Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Mais nom de Dieu, non, monsieur Juve !
D’une voix empâtée et essayant de se lever péniblement, l’apache tâchait de se défendre :
– Vous ne savez rien, monsieur Juve, dit-il, vous vous trompez.
– Ah je me trompe, vraiment ? Et qu’est-ce qui me prouve que tu n’étais pas avec Fantômas, hein, Tête-de-Lard ?
Devant l’apache, Juve était maintenant debout, croisant les bras, l’air furieux :
– Qu’est-ce qui me prouve que je me trompe ? répéta-t-il.
– Si j’avais été avec Fantômas, si j’étais un des poteaux qui ont fait le coup de l’autobus, bien sûr monsieur Juve, que je ne serais pas venu de moi-même vous rendre visite.
– Mais, bougre d’imbécile, tu ne sais donc pas que lorsque les agents plongeurs t’ont eu réchauffé au poste et qu’ils t’ont remis en liberté, deux agents de la Sûreté, prévenus par moi, t’ont filé ? Ah, mon salaud !
Tête-de-Lard but encore un grand coup de vin. Il était maintenant parfaitement ivre, et pourtant une lucidité particulière s’éveillait dans son esprit. C’était vrai. Il se rappelait que depuis sa sortie du poste, jusqu’à sa venue à la rue Tardieu, il avait été suivi, ou il avait cru être suivi par deux messieurs à la démarche bizarre. Mais alors, il était tombé dans un piège ?
Juve interrompit ses réflexions.
– Et puis, en voilà assez, déclara-t-il, en voilà de trop. Ah, tu étais avec Fantômas comme tu viens de me le dire !
– Mais je n’ai rien dit.
– Si, tu viens de l’avouer.
Tête-de-Lard crut presque ce que disait le policier.
– Tu viens de l’avouer, continuait Juve, et maintenant voilà que tu refuses de me dire où est cette canaille et de te mettre à table. Eh bien, ton compte est bon.
Juve fit mine de boire à la bouteille, la reposa devant Tête-de-Lard qui, d’un geste automatique la saisit à son tour et la vida d’un seul trait.
– Oui, j’en ai assez ! continuait Juve. D’ailleurs, je sais ce qu’il prépare, Fantômas, et son compte est bon à lui aussi. Il sera fait ce soir. Parfaitement, on me l’a donné, Fantômas, c’est tant pis pour toi. Crétin, va ! Tiens, veux-tu savoir ? Eh bien Fantômas, il a organisé le vol d’une clef, cette clef-là que j’ai dans ma poche. Oui, mais j’ai été prévenu. Ah, il peut la chercher, la clef, Fantômas ! Vingt mille andouilles ! Je le jure bien qu’il ne l’aura pas ! Fantômas, tiens, il donnerait je ne sais quoi pour l’avoir cette clef, mais je t’en fiche, c’est moi, Juve, qui la garde et il n’est pas près de me la voler.
Juve versa une nouvelle rasade à Tête-de-Lard puis, comme l’apache prenait son verre à deux mains, car l’ivresse le faisait trembler au point qu’il n’avait plus les gestes assurés, Juve se jeta sur lui :
– Tu m’entends bien, répéta-t-il, je m’en fous, moi, de Fantômas, parce que j’ai la clef et qu’il ne l’aura pas ; quant à toi, dans cinq minutes, tu seras au Dépôt.
Et Juve, tout en parlant, renversait sur le sol le malheureux Tête-de-Lard, lui ligotait les jambes avec sa serviette, lui ficelait les mains avec une tirette de rideau, et le bourrait de coups de pied.
– Tu m’entends, hein Tête-de-Lard, lui dit-il d’un air triomphant, je vais chercher les flics pour te faire coffrer.
Et avec un grand geste de menace, laissant Tête-de-Lard tomber sur le plancher, Juve sortit de la salle à manger, claquant la porte derrière lui.
À peine Juve était-il dans l’antichambre, qu’il appelait d’une voix très calme :
– Jean.
– Monsieur.
Le domestique venait d’accourir.
– Jean, reprenait Juve, vous allez me faire le plaisir de monter illico au sixième, je sors.
– Bien, monsieur, mais…
– Mais quoi, Jean ?
– L’invité de monsieur, est-ce qu’il couche ici ?
Juve partait d’un grand éclat de rire.
– C’est peu probable, disait-il, et en tout cas, cela ne te regarde pas. Allez, grouille, fiche le camp !
Le domestique partit sans mot dire. Jean en avait bien vu d’autres depuis qu’il était au service du policier.
Juve descendait l’escalier, il avisa la concierge qui flânait sur le pas de la porte.
Depuis que Juve était le locataire de la maison, la brave femme avait appris à l’estimer. Elle professait pour lui le plus grand respect.
– Madame, déclarait Juve, avec son petit air tranquille et énigmatique, je tiens à vous prévenir qu’il va bientôt passer devant vous un individu de mauvaise mine qui, sans doute à peine dehors, s’enfuira en courant.
– Seigneur Jésus !
– Attendez, madame, laissez-moi achever. Cet individu aura peut-être sous les bras des paquets, peut-être vous semblera-t-il inquiet et anxieux. Vous n’y ferez pas attention s’il vous plaît, vous le laisserez aller. C’est bien entendu ?
Juve cligna de l’œil, la concierge répliqua, croyant comprendre :
– C’est entendu, monsieur. Probablement qu’il s’agit d’un agent de la Sûreté, déguisé ?
– Probablement, répondit Juve.
Et, sans s’expliquer davantage, le policier descendit jusqu’au coin de la rue de Steinkerque, où était établi un mastroquet qui vendait d’excellent cidre. Juve avait acheté des journaux, il s’attabla et commença à lire, souriant, satisfait.
Or, tandis que Juve demeurait ainsi en face d’un pichet de cidre, Tête-de-Lard, resté seul dans l’appartement du policier, se dégrisait petit à petit. L’apache, auquel Juve avait fait boire des vins probablement truqués, recouvrait relativement vite sa présence d’esprit.
Si bête qu’il fût, Tête-de-Lard se rendait compte qu’il était en fâcheuse posture.
– Je suis fait, murmurait Tête-de-Lard, mon compte est bon.
Et il sentait des petits frissons lui courir au long de l’échine à la seule pensée que, d’un instant à l’autre, des agents allaient arriver pour le saisir et l’emmener au Dépôt.
Du temps passait, cependant. Tête-de-Lard se dégrisait de plus en plus et même commençait à s’étonner.
– Mais Juve ne revient pas, nom d’un chien !
Il prêta l’oreille. L’appartement était silencieux, semblait abandonné.
– Si je tombe dans les mains d’un curieux, songeait Tête-de-Lard, je pourrais bien aller faire connaissance avec le rasoir de Deibler.
Une sueur froide, à cette pensée, lui perlait en grosses gouttes aux tempes.
– Je suis fichu, se disait Tête-de-Lard.
Puis, soudain une espérance.
– Ah, si seulement je pouvais me trotter avant le retour de Juve…
Tête-de-Lard se prit alors à tendre violemment ses muscles, à faire effort pour se déligoter. Et c’est à l’improviste qu’il y réussit.
À coup sûr, Juve s’était trop hâté en lui liant les jambes et le nœud fait dans la serviette n’était pas solide. Tête-de-Lard fut libre en quelques instants.
Il avait coupé avec un couteau les tirettes qui lui liaient les mains, il était alors debout dans la salle à manger. Tête-de-Lard respira profondément.
– Jusque-là, ça va bien, murmura-t-il, mais comment sortir d’ici sans me faire pincer ?
Il courait jusqu’à la porte du cabinet de travail et y colla l’oreille.
– Pas de bruit, fit-il, personne n’est là.
Tête-de-Lard revint à la porte qui donnait sur l’antichambre. Pas de bruit encore.
Cette fois, l’espérance s’affirma dans son cœur. Tête-de-Lard revint vers la table, la couardise dont il avait maintes fois donné des preuves disparaissait sous l’empire du danger couru. Tête-de-Lard se saisit d’un grand couteau à découper.
– Si quelqu’un me barre le passage…
Et la façon dont il brandissait le couteau complétait la phrase de l’apache. Mais soudain, en dépit de la gravité de ses aventures, Tête-de-Lard éclata de rire.
– Ah par exemple, s’exclama-t-il.
Sur la table, brillant sur la blancheur de la nappe, Tête-de-Lard venait d’apercevoir un petit objet qu’il se hâta d’enfouir au fond de sa poche.
