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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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On ouvrait la porte à deux battants, les hommes semblaient s’apprêter à transporter la blessée dans l’appartement de M. Tissot.

– Mon ami, déclara ce dernier en posant sa main sur l’épaule de l’infirmier, vous vous êtes trompé, je viens de voir la personne que vous amenez ici. Dieu merci, ce n’est pas ma femme, ma femme est saine et sauve.

La déclaration du censeur de la Banque, stupéfia littéralement l’infirmier :

– Comment la personne blessée n’est pas de la famille de monsieur ?

– Mais nullement.

– Pourtant dans son sac, au poste de police on a retrouvé une carte donnant l’adresse de la rue des Pyramides.

– Donnant mon adresse ?

– Non évidemment, répondait l’infirmier, les cartes de dames n’ont jamais l’adresse gravée, mais il y avait écrit au crayon « Rue des Pyramides ». C’est pourquoi, monsieur le commissaire a dit : « allez-y ». Enfin, il y a erreur.

M. Tissot avait mis la main à son gousset ; il tendit un louis à l’infirmier en guise de pourboire :

– Il y a erreur, mon ami. Conduisez cette pauvre femme à l’hôpital, je ne la connais nullement et ma foi je vous avoue que j’en suis heureux.

L’employé de l’Assistance publique ne put que saluer respectueusement le censeur de la banque. Il balbutia des excuses :

– Comme monsieur dit, c’est une erreur.

L’homme ajoutait encore quelques vagues paroles dont M. Tissot ne chercha pas à deviner le sens, tant il était pressé de rejoindre sa femme qui l’avait devancé à l’appartement. M. Tissot, après la violente secousse qu’il venait d’éprouver goûtait un véritable bonheur à rejoindre son épouse :

– Ah ma pauvre petite, disait-il, j’ai eu véritablement peur ! Dieu que j’ai souffert ces quelques minutes, tandis que je descendais de cet escalier et que je t’imaginais couchée dans le brancard de cette ambulance, meurtrie, blessée, morte peut-être !

– Mais enfin, dit M me Tissot, c’est abominable, une histoire pareille ! Il s’agit donc d’une confusion de nom, tu devrais, mon cher, passer au commissariat après déjeuner et savoir le fin mot de cette aventure.

– C’est évident, déclarait-il, il faut aller au fond de cette affaire, quand ce ne serait que pour faire un exemple et éviter que semblable chose ne puisse se renouveler.

L’heure du déjeuner toutefois, était depuis longtemps passée. M me Tissot avisa la pendule, et s’écria en riant :

– Mais nous sommes fous ! Deux heures et demie, bientôt ! Viens vite déjeuner. N’as-tu point conseil à la Banque ?

– Non, heureusement.

Et il ajouta en souriant :

– Il y en a une histoire à la Banque, tu sais ! Figure-toi que de Roquevaire a perdu sa clef.

– La clef des caves ?

– Oui, la clef des caves.

– Tu vas me raconter cela en déjeunant.

Or, il arriva qu’au moment même où M. Tissot pénétrait dans son cabinet de travail, le censeur de la Banque s’arrêta soudain fronçant les sourcils, ayant l’air fort inquiet.

– Ah çà, je suis fou ? murmura-t-il.

Puis, il ajouta toujours immobile à la même place :

– Décidément, toutes ces histoires finiront par tourner mal.

M. Tissot avança de trois pas, gagna sa bibliothèque, dont l’un des battants était simplement repoussé et non pas fermé.

– Quelle imprudence, dit-il, et pourtant j’aurais juré que j’avais moi-même…

Puis, machinalement, le censeur de la Banque s’approchait du meuble, l’ouvrait et saisissait sur l’un des rayons le tome de l’ Histoire de Francede Michelet qui servait de cachette à la clef des caves de la Banque, le feuilletait et poussait un cri formidable :

– Malédiction ! Volé ! Je suis volé ! La clef n’est plus dans la cachette !

Aux cris que poussait le censeur de la Banque, M me Tissot et les domestiques s’étaient naturellement empressés d’accourir :

– Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? Monsieur appelle ?

– Volé ! râla le malheureux censeur de la Banque. La clef est volée !

Et, comme les domestiques se considéraient stupéfiés, comme M me Tissot joignait les mains, il continua :

– Mais c’est inimaginable. