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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 00:09

Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Le Bedeau cependant, demeurait obstinément rivé à sa table et paraissait ne pas vouloir bouger.

– Y a pas lieu d’avoir le trac, grognait-il.

Mais Bec-de-Gaz intervint :

– Et si des fois on est fait, qu’est-ce qu’on leur expliquera, par rapport au pèze qu’on a dans les profondes ?

Le Bedeau parut s’émouvoir de cette question.

– Tout de même, cria-t-il, c’est pas ordinaire ! Juste un jour qu’on a du blé, faut qu’il y ait des salauds qui viennent pour vous le chauffer.

Et il prêta l’oreille. Comme lui, tout le monde se tut dans le cabaret du père Korn.

Le sinistre établissement était bondé ce soir-là d’apaches et de pierreuses qui faisaient une ripaille monstre.

On avait commandé au père Korn tout ce qu’il possédait comme vins de luxe et comme plats chers. L’or sonnait dans toutes les poches. Il était bien évident, une fois n’est pas coutume, que la clientèle du cabaret était, comme le disait pittoresquement Œil-de-Bœuf, « dorée sur tranches » ce soir-là.

Cependant, Adèle était allée regarder par la porte entrebâillée. On percevait nettement une rumeur confuse, des éclats de voix, et le bruit de pas pesants qui montait dans la rue de la Charbonnière.

Le Bedeau, enfin, s était décidé à quitter sa table. Il vint voir, il passa ses robustes épaules par la porte ouverte, puis rentra précipitamment dans l’intérieur du cabaret, et déclara enfin :

– Pas d’erreur, c’est eux !

Il serra les poings, grommela avec rage :

– Qui c’est qui nous a mouchardés ?

Et instinctivement, son regard se fixa sur le père Korn, qu’il soupçonnait fort capable d’avoir renseigné la police sur les sommes d’argent dont disposait depuis une heure environ la bande dont il faisait partie.

Le Bedeau avait une furieuse envie d’étrangler, sur-le-champ, le gros tenancier du cabaret.

Mais il raisonna une seconde, et se convainquait que le père Korn ne pouvait pas être coupable, car il n’avait pas quitté son établissement depuis neuf heures du soir et il était tout près de minuit.

Bec-de-Gaz s’était rapproché du Bedeau et, soudain, les deux hommes, qui se regardaient sombrement, avaient la même pensée.

– Si c’était lui ? suggéra le Bedeau.

Bec-de-Gaz hocha la tête, déclara :

– C’est ce que j’étais précisément en train de me dire, car il y a quelque chose qui me chiffonne, c’est la facilité avec laquelle il a raqué. C’est pas dans ses habitudes de donner si facilement du pèze à ses aminches.

– En effet, reconnut le Bedeau, qui soudain ajoutait :

– Va s’agir de se débiner d’ici.

***

Une scène étrange avait eu lieu quelques heures auparavant, dans les environs de la rue de la Charbonnière.

Quelques hommes, qui devisaient sur le trottoir, et n’étaient autres que le trio composé du Bedeau, de Bec-de-Gaz et d’Œil-de-Bœuf, avaient aperçu, se glissant le long des murs et pénétrant dans une maison voisine, une femme qu’ils reconnaissaient pour être Adèle.

Celle-ci les ayant aperçus, leur fit un signe et les trois hommes s’engagèrent derrière elle dans un vieil immeuble aux couloirs étroits, aux escaliers obscurs.

Adèle, mystérieusement, leur dit :

– Vous m’avez recommandé de le surveiller et de savoir quand il viendrait chez lui. Eh bien, c’est le moment d’aller le taper, car il est là.

Les hommes hochèrent la tête, puis, précédèrent la pierreuse, montèrent au cinquième étage et frappèrent à une porte solidement construite qui devait être fort bien verrouillée.

Ils attendirent quelques instants, puis on entendit un bruit de clefs et de cadenas, de serrures. La porte s’ouvrit et, devant les apaches interdits, se dressa une silhouette bien connue, la silhouette de Fantômas, drapé dans son grand manteau noir, et le visage dissimulé sous la cagoule.

