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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 00:09

Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– J’ai d’excellents tuyaux, fit-il, et notre audacieux voleur a fait preuve d’une imprudence extrême. Les billets dérobés dans les caisses de la Banque circulent dans Paris, avec une telle désinvolture – si j’ose m’exprimer ainsi – que je suis convaincu que dans un bref délai, il n’en sera pas de même de leurs détenteurs.

– Les détenteurs, cela ne suffit pas. Ce qu’il faudrait tenir, c’est l’émissaire.

Cependant, le chef de la Sûreté ne releva pas cette observation. Il poursuivit :

– Oui, mon cher Juve, les inspecteurs que j’ai lancés sur l’affaire ont trouvé des choses fort intéressantes. C’est ainsi même que je tiens depuis ce matin un individu fort suspect de complicité dans le vol des billets.

– Oh ! s’écria Juve, voilà en effet, une information sensationnelle. Quel est cet individu ?

M. Havard sourit :

– Je savais bien, Juve, que j’allais enfin vous dérider un peu en surexcitant votre curiosité. Dites que je ne suis pas un ami pour vous ! J’ai fait traîner en longueur l’arrestation de cet individu, pour éviter de l’envoyer au Dépôt avant votre venue à la Préfecture. De telle sorte qu’il est encore dans nos bureaux, et que je m’en vais vous le montrer.

– Merci.

Quelques instants après, on introduisait dans le cabinet de M. Havard un homme de modeste apparence entre deux agents. Il avait le visage pâle et fatigué, les yeux rougis et creusés, comme ceux des gens qui abusent des veilles. Il était complètement rasé et l’on reconnaissait à sa tenue qu’il s’agissait évidemment là de quelque domestique, vraisemblablement d’un garçon de café.

L’homme considéra avec surprise les deux personnages devant lesquels on l’avait amené. Sur un signe de M. Havard, les agents se retirèrent, puis le chef de la Sûreté interrogea :

– Vous vous appelez Henri Grégoire, fit-il, et vous exercez la profession de garçon de café dans un établissement qui s’appelle Au Carrefoursitué boulevard Voltaire, près de la place de la République ? Est-ce exact ?

– Mon Dieu, oui, monsieur, répliqua l’homme, qui s’épongeait continuellement le front, car l’émotion lui faisait perler la sueur sur le visage.

M. Havard, solennel, continua :

– Vous avez été arrêté hier après-midi au moment où vous vous efforciez de faire passer au receveur des contributions un certain billet de banque de cent francs dont la nature a paru suspecte à nos inspecteurs.

L’homme haussa les épaules.

– Je ne comprends pas, dit-il, qu’on ait agi de la sorte avec moi. Je suis honnête et, de ma vie, je n’ai été soupçonné par les patrons des maisons où j’ai travaillé de la moindre incorrection. Je ne sais pas d’ailleurs, ce que l’on reproche à ce billet de banque. S’il est faux, ce n’est pas de ma faute. Je l’ai reçu d’un client, tout cela est bien malheureux pour moi.

Malgré son émotion, le prisonnier s’exprimait avec tranquillité, M. Havard, se penchant vers Juve, murmura, lui clignant de l’œil :

– Le gaillard est fort, et il cache son jeu.

Il poursuivait néanmoins, ironique :

– Naturellement, vous seriez incapable de désigner la personne qui vous a remis ce billet de banque ?

– C’est vrai, avoua le garçon de café. Il passe tant de monde chez nous que je ne sais pas si je tiens ces cent francs de la caisse ou alors d’un client.

– Naturellement, fit encore M. Havard, dans de semblables affaires, on ne peut jamais rien dire. Eh bien, mon garçon, vous ferez bien cependant de vous efforcer de rassembler vos souvenirs, car il pourrait vous en coûter fort cher de n’avoir point de mémoire.

M. Havard sonna. Deux agents entrèrent. Le chef de la Sûreté ordonna :

– Vous allez conduire cet homme au Dépôt.

