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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

L’ASSASSIN DE

LADY BELTHAM

18

Arthème Fayard

1912

Cercle du Bibliophile

1970-1972

 

Révision et Annotations

de PMV

2012

1 – L’AUTOBUS 412

– Te v’là déjà, Bourdier ?

– Déjà ? J’ai sept minutes de rabiot sur mon horaire et tu trouves que je suis en avance ? T’es pas difficile !

– Sept minutes, c’est pas une affaire…

– N’empêche que c’est toujours autant de pris sur le temps de mon manger. Va falloir qu’on se dégrouille, nous sommes d’ailleurs tous en retard. C’est rapport à un mariage qui nous a barré la route sur les boulevards devant l’Opéra. Regarde plutôt les autres comme ils s’amènent sans interruption à la queue leu leu !

L’homme, qui venait de parler ainsi désignait d’un geste une demi-douzaine d’autobus qui, après un virage savant sur le boulevard Saint-Germain, à la hauteur de la station de Saint-Germain-des-Prés, venaient se ranger sur les bas-côtés, prêts à repartir de cette tête de ligne, pour gagner l’autre extrémité de leur parcours.

Cet individu était le conducteur du premier des véhicules arrivés au terminus, le N° 412, autobus de la ligne Montmartre-Saint-Germain-des-Prés [1].

Il était rapidement descendu de son siège, et, cependant qu’il échangeait quelques mots avec un ouvrier portant la casquette de la Compagnie, il avait retiré de sa poche sa montre d’argent. Il continua après l’avoir considérée :

– Déjà une heure quinze, je n’ai que le temps d’aller croûter, si je veux être revenu pour deux heures. Sacrée journée ! Quand on a commencé en retard comme ce matin, pas moyen de se rattraper.

Il s’éloignait, lentement d’ailleurs, ne semblant faire aucun effort pour regagner le temps qu’il déplorait d’avoir perdu.

L’autre homme, l’ouvrier, ne s’éloignait pas. C’était celui qu’on appelait « le panneur », c’est-à-dire le personnage chargé de prévenir les pannes, de les découvrir, au besoin d’y remédier.

Son poste était toujours la tête de ligne, et il avait pour mission, dès qu’une voiture arrivait en station, d’en vérifier rapidement les organes et de s’assurer qu’un autobus pourrait partir sans risquer de s’arrêter en route. Le « panneur », après avoir constaté que tout était en ordre sous le capot, se hissa sur le haut du siège et fit jouer les leviers. Il remarqua qu’ils avaient du jeu. Il grogna, haussant les épaules :

– C’est terrible. Une voiture presque neuve ! Et voilà déjà qu’ils ont à moitié loupé les vitesses. On n’a pas idée non plus de mettre des cochers à la place de mécaniciens. Enfin, ça les regarde ! La Compagnie est riche et moi, je m’en fous !

Une équipe arriva : mécaniciens et conducteur. Ils s’approchèrent du groupe de leurs collègues qui, descendus des voitures, se dégourdissaient les jambes avant de repartir.

– Nous voilà, firent-ils d’un air ennuyé. Où est le chef de station ?

Ils regardaient autour d’eux, n’apercevaient point tout de suite le personnage qu’ils réclamaient, mais sans doute n’en avaient-ils pas besoin, car ils disaient autour d’eux, jetant un rapide coup d’œil sur les véhicules au repos, rangés le long du trottoir :

– Nous sommes commandés pour emmener le 412, où c’est-y qu’il est ?

Le « panneur » précisément, passait à côté d’eux, à ce moment, il répondit :

– Le 412 ? En tête. C’est la voiture que vient de quitter Bourdier.

L’équipe, composée du mécanicien et du conducteur, remonta la file des véhicules, parvint jusqu’à la première. Ils regardèrent le numéro :

– C’est pas le 412, déclarèrent-ils, c’est le 222.

Et dès lors, désorientés, ils revinrent, finirent par trouver le chef de station. Ils redemandèrent :

– Nous sommes commandés pour le 412, savez-vous s’il est arrivé ?

