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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 00:09

Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Soudain, le bouquiniste éclata de rire :

– Tenez, figurez-vous une chose, reprenait-il. Depuis ce jour-là, je n’ai jamais mis les pieds dans un théâtre. Ah ! quand vous aurez des billets…

– Des billets, père Cornélius, tout le monde m’en demande. Hélas, je n’en ai pas beaucoup, et puis, je ne suis plus là-bas, j’ai changé de théâtre.

– Ah bah ! et où êtes-vous donc ?

– Au Théâtre Ornano.

– Oui, oui, je connais, à la Fourche de la rue Clignancourt, pas vrai ?

– Tout juste.

Le bouquiniste souleva sa calotte noire, gratta son crâne chauve, puis demanda :

– Dites donc, rappelez-moi donc votre nom ?

– Dick, père Cornélius.

– C’est vrai, monsieur Dick. Parbleu, je vous connais bien, mais j’oublie toujours comment vous vous appelez. Pourquoi diable que vous avez choisi ce nom-là ? C’est pas un nom de chrétien, c’est presque un nom de chien.

Or, à la remarque du bonhomme, le jeune homme avait éclaté de rire :

– C’est un nom anglais, père Cornélius, répondit-il, et je l’ai pris parce qu’il fait bien au théâtre ! Voyez-vous, quand on est acteur comme moi, la question du nom a une grande importance. Dick, cela se retient, cela sonne.

– Mais pourquoi n’avoir pas pris un nom français ?

– Affaire de mode, père Cornélius. Les Français prennent des noms anglais et les Anglais des noms français.

Tandis que le jeune acteur du Théâtre Ornanos’entretenait ainsi avec le père Cornélius, Bouzille, qui d’abord avait écouté avec intérêt leur conversation tant qu’elle avait eu trait à Tête-de-Lard et à La Carafe, les deux apaches amis de Fantômas, avait cessé d’y prêter la moindre attention.

Bouzille n’avait plus d’yeux que pour les gens de l’autobus qui demeuraient toujours groupés autour de leur véhicule, et aussi pour Tête-de-Lard et La Carafe qui, après avoir étendu sur le sol, au travers du quai, un long câble d’acier, éparpillaient maintenant en tous sens leur boîte à outils comme à la recherche d’instruments de travail.

– Que diable fabriquent-ils et qu’est-ce que peut cacher toute cette manigance ? Je donnerais bien ma part de paradis…

Bouzille jubilait :

– Sûr et certain, se disait-il, sûr et certain que je m’en vais voir des choses.

Mais Bouzille, subitement, s’aperçut que Fantômas le fixait des yeux en fronçant les sourcils et ayant l’air de l’attendre.

– Allons voir, pensa le chemineau. Rapidement, il se dirigea vers la voiture en panne :

– Alors, patron ?

– Ne reste pas là, imbécile, tiens-toi tout contre l’autobus.

Fantômas venait de parler d’une voix nerveuse et mauvaise presque. Bouzille eut l’impression que l’instant décisif approchait.

– Bien sûr, murmura le chemineau, bien sûr ça va se gâter, le temps est à l’orage.

Mais Bouzille avait beau regarder de tous côtés, il n’imaginait nullement ce qui se préparait.

Si Fantômas était là en compagnie de ses plus redoutables complices, c’était évidemment pour y accomplir l’un de ces exploits dont il était coutumier, et cependant rien ne permettait de deviner encore ce qu’allait être cet exploit. L’acteur Dick, au même moment, commençait à s’intriguer fort en remarquant la manœuvre des ouvriers plombiers.

– C’est bizarre, faisait-il en les regardant et en prenant à témoin le père Cornélius, que diable peuvent-ils faire avec ce câble ? Ce n’est certainement pas un câble électrique, ils ne le laisseraient pas ainsi à même le sol et ne s’exposeraient pas à ce que les voitures, en passant par-dessus…

Mais Dick n’eut pas le temps d’achever.

Un coup de sifflet strident, prolongé, venait de retentir.