Le détenu, à ces mots, avait sursauté :

– Quoi ? interrogea-t-il, on me mène en prison ? On ne me lâche pas ? Mais c’est extraordinaire, indigne ! Je n’ai rien fait de mal, moi. Je suis un honnête homme. Et d’ailleurs, qu’a-t-on à me reprocher ? Ce maudit billet que vous avez saisi, j’ignore ce qu’il a de suspect ! Est-il faux ? Est-ce un billet volé ?

M. Havard s’énervait :

– Vous retournez les rôles, mon garçon, et ce n’est guère à vous de poser des questions. Je ne demande pourtant pas mieux que de vous répondre. Je m’en vais vous le dire, ce qu’est ce billet.

Mais Juve s’interposa :

– Je vous en prie, monsieur Havard, ne dites rien, ce n’est pas la peine, le moment n’est pas venu.

Le chef de la Sûreté considéra un instant le célèbre policier :

– Après tout, reconnut-il, vous avez peut-être raison.

Puis, il fit un signe, les agents emmenèrent le garçon de café.

Lorsque les deux hommes furent seuls, Juve reprit en souriant :

– Vous alliez lui expliquer, monsieur Havard. Mais savez-vous donc très exactement la caractéristique particulière de ces billets ?

– Oui, fit le chef de la Sûreté. D’ordinaire, les billets de banque ont trois chiffres répétés en double sur chacune de leur face, et ceux qui ont été dérobés dans les coffres, n’en portent que deux.

– Non, dit Juve, c’est là un cas normal, sinon très fréquent. Si nous n’avions que cet élément pour rechercher les billets volés, nous serions fort gênés. Il en est un autre beaucoup plus probant.

– Lequel donc ?

– Celui-ci, fit Juve : vous savez que devant chacun des chiffres constituant le numérotage des billets, il est d’usage de mettre une lettre de l’alphabet. Cette lettre est séparée des chiffres par un point, or – et c’est là le détail important, le seul dont il faille tenir compte – ce point n’existe pas dans les billets volés.

M. Havard allait répliquer, lorsque la sonnerie du téléphone rappela à l’appareil.

Il répondit à son interlocuteur, puis appela Juve d’un signe de la main, et le policier, comprenant le désir de M. Havard, prit une feuille de papier, un crayon, pour noter les renseignements que l’on transmettait au chef de la Sûreté. Celui-ci répétait à haute voix les propos qu’on lui tenait :

– M. Châtel-Gérard ? Oui, Parfaitement. Oui, c’est moi, M. Havard. Vous avez du nouveau ? Un gros événement. Ah très bien, je vous écoute. Parlez. Il s’agit, dites-vous, du vol de l’autre jour. Vous avez quelqu’un de suspect dans vos bureaux ?

M. Havard écoutait encore, hochait la tête à maintes reprises, puis, finalement, invitait Juve à prendre le récepteur de l’appareil, à écouter avec lui la conversation.

Lorsque l’interlocuteur du chef de la Sûreté eut fini de parler, M. Havard posa l’appareil, non sans avoir dit au préalable :

– Gardez la communication, monsieur Châtel-Gérard. Je vous réponds dans un instant.

Puis, il regarda Juve et l’interrogea :

– Eh bien,  qu’en pensez-vous ?  Vous avez bien entendu, n’est-ce pas ? M. Châtel-Gérard nous informe qu’il y a dans ses bureaux quelqu’un qui vient de faire un dépôt de 10 000 francs constitué par des billets de banque provenant tous du vol. Ce personnage n’est autre que le comptable de la maison Rivel sœurs, les couturiers de la rue de la Paix.

– J’ai entendu.

– Eh bien, poursuivit M. Havard, qui s’apprêtait à reprendre le récepteur, je m’en vais téléphoner à M. Châtel-Gérard de faire immédiatement arrêter ce comptable, ce qui sera d’autant plus facile que j’ai placé l’inspecteur Martin en surveillance à la Banque de France.

Et M. Havard allait donner ce conseil au gouverneur de la Banque, lorsque Juve l’arrêta :

– Mais non, fit-il, cette arrestation est absolument inutile, comme d’ailleurs celle de votre garçon de café. Il est bien évident que si cet employé de la maison Rivel sœurs, était coupable de quoi que ce soit, il ne serait pas venu se jeter ainsi dans la gueule du loup.