– Ça, par exemple, répétait Tête-de-Lard, c’est plus fort que tout. Voilà que Juve a oublié la clef que voulait Fantômas.
Il ne fallait pas toutefois s’attarder à réfléchir. Tête-de-Lard le comprenait bien. Sans bruit, avec des précautions extrêmes, il ouvrit la porte de la salle à manger et se glissa dans l’antichambre.
– Personne ?
Tête-de-Lard, longeant l’antichambre, le cœur battant à grands coups, ouvrit la porte de l’escalier, mais à ce moment, il se prit à tressaillir.
– Si je passe avec mes vêtements purée devant la concierge, je suis sûr que je vais être fait.
Tête-de-Lard eut une inspiration de génie. Laissant la porte de l’escalier ouverte, il revint jusqu’à un portemanteau meublant l’antichambre et auquel étaient accrochés des pardessus appartenant à Juve.
Tête-de-Lard en prit un qui était long, le boutonna soigneusement et changea sa casquette plate contre un chapeau melon.
***
La concierge du logis de la rue Tardieu, à 11 heures du soir, n’avait toujours pas vu passer d’individu louche portant des paquets sous le bras.
Juve, encore installé derrière les petits rideaux voilant la devanture de son mastroquet avait, aux environs de dix heures et demie, haussé les épaules et murmuré en avisant un passant :
– Tout de même, il exagère. C’est justement mon chapeau neuf.
***
À une heure du matin, un personnage qui portait un grand pardessus et une coiffure sortie de chez un chapelier, se glissait, plus qu’il n’entrait, dans une maison borgne rue de la Charbonnière, à quelque distance du cabaret du père Korn.
Ce personnage, qui semblait fort souriant, tout joyeux, enchanté de lui-même, monta rapidement l’escalier gluant et sale de l’immeuble, heurta à la porte d’une soupente située sous les toits.
– Qui va là ? demanda une voix grave.
– Tête-de-Lard.
La porte s’ouvrit. Une silhouette tragique, épouvantable se dressa.
C’était la silhouette fameuse entre toutes, la silhouette redoutable et terrifiante d’un homme, grand, mince, vêtu d’un maillot noir qui le moulait des pieds à la tête, dont les mains étaient gantées de noir, dont le visage disparaissait sous les plis d’une cagoule noire.
– Entre, ordonna la voix brève du bandit.
Tête-de-Lard obéit.
– Tu n’es donc pas mort ?
Tête-de-Lard, d’émotion, venait de tomber à genoux :
– Non, je ne suis pas mort et même…
– Que me veux-tu ? demandait le bandit.
– Maître, faisait-il, je sais que tu récompenses tous ceux qui te servent fidèlement. Si je viens te trouver, c’est que je suis en mesure de te rendre un grand service.
– Vraiment ?
– Oui, vraiment, affirma Tête-de-Lard. Je viens de chez Juve.
– Et alors ?
– Et alors, Maître, chez Juve j’ai travaillé pour toi.
– Pour moi ?
– Oui, pour toi !
Et Tête-de-Lard triomphalement fouilla dans sa poche.
– Voici qui te prouvera, dit-il, que je ne suis pas un imbécile, et que je mérite d’être associé à tes projets. Fantômas, tu as volé deux clefs, paraît-il, et tu voulais voler la troisième. Cette troisième clef, la voilà.
Tête-de-Lard tendait la clef dérobée chez Juve. Or, Fantômas regarda cette clef quelques secondes à peine.
– Malédiction, hurla le bandit, c’est la troisième clef de la Banque.
Et pris d’une colère subite, il empoigna Tête-de-Lard, l’étrangla à moitié, lui hurlant des insultes :
– Imbécile, idiot ! Ah tu mériterais…
Certes, Tête-de-Lard ne s’attendait pas à de pareils remerciements.
8 – LES CLEFS RESTITUÉES
M. Châtel-Gérard, le lendemain matin du jour où les deux premières clefs des caves avaient mystérieusement disparu, se promenait solitaire dans son somptueux bureau et paraissait de détestable humeur.
M. Châtel-Gérard venait de jeter rageusement devant lui un pneumatique qui ne comportait que quelques lignes de texte. Il le prenait par moments, le relisait, le froissait nerveusement, puis le dépliant, l’étalant à nouveau, il le rejetait, pour le reprendre encore :
– Que croire, mon Dieu ? que croire ? disait M. Châtel-Gérard. Que penser réellement ? Est-ce Juve, ou n’est-ce pas Juve ?
Monsieur le gouverneur.
J’aurai l’avantage de venir vous rendre visite vers dix heures du matin, j’espère que vous voudrez bien me recevoir.
Et la signature s’étalait, claire, nette : Juve.
Or, M. Châtel-Gérard était de plus en plus inquiet. Il ne tenait toujours pas pour démontré qu’il avait eu réellement affaire à Juve chez M. Tissot et, par conséquent, il se demandait si le bleu qu’il venait de recevoir émanait de Juve en personne ou d’un autre, d’un imposteur.
– Si c’est Juve, murmurait le gouverneur, il est tout naturel qu’il vienne ici, mais si ce n’est pas Juve ?
Et s’interrompant, le gouverneur serrait dans sa poche la crosse de son revolver.
– Si ce n’est pas Juve, si c’est Fantômas qui pousse l’audace jusqu’à venir me narguer, je l’abats comme une bête féroce, quitte à me faire sauter la cervelle ensuite pour éviter le scandale.
M. Châtel-Gérard tout en songeant, se promenait toujours dans la grande pièce qui constituait son bureau de travail. Il jetait des regards anxieux à un superbe cartel pendu au mur. Il était dix heures moins dix et les minutes apparaissaient interminables au gouverneur de la Banque.
– D’ailleurs, se répétait-il, pour la centième fois peut-être depuis la veille, Juve m’avait annoncé que les trois clefs me seraient rendues. Or, je n’en ai reçu aucune. Juve m’a dit, il est vrai, que la restitution serait opérée aujourd’hui ou demain. Et puis, est-ce lui, ou n’est-ce pas lui qui va venir ? Si c’est lui, peut-être va-t-il m’apprendre du nouveau ?
La situation dans laquelle se débattait le malheureux gouverneur était véritablement effroyable, car, bien qu’il n’en voulût pas convenir, il apparaissait de moins en moins possible d’éviter le scandale. Déjà, le matin même, un haut employé des Finances lui avait rendu visite et l’avait averti de certaines dispositions du Gouvernement, prise en Conseil des ministres, relativement à une émission prochaine de billets de banque.
– D’un instant à l’autre, songeait M. Châtel-Gérard, il va être nécessaire de descendre aux caves, d’un instant à l’autre, il va falloir que j’avoue le vol des deux premières clefs et – peut-être, pis encore – la stupide absurdité que j’ai commise en confiant la troisième à un individu qui, peut-être, n’est pas Juve.
Tandis que M. Châtel-Gérard se désespérait de la sorte, les minutes cependant, finissaient par s’écouler.
Dix heures sonnaient enfin lorsque un huissier frappait à la porte du cabinet.
– Entrez, dit M. Châtel-Gérard, qui, d’émotion, était devenu blême.
La porte de son cabinet s’ouvrit, l’huissier annonça :
– Monsieur le gouverneur, il y a quelqu’un qui demande à vous parler, qui prétend avoir rendez-vous avec vous et qui refuse de donner son nom.
– Je sais, faites venir ce monsieur.
M. Châtel-Gérard, livide, s’appuyant au dossier d’un fauteuil, ne perdit pas de vue la porte de son cabinet de travail. Qui allait franchir le seuil de la pièce ? Qui allait apparaître ?
Quelques instants s’écoulèrent, puis enfin l’huissier réapparaissait, précédant un visiteur que M. Châtel-Gérard dévisageait avec une folle angoisse.
Ce visiteur était le même homme qu’il avait déjà vu chez M. Tissot, c’était Juve, et Juve sourit :
– Vous allez bien, monsieur le gouverneur ? s’informait le policier. Êtes-vous un peu moins inquiet qu’hier ?
Juve, à cent lieues de soupçonner les hypothèses que formulait à son endroit le gouverneur de la Banque, à cent lieues de penser qu’il le prenait pour Fantômas, était fort tranquille et comme toujours, très souriant :
– Eh bien, vous semblez encore bouleversé ?
– Il y a de quoi, répondit simplement M. Châtel-Gérard.
Et, d’une voix qui tremblait, le gouverneur interrogeait brusquement :
– Où est la troisième clef, monsieur ?
– Quelle troisième clef ? demanda Juve.
