Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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Et, lady Beltham qui, elle, restait fidèle à cet amant redoutable, mais séduisant, pour lequel elle était tombée jusqu’au crime, devenait affreusement jalouse et connaissait aussi la peur, les affres douloureuses du soupçon.
Par un revirement subit et violent, la grande dame désormais ne se posait plus la question :
– M’aime-t-il encore ?
Son cœur d’amante effroyablement bouleversé, torturé à l’idée bientôt hallucinante, lui suggérait l’horrible certitude :
– Il en aime une autre ! Qui ? Quelle est cette femme ?
Lady Beltham dormit mal.
Elle n’avait point eu la force de toucher au repas que ses domestiques lui avaient servi. Elle connut d’abominables cauchemars. Plus de vingt fois dans la nuit, elle se réveilla haletante, la gorge serrée par une convulsion douloureuse, avec l’impression subite qu’on l’étranglait, qu’on la tuait. Lady Beltham, alors, d’un doigt fiévreux, tournait le commutateur électrique placé près de son lit. La lumière aveuglante lui permettait de voir sa chambre vide. À l’aspect paisible de la pièce, à l’air familier des meubles et des bibelots, la hantise se dissipait. Elle sourit presque de ses craintes, le sommeil l’emportait à nouveau, et puis encore brusquement, la peur la faisait se dresser sur son lit, effarée avec le goût de la mort aux lèvres et au cœur.
À huit heures du matin seulement, lady Beltham cessa de se débattre dans ces horribles cauchemars.
Sa femme de chambre entra et, lui apportant son petit déjeuner, annonça :
– Madame la comtesse a une lettre.
– Bien, Marie, donnez !
La femme de chambre partie, lady Beltham repoussa le déjeuner préparé sur un plateau à côté d’elle et s’empara de l’enveloppe qu’on venait de lui remettre.
– Mon Dieu, murmura la pauvre femme, qui donc peut m’écrire si ce n’est lui ?
Et lady Beltham, affolée, lut cette lettre surprenante :
Pour lady Beltham, 214, avenue Niel.
Madame,
Il faut que tout se paie et les crimes que vous avez accumulés méritent un châtiment exemplaire. N’avez-vous jamais eu de remords ? Ne vous êtes-vous jamais dit qu’un jour viendrait où la vengeance de vos victimes vous atteindrait sans merci, sans pitié ? Veuillez croire que, quelque tentative que vous fassiez pour échapper à votre destin, lady Beltham, vous mourrez le sept de ce mois, exécutée par celui qui vous écrit aujourd’hui et qui vous hait.
Il n’y avait pas de signature. Mais que voulait dire ce billet ?
Lady Beltham était si affolée par son étrange teneur qu’elle le relut plus de vingt fois sans en comprendre le sens.
Que voulaient dire ces phrases énigmatiques ? Que signifiait cette lettre adressée à la comtesse de Blangy, et dans laquelle il n’était parlé que de lady Beltham ?
Ah, sans doute, la malheureuse amante de Fantômas ne pouvait s’y tromper.
La lettre qu’elle recevait ce matin-là, c’était la lettre qu’avait annoncée la mère de Rose Coutureau, c’était la lettre de mort qui lui annonçait son assassinat.
Lady Beltham, sans en avoir conscience, relut les mots à haute voix :
Le sept de ce mois, vous mourrez exécutée par celui qui vous hait
Le sept de ce mois.
Elle jeta les yeux sur un mignon calendrier posé sur un petit secrétaire dans l’angle de sa chambre.
– Nous sommes le 5, murmurait lady Beltham, je n’ai donc plus que deux jours à vivre.
Un grand froid l’envahissait et son cœur cessait de battre.
– Dans deux jours je serai morte.
Elle répétait cette horrible chose avec une impassibilité qui tenait de la folie.
Était-ce bien possible pourtant ?
Et puis que de détails étranges ! Pourquoi cette lettre parlait-elle de châtiment et de vengeance ?
Qui donc pouvait la châtier ? Qui donc pouvait se venger d’elle ?
Lady Beltham examinait avec une angoisse folle la grande écriture inconnue.