Le fonctionnaire haussait les épaules :

– Il est arrivé et reparti voilà déjà trois ou quatre minutes, déclara-t-il.

– Alors, demanda le conducteur, sur quoi montons-nous ?

– Sur la suivante, probable !

Mais la voiture suivante avait déjà son équipe. Les deux hommes passèrent à celle qui était rangée derrière. Puis ils remontèrent ainsi jusqu’au dernier véhicule ; tous avaient conducteur et mécanicien.

Alors ils se regardèrent perplexes, étonnés qu’il n’y eût point là de véhicule pour eux. Ils s’inquiétèrent un instant :

– Tu es sûr, interrogea le mécanicien, que nous sommes bien commandés pour la ligne Saint-Germain-des-Prés ?

Son interlocuteur lui répliquait, tirant un imprimé de sa poche et le lisant attentivement :

– Il n’y a pas de doute, fit-il.

Les deux hommes se rapprochèrent alors de nouveau du chef de station :

– Dites donc, firent-ils, qu’est-ce que l’on va devenir ? On n’a pas de voiture.

Le chef les considéra un instant. Puis, haussant les épaules, répondit :

– Que voulez-vous que j’y fasse ? Ça ne me regarde pas. Si à votre dépôt on vous a commandés de travers, moi je n’y puis rien. Tout ce que je sais, c’est que le 412 est bien parti à son heure, avec un conducteur et un mécanicien, comme de juste.

***

Le chef de station avait dit vrai. Depuis quelques instants, en effet, le 412 descendait à belle allure la rue Bonaparte. Le véhicule était parti à peu près vide de la tête de ligne, ce n’était pas l’heure de la bousculade.

Au coin de la rue Jacob, au premier arrêt, on prit deux dames.

– C’est bien pour Clichy ? demanda l’une d’elles.

Distraitement, le conducteur l’aida à monter.

– C’est bien pour Clichy, répondit-il.

Puis, il passa à l’intérieur de la voiture, réclamait le prix des places :

– Cinq sous par personne, fit-il, vous êtes en première.

Mais les dames précisèrent :

– Nous allons au bout de l’avenue de Clichy et non pas place Clichy, déclarèrent-elles.

– Tant pis pour vous, rétorqua le conducteur d’un ton bourru. Nous autres, c’est la place Clichy seulement. Nous allons à Montmartre.

– Il fallait nous le dire lorsqu’on vous l’a demandé, protestaient les voyageuses.

Mais le conducteur ne voulait pas avoir tort :

– Vous avez demandé « Clichy ». Je vous ai répondu « Clichy ». Fallait vous expliquer mieux. Je peux pas deviner ce que vous avez à faire.

La discussion fut interrompue par l’arrivée d’un contrôleur, à l’arrêt du Pont des Saints-Pères.

– Comment se fait-il, interrogea celui-ci en s’adressant au conducteur, que vous n’ayez point marqué l’arrêt du quai Voltaire ? Je sais bien que c’est un arrêt facultatif, mais vous auriez dû être sur la plate-forme pour vous assurer qu’il n’y avait personne désirant monter dans la voiture. Eh bien, qu’attendez-vous ?

Le conducteur ne semblait pas comprendre, et le fonctionnaire galonné insista :

– Donnez-moi votre feuille.

L’homme fouilla dans sa poche, en tira un papier jaune qu’il tendit à l’inspecteur.

– Voilà, fit-il.

– Quel voyage faites-vous ?

– C’est le premier, monsieur, répondit l’homme, assez troublé.

– Eh bien, on ne le dirait pas. La feuille porte que c’est le huitième.

– Tiens, assura le conducteur, c’est qu’on m’aura donné le papier d’un autre, car on vient seulement de prendre la voiture.

Une brusque embardée projeta tout le monde sur la droite du véhicule, et, cependant que le conducteur perdait l’équilibre, le contrôleur grommela :

– Quel service, mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est qu’un mécanicien pareil. Il y a de quoi tout démolir, avec de semblables virages.

Et, heureux sans doute de quitter cet autobus aux allures inquiétantes, le contrôleur profita d’un ralentissement pour descendre et sauter dans une autre voiture.