C’était là, en effet, l’un des domiciles du célèbre bandit. Piètre retraite en vérité que cette mansarde, dans laquelle se trouvait uniquement un lit de sangle et une table de toilette. Elle aurait eu nettement l’aspect d’une cellule de moine, n’eussent été certaines armes pendues au mur, et aussi les grandes malles déposées sur le sol et dont la plupart, ouvertes, avaient autour d’elles des objets de toutes sortes.

Fantômas, ce soir-là, éparpillait sur une table des liasses de papiers : titres et billets de banque, qu’il tirait d’une des malles.

Le Bedeau, aussitôt, avait avisé ces trésors et il grommela en manière d’entrée en matière :

– Faut croire que nous avons du flair, on s’est amené au bon moment.

Fantômas ne prononçait pas une parole, mais il avait des gestes qui, tout en stupéfiant ses amis, ne laissaient de leur faire grand plaisir.

Il puisa à pleines mains dans cette malle ouverte et il en retira non seulement des billets, mais encore des lingots d’or, des rouleaux de pièces d’argent, et il les donna aux uns et aux autres, sans compter, sans regarder, avec une générosité stupéfiante.

Le Bedeau, Bec-de-Gaz, ne comptaient pas non plus. Ils se contentaient de remplir leurs poches en proférant des remerciements :

Quant à Œil-de-Bœuf et à Adèle, ils étaient, eux aussi, rémunérés et semblaient fort surpris de recevoir autant d’argent, alors qu’ils n’avaient pas fait grand-chose pour le mériter.

Ils le prenaient néanmoins, car ce sont là des choses que l’on ne refuse jamais.

Ce qui les étonnait toutefois, c’était l’attitude mystérieuse et énigmatique de Fantômas à leur égard. Le maître ne prononçait pas une parole. Au lieu d’avoir les gestes brutaux et de manifester son autorité par quelques-uns de ces aphorismes énergiques dont il avait le secret, il avait des manières douces, et cauteleuses, et il semblait plutôt le dévoué serviteur de ses compagnons que le chef, le maître incontesté qu’il était.

Lorsque ceux-ci furent bourrés d’or et d’argent, Fantômas, toujours silencieux, les poussa doucement dehors, les obligea à quitter le petit local dans lequel il avait fait son repaire.

Au moment où le quatuor se trouvait dans le couloir, Fantômas se contenta de leur recommander le silence en mettant son doigt sur ses lèvres, puis il referma la porte et se verrouilla à nouveau à l’intérieur de son logement.

– Comment qu’il a été doux comme un agneau, grommela le Bedeau, une fois redescendu dans la rue.

Quant à Bec-de-Gaz, il se frottait les mains :

– Voilà ce que c’est, disait-il, que de montrer de l’énergie et de faire voir qu’on est un peu là.

Œil-de-Bœuf, auquel Fantômas ne devait pas grand-chose, était plus enthousiaste.

– On l’a dressé, disait-il, et maintenant nib de turbin quand il n’aura pas raqué d’avance. Décidément, quand on sait la manière de prendre Fantômas, on le fait marcher comme on veut !

Les apaches n’avaient eu que quelques pas à faire pour se rendre au cabaret du père Korn, dont ils comptaient épuiser toutes les félicités, même les plus onéreuses. Ils étaient riches ce soir-là, et pour quelque temps, on allait en profiter, il fallait commencer par faire une bombe carabinée.

On s’était donc installé dans l’assommoir, et on avait commandé les choses les plus agréables à boire et à manger. On avait invité généreusement les copains à participer à la bombe.

C’est alors que la situation avait changé, et des rumeurs suspectes provenant de la rue de la Charbonnière avaient attiré l’attention toujours en éveil des consommateurs du père Korn.

– V'là les cognes, débinons ! avait crié l’un des apaches, le Bedeau.

Lorsque l’on s’aperçut que le Bedeau avait dit vrai, on songea à la fuite, et chacun se souvint alors, aidé, d’ailleurs du père Korn, que son cabaret avait deux issues.

Un par un, étouffant le bruit de leurs pas, les consommateurs du cabaret s’enfilaient dans le couloir, gagnaient la sortie, mais au fur et à mesure qu’ils arrivaient boulevard de la Chapelle, ils étaient cueillis au passage et bouclés par les agents qui les guettaient.