Certes, elle ne s’était pas trompée. C’était une écriture déguisée, une écriture voulue, imitée, et lady Beltham se répéta soudain avec une persuasion absolue :
– C’est Fantômas qui m’écrit ! C’est Fantômas qui veut me tuer, et s’il a fait sa lettre énigmatique, si elle est conçue en des termes bizarres, c’est sans doute qu’il a voulu éviter jusqu’au dernier moment que je puisse éviter la mort qu’il me prépare.
Et elle songeait encore :
– C’est bien de lui, d’ailleurs, cette froide cruauté : prévenir d’avance la victime qu’il menace. Me tuer pour se débarrasser de moi, ce n’était pas assez. Il a voulu que je sache que j’allais mourir. S’il est venu hier c’était pour guetter sur mon visage les frissons de ma peur.
Lady Beltham relut posément le billet menaçant ; puis elle le plia, elle resta quelques instants à méditer et soudain elle sonna.
– Marie, commandait la grande dame à la femme de chambre qui accourait, dépêchez-vous de m’habiller, je dois sortir.
Lady Beltham, en effet, se leva en toute hâte. Elle fit sa toilette avec rapidité, elle revêtit un tailleur qui la moulait et la faisait plus divinement élégante que d’habitude, puis, ayant serré la lettre de mort dans une bourse en or d’un travail précieux, elle sortit, elle descendit l’avenue Niel.
Lady Beltham, à cet instant, avait un visage farouche et résolu.
Quelle décision avait-elle donc prise ? Où donc se rendait-elle ?
La comtesse de Blangy possédait une superbe automobile. Elle n’avait point fait demander son chauffeur. C’est à pied qu’elle monta vers l’Étoile et, de temps à autre, elle se retourna comme pour être certaine qu’on ne la suivait pas.
Parvenue à l’Arc de Triomphe, lady Beltham appela un taxi-auto. Le véhicule se rangea contre le trottoir, elle ouvrit la portière, mais, prête à jeter l’adresse au cocher, la maîtresse de Fantômas hésita :
– Mon Dieu, murmurait lady Beltham, dois-je réellement en arriver là ? C’est presque une trahison.
Puis, ses sourcils se froncèrent.
– Nous sommes le 5 et je dois mourir le 7.
Elle eût peut-être longtemps hésité, elle eût peut-être tardé encore, si le chauffeur étonné de son attitude ne l’avait interrogée :
– Où dois-je conduire madame ?
Lady Beltham répondit d’une voix étrange :
– Quai des Orfèvres, à la Préfecture !
***
Il y a loin de l’Arc de Triomphe aux locaux de la Sûreté, et pourtant il parut à lady Beltham qu’une minute à peine s’écoulait entre le moment où sa voiture démarrait et le moment où elle s’arrêtait à la porte de la Préfecture de police.
Lady Beltham était alors plus morte que vive.
C’est en automate qu’elle tendit au cocher un louis dont elle n’attendit pas la monnaie.
C’est en automate qu’elle pénétra sous la voûte, qu’elle avisa la loge du concierge.
Le fonctionnaire, brave homme et perpétuellement dérangé, en apercevant cette jeune femme, n’hésita pas :
– Vous demandez les objets trouvés ? dit-il. Au fond et à gauche, vous n’avez pas fait de recherches encore ?
Mais lady Beltham ne l’avait même pas entendu.
– Je voudrais parler à l’inspecteur Juve, dit-elle.
– Affaire personnelle ? demanda le concierge qui se leva.
– Affaire personnelle, oui.
– Madame, il faut alors vous rendre au deuxième étage et demander à parler à l’inspecteur en chef. Il verra Juve. La consigne interdit, en effet…
– Il faut que je vois Juve, articula lady Beltham.
Et elle parlait avec une telle autorité, elle semblait si résolue à rencontrer l’inspecteur, que le concierge hésita.
Juve, à la Préfecture, jouissait naturellement d’une considération toute spéciale. Les ordres généraux n’étaient point pour lui, il était mêlé à tant d’affaires, ses luttes continuelles avec Fantômas lui valaient tant de troublantes aventures que bien des fois les consignes les plus formelles étaient enfreintes pour lui.
– Suivez-moi, disait le concierge.