Au coup de sifflet, en une seconde, les deux soi-disant plombiers, c’est-à-dire Tête-de-Lard et La Carafe, avaient brusquement couru aux extrémités du câble. Un nouveau coup de sifflet retentit, les deux hommes se baissèrent, soulevèrent le câble et, par des boucles préparées à l’avance, l’attachèrent, tendu à un mètre du sol à peu près, d’un côté à l’un des gros platanes bordant l’avenue, de l’autre à un bec de gaz.

À l’instant où le coup de sifflet avait été donné, une automobile des Postes, une lourde voiture venant du bureau qui se trouve au bas de l’Hôtel de Ville, dépassait l’autobus. Elle avançait à toute allure sur le quai désert, car le conducteur, retardé place du Châtelet par un encombrement, devait rattraper son retard pour atteindre la gare d’Austerlitz à l’heure réglementaire, quand elle donna à toute vitesse sur le câble tendu.

L’automobile se renversa dans un fracas et, cependant que des cris de terreur et d’angoisse s’élevaient de tous côtés, cependant que, de toutes parts, les passants s’élançaient, un nouveau coup de sifflet déchira l’air.

Dick, l’acteur, avait été l’un des premiers à vouloir bondir au secours du malheureux conducteur de l’automobile postale et, avant d’avoir pu faire dix pas peut-être, il se heurtait à l’un des mécaniciens de l’autobus accouru.

– Les mains en l’air, criait l’homme, ou gare à toi !

Dick n’avait pas le temps de protester qu’un coup de poing le jetait sur le sol.

Alors ce furent des clameurs, des hurlements, une galopade folle d’hommes prenant la fuite.

L’acteur Dick devait être fort énergique cependant. Il se forçait à résister au vertige qui l’anéantissait, il redressait la tête et, toujours étendu sur le sol, ne cherchant plus à se relever, mais voulant voir, il regarda. De l’autobus immobilisé depuis quelques instants et auquel nul n’avait fait attention, la bande des mécaniciens s’était précipitée vers la voiture des postes renversée. Un homme courait, vêtu d’une courte veste de cuir, la tête coiffée de la casquette plate des wattman. Il tenait, comme ses compagnons, une barre de fer. Dick vit qu’il la levait, qu’elle tournoyait dans l’air, qu’elle s’abattait sur le crâne du malheureux postier qui après avoir été projeté sur le trottoir, se relevait péniblement.

Les autres mécaniciens déjà entouraient la voiture de poste renversée. À coups de barres de fer, ils la défonçaient. Ils allaient voler les valeurs.

Toutefois, au même instant, et croyant vivre un cauchemar, Dick se disait :

– Ça n’est pas possible, on va les arrêter, on va les prendre.

Des passants accouraient bien, mais Dick, dans une vision d’épouvante, les apercevait qui s’arrêtaient tous, levant les bras, puis reculant, puis s’enfuyant aussitôt après. Beaucoup tombaient qui ne se relevaient pas. Un vieillard à la longue barbe blanche passa près de l’acteur renversé, hurlant, fou, et laissant derrière lui des traînées de sang. En même temps, l’étrange crépitement augmentait. Dick s’agenouilla titubant. En tournant la tête, il vit que l’autobus s’était ébranlé ; lentement, le pesant véhicule s’approcha de la voiture des postes, autour de laquelle les mécaniciens, ou plutôt les bandits, s’affairaient toujours.

– Je rêve, je rêve ! pensait Dick.

L’autobus était environné de fumée. Debout, à l’intérieur, il apercevait une sorte de chevalet, un véritable pied de longue-vue sur lequel était posé un instrument qui brillait.

Qu’était-ce encore ?

Dick remarquait que l’homme tournait autour du chevalet et que sa main semblait pousser un mécanisme.

Les cris de terreur retentissaient toujours. Dick, brusquement, s’affaissa sur le sol, s’y aplatit, s’y écrasa avec le secret désir de pouvoir s’y engloutir.

– C’est une mitrailleuse ! se disait-il. Ils ont une mitrailleuse.

L’acteur ne se trompait pas.