La chose se passa très vite et pour ainsi dire sans bruit. Le premier qui fut arrêté, ce fut Tête-de-Lard, l’ancien charcutier. Assurément, il était moins habile que les autres, il n’avait pas encore été victime de semblables attaques.

– Mais j’ai rien fait, je suis un brave homme !

– Allez, pas de révolte, lui dit l’un des agents de la Sûreté, qui lui passait le cabriolet.

On avait attrapé de la même façon Bec-de-Gaz, que suivait Œil-de-Bœuf. Puis Adèle, qui se débattant furieusement, fut réduite à l’impuissance.

Cependant, le Bedeau qui marchait derrière eux dans le couloir, s’était rendu compte de ce qui se passait, et il avait rebroussé chemin. Il rentra par le fond dans le cabaret du père Korn, et tira son revolver, mais deux coups de feu retentirent à son oreille.

– Bougre, grommela le Bedeau, qui n’était pas le courage même lorsqu’il se trouvait en face d’adversaires armés, paraît que ça va mal !

Il se rendait compte, en effet, que c’était sur lui que l’on avait tiré, et il apercevait d’ailleurs, le menaçant du milieu de la pièce, deux des plus énergiques inspecteurs qu’il connût : Léon et Michel.

De sa voix forte et enrouée, le Bedeau cria :

– En voilà des assassins ! C’est-y que je rouspète, oui ou non ? Vous n’avez pas le droit de tirer comme ça sur le pauvre monde, et je me plaindrai au « Curieux ». Oh vous pouvez me boucler, je ne résiste pas, d’ailleurs, j’ai rien à me reprocher, et je ne crains pas la Justice.

Le Bedeau, tout tremblant, jeta son revolver sur la table.

– Constatez, déclara-t-il aux inspecteurs, que s’il est chargé, j’ai pas tiré, les cartouches sont vierges, vous pourriez pas en dire autant des vôtres, crapules, vaches que vous êtes !

Malgré tout, le Bedeau ne pouvait se résoudre à s’adresser poliment aux agents, et comme ceux-ci brusquement s’étaient approchés de lui et lui avaient passé les menottes, se rendant compte que, cette fois, il était fait, bien fait, le sinistre apache exhala toute sa mauvaise humeur, sachant fort bien qu’il pouvait s’en payer : un peu plus un peu moins, cela n’avait pas d’importance.

On entraîna le Bedeau, et dans le panier à salade, il retrouva Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, Adèle et Tête-de-Lard.

Puis, le véhicule à peu près plein s’en alla dans la direction du Dépôt, et Léon et Michel rassemblaient leurs hommes et leur donnaient rendez-vous pour le lendemain matin à la Préfecture.

– On n’a pas perdu sa soirée, déclara l’un d’eux.

– En effet, reconnut Michel, je crois que nous en tenons de bons. Le tout va être de savoir comment débrouiller cette affaire-là. Et quel est celui qu’il faudra épargner pour le remercier d’avoir bien voulu manger le morceau.

Le père Korn, furieux de l’aventure, se préparait à fermer sa boutique ; il avisa sous le comptoir et les banquettes qui entouraient la salle, trois formes qui s’y étaient dissimulées : Beaumôme, la Carafe et la grande Berthe.

Ils avaient passé dans cette cachette tout le temps de la rafle. Ils n’avaient pas été pris comme les autres, mais n’étaient guère plus rassurés pour cela.

– Allez, caltez ! ordonna le père Korn. Pensez-vous que je vais vous laisser moisir dans ma tôle ?

Après une longue discussion, et s’étant convaincu que la rue était déserte, le trio apeuré finit cependant par s’en aller. Le père Korn ferma sa boutique et, vers une heure du matin, la rue de la Charbonnière et ses sinistres voisinages étaient plongés dans le silence le plus complet.

Il y avait toutefois un personnage encore qui avait échappé à la rafle de la police. C’était un homme bizarrement accoutré d’une grande blouse bleue comme en portent les fruitiers où les gens de la Halle. Cet individu à la figure hirsute et vraiment caricaturale se faufilait, lui aussi, dans la rue de la Charbonnière :

– Ben vrai, qu’est-ce qu’ils ont pris ! Vrai, alors, ça rapporte pas d’être copains avec le Fantômas. Sûr que c’est lui qui les a fait poisser.