Il précéda lady Beltham, il la guida à travers l’énorme bâtiment jusqu’à un petit salon, un parloir modeste, pauvrement meublé de quatre chaises de paille, d’une table recouverte d’un drap vert, aux murs tapissés d’un papier vert encore. Des cadres pendaient, donnant la liste des victimes du devoir.
– Madame, s’informait le portier, voulez-vous me donner votre nom ? Je vais aller voir si M. Juve est là, et s’il veut vous recevoir.
Lady Beltham ne répondit pas. Elle tira de sa bourse un porte-mine, une carte gravée au nom de la comtesse de Blangy, elle inscrivit au-dessous d’une main tremblante :
Lady B.
Plus bas et soulignant le mot :
Urgent
– Portez cela, faisait encore la grande dame, Juve me recevra.
Dix minutes plus tard, Juve en personne entrait dans le cabinet.
Juve, en recevant l’extraordinaire carte que le portier lui faisait passer en y ajoutant une description enthousiaste de la jolie dame qui l’attendait au parloir, Juve avait pensé crier de stupéfaction.
– Comment, c’était lady Beltham qui venait le voir à la Sûreté ? Lady Beltham qui le demandait ?
Juve en était stupide de surprise.
Le premier mouvement du policier avait été alors de bousculer le concierge et de se précipiter en toute hâte vers lady Beltham. Mais Juve ne suivait jamais son premier mouvement, il répondit donc tout tranquillement :
– C’est bien, je vais aller trouver cette dame.
Puis, il se prit le front à deux mains et il réfléchit :
– Pourquoi diable lady Beltham est-elle là ? se demandait-il, et quelle attitude dois-je avoir avec elle ?
Juve songeait que, pour que lady Beltham fût venue le trouver, il fallait que la maîtresse de Fantômas eût été contrainte à cette démarche par de terribles événements.
– Il est impossible, décidait Juve, qu’elle soit ici autrement qu’en vaincue. Triomphante, lady Beltham ne voudrait même pas savoir que j’existe.
Juve réfléchit encore, puis, se rendit dans le salon où l’attendait la maîtresse de Fantômas.
Ah certes, il était ému le bon Juve ! Ému au plus haut point en pensant qu’il allait se trouver en face de l’énigmatique personne.
– Si elle voulait parler ? pensait Juve. Si elle voulait vraiment être franche, une heure seulement, Fantômas tomberait en mon pouvoir et c’en serait à jamais fini des exploits du Maître de l’Effroi.
Mais lady Beltham allait-elle parler ?
Juve entrait dans la petite pièce où la maîtresse de Fantômas l’attendait en baissant les yeux.
Il eut le tact de ne point dévisager l’étonnante grande dame. Il s’inclina au contraire très bas devant elle, avec la courtoisie parfaite dont il savait user quand bon lui semblait, et c’est d’une voix très douce qu’il fit cette étrange déclaration :
– Lady Beltham, vous avez fait demander l’inspecteur Juve. Ne croyez pas que ce soit lui qui soit devant vous, c’est un homme tout autre, c’est quelqu’un qui devine que vous êtes malheureuse, qui est prêt à faire trêve dans la guerre qu’il vous livre, qui vous écoute et qui ne pense pas à abuser de la confiance que vous lui témoignez en venant le trouver.
C’était bien là, assurément, les mots qui pouvaient le plus toucher la malheureuse maîtresse de Fantômas. Lady Beltham, en voyant entrer Juve, avait blêmi.
En écoutant ses paroles, un flot de sang empourprait son front, une fièvre ardente lui faisait battre le cœur.
– Je vous remercie, Juve, disait lady Beltham. Je savais qu’en m’adressant à vous, je serais comprise. C’est une malheureuse qui vient vous trouver. C’est une malheureuse qui vient demander votre protection. La lui refuserez-vous ?
– Madame, je n’ai jamais refusé d’aider ceux qui se sont adressés à moi. Que puis-je pour vous ?
Juve était étonné, bouleversé même de l’émotion qui se peignait un instant sur le visage de lady Beltham.
– Ce que je veux de vous, répondait sourdement la superbe créature, c’est la vie. Juve, je suis condamnée à mort !
Elle avait parlé très bas, mais si bas qu’elle eût articulé ces mots, Juve n’en n’avait pas perdu un seul :
– Vous êtes condamnée à mort ? Que dites-vous là, lady Beltham ? Condamnée à mort par qui ?