On passa sans encombre, cependant, sous les guichets du Louvre, puis, après un arrêt au Théâtre-Français, l’autobus 412 remontait à vive allure l’avenue de l’Opéra.

Le conducteur eut encore une discussion avec un vieux monsieur qui, plongé dans la lecture d’un livre, se départit de son occupation pour constater qu’il lui manquait trois sous dans la monnaie qu’on lui rendait. Il obtint satisfaction.

Puis le véhicule s’immobilisa dans l’encombrement classique de la place de l’Opéra.

Deux individus, qui stationnaient sur le trottoir, ayant minutieusement considéré la voiture, y montèrent. Ils saluèrent d’un clignement d’œil familier le conducteur.

– C’est bien pour Montmartre ? demanda l’un d’eux.

– C’est bien pour Montmartre, constata le receveur dont la sacoche s’enflait des gros sous recueillis en cours de route.

Les deux nouveaux voyageurs, cependant, demeurés un instant sur la plate-forme, semblaient hésiter à pénétrer dans l’intérieur. L’un d’eux murmura à l’oreille de son compagnon :

– Y a pas d’erreur, Bec-de-Gaz, on est dans la bonne roulante. C’est-y qu’on va se carrer dans les fauteuils du salon ?

– Très peu, Œil-de-Bœuf, on peut pas fumer. Moi, je reste sur le balcon.

L’individu cependant, qui répondait à l’appellation imagée d’Œil-de-Bœuf, ajoutait, souriant d’un air équivoque :

– Moi, je préfère me coller à l’intérieur, surtout quand il y a des gonzesses un peu chouettes. Tu comprends, les places sont étroites, on peut s’en payer, du frôlement, sans en avoir l’air.

Mais le grand individu surnommé Bec-de-Gaz jetait un coup d’œil méprisant sur la clientèle de la voiture :

– Rien que des femmes moches, observa-t-il.

Puis il ajouta :

– D’ailleurs, il ne s’agit pas de cela pour le moment, on a du boulot sérieux à faire.

Son compagnon, Œil-de-Bœuf, liait déjà conversation avec le conducteur :

– Dis donc, mon vieux, suggérait-il, y aurait pas moyen de nous passer cela pour cinq sous les deux ? rapport qu’on voyage ensemble…

Le conducteur fronça le sourcil, répondit simplement :

– C’est quinze centimes par place [2].

Et Œil-de-Bœuf s’exécuta. Il ne pouvait, toutefois, s’empêcher de murmurer à l’oreille de Bec-de-Gaz :

– Il ne rigole pas, le frère. N’a pas l’air de nous connaître. On voit que c’est un garçon bien dressé.

– Saint-Lazare, changement de section !

Et cependant que la foule s’empressait pour monter dans la voiture, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, demeurés sur la plate-forme, poussèrent un cri de surprise :

– Beaumôme ! s’écrièrent-ils.

Leurs regards s’étaient arrêté sur un jeune homme, assez élégamment vêtu, mais sans distinction, toutefois, à la chevelure pommadée, au chapeau melon incliné sur l’oreille, qui venait de monter dans la voiture, bousculant quelques voyageurs, ce qui n’alla pas sans provoquer quelques protestations. Le personnage désigné sous le qualificatif de Beaumôme avait jeté un coup d’œil dans la direction des deux individus qui l’avaient remarqué. Toutefois, il passa devant eux sans avoir l’air de les connaître, et s’introduisit rapidement dans l’intérieur de la voiture.

Œil-de-Bœuf expliqua tout bas à Bec-de-Gaz :

– On a l’air de la faire à la pose [3], aujourd’hui. Personne ne bronche.

Bec-de-Gaz hocha la tête :

– C’est, fit-il, que sans doute, cela va barder tout à l’heure.

Cependant, l’autobus ne démarrait pas et les récriminations du public, timidement formulées d’abord, devenaient plus précises, plus nettes, augmentaient :

– Mais on va s’écraser, criait-on dans la foule. La voiture est complète depuis longtemps, conducteur ! À quoi pensez-vous ? Vous laissez monter tout le monde !

Le conducteur s’épongea le front et constata, en effet, que son véhicule était rempli de voyageurs qu’il n’aurait pas dû laisser monter. Il obligea les derniers venus à descendre, puis, vexé sans doute d’avoir commis une faute professionnelle, il bouscula les uns et les autres, réclamant le prix des places, à tort et à travers, s’adressant deux fois aux mêmes gens, négligeant par contre de faire payer ceux qui venaient de monter.

– Un débutant, pensait-on, qui ne connaît pas son métier…

Cependant, la voiture, lourdement chargée, montait la rue d’Amsterdam, puis, au fur et à mesure qu’on approchait de la place Clichy, le gros des voyageurs descendit, arrivant à destination.

Sur le siège, indifférent à tout le remue-ménage qui se passait à l’intérieur du véhicule, le mécanicien causait avec un personnage assis à côté de lui, quelque ingénieur ou contremaître qui, sans doute, tenait à s’assurer des qualités du pilote.

Il faisait froid, humide, ce matin-là, et les deux hommes, sitôt après leur départ de Saint-Germain-des-Prés, avaient mis d’épaisses lunettes sur leurs yeux.

– Qu’est-ce que tu en penses ? interrogea le mécanicien, cependant qu’on montait la rue d’Amsterdam.

– C’est une merveille, cette voiture-là ! On peut dire que nous sommes bien tombés. Le moteur tire comme un ange et les organes mécaniques sont sûrement très robustes.

Le mécanicien venait de se pencher en avant et d’observer quelque chose. Il reprit :

– On est mal protégé sur ce siège. Tâche donc d’attraper le tablier de cuir et de le dérouler.

– Que veux-tu en faire ? interrogea le compagnon du mécanicien.

Celui-ci eut un sourire énigmatique :

– Lorsqu’il sera déployé, fit-il, nous serons abrités derrière, et si, par hasard, nous venons à buter dans quelque obstacle, grâce à ce tablier, nous serons garantis.

Obtempérant au désir du mécanicien, son compagnon déploya le tablier qui, désormais, devait protéger les deux hommes contre les dangers qu’ils semblaient redouter.

À ce moment, l’autobus parvenait au haut de la rue d’Amsterdam et, obliquant à droite, allait s’engager sur la place Clichy. Celle-ci était déserte, le mécanicien poussa un cri de joie :

– Parfait, dit-il, nous sommes joliment bons.

Appuyant sur la pédale de l’accélérateur, il fit emballer son moteur. L’autobus trépida, sa vitesse s’accrut.

– Attention, recommanda-t-il à son voisin, voilà le moment de ne pas flancher.

Cependant, les voyageurs, à l’intérieur du véhicule, s’étonnèrent un instant qu’au lieu de se diriger vers la station habituelle de la place Clichy, le lourd véhicule obliquait encore à droite et descendait dans la direction de la rue de Clichy. Il traversa celle-ci en biais, avec une vitesse qui s’accroissait.

Quelqu’un poussa un cri, puis une embardée brusque jeta tous les voyageurs les uns sur les autres. Avant que l’on eût eu le temps de s’y reconnaître, la voiture recevait un choc, il sembla qu’elle montait sur le trottoir.

***

C’était jour d’échéance et, dans les bureaux de la succursale du Comptoir National, installée en haut de la rue de Clichy, une foule assez nombreuse de clients attendait devant les divers guichets.

Les locaux du Comptoir National étaient constitués, au rez-de-chaussée, par une sorte de long boyau au commencement duquel se trouvait un bureau entouré de grillages : la caisse, au milieu de laquelle était un employé, qui, impassible et hautain, maniait d’un air las des piles d’or et des liasses de billets.

Un client, posté devant le guichet, comptait avec l’employé :

– Dix-huit mille, dix-neuf mille, vingt mille francs…

Il faisait le geste de réunir en un seul paquet les billets bleus qu’on venait de lui remettre, en même temps qu’il ajoutait :

– Pour ce qui est du reste, donnez-moi je vous prie, quelques louis et de la monnaie.

À ce moment, un vacarme épouvantable s’éleva et le malheureux s’écroula soudain en poussant un cri. Autour de lui, des hurlements se firent entendre. Un nuage de poussière monta dans un bruit de vitre brisée.

La cage grillagée qui assurait la protection de la caisse s’effondrait avec un bruit sourd, cependant que les tiroirs contenant la monnaie se répandaient sur le sol et que les pièces d’argent, les louis d’or, roulaient dans tous les sens. Le sang coulait.

La devanture des bureaux constitués par de grandes glaces était défoncée. L’avant énorme de l’autobus penché sur le côté bouchait la moitié de la banque, une roue enfoncée dans le parquet.

La chose était facile à comprendre. Par suite d’une fausse manœuvre, le lourd véhicule, en effet, était monté sur le trottoir, puis avait donné de tout son poids contre la façade du Comptoir National, puis avait pénétré dans les bureaux.

Le directeur, M. Calard, venait de faire ouvrir la porte donnant sur la cour :

– Faites évacuer par là ! avait-il commandé à ses employés.

Le feu commençait à prendre à l’autobus, car l’essence avait coulé et s’enflammait.

Le terrible accident allait-il avoir pour conséquence d’incendier l’immeuble ?

Heureusement M. Calard était fort bien secondé par son personnel et quelques-uns des employés de la banque s’emparaient d’extincteurs qu’ils firent fonctionner. Une fumée noire, épaisse et suffocante, succédait alors aux lueurs sinistres qui avaient un instant jailli. Toutefois, l’affolement dans l’intérieur des bureaux renaissait toujours plus. Des voyageurs qui se trouvaient encore dans l’autobus se précipitaient par les fenêtres dont les vitres étaient brisées, puis, complètement affolés, suivaient les indications des employés, gagnaient la sortie.

Non sans peine, on avait retiré de dessous l’autobus le malheureux client auquel, quelques instants auparavant, le caissier remettait une assez forte somme d’argent. Il respirait encore. Deux hommes lui prodiguaient des soins, un grand diable à la face patibulaire et un gros au visage sournois :

– Va tout de même falloir se débiner, murmura le grand diable, ça pourrait tourner au vinaigre tout à l’heure !

– Oui, je crois aussi, mon vieux Œil-de-Bœuf, que maintenant le pante [4] est vidé. On a le pèze. Décampons.

Les deux apaches – car c’étaient bien Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz – affectant un air tranquille, gagnèrent la cour et sortirent de la banque.

Un brigadier des gardiens de la paix, qui maintenait la foule à distance devant l’établissement de crédit finit par pénétrer dans la banque. Tout le monde à ce moment recherchait le mécanicien maladroit qui avait déterminé cet accident. Qu’était-il devenu ?

– Où sont les gens de la Compagnie ?

Pas de réponse. Le mécanicien et le conducteur demeuraient introuvables.

Après une heure de patients efforts, et lorsque des renforts d’agents furent arrivés, on parvint enfin à faire évacuer l’intérieur de la banque. Le commissaire de police constata les dégâts :

– Heureusement, déclara-t-il, que les accidents de personnes sont insignifiants. Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’il soit impossible de retrouver les gaillards qui conduisaient cet autobus.

– Ce malheureux mécanicien a du être affolé de ce qui s’est passé, dit le directeur, et il s’est enfui, sans se rendre compte de ce qu’il faisait. On le retrouvera naturellement sans la moindre difficulté, la Compagnie le connaît.

– J’ai fait prévenir cette dernière, interrompit le commissaire de police, et j’attends d’un moment à l’autre un des chefs du personnel. Leurs bureaux, rue Pierre-Harel, sont voisins.

Le commissaire ajouta :

– Ce qui m’étonne, c’est le petit nombre de plaintes que nous avons reçues. D’ordinaire, le public est toujours empressé à réclamer des dommages et intérêts. Or, c’est à peine si trois ou quatre personnes accidentées dans l’autobus ont laissé leur nom et leur adresse.

– C’est vrai, et cependant, si j’en crois les renseignements recueillis, cette voiture était au complet lorsqu’elle est venue se jeter dans notre devanture.

Le directeur se retourna : un de ses employés venait interrompre la conversation qu’il avait avec le commissaire de police.

M. Calard le regarda stupéfait. Ce subordonné avait une physionomie bouleversée.

– Que se passe-t-il, monsieur Henriot ? demanda le directeur. Vous avez l’air souffrant, avez-vous été blessé tout à l’heure ?

L’interpellé rétorqua :

– Non, monsieur. C’est bien plus grave ! Figurez-vous, monsieur, que…

Et l’employé battait l’air de ses bras, suffoquait, semblait prêt de s’évanouir. M. Calard et le commissaire de police se précipitèrent, l’encouragèrent :

– Remettez-vous, mon ami !

Enfin, M. Henriot déclara :

– Nous sommes volés, monsieur le directeur, abominablement volés !

D’un air impatienté, M. Calard l’interrompait :

– Je sais, fit-il, évidemment, il y a quelques louis de perdus dans la bagarre. On les retrouvera peut-être, ils ont dû rouler sous les décombres, cela n’a rien d’étonnant, le local de la caisse ayant été démoli…

– C’est bien pis, monsieur le directeur ! L’employé de la Caisse avait à peine vingt-cinq mille francs et cela n’aurait pas grande importance, surtout si les choses s’étaient passées comme vous croyez, mais il y a pis… Le gros coffre-fort, vous savez le gros coffre-fort qui se trouvait à l’entrée de votre bureau, derrière la caisse…

– Eh bien ?

– Eh bien, il a été éventré, démoli, et vidé !

– Mon Dieu ! s’écria le directeur de la Banque, il y avait dedans près de huit cent mille francs de titres et de billets de banque !

– Huit cent trente-sept mille francs exactement.

– Mon Dieu, mais alors ? L’aventure de cet autobus n’est pas un accident ? Ou du moins, c’est un accident volontaire ?

Le commissaire, lui aussi, était devenu tout pâle, il serra les poings, fronça les sourcils :

– D’après ce que j’apprends, monsieur, fit-il, un semblable accident volontaire ne peut être qualifié que de crime par la loi.

2 – BANDITS ET POLICIERS

Rue de Clichy, c’était la débandade. Les gens s’enfuyaient, affolés, un homme courait la main ensanglantée. Un agent s’approcha de lui, lui signala le sang qui coulait le long de sa manche, et déclara :

– Vous êtes blessé, monsieur, allez vous faire panser dans la pharmacie. Il y a déjà du monde.

Et le sergent de ville, du geste, désignait à son interlocuteur une boutique située à peu près en face du Comptoir National et devant laquelle stationnait une foule aussi compacte que celle qui contemplait, de l’autre côté de la rue, le désastre causé par l’irruption de l’autobus dans la devanture de l’établissement de Crédit. Cependant, l’individu qui avait été interpellé par l’agent de police, après avoir fait mine de se diriger vers la pharmacie, tournait brusquement les talons et remontait du côté de la place Clichy :

– Plus souvent, grommela-t-il, que j’irai me confier à ce potard à la manque. On voit qu’il ne me connaît pas, sans quoi ce flic ne me proposerait pas une combine de ce genre !

Comme il le disait, en effet, dans son langage pittoresque, l’individu qui monologuait ainsi ne devait pas être connu du sergent de ville, et si celui-ci avait su à quel personnage il venait de s’adresser, il n’aurait certes pas manqué de lui mettre la main au collet et de le conduire immédiatement au poste.

L’agent, en effet, avait interpellé l’un des apaches les plus redoutables qui fût à Paris. On le désignait dans la pègre sous le nom de « Bébé », sobriquet qu’il avait dû, jadis, à sa jeunesse, mais qui surprenait à présent. Comment Bébé se trouvait-il là et par suite de quel hasard avait-il reçu une blessure dans la bagarre qui avait succédé à l’entrée de l’autobus 412 dans les bureaux du Comptoir National ?