C’était Bouzille.

L’ancien chemineau, promu désormais au rang de commerçant, puisque depuis plusieurs jours il s’était établi marchand de fromages, s’était, ce soir-là, attardé dans le cabaret du père Korn.

Plus perspicace que les apaches, l’ancien chemineau avait déguerpi dès que des rumeurs suspectes s’étaient fait entendre dans la rue et, dissimulé sous une porte cochère, il avait assisté à l’arrestation des apaches.

– Vrai. C’est tout de même pas chic, de faire comme ça proprement poisser des aminches. Fantômas a vraiment pas de cœur. Comme les hommes sont ingrats, tout de même. V’là des gars comme Bec-de-Gaz, et les autres qui ont toujours turbiné pour Fantômas, et y les livre aux argousins.

Tout en monologuant de la sorte, Bouzille, regardait de tous côtés, et n’apercevant plus trace de policiers, décidait de quitter sa cachette :

– Faut tout de même que je me débine. Voilà l’heure d’aller aux Halles, je ne veux pas faire souffrir mon commerce des manigances de Fantômas. J’vas aller acheter mes fromages !

L’ancien chemineau remonta donc le boulevard de la Chapelle, arriva au boulevard Barbès, se dirigea vers le faubourg Saint-Denis.

Bouzille savait à quoi s’en tenir sur la reconnaissance et la bonté de Fantômas qui, tout dernièrement, lors de l’histoire de l’autobus, l’avait promptement noyé avec quelques apaches, et c’est pourquoi, sans hésiter, en voyant surgir les policiers, le chemineau avait conclu :

– C’est un coup de Fantômas ! Il ne veut sans doute pas leur donner du pèze, il leur en a fourré un peu et pour être tranquille, désormais, il les fait poisser.

***

Pendant la rafle, cependant, un homme brun, rasé, simplement vêtu, était allé s’attabler dans un café de bonne apparence qui était situé au carrefour Barbès.

Il resta là une heure, à peu près, ne prenant même pas la peine de rentrer à l’intérieur de l’établissement.

Assis à la terrasse, il semblait en proie à une rêverie profonde. C’était Fantômas. Or, depuis quelque temps, depuis surtout la mort de sa maîtresse, le bandit semblait prostré, anéanti.

Le sinistre Maître de l’Effroi, que l’on soupçonnait cependant d’être l’auteur de ce crime abominable, avait-il des remords, ou simplement, innocent du forfait horrible, éprouvait-il un profond chagrin ?

Nul n’aurait pu le dire.

Lorsque la rafle s’était produite dans le cabaret du père Korn, Fantômas en avait eu les échos. Puis, voulant sans doute questionner Bouzille qu’il avait aperçu, passant sur le boulevard Barbès, il l’interpella.

– Bonjour Bouzille !

L’ancien chemineau se retourna et immédiatement reconnut le Maître de l’Effroi.

– C’est vous ? c’est toi, Fantômas ?

– Oui Bouzille. Ça va bien ?

– Pas mal et vous ?

Le bandit ne répondit pas. Simplement il demanda :

– Tu as vu l’arrestation ?

Bouzille, qui était d’une naïveté et d’une inconscience vraiment surprenantes, ne tremblait pas une minute devant le tortionnaire. Même, sa gaieté native reprenait le dessus et c’est en riant presque qu’il répondit :

– Ben… vous savez c’était soigné. Non, tout de même, c’est pas chic Fantômas. Vrai, c’est pas des trucs à faire à des copains !

Fantômas avait l’air profondément étonné de ces paroles ; presque durement, cette fois, il interrogea :

– Qu’est-ce que tu racontes-là, Bouzille ? Qu’est-ce qui n’est pas chic ?

– C’est vous qui faites poisser vos amis, maintenant, j’aurais pas cru ça de vous, Fantômas.

Le Maître de l’Effroi sembla, à ces paroles légèrement tressaillir. D’une voix changée, il déclara :

– Comment les flics sont-ils arrivés ?

– Ben, comme ça, sans dire ouf.

Fantômas, trop éloigné de l’endroit de l’arrestation, n’avait pas distingué quels étaient au juste les individus arrêtés, si la rafle avait été faite par de simples sergents de ville attirés par du bruit, le tapage infernal des apaches dans l’établissement ou si, au contraire, l’arrestation avait été méditée d’avance et opérée par des agents de la Sûreté.

Bouzille, vraie gazette vivante, donna à Fantômas toutes les explications nécessaires. Il cita les noms des prisonniers et déclara encore :

– J’ai reconnu les deux policiers Léon et Michel, ils étaient avec des cognes de la Préfecture.

Fantômas, cette fois, n’ajouta pas un mot, il quitta Bouzille et en marchant, le bandit dont le nom seul suffisait à provoquer l’effroi, celui qu’on surnommait le Tortionnaire, semblait lui-même effrayé, livide et tremblant :

– C’est abominable, murmurait-il, c’est un guet-apens, une trahison effroyable, que se passe-t-il donc ? Je n’y comprends plus rien. Il faut absolument que je sorte de cette abominable situation. Je veux savoir. Et coûte que coûte, je saurai !

29 – FANTÔMAS ET FANTÔMAS

Juve, installé dans le petit salon du modeste appartement qu’il occupait au cinquième, rue Tardieu, fumait béatement une cigarette, les yeux perdus, suivant distraitement les nuages de fumée qui montaient au plafond.

Il pouvait être environ dix heures du matin, un gai soleil de printemps illuminait la pièce.

C’était quarante-huit heures après la fameuse nuit d’Enghien et vingt-quatre heures après la nuit non moins bizarre et tragique du boulevard de la Chapelle, au cours de laquelle les inspecteurs Léon et Michel avaient arrêté quelques-uns des individus que l’on soupçonnait fort d’avoir été les complices directs de Fantômas dans l’affaire du Comptoir National.

Les captures récentes n’intéressaient, d’ailleurs, pas autrement Juve.

Il reconnaissait préférable de savoir sous les verrous des gens tels que ceux qu’on venait d’arrêter, mais là, n’était pas pour lui l’important, l’essentiel. Il estimait que boucler les comparses n’était rien, et qu’on n’enrayait le mal qu’à la condition de s’attaquer aux racines mêmes de celui-ci. Du reste, Juve, depuis deux jours, était intrigué au plus haut point.

– Fandor, déclarait le policier à son ami, qui se trouvait dans le salon, je crois que bientôt j’aurai du nouveau à t’apprendre. Il y a en ce moment un mystère qui dépasse tout ce que tu peux imaginer. Mais, j’ai confiance en l’avenir, nous l’éclaircirons.

– Vous voulez parler des histoires d’Enghien ? Eh bien, moi, je vous fiche mon billet, Juve, que vous vous trompez tout de même. Il n’y a pas d’erreur, c’est bien Fantômas qui m’a endormi et vous avez dû rêver quand vous l’avez vu chez Sarah Gordon à l’heure où moi-même j’étais en conversation avec lui.

– Je n’ai pas rêvé, Fandor, et c’est toi qui n’as pas eu affaire à Fantômas.

– Alors à qui donc bon Dieu ? Et pourquoi un autre type que Fantômas m’aurait-il chloroformé ?

Mais le journaliste s’arrêta net. On entendait le bruit d’une altercation dans l’antichambre.

– Monsieur ne reçoit pas, vous n’entrerez pas !

– Je vous jure que j’entrerai. Il faudra bien qu’il me reçoive, c’est trop grave.

Juve avait reconnu la voix de son vieux domestique ; celui-ci se disputait avec quelqu’un. Au moment où le policier et Fandor se rapprochaient de l’antichambre pour voir ce qui se passait, l’interlocuteur qui forçait la consigne entra brusquement dans la pièce.

Et aussitôt, il déclara, apercevant l’inspecteur de la Sûreté :

– Je vous fais toutes mes excuses. Je vous demande bien pardon d’agir aussi brutalement, mais il fallait que je vous voie à toute force.

Le policier venait de regarder fixement son interlocuteur :

– Vous êtes, dit-il, si je ne me trompe, M. Dick, l’acteur du Théâtre Ornano, le premier prix du Conservatoire, qui, dédaignant la Comédie-Française, préfère jouer dans les établissements de quartier ?