Mais lady Beltham n’était pas femme à reculer devant une torture morale. Elle était venue trouver Juve sous l’aiguillon de la peur, elle souffrait terriblement dans son orgueil autant que dans son cœur, et pourtant, elle ne voulait pas être lâche vis-à-vis d’elle-même. Elle se complaisait dans ces souffrances, dans sa propre torture.
– Juve, cria lady Beltham, je dois vous dire tout au moment où j’implore votre protection. Si je suis ici devant vous, c’est qu’il faut que vous me protégiez. Oui, je suis condamnée à mort et celui qui va me tuer, c’est Fantômas.
Épuisée par l’effort qu’elle faisait ainsi en dénonçant son amant, lady Beltham, haletante, tomba sur une chaise. Des larmes roulaient sur ses joues, mais si l’émotion la bouleversait à ce point, l’âme demeurait vaillante.
Elle ne laissa pas à Juve le temps de répondre :
– Tenez, lisez ! cria-t-elle.
Et elle tendait à Juve le billet reçu par elle le matin même :
– Nous sommes le 5, et c’est le 7 que je dois mourir. Juve, Juve, sauvez-moi ! Voici tout ce que je sais.
Lady Beltham alors, d’une voix âpre, violente et qui, par moments, cependant se voilait de sanglots, fit à Juve le récit de ses dernières aventures. Elle dit l’étrange visite de la vieille femme. Elle nomma Rose Coutureau, une inconnue pour elle, elle précisa enfin la visite que lui avait faite la veille encore Fantômas.
– Juve, disait lady Beltham, j’ai aimé cet homme plus que ma vie, plus que mon honneur, mais aujourd’hui, il me fait horreur ! Ah, je n’aurai jamais le courage de vous le livrer, ne me demandez pas de vous indiquer où vous pourriez l’arrêter. Cela non, je ne le vous dirai jamais, je ne m’abaisserai pas à le trahir, mais sauvez-moi de lui ! J’étais résignée à tout, je ne peux pas me résigner à mourir par lui, par lui que j’aimais.
Juve ne répondit pas, il comprenait l’épouvantable angoisse de lady Beltham.
Il devinait ce que souffrait la malheureuse qui, sans doute, aimait encore Fantômas, mais qui n’était plus aimée de lui.
Lady Beltham pouvait dire : « sauvez-moi de lui ! ». Elle ne dirait jamais :
– Arrêtez-le.
Juve comprenait. Il se rendait compte qu’il serait inutile d’essayer de pousser la maîtresse de Fantômas à ce qu’elle appelait elle-même une trahison.
Et, tout en jugeant que lady Beltham ne l’aiderait pas à prendre Fantômas, Juve se rappelait les crimes odieux de cette femme, sa complicité tacite avec Fantômas, qui, sans elle, aurait été depuis longtemps mis dans l’impossibilité de nuire.
– Dois-je la protéger ? se demandait l’irréductible ennemi du Maître de l’Effroi.
Juve se sentait l’âme d’un justicier. À l’heure où lady Beltham venait lui demander de la sauver, Juve s’interrogeait :
– Ai-je le droit d’arrêter la justice immanente ?
Mais, si lady Beltham avait été coupable, si elle méritait le châtiment qui semblait la menacer, n’était-ce pas en raison de son amour, de cet amour malheureux qu’elle avait eu pour Gurn, et qui, petit à petit, de chute en chute, de honte en honte, en avait fait ce qu’elle était ?
– Elle a aimé, pensait Juve, et c’est là sa grande faute. Amoureuse, cette femme ne pouvait pas agir autrement qu’elle a agi. Or, son amour, d’abord, n’a pas été à un criminel, son cœur avait été surpris, c’était Gurn qu’elle avait aimé, et seule la Fatalité a voulu que Gurn soit devenu Fantômas.
Juve redressa lentement la tête.
– Madame, répondait-il d’une voix douce et pitoyable, je ne vous demande aucune confidence. Je ne vous interrogerai pas. Vous avez peur et vous êtes menacée, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Rassurez-vous, vous savez trop ce que vaut l’adversaire qu’il va nous falloir combattre, pour que j’essaye de vous tromper avec des affirmations absolues. Pourtant, il y a quelque chose que je puis vous promettre, c’est que je ferai tout au monde pour vous sauver et que, dès cette seconde, vous êtes sous ma protection.
18 – MORTE ? ? ?
Juve avait visiblement fait effort sur lui-même pour décider d’accorder sa protection à lady Beltham, et surtout, pour ne pas décider la malheureuse femme à lui faire quelques confidences relatives à Fantômas.
Juve, toutefois, lorsqu’il avait pris une décision, lorsqu’il avait résolu d’agir, se gardait de toute hésitation. Il avait été fortement tenté d’abandonner lady Beltham à son sort. Il avait pensé que la crainte où était la malheureuse était une expiation légitime de ses forfaits, mais il s’était rendu compte aussi que son devoir d’homme, plus même que de policier, ne lui permettait pas de laisser s’accomplir un assassinat, et dès lors que le devoir était en jeu, il n’était plus capable d’éviter l’impérieuse obligation où sa conscience le mettait d’agir, et d’agir sans tarder.
– Madame, répétait Juve, dès cette seconde, vous êtes sous ma protection. Je ferai tout au monde pour vous sauver.
Juve, en effet, se hâta de prendre des mesures qu’il jugeait indispensables à la sécurité de lady Beltham. Il n’y avait pas d’hésitation. Pour lui, d’ailleurs, c’était bien Fantômas, et Fantômas seul, qui pouvait menacer la malheureuse qui venait d’implorer sa pitié.
– Un homme de la trempe du tortionnaire, songeait Juve, ne recule devant rien. Lady Beltham, sans doute, le gêne pour une de ses entreprises. Cette femme l’embarrasse de remords perpétuels. Il aime ailleurs peut-être. C’est en tout cas un obstacle sur sa route. Il veut la tuer, c’est logique, c’est naturel de sa part.
Juve, cependant, s’il avait été sincère avec lui-même, serait convenu d’une autre pensée qui, sournoisement, le hantait.
– Fantômas a adoré lady Beltham, se disait Juve et lady Beltham s’est à ce point, dévouée à Fantômas, qu’il semble bien difficile d’admettre que le bandit ait pu décider de la tuer, et surtout qu’il ait poussé la cruauté jusqu’à l’en prévenir à l’avance par un raffinement dont l’horreur est centuplée.
Et Juve se prenait à espérer que, peut-être, Fantômas n’avait voulu qu’effrayer lady Beltham, la décider à s’enfuir, à disparaître, à s’écarter de sa route.
Fantômas, d’ailleurs, avait agi curieusement.
Plus Juve étudiait les détails étranges des aventures que lui soumettait lady Beltham, et moins il réussissait à les comprendre. Il y avait dans l’ensemble des faits : le vol de Rose Coutureau, l’annonce de la lettre par une vieille femme, la lettre elle-même, tant de mystères qu’il était imprudent de vouloir, en quelques instants, débrouiller l’intrigue emmêlée de ces ténébreuses affaires.
– Attendons, se disait Juve, et en tout cas, sauvegardons cette femme.
Un autre que le policier eût sans doute, à cet instant, songé qu’il était fort possible que toutes les paroles de lady Beltham fussent d’affreux mensonges. Un autre se serait demandé, sans aucun doute, si lady Beltham ne cherchait pas à attirer Juve dans un piège quelconque et cela sous l’inspiration de Fantômas.
Mais Juve n’avait pas cette crainte. Il n’avait même pas pensé à cette hypothèse.
Non, la douleur de lady Beltham, son effroi, sa peur, étaient sincères, réels, ce n’était pas une femme qui jouait la comédie qu’il avait devant lui.
Juve, posément, méthodiquement, logiquement, interrogeait lady Beltham. Il se faisait d’abord conter avec une minutie extrême tout ce que la grande dame pouvait savoir des dangers qu’elle courait. C’était si peu de chose que Juve n’en tirait aucun renseignement, et d’ailleurs, au fur et à mesure que la maîtresse de Fantômas lui répondait, Juve paraissait de plus en plus préoccupé :
– Madame, dit enfin le policier, interrompant lady Beltham, j’ai un aveu à vous faire.