M. Havard comprenait l’objection de Juve. Il hésitait, puis demanda :

– Que feriez-vous à ma place ? Ce serait vraiment trop bête de laisser échapper cet individu si d’aventure il était coupable.

– Dites au gouverneur, qu’on accepte le dépôt de 10 000 francs, que l’on fasse toutes les opérations que voudra ce comptable, puis faites ordonner à Martin de le prendre en filature.

M. Havard obéit à Juve. Quelques instants plus tard, le policier se préparait à prendre son chapeau et à sortir.

– Ce qu’il faut, conclut-il, c’est connaître l’origine de ces billets. Je vais de ce pas à la maison Rivel sœurs.

Mais le policier dut différer son départ. Le secrétaire de M. Havard venait d’entrer dans le cabinet de son chef et annonçait :

– Les inspecteurs que vous avez envoyés en mission sont de retour. Ils rapportent quelques renseignements. Voulez-vous les entendre ?

– Certainement, fit le chef de la Sûreté, envoyez-les moi séparément.

Juve enlevait son pardessus :

– Vous permettez que je reste ? demanda-t-il.

– Comment donc.

Quelques instants après, Léon s’introduisait dans le cabinet du chef :

– Vite, dépêchez-vous ! ordonna M. Havard. Racontez-nous ce que vous savez.

– Peu de chose, fit Léon, si ce n’est que les billets suspects sont de plus en plus fréquemment livrés à la circulation. J’en ai découvert dans les restaurants du bois de Boulogne. Le pari mutuel aux courses d’Auteuil, hier, en a été inondé.

M. Havard levait les bras au ciel :

– C’est extraordinaire, fit-il que le voleur ait eu l’audace de répandre ainsi le produit de son vol, dès le lendemain. Il devait bien se douter que nous allions agir, surveiller…

Juve haussa les épaules :

– S’il procède de la sorte, ce n’est point par imprudence, ni maladresse, mais bien au contraire parce qu’il se croit sûr de l’impunité. Et ce procédé qui consiste à nous narguer est bien un procédé à la Fantômas.

Juve, toutefois, s’arrêta net de monologuer, pour poser à Léon cette question :

– Le pari mutuel, avez-vous dit, était inondé, hier, de ces billets. Où les trouvait-on ? À la pelouse ou au pesage ?

Léon répondit nettement :

– Quelques-uns à la pelouse, évidemment, mais la majorité, pour ne pas dire la quasi totalité, se trouvait au pesage.

Juve parut satisfait de cette réponse, et comme se parlant à lui-même, il murmura :

– Monde chic [11].

Léon cependant, avait fini. Il remit à M. Havard son rapport écrit, puis céda la place à son collègue Michel. Celui-ci exposa :

– Conformément aux instructions que j’ai reçues, monsieur le chef de la Sûreté, j’ai effectué ma surveillance dans toutes les maisons de commerce susceptibles de faire des échanges fréquents de grosses sommes d’argent. J’ai battu le quartier de l’avenue de la Grande-Armée et j’ai relevé dans les caisses de certains commerçants, après leur avoir fait connaître ma qualité, les renseignements suivants : le fleuriste de la rue Duret, dont voici le nom et l’adresse exacts, avait neuf billets suspects dans sa caisse sur douze billets ; trois garages d’automobiles de l’avenue des Ternes en avaient chacun quatre sur cinq ; huit sur neuf billets en caisse. J’ai encore quelques observations de ce genre qui sont consignées dans mon rapport. Dans l’après-midi d’hier et la matinée d’aujourd’hui, j’ai fait les quartiers du centre et les grands magasins. J’ai bien trouvé quelques billets, mais dans une proportion insignifiante, comparée à celle que je viens de vous indiquer.

Cependant que M. Havard demeurait perplexe, Juve hocha la tête, approuva.

– Bien, très bien, fait-il.

Et il semblait si satisfait que M. Havard l’interrogea :

– On dirait, Juve, que vous tirez une conclusion intéressante de ces renseignements ?