Quiconque aurait connu en détail la clientèle qui précisément ce jour-là occupait l’autobus, n’aurait pas hésité à faire un rapprochement, d’ailleurs très significatif, entre la présence dans le véhicule de personnages aussi mal cotés que Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, Beaumôme, et la présence de Bébé place Clichy au moment de l’accident. Il y avait évidemment là un guet-apens ourdi par les apaches. Toutefois, ceux-ci n’étaient que le bras agissant. Quel devait donc être le maître qui les dirigeait ?

Au moment où Bébé remontait vers la place Clichy, enveloppant dans un mouchoir son poignet teinté de rouge, un homme qui s’enfuyait l’aborda et, d’une voix haletante, lui murmura à l’oreille :

– Faudrait voir à te débiner rapidement et surtout à te nettoyer !

Bébé regarda son interlocuteur, celui-ci n’était autre que le mécanicien qui, quelques instants auparavant, avait conduit l’autobus 412, volontairement ou non, devant la devanture de l’établissement de crédit.

Celui-ci cependant poursuivait :

– Tu es tout à fait dégoûtant Bébé, tes vêtements sont couverts de saletés et tes cheveux remplis de cambouis !

L’apache, en apercevant le mécanicien qui lui parlait sur un ton de commandement, avait pris une attitude respectueuse pour lui répondre :

– Cela va bien, je m’en vais aller me nettoyer.

Le mécanicien s’éloigna. Il revint au bout d’une seconde et recommanda :

– Je ne veux pas que tu puisses jaspiner de toute la soirée, et pour t’empêcher de le faire, je t’ordonne d’aller prendre un bain dans le premier établissement que tu rencontreras.

– Entendu, fit Bébé, mais quand j’aurai fini, patron, qu’est-ce qu’il faudra faire ?

Les deux hommes avaient continué à marcher, s’éloignant rapidement de la place Clichy ; ils suivaient maintenant le boulevard des Batignolles, et, tout en causant, ils regardaient derrière eux pour s’assurer qu’ils n’étaient point suivis.

Le mystérieux mécanicien de l’autobus reprit :

– Quand tu seras sorti de ton bain, tu iras en prendre un autre, et quand le second sera fini, eh bien, mon cher Bébé, il faudra aller en prendre un troisième et ainsi de suite, jusqu’à la fermeture des boutiques, après quoi tu iras te coucher tout seul !

Bébé interloqué haussa les épaules imperceptiblement et se dit :

– Sûr, le patron est piqué ! Enfin, il faut faire ce qu’il veut, sans quoi la désobéissance avec lui fait toujours du vilain.

Cependant le mystérieux mécanicien de l’autobus que Bébé avait qualifié de « patron » s’éclipsait par une rue transversale, et Bébé, obéissant, se mit à chercher un établissement de bains conformément aux ordres qu’il avait reçus.

***

Quelques heures s’étaient écoulées et l’activité commençait à régner dans les bars interlopes ou les bouges innommables du quartier de la Chapelle. Dans l’assommoir dirigé rue de la Charbonnière par le père Korn [5], les apaches, à leur habitude, étaient nombreux et dégustaient à grand bruit les absinthes gommées et des mêlé-cass [6]. Ils étaient entourés de pierreuses au visage fardé qui, dans l’intervalle de leurs occupations professionnelles, venaient absorber des apéritifs avec leurs amis.

Soudain, la porte s’ouvrit, et ce fut dans l’établissement une clameur générale, des bravos, des approbations :

– Tiens, cria-t-on, voilà des revenants.

Deux personnages venaient en effet d’entrer dans l’assommoir et ils distribuèrent autour d’eux quelques cordiales poignées de main. C’était des apaches fort connus dans le quartier : Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf.

Il y avait déjà quelques années, deux ou trois ans peut-être, qu’ils ne s’étaient pas montrés dans le cabaret du père Korn qui possédait toujours sa fameuse et terrifiante réputation et dans lequel la police faisait de si fréquentes incursions.

Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf s’étaient rapprochés du comptoir et, comme s’ils l’avaient vu la veille, serraient cordialement la main au tenancier du bouge. Tandis qu’ils commandaient leurs absinthes, ils félicitaient le père Korn sur l’affluence toujours considérable de son établissement.