– La clef que je vous ai confiée.
À l’interrogation qui lui était faite, le roi des policiers éclata de rire :
– Permettez-moi de m’asseoir, riposta Juve, car nous avons à causer à ce sujet.
Juve, tout en parlant, attirait un fauteuil, et s’étant débarrassé de son pardessus, s’assit en effet.
– Nous avons à causer, répétait-il, car cette troisième clef…
– Où est-elle, monsieur ?
Or, M. Châtel-Gérard parlait sur un tel ton, semblait si violemment ému, qu’à son tour Juve en fut bouleversé :
– Qu’avez-vous donc, fit-il. Vous avez l’air de me faire subir un interrogatoire ?
M. Châtel-Gérard, cependant, se persuadait de plus en plus qu’il avait affaire à un imposteur, que le Juve qui lui parlait n’était pas Juve, mais Fantômas, et que Fantômes, usant d’un formidable toupet, allait tenter de le faire « chanter ».
– Trêve de plaisanterie, fit plus rudement encore M. Châtel-Gérard. Voulez-vous me répondre, oui ou non ? Où est la troisième clef que je vous ai confiée ?
Juve se renversa dans son fauteuil, à la façon d’un homme qui prend ses aises, et répondit la vérité :
– Ma foi je n’en sais rien, monsieur. Vous m’avez confié cette clef, c’est exact, mais hélas, je ne saurai vous dire où elle est. On me l’a volée.
Or, Juve n’avait pas achevé cette déclaration, qu’il faisait d’ailleurs avec sa coutumière tranquillité, que M. Châtel-Gérard brandissait un revolver, le braquait sur le policier en même temps qu’il hurlait à pleins poumons :
– Au secours ! Au secours !
En même temps, quatre portes s’ouvrirent, quatre hommes en sortirent, tenant des revolvers à la main, prêts à faire feu, et entourant Juve si rapidement que celui-ci n’eut guère le temps de se reconnaître.
– On a volé la troisième clef, c’est Fantômas !
À bout d’énergie, épuisé par les émotions qu’il venait de vivre, M. Châtel-Gérard ne savait plus que dire cela, et il le répétait inlassablement. Mais, tandis que le gouverneur de la Banque se lamentait, il arriva que, dans la pièce où cinq hommes maintenant menaçaient Juve de leurs revolvers braqués, des éclats de rire éclatèrent.
Juve et ceux qui s’étaient précipités sur lui étaient pris de fou rire, et cette gaieté intempestive était si bizarre que M. Châtel-Gérard, ne comprenant plus rien à ce qui survenait, se taisait subitement. Juve, le premier, retrouva son sang-froid :
– Monsieur, déclara le policier en se levant, votre souricière était bien tendue, mais vraiment elle était inutile.
Et Juve serra la main à l’un de ses agresseurs :
– Monsieur Havard, vous allez bien ?
– Très bien, mon bon Juve.
– Et vous, Léon et Michel ?
– Très bien, monsieur l’inspecteur.
– Vous voyez, concluait Juve en se tournant vers le gouverneur, qu’il vous faut renoncer à croire que je suis Fantômas.
Et Juve riait de plus belle.
M. Châtel-Gérard, lui, demeurait grave.
– Mais je deviens fou, murmura-t-il.
Et se tournant vers le chef de la Sûreté, il interrogeait :
– Monsieur Havard, c’est donc bien Juve, ce n’est pas Fantômas ?
– Mais naturellement.
– Alors, comment se fait-il… ?
– Du calme, interrompit Juve, je vais tout expliquer.
Le roi des policiers s’assit à nouveau et, tranquillement, reprit :
– Voyons, monsieur Châtel-Gérard, pourquoi diable avez-vous convoqué ici M. Havard et mes collègues, ces inspecteurs ?
– Mais parce que je doutais de vous, affirma sans sourciller le gouverneur de la Banque.
– Bien. En doutez-vous encore ?
– Non, bien sûr, et pourtant…
– Et pourtant ?
– Et pourtant, reprenait après une courte hésitation M. Châtel-Gérard, je vous avoue que je ne comprends pas comment, si vous êtes réellement Juve, vous plaisantiez comme vous venez de plaisanter en vous amusant à me dire que la clef vous a été volée.