– Lequel, Juve ?
– Celui-ci : je vous ai promis de vous protéger, je considère que c’est mon devoir et je n’y faillirai pas. D’autre part, vous m’avez dit vous-même, madame, que votre devoir vous empêchait de m’aider à arrêter Fantômas. Vous jugez qu’une trahison serait indigne de vous, ce sont bien là vos sentiments ?
– Oui, Juve.
– Je le comprends. Eh bien, madame, je dois vous avouer que si je veux réellement vous protéger, il faut aussi, et ce sera une autre partie de mon devoir, que je tâche encore et toujours d’appréhender votre sinistre amant. Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque honteuse entre nous, nous ne sommes pas amis, madame, nous pouvons être des ennemis sans haine. Vous comprenez dans quelle situation délicate je me trouve ? J’accepte de vous sauvegarder, mais je revendique le droit de continuer à poursuivre Fantômas, même et surtout en vous sauvegardant. Acceptez-vous ?
– Sauvez-moi ! répondit simplement lady Beltham.
C’était presque un abandon que consentait ainsi la maîtresse de Fantômas mais comment refuser à Juve ce qu’il demandait ? Comment le détourner de vouloir arrêter Fantômas ?
Et puis, lady Beltham, au fond de son cœur, n’avait-elle pas, par moments, un commencement de révolte à l’égard de celui qu’elle accusait de comploter sa mort ?
Juve, désormais, ayant mis en paix sa conscience par l’aveu qu’il venait de faire à lady Beltham, machinait en grande hâte une souricière qui devait, infailliblement, amener la capture du bandit.
Il obtint sans grand-peine de M. Havard que l’on mît quatre agents sous ses ordres :
– Donnez-moi Léon et Michel avec qui j’ai l’habitude de travailler, demandait Juve. Donnez-moi enfin Nalorgne et Pérouzin, dont l’automobile peut m’être précieuse.
M. Havard ayant laissé à Juve toute latitude pour organiser comme bon lui semblerait l’enquête qu’il s’apprêtait à mener, le policier se rendait chez lady Beltham, chez la comtesse de Blangy plutôt, avenue Niel.
– Vous allez commencer, ordonnait Juve, par renvoyer tout votre personnel. Il faut qu’il n’y ait personne ici qui puisse être accusé de complicité.
– Je ferai ce que vous voudrez, Juve.
Lady Beltham était si accablée qu’elle consentit à tout ce que voulait le policier, avec l’indifférence réelle de ceux qui vont mourir.
Les domestiques congédiés, Juve employait la nuit du cinq au six, puis encore la journée du six, à une étrange besogne. Aidé de Léon et Michel, il sondait minutieusement les murs, le sol de la chambre où couchait lady Beltham.
– Fantômas est capable de tout, murmurait de temps à autre, le policier, donc il faut se méfier de tout.
Et Juve ne laissa pas un pouce de muraille inexploré. Il s’assurait, avec son habileté coutumière, que l’appartement n’était pas, ne pouvait pas être truqué, même il poussait les précautions jusqu’à garnir de planches épaisses, de madriers de chêne, une des deux portes de la chambre à coucher de lady Beltham.
– Une porte à surveiller, disait Juve, c’est déjà beaucoup, c’est déjà bien assez.
La fenêtre, pareillement, fut enclouée.
– Madame, disait Juve, c’est un véritable siège qu’il faut vous attendre à soutenir, et par conséquent, il faut renforcer les barricades.
Juve, d’ailleurs, avait intimé à lady Beltham l’ordre exprès de ne point s’écarter de lui. Et lady Beltham, qui ne savait pas comment la police procédait, s’effarait de plus en plus en considérant le soin avec lequel Juve préparait les travaux de défense, pour ce qu’il appelait : un siège.
– Vous courrez le plus grand danger dans la nuit du six au sept, expliquait Juve. Lorsque Fantômas s’est permis d’annoncer à l’avance un assassinat – et cela hélas, lui est déjà arrivé, – il a toujours tenu parole à l’heure fixe, à la date choisie. J’ai donc tout lieu de croire que si réellement nous arrivons à éviter pour vous tout danger jusqu’au sept au soir, vous serez hors d’atteinte, et peut-être Fantômas sera dans nos mains. D’ici là, tout est danger, tout est péril.
Mais, en vérité, Juve multipliait à ce point les précautions, qu’il apparaissait bien que si Fantômas avait réellement l’intention de tuer lady Beltham, il devrait y renoncer.
Le policier, en effet, poussait le soin jusqu’à envoyer par Nalorgne et Pérouzin, accompagnés de Michel, tous les aliments de lady Beltham au Laboratoire municipal, où ils étaient scrupuleusement analysés. Lady Beltham, de la sorte, ne pouvait pas être empoisonnée.
Juve, de même, avait pris des précautions savantes pour éviter qu’une balle de revolver ou de fusil ne vînt brusquement déjouer ses ruses, comme cela était arrivé tout dernièrement pour le malheureux Timoléon Fargeaux [27].
Sur la fenêtre enclouée, Juve avait rabattu les volets de fer et, entre les carreaux et les persiennes, fait disposer une épaisse couche de coton. Juve, enfin, pensait n’avoir omis aucun détail, aucune idée susceptible d’augmenter la sécurité de lady Beltham.
L’appartement qu’occupait cette dernière, avenue Niel, étant situé au rez-de-chaussée, Juve, après avoir visité les lieux, avait d’urgence réclamé à la Préfecture six nouveaux agents de la Sûreté. Trois étaient postés par lui à quelque distance dans l’avenue Niel, où ils devaient seconder le zèle malheureux, et le plus souvent maladroit de Nalorgne et Pérouzin, un autre était posté sur le toit de l’immeuble, les deux derniers devaient s’enfermer dans l’appartement avec Juve.
Le six au soir arriva enfin. Juve mit la main aux derniers préparatifs. Le policier jeta un coup d’œil satisfait à la chambre de lady Beltham, transformée en véritable casemate blindée.
– Là, déclarait-il en se frottant les mains, entrez, madame, et préparez-vous à ne pas sortir avant deux jours au moins. Vous pouvez vérifier d’ailleurs, que vous ne courrez réellement aucun danger. La fenêtre est bouclée, une de vos portes est barricadée de façon inébranlable, enfin, cette nuit même, moi, Léon et Michel, nous veillerons à votre porte, immédiatement devant l’entrée de votre chambre. Vous savez où sont les autres agents, et j’imagine en conséquence que vous vous rendez bien compte qu’il serait absolument impossible à Fantômas de vous approcher sans se faire prendre à l’instant même.
Juve l’interrogea :
– Vous n’avez plus peur ?
– Je n’ai plus peur, répondit lady Beltham.
Mais, en entrant dans cette chambre, que la police venait de mettre à l’abri des tentatives criminelles de son amant, lady Beltham frissonnait.
Il était évidemment sot d’avoir peur, et pourtant, elle ne pouvait se sentir rassurée, elle qui savait que Fantômas était partout, quand bon lui semblait, comme bon lui semblait, et, en dépit de tout ce que l’on pouvait tenter pour l’empêcher de mettre à exécution ses décisions infernales.
– Juve, déclarait lady Beltham, comme le policier lui souhaitait bonne nuit, Juve, je vous remercie de ce que vous avez fait pour moi. Quoi qu’il arrive, souvenez-vous que du fond du cœur, je vous rends grâce.
– Quoi qu’il arrive ? demanda Juve.
Le policier avait tâché de plaisanter, encore qu’il en eût peu envie, lorsque lady Beltham, ne lui laissant pas le temps de répondre, ferma la porte de sa chambre, qu’elle verrouilla à l’intérieur.
Juve, à cet instant, faisait piètre figure, si piètre figure même que Michel, qui faisait les cents pas dans la galerie devant la porte de la chambre de lady Beltham, plaisanta un peu l’inspecteur de la Sûreté :
– Voyons, chef, disait-il, il me semble que nous pouvons dormir sur les deux oreilles, que diable ! Nous avons vérifié l’épaisseur des murailles, il n’y a qu’une porte et nous sommes devant. Nous avons des agents dans la rue et sur les toits, je ne vois pas…
– Michel, dit Juve, vous ne voyez pas ce que Fantômas pourrait faire ? Hélas, c’est précisément parce que nous ne voyons pas cela que cela est à redouter.