– Je vous en prie, interrompit l’artiste – car c’était lui en effet – ne jugez pas ma carrière dramatique, mais écoutez-moi, renseignez-moi :

– De quoi, s’agit-il, fit Juve, qui, désignant Fandor du geste de la main, ajouta : vous pouvez me parler, monsieur, monsieur est mon ami, Jérôme Fandor.

Dick s’inclina, cependant qu’un léger sourire ironique errait sur ses lèvres :

– Je connais M. Fandor, murmura-t-il.

Puis, il s’interrompit pour reprendre, en se tournant vers Juve :

– Monsieur, fit-il, en se passant la main sur le front, vous voyez devant vous un homme troublé, très troublé. Je suis immensément épris d’une femme.

– Passez, monsieur, je sais, nous savons qu’il s’agit de miss Sarah Gordon, l’Américaine.

– Comment le savez-vous ?

– Je le sais, parce que je le sais, répliqua Juve, et l’essentiel, c’est, n’est-ce pas, que je le sache. En quoi cela peut-il, d’ailleurs, nous intéresser ?

– Ah, monsieur, ne raillez pas ma douleur… Sarah a disparu, subrepticement, depuis hier. Mes efforts pour la retrouver ont été vains. Je viens m’adresser à vous, monsieur, car je vous sais le plus subtil, le plus adroit des policiers.

Juve se leva :

– J’ai horreur des compliments, monsieur, et je vous remercie, par avance, de tout ce que vous comptiez me dire. J’avais d’ailleurs prévu votre visite, je vous attendais.

– Ah vraiment, pourquoi ?

– Parce que, répliqua Juve, étant donné que vous cherchiez miss Sarah Gordon, il était naturel que, ne l’ayant pas découverte, vous veniez demander où elle se trouvait à la seule personne qui soit capable de vous renseigner.

– Et cette personne, monsieur ? interrogea Dick.

– Cette personne, c’est moi. J’ajoute que vous n’avez rien à craindre pour miss Sarah Gordon, et que…

Juve s’interrompit encore. Jean venait d’entrer dans la pièce, contrairement à ses habitudes, car jamais il ne dérangeait son patron. Il déclara d’une voix mystérieuse :

– Il y a encore un monsieur, qui attend dans l’antichambre et qui veut à toute force vous parler. Je lui ai répondu, comme d’ordinaire à tous ceux qui viennent de la sorte, que vous n’étiez pas là, que vous ne receviez jamais, mais il a insisté de telle façon, et cet homme a un regard si extraordinaire, que je me suis dit qu’il fallait vous prévenir.

De plus en plus imperturbable, Juve interrogea son domestique.

– A-t-il remis sa carte, Jean ? A-t-il donné son nom ? Un nom quelconque, tout au moins ?

– Non, patron, il ne veut pas se nommer, et désire être reçu quand même.

– Eh bien, déclara Juve, qu’il entre.

Sitôt que Juve eut donné sa réponse au domestique, il demeura silencieux, immobile au milieu de ses deux interlocuteurs, et ceux-ci se turent également.

Le silence dura quelques secondes, il ne se rompit point, lorsque l’inconnu fit son entrée.

Il arrivait par une porte, face à la fenêtre, et dès lors, son visage était éclairé en pleine lumière.

C’était un homme robuste, au visage énergique et distingué. Il était glabre, à ses tempes quelques cheveux grisonnaient, sa bouche était bien dessinée, son nez légèrement arqué, ses sourcils bien tracés et sous ses paupières pétillaient de grands yeux noirs, desquels sortait une flamme sombre.

L’homme s’inclina légèrement devant Juve :

– Qui êtes-vous ? demanda enfin le policier qui, après avoir fixé longuement le nouveau venu, était obligé de se cramponner, non point parce qu’il avait peur, mais pour dissimuler le tressaillement nerveux que provoquait chez lui l’apparition soudaine de cet homme.

Et ses yeux se fixaient particulièrement sur la chevelure, une chevelure blonde et mate, sans brillant, sans reflet, une chevelure bizarre, étrange. L’homme cependant répliqua d’une voix grave et harmonieuse :

– Je suis, monsieur, quelqu’un qui vient vous demander justice.