Mais le policier ne voulait évidemment rien communiquer encore à son chef. Il secoua la tête.

– Pas le moins du monde, dit-il, j’ai simplement constaté – et je vous le répète – que les billets suspects semblent avoir été répandus dans les quartiers de l’Ouest de Paris et semblent être détenus, soit par des gens chics comme il s’en trouve au pesage, soit par des commerçants qui ont des commerces de luxe, comme les fleuristes, les garages d’automobiles.

Peut-être M. Havard allait-il poursuivre ses questions, lorsque Michel, s’étant retiré, deux personnages aux allures burlesques s’introduisirent dans son cabinet.

Juve sourit en les voyant, cependant que M. Havard fronçait les sourcils.

– En voilà une tenue pour vous présenter devant moi ! s’écria-t-il.

Les deux hommes, en effet, arrivaient couverts de poussière, vêtus de vêtements luisants de cambouis, avec des mains sales, des chevelures dépeignées.

– Excusez-moi, monsieur le chef de la Sûreté, murmura l’un d’eux, mais il a fallu réparer un pneu et le carburateur, au coin de la rue de Rivoli.

C’était l’ineffable Pérouzin qu’accompagnait le surprenant Nalorgne. Les deux inspecteurs qui faisaient la joie de la police parisienne et que l’on gardait à la Sûreté, nul ne savait exactement pourquoi, arrivaient cependant avec des mines si triomphantes que M. Havard espéra un instant qu’ils avaient quelque chose d’intéressant à lui dire.

Nalorgne, en effet, entrebâillait son veston de cuir, en sortait un portefeuille crasseux dont il retirait trois billets de banque :

– Ah, constata le chef de la Sûreté, vous avez saisi ces billets ?

– Oui, monsieur le chef de la Sûreté, répliqua hardiment Pérouzin.

Nalorgne, cependant, rectifiait :

– Saisi n’est pas le mot.

– Je l’espère bien, poursuivit M. Havard. Je vous avais donné, en effet, pour instructions, de ne pas vous emparer de ces sommes, ni même des billets. Votre rôle était simplement de savoir qui les possédait. D’où vous viennent ces billets ?

– Ah voilà, fit Pérouzin, c’est ce que nous nous demandons tous les deux. Et c’est ce qui est difficile à retrouver.

Les deux inspecteurs avaient maintenant une mine si piteuse que, tandis que M. Havard fronçait de plus en plus les sourcils, Juve se pinçait les lèvres pour ne pas éclater de rire.

Nalorgne et Pérouzin racontèrent alors une histoire confuse, aux termes de laquelle ils exposaient que, par suite des diverses pannes de leur automobile, ils avaient été obligés de faire des dépenses en cours de route. Or, dans l’ardeur de la poursuite, ils avaient fait de la monnaie, échangé de l’or contre des billets, tant et si bien qu’ils ne se souvenaient plus exactement d’où provenaient les trois coupures de cent francs qu’ils venaient d’apporter à leur chef hiérarchique.

Juve, qui enfin avait repris son sérieux, expliqua brutalement la situation.

– En somme, dit-il au chef de la Sûreté, je comprends que Nalorgne et Pérouzin se sont purement et simplement fait coller ces billets, et qu’ils ne se sont aperçus de leur caractère suspect que longtemps après les avoir eus entre les mains.

Nalorgne et Pérouzin approuvèrent. Mais ils tressaillirent. M. Havard venait de donner un formidable coup de poing sur la table.

– Foutez-moi le camp ! cria-t-il, en les foudroyant du regard. Il est permis d’être bête, mais pas à ce point-là ! Foutez-moi le camp !

Nalorgne et Pérouzin ne se le firent pas répéter.

M. Havard, en proie à une indignation phénoménale, prenait Juve à témoin.

Le chef de la Sûreté croisait les bras, et, fixant son regard dans celui de Juve :

– On se plaint, cria-t-il, que la police soit mal faite, mais comment diable voulez-vous qu’il en soit autrement, lorsqu’on a pour subordonnés de pareilles nullités ?

Juve, toutefois, qui cependant savait à quoi s’en tenir sur Nalorgne et Pérouzin, calma M. Havard :

– Ces gens-là ont des qualités, fit-il. Seulement voilà, peut-être ne sont-ils pas employés d’une façon conforme à leurs aptitudes… Au surplus, peu importe, là n’est pas la question pour le moment.

***

Juve, enfin, avait quitté le cabinet du chef de la Sûreté.

Il sauta dans une voiture, et mettant à exécution son projet primitif, se fit conduire rue de la Paix.

Il était onze heures du matin environ lorsque le célèbre inspecteur franchit le seuil du somptueux immeuble occupé par la maison Rivel sœurs. Il arrivait au premier étage par un large escalier tout décoré de plantes vertes. Une jeune femme fort élégante vint au devant de lui.

Elle lui fit un signe aimable, puis précédait le policier dans les salons dont les parquets minutieusement cirés semblaient être un redoutable skating.

Juve, surpris, trébucha deux ou trois fois, ce qui détermina autour de lui quelques petits rires étouffés. Il y avait, en effet là une multitude de jeunes femmes et de jeunes filles qui s’agitaient comme un essaim bourdonnant de papillons, ayant l’air fort occupé d’un tas de choses indéfinissables, donnant l’impression d’une activité extrême, laquelle dissimulait une absence totale de travaux.

Toutefois, la personne qui avait précédé Juve dans cette pièce, lui demanda avec un air gracieux :

– Vous venez sans doute pour un essayage, monsieur ?

Le policier ne put s’empêcher de rire :

– Non, madame, répliqua-t-il, je ne suis pas ignorant au point de ne pas savoir que la maison Rivel sœurs n’habille pas les messieurs.

– Oh ! continua la jeune femme, qui rougit, ce n’est pas cela que je voulais dire. Je pensais, monsieur, que vous veniez assister à l’essayage de quelque dame de vos parentes ou de vos amies.

Juve interrompit :

– Je viens pour voir M. Rivel.

– À titre personnel, monsieur ?

– Tout ce qu’il y a de plus personnel.

La jeune femme, convaincue qu’elle n’avait pas affaire à un client, redevint méfiante, prit un air hautain.

– Ce n’est pas pour des fournitures, je pense ? M. Rivel ne reçoit jamais lorsqu’il s’agit d’offres de services.

Juve commençait à s’impatienter. Il sortit sa carte de sa poche, la glissa dans une petite enveloppe qu’il cacheta :

– Excusez-moi de cette incorrection, fit-il, en s’adressant à son interlocutrice, et veuillez faire parvenir ceci à M. Rivel.

Il lui tendit le pli.

Un peu dépitée de ne pas savoir le nom du visiteur qui semblait tant désirer voir personnellement le grand patron, la jeune femme salua imperceptiblement, puis disparut dans les salons.

Quelques instants après, un domestique venait au-devant de Juve.

– Si monsieur veut me suivre ? demanda-t-il.

Juve obtempéra. Il traversa une galerie, une autre, passa au milieu de plusieurs salons, où des clientes discutaient avec des vendeuses, il s’effaça à maintes reprises le long des murs ornés de grandes glaces pour laisser passer de superbes mannequins qui défilaient avec des attitudes majestueuses et sculpturales et, enfin, fut introduit dans un cabinet décoré avec un luxe superflu : le cabinet de M. Rivel sœurs.

***

Juve en sortait deux heures après. Il avait son visage des bons jours et semblait très satisfait des renseignements qu’il avait dû recueillir.

Cependant qu’il se dirigeait à pied vers la Préfecture de police, Juve pensait :

– Voyons, résumons la situation. Il résulte, des rapports faits par les inspecteurs à M. Havard, que les billets suspects ont été répandus dans les quartiers de l’Étoile, de la Porte Dauphine et du bois de Boulogne. Ils ont été écoulés dans une clientèle riche, ou chez des fournisseurs de luxe, Je viens d’apprendre, d’autre part, chez ce couturier à la mode, qu’une liasse de 10 000 francs lui a été payée hier par une Américaine, sa cliente, miss Sarah Gordon, personnalité bien parisienne parce qu’étrangère, et qui fréquente les restaurants chics, les courses, le quartier des Champs-Élysées. Bien. Ce sont là des éléments qui ne sont pas absolument probants, et il faut que je complète ma documentation sur cette personne. Mais, d’autre part, je sais par mes renseignements personnels ce détail que je crois très important : depuis quarante-huit heures, au bureau de tabac qui fait le coin du boulevard de Courcelles et de la rue de Prony, on a passé une quantité anormale de ces billets de Banque. Ce bureau de tabac a, en outre, la spécialité des cartes à jouer, il en débite énormément. Pourquoi ?

Quelques instants Juve demeura perplexe. Il cheminait le long des quais et, sans souci du spectacle toujours pittoresque que lui offrait la rue d’une part, et le fleuve de l’autre, il semblait fixer obstinément en marchant la pointe de ses souliers.

Juve s’arrêta soudain, puis, après ce temps d’arrêt, il repartit, pressant l’allure dans la direction de la Préfecture.

– Pourquoi ? répétait-il, pourquoi ce bureau de tabac vend-il tant de cartes à jouer ? Parbleu ! Rien n’est plus simple à comprendre et je suis un enfant de ne pas l’avoir deviné tout de suite. Parbleu oui ! Voilà l’explication et je sais maintenant où découvrir la source qui répand sur Paris ces billets de Banque volés dans les coffres du Trésor.

Une demi-heure après, Juve était à nouveau dans le cabinet de M. Havard.

– Eh bien, Juve ? demanda celui-ci, satisfait de voir que le visage de l’inspecteur s’était épanoui.

– Eh bien, poursuivit le policier, je crois, monsieur Havard, que nous allons faire du bon travail cette nuit. J’ai besoin de quelques hommes, des agents en bourgeois simplement. Ah, et puis aussi, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, ayez donc l’obligeance de mettre à ma disposition M. Sibelle.

– M. Sibelle ? s’écria le chef de la Sûreté, qui paraissait tout étonné. Vous avez besoin de M. Sibelle, le directeur de la brigade de surveillance des jeux ?

– Mon Dieu, oui fit Juve qui, fixant M. Havard de son regard net et précis, déclara après un silence :

– Oui, j’ai la conviction que c’est dans les milieux qui sont familiers à M. Sibelle qu’il va falloir orienter nos recherches. Et cela sans plus tarder. Dès ce soir. Le temps presse !

11 – L’INCENDIE DU TRIPOT

– Voyons, messieurs, mesdames, la partie recommence : dépêchons ! Les cours sont forts, je mets la banque aux enchères : qui en veut à trente, quarante, quarante-cinq louis ?

Dominant le murmure confus de la foule qui s’empressait autour du personnage qui tenait ces propos, une voix s’éleva :

– Quarante-cinq louis.

– Vous entendez, messieurs, mesdames, reprit le premier interlocuteur, on a dit quarante-cinq louis ! N’y a-t-il personne qui veuille mettre plus ? Voyons, la banque vient de traverser une mauvaise passe, elle est certaine de gagner maintenant.

– Cinquante louis !

– Qui dit cinquante louis ?

Une voix féminine s’éleva :

– Moi.

Le personnage qui faisait les offres et poussait ses auditeurs à surenchérir était un petit homme très brun, aux allures remuantes, à l’aspect étranger. Il s’exprimait avec un fort accent italien et ne pouvait prononcer une parole sans l’accompagner perpétuellement de gestes aussi inutiles qu’expressifs. Il sauta de joie en entendant émettre une proposition à cinquante louis et, très ardent à obtenir mieux encore, il déclara :

– Nous allons avoir une partie superbe ! Il faut que la Banque prenne sa revanche. Voyons, mesdames, messieurs, je suis sûr que je vais trouver preneur à plus de cinquante louis… mettons cinquante-cinq.

