’est plus grave que tout et que même devant la menace de la mort, je ne faillirai pas à mon devoir.

– Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, Dick. Encore qu’il soit pénible pour moi de m’humilier et de vous répéter ce que j’aurais dû vous taire, j’ouvre mon cœur et je l’étale sans pudeur à vos pieds : je suis folle de vous Dick, je vous aime, venez, partons, sans attendre un instant ! Aussi bien, n’ai-je point l’habitude d’être contrariée et enfin, s’il faut tout vous dire, votre attitude même, vos réticences, le désir que vous éprouvez de remettre à plus tard l’union de nos deux âmes, tout cela m’inquiète et me fait peur. Qu’y a-t-il donc de si terrible dans votre existence ? Pourquoi ne voulez-vous pas de moi tout de suite ? Quel homme êtes-vous donc ?

– Je ne peux pas vous répondre, Sarah. Sur tout ce que j’ai de plus sacré au monde, croyez que cela m’est impossible. Accordez-moi un délai, quelques mois, quelques semaines peut-être, seulement ; ayez confiance ; je vous demande simplement de rester.

– Et moi, hurla Sarah frémissante, je vous demande de partir, et de partir tout de suite !

Les deux êtres se considérèrent tragiquement et leurs regards pleins d’amour semblaient en même temps chargés de menaces, de défi.

Sarah déclara :

– Voici mes dernières paroles : c’est à prendre ou à laisser.

Le silence se prolongea encore quelques instants. La voix nette et cassante de Sarah retentit encore :

– Partons de suite, ou quittons-nous pour toujours.

– Grâce ! supplia Dick.

Mais Sarah comprit que l’acteur ne voulait pas lui obéir. Pour dissimuler son émotion, elle tourna brusquement les talons et disparut dans la pièce voisine :

– Adieu !

Puis, d’un double tour, elle ferma la porte.

Dick, plongé dans la stupeur la plus profonde, demeura au milieu de la pièce, lorsqu’il se retourna brusquement, ayant entendu marcher.

– Qu’est-ce que c’est ? interrogea-t-il.

Un domestique était là. Le nouveau maître d’hôtel engagé le matin même pour le service particulier de Sarah.

– J’avais cru que monsieur avait sonné, j’avais compris que monsieur avait fini de s’entretenir avec mademoiselle et je lui apportais son pardessus.

Machinalement l’acteur prit son vêtement :

– Ce drôle, pensa-t-il, nous a entendus.

Mais il dédaignait de questionner ce serviteur et s’en alla sans même lui jeter un coup d’œil.

Dick était bien trop ému, en effet, pour prêter la moindre attention au personnel du Lac-Palaceet, sans doute, c’était un tort, car s’il avait regardé avec attention le serviteur qui venait de lui tendre son pardessus, peut-être aurait-il remarqué que le regard de cet homme avait quelque chose de farouche, d’étrange et de mystérieux, quelque chose aussi qui rappelait extraordinairement le regard du tragique comédien qui la veille au soir, avait audacieusement assassiné l’infortunée Rose Coutureau.

Dick était, en effet, à cent lieues de soupçonner que l’homme qui venait de l’inviter délicatement à partir n’était autre que Fantômas.

Le sinistre bandit, décidément, le Maître de l’Effroi, le génie du crime, l’homme aux cent visages, se trouvait sans cesse partout où il avait besoin d’être, et chaque fois qu’on ne l’attendait pas. À peine Fantômas avait-il vu s’éloigner l’acteur que son visage, adroitement maquillé, prit une expression de hideuse satisfaction. Le sinistre bandit, furetant dans le salon comme pour se donner une contenance, allait jusqu’à la porte de la pièce dans laquelle s’était enfermée Sarah. Il écouta :

– Elle pleure, murmura-t-il, elle sanglote, c’est donc qu’elle l’aime. C’est donc qu’elle doit périr.

Et il essaya de tourner le bouton de la porte. Mais un cri de dépit s’esquissait sur ses lèvres :

– Malédiction, elle est enfermée à double tour, et comme je ne veux point de scandale, il va falloir attendre.

Une lueur féroce illuminait ses yeux, cependant qu’il poursuivait à mi-voix :

– Elle n’y perdra rien pour cela.

Dick était sorti précipitamment de l’hôtel. Il ne remarqua point un mendiant qui lui tendait la main. Le jeune acteur était trop préoccupé de son propre chagrin, de ses douleurs personnelles, pour s’émouvoir de la souffrance des autres.

Le mendiant paraissait bien digne de pitié, pourtant. Il était tout courbé sur une canne qui paraissait indispensable pour le soutenir, car il boitait effroyablement. La jambe gauche, repliée, était supportée par une béquille. Quelque pauvre hère, sans doute, victime d’un accident et condamné depuis lors à l’inaction, à la mendicité.

Cet impotent, toutefois, semblait bien impatient, car sitôt Dick sorti de l’hôtel, il n’attendit pas le passage d’un autre client moins distrait et plus généreux et déguerpit aussi vite que le lui permettait son infirmité, laquelle, d’ailleurs, semblait le gêner de moins en moins au fur et à mesure qu’il s’écartait de la façade de l’hôtel.

Soudain l’homme murmura ces étranges paroles :

– Maintenant que je sais qu’ils étaient là tous les trois. Il ne me reste plus qu’à tirer l’affaire au clair et à déterminer ceux auxquels il importe de mettre la main au collet.

L’infirme, soudain, venait de rencontrer un cuisinier de l’hôtel qu’il aborda familièrement. Ce cuisinier, d’ailleurs, l’interrogeait en ces termes :

– Eh bien, patron, mes renseignements étaient-ils bons ?

Le mendiant infirme répondit :

– Excellents, mon cher Michel. Nous allons certainement aboutir à quelque chose, et avant ce soir.

L’homme qui venait de s’exprimer ainsi, qui s’était adressé à Michel, inspecteur de la Sûreté déguisé en garçon de cuisine, n’était autre que Juve, le célèbre et subtil policier. Par suite de quelles circonstances Juve se trouvait-il donc là ?

Deux heures auparavant, le policier était à la gare du Nord et se disposait à prendre le train pour Enghien. Fandor était venu l’accompagner. Juve avait dit au journaliste :

– Voilà pas mal de temps déjà que je suis sur la piste de cette charmante Américaine, qui me fait l’effet d’être très mystérieuse et d’avoir dans ses relations des gens qui, de près ou de loin, doivent être affiliés à la bande de Fantômas. Elle était indirectement mêlée à l’affaire des billets de banque volés. Je l’ai retrouvée dans le Cercle de la rue Fortuny. Elle a disparu soudain de Paris pour aller s’installer à Enghien, elle est intime avec l’acteur Dick, lequel acteur, précisément, a été remplacé hier soir dans son rôle au Théâtre Ornanopar un effroyable assassin qui n’est autre, j’en suis sûr, que Fantômas. Qu’est-ce que tout cela signifie ? Il faut que je le sache. C’est pourquoi je me rends à Enghien où je sais, par mes rapports, que l’acteur Dick doit venir voir son amie Sarah. Viens-tu avec moi, Fandor ? tu pourrais m’être de quelque utilité…

Le journaliste, toutefois, avait rougi imperceptiblement, il avait décliné l’offre de Juve.

– Écoutez, mon bon ami, fit-il, si vous n’avez pas un besoin pressant de moi, aujourd’hui, laissez-moi donc. J’attends quelqu’un que je ne voudrais pas manquer, sauf dans un cas extraordinaire.

Juve aux paroles de Fandor avait souri :


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