– Parlez, fit Juve, cependant que Fandor qui s’était levé, regardait, avec une anxiété profonde, aussi bien le policier que son interlocuteur.

– Une femme que j’aime, déclara cet homme, a été mystérieusement, lâchement assassinée, une autre que j’affectionne profondément a disparu, en outre mes amis ont été trahis sans que je puisse savoir par qui.

– Et alors monsieur ? interrogea Juve.

– Alors, poursuivit l’inconnu, je viens vous demander votre appui.

Il sembla que cette déclaration faisait sur le policier, sur Fandor et même sur l’acteur Dick, une impression extraordinaire.

Juve répéta :

– Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ?

Et alors, brusquement, l’homme s’avança d’un pas au milieu de la pièce. D’un geste rapide, il arracha sa perruque, puis la foulant à terre, sous ses pieds, il poursuivit :

– À quoi bon cette comédie, Juve ? elle est indigne de nous. Voilà cinq minutes que vous m’avez reconnu et vous savez fort bien que devant vous se trouve Fantômas.

Le policier n’avait pas sourcillé.

– Je le sais, en effet, fit-il, j’attendais que vous ayez jugé bon de me le dire.

Le claquement sec d’une arme fit se retourner Juve et Fantômas. L’acteur Dick venait de tirer un revolver de sa poche :

– Fi donc, monsieur, articula Fantômas, laissez cela. Juve aurait pu me brûler la cervelle il y a déjà quelques instants, de même que j’aurais pu le tuer moi-même si je l’avais voulu. Laissez-nous en paix je vous en prie, il est évident que nous avons à causer.

Cependant que perplexe, Dick remettait son arme dans sa poche, un sourire errait sur les lèvres de Fandor. Seuls Juve et Fantômas demeuraient sévères.

Fantômas reprit, sombre :

– Je viens à vous, Juve, je me livre à vous. C’est une belle capture, n’est-il pas vrai, que vous allez faire ? Mais en échange, il me faut votre concours, votre appui. Il est un homme audacieux et téméraire qui me supplante, je veux le connaître. Je veux le tenir. C’est lui qui a tué lady Beltham. Il est vrai que je m’en suis déjà vengé en guillotinant Rose Coutureau.

– Pourquoi ? demanda Juve calmement.

– J’ai tué Rose Coutureau parce que cet homme devait être amoureux d’elle, qu’il la prenait en pitié tout au moins, puisqu’il avait déployé une belle énergie pour l’arracher du Dépôt.

Fandor ne put s’empêcher d’interroger à son tour :

– Ce n’était donc pas vous qui aviez embauché la grande Berthe, le soir des Buttes-Chaumont, pour aller prendre la place de Rose Coutureau ?

– Non.

Fandor insista :

– J’ai failli vous tuer chez le père Coutureau, si vous n’aviez pas imaginé de surmonter votre tête d’une tête de bois, que j’ai traversée d’une balle de revolver.

– Vous faites erreur, Fandor. L’homme que vous aviez en face de vous, ce n’était pas moi.

– Avant-hier, à Enghien, poursuivit Fandor, vous m’avez grisé, endormi par un soporifique, vous m’avez laissé seul dans une maison déserte, privé de sentiment.

– Ce n’est pas moi, Fandor, qui vous ai endormi. Si je l’avais fait, je vous aurais certainement tué ensuite. Avant-hier d’ailleurs, j’étais face à face avec Juve et si nous n’avions pas eu entre nous Sarah Gordon, nous nous serions fusillés à bout portant.

– Sarah Gordon, balbutia Dick, était-elle donc…

Mais Juve lui fit signe de se taire, et à son tour, il interrogea Fantômas :

– Vous avez jugé bon, déclara-t-il, de dénoncer vos amis, de faire surprendre le Bedeau, Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, n’est-ce pas ?

Mais Fantômas, d’un geste énergique protesta :

– Jamais, Juve, et semblable supposition ne devrait pas venir à votre esprit ! Je suis ce que je suis, tout ce qu’il vous plaira, mais pas un traître.

Le policier se croisait les bras :

– Assez parlé, dit-il, que voulez-vous ?

Le bandit redressa la tête, regarda Juve.

– Je ne veux qu’une chose, dit-il, vengeance d’abord, justice ensuite.