Debout à l’intérieur de l’autobus, le Bedeau actionnait bien, en effet, le mécanisme d’une mitrailleuse. Il réglait le tir de la terrible machine avec une parfaite tranquillité, une admirable présence d’esprit. Il tournait tout autour du trépied et il envoyait ainsi, guidant lentement l’instrument de mort, de véritables gerbes de balles qui balayaient à distance tous ceux qui auraient pu vouloir arrêter les bandits. Le Bedeau, d’ailleurs, se révélait tireur d’élite. Il dirigeait son feu de façon telle que les balles passaient par-dessus ses sinistres compagnons toujours occupés à défoncer la voiture des Postes. Elles ne les atteignaient pas, elles ne pouvaient pas les atteindre, elles les enfermaient au contraire à l’intérieur d’un cercle rigoureusement infranchissable. L’autobus, cependant, après avoir avancé de quelques mètres, s’était rangé près de la voiture postale renversée.

Fantômas, très calme, continuait à diriger la manœuvre avec un merveilleux sang-froid :

– Dépêchons-nous ! répétait-il de temps en temps. Sortez les sacs ! Bien. Portez-les dans l’autobus, c’est cela !

Les ordres étaient ponctuellement exécutés. La malheureuse voiture, éventrée à coups de barre de fer, fut en quelques minutes vidée de ses sacs de dépêches, de tout ce qu’elle contenait. Les hommes, deux par deux et ne prêtant attention qu’à leur travail, prenaient les ballots, les jetaient à l’intérieur de l’autobus où le Bedeau, impassible et froid, continuait à manœuvrer la mitrailleuse.

Or, à ce moment précis, alors que de toutes parts des hurlements retentissaient, alors que les blessés jonchaient le sol, alors qu’une clameur abominable montait vers le ciel, un homme, tranquillement, quittait l’arrière de l’autobus, qu’il n’avait pas abandonné jusqu’ici.

C’était Bouzille.

Bouzille paraissait stupéfié, émerveillé, intrigué aussi.

– C’est du sacré travail, murmurait-il, c’est un sacré coup.

Bouzille, penchant la tête et se faisant le plus petit possible, car il ne se souciait nullement de recevoir l’un des projectiles que tirait le Bedeau, se glissa jusqu’à la voiture dévalisée.

– Moi, je vais toujours prendre les lanternes, disait-il, le cuivre, c’est de revente.

Mais Bouzille avait mal calculé son affaire. Il arrivait au moment même où les hommes de Fantômas achevaient leur extraordinaire besogne. Le chemineau se heurta à Tête-de-Lard.

– En arrière ! cria l’apache. En arrière !

Bouzille recula.

Au même moment, un nouveau coup de sifflet retentit.

Alors, en moins d’une seconde, Fantômas sauta sur le siège de l’autobus, les bandits grimpèrent dans le véhicule où Bouzille fut lui-même jeté de force, puis la sinistre voiture s’ébranla et s’éloigna lentement, protégée par le tir ininterrompu de la mitrailleuse.

Fantômas avait arraché le volant des mains de Mort-Subite. Le bandit semblait au comble de la joie. Ayant changé de vitesse, accélérant l’allure de sa fuite, il tendait la main vers les cadavres qui jonchaient les trottoirs :

– Un joli coup, disait-il, vingt morts au moins, cinquante blessés peut-être, et, j’espère bien, cinq cent mille francs pour nous.

Mais Mort-Subite ne semblait pas, à beaucoup près, aussi tranquille que son épouvantable maître :

– Vite, vite ! hurlait-il. Dépêche-toi, Fantômas !

Et il tendait le bras vers le pont d’Arcole, montrant une grande voiture automobile, une voiture de course, qui arrivait à une vitesse folle, en faisant de terribles embardées.

– Peuh, répondit simplement Fantômas.

L’autobus suivait toujours les quais. La mitrailleuse se tut.

4 – CHASSE ET FUITE

Tandis qu’avec une effroyable audace, Fantômas, en compagnie de ses redoutables apaches, s’enfuyait au long des quais, laissant derrière lui cadavres et blessés dans le quartier où la tragique mitraillade venait de semer l’épouvante, l’émotion n’était pas prête à se calmer.

Fantômas, à coup sûr, avait opéré avec une extraordinaire rapidité, une inconcevable habileté, et il ne s’était pas écoulé plus de cinq minutes entre le moment où la voiture des postes avait heurté le câble tendu au travers de la rue, et celui où les bandits avaient pris la fuite.