Or, Juve, d’un geste, interrompit le gouverneur :
– Croyez bien, monsieur, faisait-il, que je ne me permettrais pas, en effet, de plaisanter ainsi. Si je vous ai dit que la clef m’a été volée, c’est qu’elle l’a été. J’ajoute : heureusement.
Alors la stupéfaction de M. Châtel-Gérard atteignit son comble. Il se passa la main sur le front, en homme qui cherche à se défendre contre un vertige effroyable.
– Vous avez l’air content que l’on ait volé la clef. Qu’est-ce que cela veut dire ?
– Rien, affirma Juve.
– Comprenez-vous, monsieur Havard ?
– Non, répondait le chef de la Sûreté. Mais j’ai confiance en Juve.
Et M. Havard ajouta, souriant lui aussi :
– C’est bien Juve, soyez-en persuadé.
Le gouverneur de la Banque commençait à se demander s’il n’avait point le cauchemar, s’il n’était pas victime d’un rêve, tant les attitudes des agents de la Sûreté et de Juve lui paraissaient bizarres, lorsqu’à nouveau, on frappa à la porte du cabinet.
– Il est dix heures et demie, remarqua Juve tranquillement, cependant que, de son côté, M. Châtel-Gérard ordonnait :
– Entrez !
L’huissier qui avait introduit Juve fit de nouveau son apparition.
– Monsieur le gouverneur, déclara cet homme, on vient de faire porter ce petit paquet en priant de vous le remettre d’urgence. Il paraît que c’est excessivement pressé.
– J’avais dit qu’on ne me dérangeât point ! tonnait M. Châtel-Gérard. Laissez cela là, ça n’a point d’importance. Je ne sais même pas ce que c’est.
L’huissier se retira. Juve, en souriant, se leva :
– Monsieur Châtel-Gérard, disait-il, je vous en prie, ne vous gênez pas pour nous, ouvrez donc ce paquet.
Et, en même temps, le policier prit sur un meuble la petite boîte que l’huissier venait d’abandonner.
– Ouvrez donc, monsieur le gouverneur.
L’insistance de Juve surprenait bien un peu M. Havard, mais, à un clignement d’œil du policier, il comprit que Juve ne parlait point au hasard.
– Ouvrez donc, répéta M. Havard.
M. Châtel-Gérard s’exécuta.
– Ah, murmurait rageusement le gouverneur, je vous assure que je me moque pas mal, en ce moment, de ce qu’il peut y avoir dans cette boîte. Quelque cadeau, je pense…
Il défit un papier blanc, du meilleur aspect, coupa une ficelle rouge scellée avec de la cire, arracha encore un autre papier et parvint à reconnaître qu’il s’agissait d’un petit coffret d’acajou ciré.
– Cela n’a pas d’importance, murmura encore M. Châtel-Gérard.
– Ouvrez donc, insistait Juve.
Une seconde plus tard, le gouverneur hurlait de surprise.
– Ah, mon Dieu !
Le coffret ouvert lui échappa des mains. Sur le sol, trois clefs, les trois clefs volées venaient de tomber.
Juve, cependant, ne paraissait nullement surpris ; simplement, au moment où les trois clefs s’étaient éparpillées, il avait eu un bon sourire et s’était frotté les mains.
En revanche, M. Havard, tout comme Léon et Michel, semblaient eux, stupéfiés.
– Ah çà, observa le chef de la Sûreté, c’est plus fort que n’importe quoi. Comment diable, Juve, avez-vous fait pour voler ces trois clefs à Fantômas ? Car c’est vous, évidemment, qui venez de faire porter cette boîte.
– Non, ce n’est pas moi, répondit Juve.
– Mais vous saviez que les trois clefs étaient dedans ?
– Je m’en doutais.
– C’est donc vous qui les y avait fait mettre ?
– Mais, pas du tout !
– Qui donc envoie ce paquet ?
– Qui donc ? Mais parbleu, celui qui avait les clefs.
– Fantômas, alors ?
– Évidemment, Fantômas !
La surprise de M. Havard croissait et Juve paraissait au contraire de moins en moins étonné.
– Monsieur, dit M. Châtel-Gérard en s’emparant des mains de Juve qu’il serrait avec une cordialité nerveuse, monsieur, vous m’avez sauvé la vie. J’étais décidé à me tuer…
– Sottise.
– J’aurais été déshonoré si ces trois clefs avaient été volées, si la Banque avait été pillée.