– N’empêche, ajouta Bec-de-Gaz, mon vieux père Korn, que tu commences à être déjeté, t’as plus de cheveux sur la tête et tu prends du ventre. C’est pas comme moi, toujours sec comme un coup de trique et mince comme un bâton de chaise.

Œil-de-Bœuf approuvait en souriant.

– Et puis, ajoutait-il, on est toujours là nous autres, avec du pèze plein les profondes.

Et, comme pour justifier cette affirmation, que le père Korn, d’un haussement d’épaules semblait mettre en doute, Œil-de-Bœuf fit tinter l’argent qui gonflait les poches de ses vêtements.

Les deux amis, après avoir vidé un premier verre sur le comptoir allaient s’installer au fond du bouge à une petite table et commandèrent de nouvelles consommations au garçon.

– Dis donc, recommanda Bec-de-Gaz, faudrait voir à nous servir vivement une assiette de cervelas et un saladier de rouge.

Œil-de-Bœuf rassura le garçon sur l’avenir réservé à cette commande somptueuse, en ajoutant :

– On a la dent ce soir, et il faut se caler les joues ! On est plein aux as et on raquera d’avance si tu veux.

Cette déclaration ne manquait pas de faire sensation dans le bouge. De nombreux consommateurs, qui avaient relevé la tête, considérèrent avec sympathie et admiration ces clients qui annonçaient somptueusement qu’ils étaient décidés à payer dès qu’on le leur demanderait, et des murmures flatteurs coururent dans l’assistance. Quelqu’un suggéra à mi-voix :

– Sûr que c’est des aminches qui viennent de faire un bon coup.

Bec-de-Gaz avait entendu, il lança un coup de pied dans les tibias de son compagnon :

– Espèce de tourte, fit-il, t’as pas besoin de raconter comme ça au monde, que nous avons de la galette ! Ça donne des soupçons et si jamais le patron le savait, qu’est-ce qu’il te casserait !

Œil-de-Bœuf, malgré sa belle assurance, rougit jusqu’à la racine des cheveux.

Évidemment, ce que venait de lui dire Bec-de-Gaz l’impressionnait. Il suffisait donc d’évoquer auprès de ces deux apaches la mémoire du mystérieux patron pour qu’aussitôt l’on prît peur ?

Quel pouvait donc bien être cet homme ?

Cependant la déclaration d’Œil-de-Bœuf avait produit son effet, des pierreuses qui erraient dans le bar se rapprochaient des consommateurs, leur adressant des œillades prometteuses. L’une d’elles, plus hardie que les autres, vint s’installer sur la banquette à côté de Bec-de-Gaz :

– Tu paies quelque chose ? interrogea-t-elle.

Mais l’apache la repoussa durement.

***

Bébé, était au bain conformément aux instructions reçues, tandis qu’Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, quittant précipitamment la place Clichy, étaient venus boire à l’assommoir de la rue de la Charbonnière.

Un autre de ceux qui s’étaient trouvés dans l’autobus au moment de l’accident, avait pris une troisième direction.

C’était Beaumôme, personnage équivoque et suspect, lui aussi, mais qui avait meilleure apparence, par sa tenue extérieure, que ses acolytes.

Beaumôme, en grand seigneur, avait avisé, place Clichy, un taxi-automobile dans lequel il était monté quelques instants après l’accident de l’autobus. Il s’était fait conduire avenue Malakoff, au Skating.

Beaumôme paya son entrée, loua des patins. À peine était-il sur la piste de bois, commençant à y évoluer, qu’une jeune femme, fort élégante, se rapprochait de lui.

– Ah, par exemple, lui fit celle-ci, je ne te croyais pas à Paris !

Beaumôme ne répondit rien. Il se contenta de serrer dans la sienne la main que lui tendait la jeune femme, et lui dit :

– Bonjour Adèle, je t’emmène dîner ce soir, si cela peut te faire plaisir.

Il faut croire que la demi-mondaine n’était pas habituée à une telle amabilité de la part de son interlocuteur, car après avoir ouvert des yeux tout ronds, elle déclara en riant :


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