Pourtant, au cours de ces cinq minutes, des milliers de badauds avaient été témoins de l’attentat, de près ou de loin, ce qui faisait qu’à l’instant même, la chasse s’organisait derrière l’autobus qui emmenait les criminels. Sur la trace de la pesante voiture, une nuée de taxi-autos s’élançaient, requis d’autorité par les agents accourus au bruit de la fusillade.

– Mettez les voitures en travers ! hurlaient-ils d’abord.

Et c’étaient une dizaine de fiacres, qui dès lors, à toute allure, virant sur deux roues, montant sur les trottoirs, embardant au travers de la chaussée, tâchaient de rejoindre le sinistre véhicule.

En même temps, quelqu’un, (qui ? on ne pouvait le savoir), brisait un avertisseur d’incendie et appelait les pompiers. En quelques secondes, avec cette extraordinaire rapidité que mettent les nouvelles fatales à se propager dans la foule, on connaissait donc la sinistre aventure qui venait encore une fois de prouver que l’audace de Fantômas n’avait pas de bornes, qu’il était capable de tout oser et aussi de tout réussir.

À la Préfecture de Police, la nouvelle arrivait, apportée par deux agents cyclistes, qui, impuissants, avaient assisté à toute la scène du quai Bourbon et n’avaient pu traverser le pont balayé par la mitrailleuse.

Les deux agents avaient fait force pédales. À peine entrés quai des Orfèvres, dans les locaux de la Sûreté, ils hurlaient plutôt qu’ils ne criaient :

– Au secours, du renfort ! Il y a un attentat aux quais !

Précisément,  stationnant  devant  la  Préfecture  de police, se trouvait la voiture automobile récemment mise à la disposition de Nalorgne et de Pérouzin, voiture avec laquelle les deux agents étaient bien persuadés qu’ils allaient désormais accomplir des prodiges.

Nalorgne et Pérouzin se précipitèrent sur les traces des agents cyclistes, et activement les questionnèrent :

– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Où est-ce ?

– Quai de Gesvres, quai de l’Hôtel-de-Ville, un autobus avec une mitrailleuse. Vite. Vite ! C’est Fantômas ! Il va s’enfuir !

Nalorgne et Pérouzin n’en demandèrent pas davantage. Ils échangèrent un regard joyeux et bondirent vers leur voiture,  sautant en même temps sur le siège.

– Mettez-vous en route, Nalorgne !

– Tournez la manivelle, Pérouzin !

Tous deux voulaient commander et aucun d’eux, ne se souciait d’obéir, car leurs expériences des journées précédentes les avaient convaincus que le moteur de leur voiture était capricieux à l’extrême, et fort difficile à mettre en marche.

– Dépêchez-vous donc, Nalorgne.

– Qu’attendez-vous, Pérouzin ?

Ils s’entêtaient d’abord, puis, comprenant que la minute était mal choisie pour discuter des questions semblables, tous deux se jetèrent en bas des marchepieds, coururent à l’avant de la voiture, où ils se bousculèrent pour s’emparer de la manivelle :

– Rangez-vous, nom d’un chien !

– Faites donc attention, idiot !

Par extraordinaire, il arriva qu’au quart de tour de manivelle, Pérouzin fit partir le moteur. Déjà Nalorgne s’était emparé du volant. Il y eut des craquements sinistres dans la boîte du changement de vitesse, Nalorgne se battit de longs instants avec son levier ; puis enfin, comme il lâchait la pédale brutalement, l’embrayage se fit avec une si soudaine brusquerie que la voiture cala net.

La sueur coulait du front de Pérouzin.

– C’est imbécile, hurla-t-il, nous allons les manquer !

Il avait pourtant redégringolé du siège de la voiture.

Il essayait de tourner la manivelle. Hélas, c’était impossible. Il semblait qu’un poids formidable fixait le malheureux moteur, et Pérouzin avait beau raidir ses muscles, il n’arrivait pas à faire faire un demi-tour à la malencontreuse mécanique.

– Nalorgne, venez m’aider !