Mais, à ces mots, la figure de Juve se rembrunit.
– Ah cela, déclara-t-il, c’est autre chose. Je vous avaient promis de vous faire rendre les clefs, je ne vous ai point promis de protéger la Banque. Je tâcherai, évidemment…
Mais, au scepticisme qu’il affectait quelques minutes avant, M. Châtel-Gérard avait substitué un optimisme triomphant :
– Oh, déclarait le gouverneur, vous craignez sans doute qu’on ait pris des empreintes de ces clefs, mais cela, je m’en moque. J’ai. maintenant le temps voulu pour faire changer les serrures avant qu’un scandale éclate.
Il allait continuer, Juve l’interrompit :
– Fantômas n’est pas assez sot, dit-il, pour avoir pris l’empreinte de ces clefs.
– Alors ?
– Alors, il y a autre chose, conclut le policier, autre chose à craindre.
M. Châtel-Gérard allait évidemment protester, mais M. Havard, à son tour, voulait être renseigné.
– Nous examinerons cela tout à l’heure, dit-il. Ce qu’il faut savoir avant tout, Juve, et je vous avoue que je brûle d’impatience de le connaître, c’est la façon dont vous avez décidé Fantômas à vous restituer ces trois clefs.
– À les restituer à la Banque, corrigea Juve. Eh bien, j’ai opéré très simplement : il m’a suffi, monsieur Havard, de raisonner deux minutes. Voyons. Quelle était la situation d’hier ? Deux clefs sur trois avaient été volées, n’est-il pas vrai ? Fantômas ayant deux clefs, mais n’ayant pas la troisième, ne pouvait pas pénétrer dans les caves. M. Châtel-Gérard, n’ayant plus qu’une clef, en était également empêché. Que faire ? J’ai raisonné de cette façon : si Fantômas vole les clefs, c’est qu’il s’imagine, grâce à ces clefs, pouvoir atteindre les réserves. Si, au contraire, je lui persuade que peu m’importe qu’il ait les clefs, il pensera immédiatement qu’elles ne sont pas suffisantes pour lui permettre d’accomplir le vol. Autrement dit, il redoutera un piège, et s’abstiendra, surtout si moi, Juve, j’apparais mêlé à l’affaire.
– Pas mal, approuva M. Havard.
– Oui, c’est assez bien. Donc, ayant sous la main un individu complice de Fantômas, je me suis arrangé pour qu’il me vole la clef et aille la porter à Fantômas. Oh je n’avais pas la moindre illusion ! Fantômas apprenant que moi, Juve, je m’étais laissé soustraire la troisième clef, après une comédie plus ou moins habile, devait soupçonner immédiatement le piège tendu. Dès lors, étant donné qu’il est beau joueur, j’avais bien quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que, afin de se moquer de moi, il ait la magnanimité de retourner ces clefs à M. Châtel-Gérard. C’est précisément ce qui est arrivé.
Il n’y avait rien à répondre à cela, il n’y avait qu’à féliciter Juve pour l’extraordinaire habileté dont il venait une fois encore de donner la preuve, et M. Chàtel-Gérard tout comme M. Havard n’y manquèrent point.
– C’est merveilleux, dit le chef de la Sûreté.
– C’est infernal, dit le gouverneur de la Banque.
Juve, toutefois, appréciait peu les compliments.
– Possible, murmurait-il, mais tout n’est pas fini.
– Qu’allons-nous faire, en effet ? demanda M. Havard. Vous êtes persuadé, Juve, qu’il va y avoir une tentative ici ? Contre les coffres ?
– Oui, chef.
– Pourtant vous avez dit vous-même, monsieur Juve, remarquait le gouverneur, que Fantômas n’avait pas dû prendre l’empreinte des clefs.
– Certes, ce serait enfantin. Il avait les clefs, pourquoi en aurait-il fait fabriquer d’autres ?
– Eh bien, alors ?
– Alors, voilà…
Juve paraissait à son tour, embarrassé.
– Fantômas, reprenait le policier, après quelques instants d’une courte méditation, Fantômas, monsieur, il ne faut pas l’oublier, est le Roi du Crime. Comment, dans ces conditions, supposer qu’il peut abandonner un instant, l’idée d’un cambriolage aussi profitable que le cambriolage de la Banque ?
– Mais, les caves sont à l’abri.