– En attendant, déclara Juve, je vous arrête.

Et il s’approchait du Maître de l’Effroi.

Fandor s’en était approché lui aussi, il connaissait trop Fantômas, il le connaissait assez, le monstre, pour tout redouter de lui.

Mais évidemment, Fantômas était subjugué, terrassé par quelque nouveau mystère, par quelque folle angoisse. Il était venu librement se livrer à Juve et librement encore, il se laissait prendre.

Juve lui passa les menottes, les doubla, d’un cabriolet, il ligota Fantômas, mais le policier répétait, comme s’il n’osait croire ce qu’il disait, à ce qu’il faisait :

– Je vous arrête, Fantômas, au nom de la loi.

Cependant que le bandit se contentait de répondre :

– Juve, faites votre devoir.

C’était une scène éminemment tragique et poignante. Cela était cependant.

Quelqu’un qui encore ne pouvait en croire ses yeux, c’était Jérôme Fandor.

Le journaliste s’était appuyé au dos d’une chaise,pour ne pas chanceler, tant il était ému. Il songeait tout bas :

– Il y a donc désormais Fantômas et Fantômas…

FIN

[1] – La ligne Montparnasse-Saint-Germain-des-Prés (ligne AM) appartenait à la Compagnie Générale des Omnibus. Un arrêté préfectoral du 12 mai 1906 autorisait la compagnie, à titre d’essai, à substituer sur cette ligne des voitures automobiles aux voitures à traction animale.

[2] – En 1910, le tarif, sur la plupart des lignes de Paris intra muros, était de 20 à 25 centimes (4 à 5 sous) en première classe et de 15 centimes (3 sous) en seconde classe. À titre indicatif, pour rire, en appliquant rigoureusement les coefficients de l’Insee, on peut calculer que 15 centimes 1911, date de parution de Fantômas, représentaient l’équivalent de 0,47 euro de 2008. Le ticket de métro (acheté en carnet) coûtait 1,14 euro au 1 erjuillet 2008…

[3] – Le faire à la pose : Se tenir avec affectation, faire des embarras, être prétentieux… (Dictionnaire d’argot de Bob : http://www.languefrancaise.net/).

[4] – – ou « pantre », dans le dictionnaire d’argot de Vidocq. « Homme simple, facile à tromper. Paysan. ».

[5] – Le Rendez-Vous des Aminches.Voir Juve contre Fantômas. (Fantômas N° 2).

[6] – Absinthe gommée : absinthe dans laquelle on avait versé du sirop de gomme. – Mêlé-cass(ou mêlé-casse) : boisson composée d’eau de vie et de cassis.

[7] – Le souvenir est encore tout proche de l’attaque de la Société Générale par la bande à Bonnot le 4 décembre 1911. Les attentats anarchistes qui avaient traumatisé la France à partir des années 1890, avec Ravachol, Auguste Vaillant ou Sante Geronimo Caserio et les violentes diatribes du Père Peinard, le journal d’Émile Pouget, avaient inspiré la loi sur la répression des menées anarchistesdu 28 juillet 1894. Cette loi, qui fut qualifiée de « scélérate » ne fut abrogée qu’en… décembre 1992.

[8] – Voir La main coupée. (Fantômas N° 10).

[9] – Dans le quartier des Halles, la chopine d’aramon s’appelait le casse-pattes. L’aramon est fort en alcool ; il chauffe l’estomac ; mais il alourdit la tête et ramollit les jambes. Aussitôt bu, il faut s’étendre.( Guide des plaisirs à Paris– 1927).

[10] – La pièce de 20 francs 1889 «  Génie 3 èmeRépublique » fut frappée entre 1871 et 1898. Elle représentait sur l’avers le Génie de la République, debout à droite, gravant une Table vierge sur un cippe, accosté d'un faisceau vertical surmonté d'une main de justice à gauche et d'un coq à droite, d’après Augustin Dupré. La pièce de 20 francs 1907 «  Coq » fut le dernier « napoléon » frappé, depuis 1898 jusqu’en 1914. Elle représentait sur l’avers le buste de Marianne drapée à droite, coiffée du bonnet phrygien décoré d'une branche de chêne. Elle était signée J.C. Chaplain.


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