Nalorgne à son tour, joignit ses efforts à ceux de Pérouzin. Peine perdue. Soudain, Pérouzin, d’un grand coup de poing, se vengea sur Nalorgne :

– Idiot, crétin ! hurla-t-il. Vous avez oublié de débrayer !

Nalorgne, en effet, dans la précipitation qu’il avait mise à descendre de voiture, avait oublié de ramener le levier de changement de vitesse au point mort. Il fit rapidement la manœuvre, la manivelle consentit de nouveau à actionner le moteur, la voiture ronfla :

– C’est moi qui conduirai, déclara Pérouzin.

II saisit le volant, et plus habile que Nalorgne, il fit démarrer.

Pérouzin, d’ailleurs, devait être brave et Nalorgne également, pour oser se risquer dans une automobile rapide, confiée à leurs propres soins. Les deux agents, qui s’étaient donnés comme fort habiles en question mécanique, ignoraient en réalité les principes élémentaires de conduite. Leur voiture zigzaguait de façon effroyable et c’est par miracle qu’elle arriva sans accident jusqu’au pont d’Arcole.

– Vite, vite, hurlait toujours Nalorgne qui, pour calmer ses nerfs, faisait manœuvrer la poire de l’avertisseur.

La Seine franchie, la voiture s’engagea sur les quais, mais n’alla pas loin.

– Tenez donc votre droite, abruti, quand on ne sait pas conduire, on va garder les vaches !

Une manœuvre savante venait précisément d’amener le malheureux Pérouzin à bloquer sa voiture entre une lourde voiture d’épicerie, un taxi-auto et toute une file de fiacres. Pérouzin ne manqua pas de profiter d’une si belle occasion pour caler une fois encore. Il cala même si bien, que la malheureuse voiture demeura immobile, incapable de se remettre en marche, d’avancer d’une ligne.

– Nalorgne, avoua Pérouzin, je crois qu’ils sont trop loin désormais.

Nalorgne, pour toute réponse, haussa les bras d’un air désespéré.

– Cette voiture-là, fit-il, en montrant l’automobile de la Sûreté, je crois qu’elle a des instincts de bandit, elle se fait la complice des criminels. Quand elle marche, nous avons des accidents, et quand elle ne marche pas…

– Elle est arrêtée, conclut gravement son acolyte. Évidemment, elle est arrêtée, et elle est si bien arrêtée qu’il est impossible de la faire repartir.

L’autobus, pourtant, dans lequel fuyaient Fantômas et sa bande, avait pris une certaine avance depuis le début de la poursuite.

– Tout le monde le revolver à la main, avait crié Fantômas, et qu’on s’occupe à tirer !

Il pilotait de main de maître la voiture, et s’arrangea pour couper habilement la piste de ses poursuivants éventuels. Droit devant lui, pour gagner un peu d’avance, Fantômas avait suivi le quai Henri IV, mais tourné par le boulevard Bourdon pour gagner la place de la Bastille, et résolument, il s’engageait dans la rue de Charenton.

À cet endroit, l’autobus évolua dans une série de petites rues, qu’il parcourut à toute allure, tournant sur lui-même, rompant vingt fois sa voie, repassant aux mêmes endroits, pour, en fin de compte, aboutir boulevard Voltaire, à hauteur de la rue Oberkampf, qu’il descendit en direction des grands boulevards.

Fantômas paraissait de plus en plus joyeux :

– Ici, murmurait-il en manœuvrant de telle façon que l’allure de l’autobus, redevenue normale, ne pût attirer l’attention, ici, je pense que nous ne courons aucun danger.

Le Maître de l’Effroi, après s’être rapidement retourné et s’être assuré que nul ne les suivait, poussa l’audace jusqu’à descendre de l’autobus arrêté et à se faire remplacer au volant par Mort-Subite.

– Suis l’itinéraire convenu, cria-t-il à l’apache.

Puis Fantômas monta à son tour à l’intérieur du véhicule et s’occupa, avec un admirable flegme, à présider aux opérations de dépouillement du butin.