Juve, pour toute réponse, sourit. Hélas, lui qui, depuis des années, s’acharnait à la poursuite de Fantômas, tour à tour triomphant et vaincu, n’aurait jamais prononcé la parole imprudente que venait de lancer M. Chàtel-Gérard. Les caves étaient à l’abri de Fantômas ? Vraiment ? Y avait-il, au monde, précautions suffisantes pour qu’on pût tenir pour certain que Fantômas renonçât à réaliser ses desseins ?
M. Chàtel-Gérard, pourtant, s’emballait littéralement sur sa propre affirmation.
– Mais si, répétait-il en voyant l’énigmatique sourire par lequel Juve venait d’accueillir sa déclaration, je vous assure que les caves, ici, ne risquent rien ! Songez donc, un escalier barré par trois portes de fer, des sous-sols dont les murs sont inattaquables à la mine, des locaux que l’on peut noyer en une seconde, qui, en quelques minutes, peuvent être comblés de sable, cela ne se cambriole pas aisément. Et puis, enfin, nous allons avoir l’œil, nous surveillerons. Tenez, il y a mieux encore. Savez-vous, monsieur Juve, qu’en cas de besoin, rien qu’en pressant sur un commutateur électrique, je peux ouvrir des réserves d’acide carbonique comprimé, qui rendraient irrespirables pendant près de quatre jours, au moins, les souterrains où sont nos lingots d’or ?
– Je sais tout cela.
– Et malgré tout, malgré tout cela, comme vous dites, vous croyez qu’il faut craindre Fantômas ?
– Oui, répondit gravement le policier.
Juve, à nouveau, s’était levé. Sa voix devenait vibrante. Il affirma avec une énergie farouche :
– Fantômas, monsieur Chàtel-Gérard, est partout et nulle part. Il n’y a pas de portes fermées pour lui. Il n’y a point de murailles infranchissables pour lui. Il passe au travers de tout, quand bon lui semble. Il est invisible, s’il lui plaît. Il est dans cette chambre peut-être, tandis que nous nous entretenons. Ailleurs, s’il y a plus d’intérêt. Ah, vraiment, vous dites que Fantômas ne saurait entrer dans vos caves ? Cela me fait rire et cela me fait peur de vous en entendre parler, monsieur Chàtel-Gérard. Tenez, moi qui, depuis dix ans, poursuis Fantômas, je n’oserais pas vous dire que Fantômas n’y est pas, en ce moment, dans ces caves. Vous m’avez demandé de vous parler franc, je vous ai répondu comme vous le désiriez.
La déclaration de Juve, naturellement, émut au plus haut point ceux qui l’entendaient. M. Havard tout comme Léon et Michel, connaissaient trop Juve pour douter qu’il ne parlait sérieusement et qu’il ne pensait point ce qu’il disait. Quant à M. Châtel-Gérard, il était encore trop stupéfait par l’habileté dont Juve avait fait preuve en forçant Fantômas à restituer les trois clefs disparues, pour ne pas accepter comme parole d’évangile ce que Juve affirmait avec une si sombre énergie.
– Tout cela est donc possible… remarqua le gouverneur. Mais alors si Fantômas est aussi puissant que vous le dites, monsieur Juve, que faire ? Comment éviter la vengeance qu’il prépare, sans doute ?
Juve, d’abord, ne répondit pas. Il réfléchissait, avec de temps à autre des mouvements nerveux qui lui contractaient le front, lui crispaient les lèvres.
– Messieurs, déclara enfin le roi des policiers, le péril est certain. Il me semble que, logiquement, ce qu’il faut d’abord faire, si nous voulons l’enrayer, c’est de tâcher de le deviner. Je crois qu’avant toute autre précaution, il serait bon que nous nous rendions dans les caves. Peut-être, en examinant les dispositions des lieux, pourrai-je deviner, pressentir au moins ce que va tenter Fantômas. Et alors…
Mais tandis que Juve parlait, M. Châtel-Gérard pâlit visiblement. Un instant avant, au moment où il retrouvait les clefs, le gouverneur ne prenait plus au sérieux Fantômas. Après ce qu’en venait de dire Juve, un revirement se faisait dans son esprit et il lui semblait subitement des moins plaisants de courir le risque de rencontrer le Maître de l’Épouvante dans les sous-sols de son établissement.