Le bruit se faisait plus confus, plus intense, toutefois, nul ne mettait de surenchères. Il se passa quelques instants pendant lesquels le personnage à l’accent italien sembla ne rien trouver à dire, ce dont il se consolait en gesticulant et en parcourant le salon d’un bout à l’autre, sans but apparent.

Il revint près de la table de jeu et, résolu cette fois à ne pas tarder plus longtemps, il allait adjuger la Banque au dernier enchérisseur lorsque quelqu’un appela d’un ton autoritaire :

– Mario Isolino [12] !

Le petit homme bondit, et avec une rapidité merveilleuse sauta sur la chaise la plus voisine de lui, il proféra :

– Quel est le signor qui me demande ?

Une voix grave, celle qui, quelques instants auparavant venait de prononcer son nom, reprit :

– Mario Isolino inscris-moi, je prends la banque à cent louis !

L’Italien faillit dégringoler du haut de sa chaise tant il paraissait à la fois heureux et stupéfait. Et, tout en s’efforçant de rattraper son équilibre compromis, en faisant de grands moulinets avec ses petits bras, il répéta sur un ton véritablement admiratif et inspiré :

– Ah quelle superbe partie nous allons voir, mesdames et messieurs ! Il y a preneur à cent louis et c’est encore le Prince qui va tenir la banque.

Cette dernière déclaration déterminait de nombreux commentaires dans l’assistance et la conversation prenait désormais un ton plus catégorique, plus accentué. On s’étonnait, en effet, de voir un homme mettre autant d’acharnement à défier le sort.

Le Prince qui venait de s’inscrire pour prendre la banque à cent louis était, en effet, l’un des joueurs les plus malheureux que l’on eût vu depuis trois ou quatre soirs. Au cours des dernières soirées, il avait perdu des sommes colossales sans interruption pour ainsi dire ; mais il ne se décourageait pas, et sitôt la banque sautée entre ses doigts, il en reprenait une autre sans tenir compte des compétitions qui pouvaient se produire. Il surenchérissait toujours à seule fin de rester maître de la situation.

Le Prince, au bout de quelques instants, vint donc s’asseoir à la place réservée au banquier. D’un geste plein de nonchalance, il tira de la poche de son habit une liasse de billets qu’il jeta dédaigneusement à Mario Isolino.

– De la monnaie, ordonna-t-il, et des cartes neuves.

Cependant, alléchés par la guigne persistante de la banque, les joueurs venaient nombreux autour du tapis vert et sur chacun des tableaux, des louis s’accumulaient.

On considérait avec un certain respect ce banquier, ce personnage que l’on ne connaissait uniquement que par son titre, et qu’on appelait communément « le Prince » sans savoir rien de ses titres de noblesse, sans connaître le nom qui, régulièrement, devait succéder à la particule.

C’était un homme d’une cinquantaine d’années environ, robuste, élégant, vêtu avec minutie et qui portait, à la mode des hommes du second Empire, le large favori épanoui sur la joue, cependant qu’une épaisse moustache grisonnante était soigneusement frisée sur sa lèvre supérieure.

Quiconque aurait considéré le début de cette partie avec un but autre que celui de connaître le résultat immédiat du jeu n’aurait pas été sans remarquer que, depuis qu’il se faisait le banquier bénévole de cette succession de parties, le Prince changeait régulièrement des liasses de billets de banque neufs contre des pièces d’or. Enfin, si l’on avait examiné avec attention ces billets, on se serait aperçu qu’ils comportaient les caractéristiques particulières du genre de celles que Juve, le matin de cette journée avait signalées à M. Havard, chef de la Sûreté.

***

Dans ce cercle de la rue Fortuny, fonctionnait une entreprise clandestine de jeux de hasard et il fallait, pour être admis, s’être recommandé de quelque habitué et être présenté par un personnage garantissant que vous n’apparteniez point à la police. La clientèle se renouvelait peu et si les joueurs, sans cesse pourchassés et troublés par l’incursion des autorités, changeaient fréquemment de local, le même petit groupe se retrouvait assez régulièrement dans les hôtels ou appartements qu’il leur fallait occuper, puis abandonner, pour échapper aux poursuites.