Dans les sacs qu’ils venaient de voler, sacs de dépêches, d’objets recommandés, de valeurs, il y avait de tout. Rapidement, les hommes de Fantômas éventraient les enveloppes, vérifiaient leur contenu, jetaient au fond du véhicule les prises qu’ils jugeaient peu intéressantes et gardaient au contraire, les mandats, les lettres chargées, tout ce qui représentait une valeur certaine.

Ils étaient huit, sept sacs avaient été volés, la besogne ne traîna pas :

Moins d’une heure après la fuite de l’autobus le long des quais, et alors que le véhicule roulait aux environs de la gare du Nord, le tri était terminé. Fantômas en parut fort satisfait :

– Mes enfants, déclarait le bandit, l’opération n’est pas mauvaise. Nous avons fait exactement cent vingt mille francs.

Il rit d’un rire joyeux, puis ajouta :

– Nous ferons mieux d’ici quelques jours, mais patience.

Fantômas, avec la belle tranquillité qui était la sienne, alors cependant que d’une minute à l’autre le hasard d’une rencontre avec un des témoins de l’attentat pouvait amener les pires catastrophes, finit de donner des explications :

– Vous allez vous partager les mandats et vous occuper de l’autobus. D’ailleurs, je m’en vais vous conduire les uns et les autres, dans les quartiers les plus divers de Paris. À chaque arrêt, l’un de vous descendra.

Fantômas était revenu sur le siège et avait pris le volant, et tandis que la police s’occupait à faire fermer les portes de Paris, à surveiller les boulevards extérieurs, la voiture des criminels continuait à circuler en plein centre de la ville, avec une audace folle. Sur le siège, Fantômas semblait triomphant :

– Qui donc croirait, en apercevant notre voiture, que nous ne sommes pas d’honnêtes mécaniciens ? murmurait-il. Qui donc oserait supposer qu’une heure après l’attentat, nous nous promenons en plein Paris sans même avoir changé d’autobus ? Évidemment, c’est en se cachant le moins qu’on se cache le mieux.

Et, fort de cet axiome, dont il avait maintes fois éprouvé la profonde vérité, Fantômas pilota son véhicule de telle façon que, de la gare du Nord, il arrivait à la Madeleine où Mort-Subite et le Bedeau descendaient. Continuant son chemin, la voiture tournait devant les Invalides, où deux autres apaches la quittaient.

Vers six heures du soir, Fantômas arrivait derrière le jardin du Luxembourg, et du ton le plus ordinaire, il annonçait :

– J’ai grand faim, je vais rentrer.

Sur le siège, à ce moment, un seul homme était à côté de lui, qui n’était autre que Bouzille. L’inénarrable chemineau riait de plus en plus, et paraissait de moins en moins comprendre la gravité des événements auxquels il venait d’être mêlé. Bouzille n’était point sot, mais il avait une candeur véritable qui eût désarmé le plus rusé des juges d’instruction.

– Moi, je n’ai rien fait, pensait Bouzille, pourquoi donc que je me priverais d’une balade en autobus juste un jour comme aujourd’hui où je ne paie pas ma place ?

Bouzille, d’ailleurs, s’il eût dit cela, n’eût pas exprimé toute sa pensée.

Le chemineau, au fond de son âme, se doutait bien que Fantômas allait être obligé de se débarrasser de l’autobus.

– Ma foi, songeait Bouzille, il n’y a pas de sot métier, il y a toujours ici des petits trucs à glaner : le crin des coussins, le cuir du tablier, la trompe, les lanternes, je ne perdrai pas ma journée si je peux rafler tout cela.

Et, avec l’inconscience qui le caractérisait, il suivait Fantômas. Cette randonnée tragique, lui vaudrait bien une vingtaine de francs de bénéfice.

Cependant, un vent de folie semblait souffler sur la capitale.

– Je crois que cette fois les Pouvoirs publics comprendront, se disait Fantômas. Bah ! dans huit jours peut-être, je ferai mieux.

– Nous sommes seuls, Bouzille, dit Fantômas. Veux-tu descendre ?

– Non, où vous irez, j’irai.

– Alors, reste.

Cette fois, un sourire avait égayé la dure physionomie du Roi du Crime. Que méditait-il ?