Et, en employant ce terme indéfini, ce terme qui ne voulait rien dire : « cela », cela, qui signifiait tout et rien, Juve évoquait tant d’horreurs, tant d’effroyables mystères, que Michel, ému à son tour, se taisait, se rendant compte subitement qu’il avait peut-être parlé vite, et parlé à la légère.
***
Ce même soir, à minuit, un homme se glissait à l’intérieur du cabaret du père Korn. Cet individu paraissait nerveux, et, tenant évidemment à ne pas être vu, portait le col de son veston relevé, enfonçait sur sa tête une casquette épaisse, et se coulait le long des banquettes vers le coin le plus sombre du bouge.
Cet homme était Fantômas.
L’extraordinaire bandit s’était, ce soir-là, si bien grimé, avait si bien changé sa mine, affectait une démarche si différente de sa démarche habituelle que personne ne le reconnaissait parmi les habitués du cabaret, personne ne prêtait même attention à lui.
Il y avait là pourtant nombreuse réunion, et réunion de gaillards réputés pour leurs crimes, célèbres aussi pour avoir appartenu plus ou moins à la bande de Fantômas.
Debout contre le comptoir, le Bedeau trinquait avec Mort-Subite. Tous deux faisaient grand tapage, jouant à tour de rôle des consommations qu’ils engloutissaient à la minute, à une sorte de zanzibar, en s’efforçant de tricher.
Plus loin, groupés autour d’une table, Tête-de-Lard, Beaumôme, la grande Berthe, remise en liberté, en raison du retrait de la plainte de la comtesse de Blangy, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz écoutaient l’inénarrable Bouzille qui faisait des projets d’entreprise :
– Moi, déclarait Bouzille, j’vas m’établir fromager. Vendre du fromage, ça doit être un bon truc. D’abord, on n’a pas besoin de faire de la publicité, la marchandise sent tellement fort qu’à dix kilomètres à la ronde le client est prévenu qu’il est dans les parages.
– Vrai Dieu ! s’écria Œil-de-Bœuf, qui paraissait entre deux vins et buvait avec conviction les plus forts mélanges du père Korn. Vrai Dieu, il exagère, le patron !
– Quel patron ? demandait Bec-de-Gaz.
– Fantômas.
Naturellement, au nom de sang, au nom du Tortionnaire, au nom du Glorieux – car pour tous les apaches, Fantômas passait pour une véritable Gloire –, l’intérêt se manifestait sur tous les visages :
– Fantômas, criait-on, t’en as des nouvelles, Œil-de-Bœuf ? Ouss’ce qu’il est ?
Et, de fait, tous les bougres réunis là pouvaient se demander ce qu’était devenu le bandit.
Depuis l’affaire de l’autobus, depuis l’affaire de la Banque, sauf aux Buttes-Chaumont, nul dans la pègre ne l’avait revu.
Tête-de-Lard était le dernier qui lui avait parlé, et naturellement, chacun songeait qu’un jour ou l’autre, Fantômas reviendrait se mettre à la tête de la bande.
– Ce qu’il médite, continuait pourtant Œil-de-Bœuf, vous ne le savez pas, les copains ?
– Non, quoi ?
– Paraît qu’il va zigouiller sa gonzesse !
Mais à ces mots, la stupéfaction se peignit sur tous les visages. Certes, personne, parmi tous ces apaches ne connaissait exactement la vie de Fantômas, ce qu’il voulait, ce qu’il faisait, ce qu’il était en réalité. Pourtant, les uns et les autres soupçonnaient à peu près, s’ils ne le savaient point véritablement, que Fantômas avait une maîtresse qui s’appelait lady Beltham, qui était une femme de la haute et qui l’aimait tendrement. Les journaux, à maintes reprises, avaient parlé de cette énigmatique personne. Interrogé sur ce point, Fantômas avait dédaigné de répondre, mais cependant avait laissé entendre qu’il était vrai qu’il avait une maîtresse et qu’il l’aimait. Et voilà que c’était cette femme, cette « gonzesse-là » qu’il se préparait à tuer. Ah ! Œil-de-Bœuf en avait de bonnes ! La société réunie dans le bouge s’étonnait.