Cette clientèle, très mêlée, en effet, était bizarre, composée de gens de toute sorte. On remarquait notamment, parmi les personnes les plus assidues autour des tapis verts de la rue Fortuny, une demi-mondaine bien connue dans Paris, répondant au nom de Chonchon [13]. Elle était fort bien considérée par le tenancier de l’établissement, par l’Italien Mario Isolino, personnage douteux, dont quelques années auparavant, la conduite scandaleuse au casino de Monaco avait fait sensation dans la Principauté tout entière.

Chonchon, lorsqu’elle perdait, vociférait bien des : « Vous êtes des voleurs ! Je veux qu’on me rende ma galette ! », mais on la tolérait tout de même, car elle entraînait toujours dans son sillage une douzaine de jeunes gens qui, sous prétexte de se faire bien voir d’elle, perdaient sans se plaindre de grosses sommes au baccara.

Il y avait aussi, amusant l’assistance par ses bons mots et ses saillies, un gros négociant connu dans l’alimentation parisienne, qui s’appelait Célestin Labourette.

Il était marchand de porcs aux Abattoirs, et au grand scandale de certaines personnes qui ne comprenaient pas comment on avait pu accepter un pareil individu, Célestin Labourette répondait par anticipation en se tapant sur les cuisses :

– Je vends des cochons ? Eh ben quoi, il n’y a pas de sots métiers ! Et ça ne m’empêche pas d’être un brave homme qui est aimé des jolies petites femmes. Pas, Chonchon ?

– Oui, mon gros loup, répliquait la demi-mondaine, ultra richement entretenue par le marchand de porcs.

Célestin Labourette, d’ailleurs, ne semblait avoir gardé aucun souvenir de l’effroyable attentat dont il avait été victime quelques mois auparavant, laissé pour mort par la sinistre bande du Bedeau [14]. Plus que jamais heureux de vivre, le gros marchand de porcs faisait perpétuellement tinter l’or dans ses vastes poches.

Parmi les familiers du tripot, se trouvait également la comtesse de Blangy, du moins la grande dame mystérieuse et troublante que l’on connaissait depuis quelques mois sous ce nom ronflant dans la société parisienne.

Ce soir-là, la comtesse de Blangy, ou pour mieux dire lady Beltham, était présente. Son teint pâle, son regard inquiet, faisaient un contraste étrange avec l’attitude cupide ou indifférente des autres joueurs qui s’empressaient autour du tapis vert.

Parmi les nouveaux venus, une jeune et jolie femme américaine, Sarah Gordon, faisait l’objet de nombreux commentaires :

– Vous savez mon cher, disait un cercleux au visage fatigué et banal, que c’est une jeune fille qui est venue seule à Paris, uniquement accompagnée d’une vieille miss au visage parcheminé, au nez surmonté de lunettes. Figurez-vous qu’elle prétend, sous la seule protection de ce chaperon, faire connaissance avec toutes les joies de la grande vie parisienne, épuiser les plaisirs de la capitale ?

– Ah ! Et quel est ce jeune homme perpétuellement sur ses talons ?

Miss Gordon, riche, jeune et célibataire, était naturellement le point de mire de la société parisienne, aussi n’avait-on pas été sans remarquer qu’elle était souvent accompagnée par un jeune homme glabre, à la tournure élégante et que l’on savait être un acteur répondant au nom de Dick.

Vraisemblablement, l’artiste était épris de l’Américaine, il suffisait, pour s’en assurer, de le regarder quelques instants. Toutefois, la jolie Sarah Gordon paraissait ne prêter aucune attention à ce soupirant, sans doute de trop médiocre importance à ses yeux.

Dans la foule encore des habitués du tripot, on remarquait Malvertin, le fils du grand carrossier, l’avocat Duteil que sa réputation d’austérité au Palais n’empêchait pas de venir de temps à autre taquiner la dame de pique, puis encore Valaban, gros propriétaire de chevaux de courses, puis aussi le boxeur Smith, robuste et gigantesque individu auquel ses poings et ses biceps assuraient régulièrement une rente de cinq cent mille francs par an.


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