Du Luxembourg, l’autobus fatal avait rejoint le boulevard de Port-Royal. Il longeait l’avenue des Gobelins, puis, descendait par le boulevard de la Gare. Il évoluait encore quelque temps le long de la Seine, puis, un brusque crochet l’amenait à la rue Cantagrel.

– Nous voici chez nous, Bouzille.

– Chez nous, patron ?

– Je vais garer l’autobus chez ce marchand de charbon.

Fantômas désignait vers le bout de la rue, un grand terrain vague entouré de hauts murs, d’ailleurs percés de longues brèches, et dans lequel un entrepôt de charbon voisin remisait son matériel.

– C’est là, expliquait Fantômas, que depuis le vol je gare l’autobus. Hier, j’avais prétexté une panne grave auprès du propriétaire qui a un peu fermé l’œil, parce qu’il a eu peur, je pense. Aujourd’hui, ma foi, je rentre directement et je laisse tout là.

L’autobus vira dans le grand terrain, puis gagna le hangar en ruine sous lequel s’entassait des bûches. La voiture devenait invisible. Fantômas sauta du siège.

– Et voilà, Bouzille ! conclut-il. Nous n’avons plus qu’à nous retirer.

Fantômas allait s’éloigner, en effet, sachant bien, évidemment, que dans quelques heures l’autobus serait retrouvé, mais n’y attachant aucune importance, lorsque, ayant jeté un regard à l’intérieur de la voiture, il éclata en jurons.

– Que faites-vous là ? Imbéciles !

Les poings crispés, la face mauvaise, Fantômas interrogeait les trois individus accroupis jusqu’alors sous les sièges, blêmes et pâles. C’étaient trois apaches, trois des faux mécaniciens qui avaient aidé Fantômas quai de l’Hôtel-de-Ville.

– Que faites-vous là ? répétait le maître, j’avais ordonné à tout le monde de descendre en cours de route. Vous avez eu peur ? disait le Génie du Crime, vous n’avez pas osé quitter la voiture en plein Paris ? Imbéciles !

Il serrait dans la main la crosse d’un browning et semblait si furieux que Bouzille jugea prudent de s’éloigner sans bruit et de se cacher derrière un gros tas de bois. Fantômas, d’ailleurs, avait maintes fois prouvé qu’il ne tolérait que personne, fût-ce le meilleur de ses lieutenants, se permît de désobéir à ses ordres.

– Maître, commença l’un des apaches, protège-nous. Avec toi, on ne craint rien, emmène-nous.

Mais il n’acheva pas.

Alors qu’assez piteux, ils considéraient leur redoutable chef, deux ombres apparurent.

Alors Fantômas éclata d’une colère nouvelle :

– Toi, Tête-de-Lard et toi, la Carafe ? Pourquoi êtes-vous ici ?

– Nous sommes poursuivis, expliqua la Carafe.

– Vous êtes poursuivis ? Et vous venez ici ?

– On est venu où on a pu.

– On vous file donc ?

– Oui.

– Qui ?

– La Sûreté.

– Alors, nous sommes perdus, dit Fantômas très froid, nous sommes perdus et perdus grâce à vous.

– Écoute, patron, commença Tête-de-Lard en tremblant, on a cru bien faire en rappliquant ici, rapport à ce qu’on pouvait te prévenir.

– Me prévenir de quoi ? Il fallait aller n’importe où, mais ailleurs. Puisque vous vous sentiez filés, ce n’était pas la peine de guider les agents jusqu’ici. Que faire maintenant ?

Pendant quelques secondes, en effet, Fantômas parut vivement préoccupé. Lui qui tant de fois avait, avec un merveilleux sang-froid, trouvé moyen d’échapper aux souricières les mieux combinées, aux pièges les plus habiles, semblait, par exception, ne point savoir comment se tirer du pas difficile où la maladresse de Tête-de-Lard et de la Carafe venait de le faire tomber.

Parbleu, c’était évident, ces ombres qui se rapprochaient, qui entraient dans le terrain vague, qui se glissaient derrière les tas de charbon, se faufilaient sous les voitures, c’étaient, ce ne pouvaient être que des agents. Et, dès lors, comment espérer leur échapper, comment passer inaperçus ?

Fantômas grinçait des dents. Le browning qu’il tenait toujours à la main brillait de façon sinistre dans l’obscurité de la nuit commençante.

– Chiens que vous êtes ! hurla le bandit, vous mériteriez, ma parole, que je vous punisse en usant sur vous mes dernières cartouches.

Puis, soudain, comme les agents se rapprochaient, Fantômas haussa les épaules :

– Je vais vous sauver pourtant, dit-il, vous sauver du moins si vous avez assez de courage pour risquer le tout pour le tout.

Le Maître de l’Effroi entraîna ses compagnons auxquels s’était joint Bouzille, fort ennuyé de la tournure prise par les événements, à l’autre extrémité du hangar. Il y avait là un haquet chargé de tonneaux vides et à quelque distance, dans son box, un cheval minable.

– Hardi, ordonna Fantômas, attelez cette bête à la voiture. Vous vous caserez dans les tonneaux.

– Mais qui conduira ?

– Moi.

Et, tandis que les apaches, ne comprenant pas encore ce qu’il méditait, mais épouvantés à la pensée de la police, lui obéissaient aveuglément, Fantômas, avec une agilité folle, grimpait le long d’une échelle, saisissait une valise dissimulée à l’entrecroisement de deux poutres.

– Vite !

Après avoir entouré le terrain vague, après avoir pénétré derrière le mur de clôture, les agents de la Sûreté embusqués derrière le moindre obstacle, allaient à coup sûr se précipiter dans le hangar.

La porte de l’écurie était défoncée, le cheval déjà entre les brancards. Fantômas, pourtant ne s’occupait pas du haquet. Il avait ouvert la valise, en tirait des habits d’ouvriers, un pantalon de velours une veste d’alpaga, une casquette haute, sur la visière de laquelle une plaque en cuivre était fixée, portant ces mots : Charbonnage d’Audincourt.

En une seconde alors, s’aidant d’une petite glace qu’il avait trouvée dans la valise, Fantômas acheva de se maquiller. Du rouge habilement disposé lui fit un nez d’ivrogne. Il enfila une perruque grisonnante. Une barbe que collait du blanc gras et du vernis changeait l’aspect de sa physionomie, au point qu’il en devenait méconnaissable :

– Êtes-vous prêts ?

– Le haquet est attelé, patron.

– Alors sautez dans les tonneaux.

Y compris Bouzille, on se précipita à l’intérieur des barils chargés sur la longue voiture.

– Heureusement j’ai pensé à tout, murmurait Fantômas. Ce matin j’ai découvert ce haquet et j’ai songé à emporter cette valise de maquillage.

Car c’était là, en vérité, l’une des caractéristiques de ce génial et fantastique assassin. Fantômas le disait lui-même : il avait pensé à tout.

Alors qu’il méditait le plan infernal, qui venait de lui permettre de réussir la plus folle, la plus insensée des tentatives criminelles, il avait songé à régler jusqu’en ses moindres détails la fuite qui pouvait devenir nécessaire.

– J’ai toutes chances, avait pensé Fantômas, de pouvoir tranquillement revenir avec l’autobus, à l’entrepôt, et de pouvoir, ensuite, m’en aller sans être inquiété, mais enfin, je dois songer, au cas possible, sinon probable, où je serais pisté, et dans ce cas…

C’était pour parer à cette éventualité qu’il avait préparé avec une habileté prodigieuse le déguisement qui devait lui servir non seulement à se sauver, mais encore à sauver ses compagnons.

Il était temps. Au moment précis où les hommes du bandit se cachaient à l’intérieur des tonneaux chargés sur le haquet, les agents, revolver au poing, apparaissaient à toutes les issues du hangar.

– Rendez-vous ! hurlaient-ils.

Fantômas avait le fouet en main, il feignit une grande peur, il cria :

– Au secours ! Au secours ! À l’assassin !

Il criait de si bonne foi que les agents couraient vers lui, pris à sa ruse :

– Taisez-vous donc, taisez-vous ! N’appelez pas à l’assassin, bon Dieu ! Avez-vous vu quelqu’un ?

Fantômas alors, aussi merveilleux acteur qu’admirable de sang-froid, continuait à duper les hommes de la Préfecture.


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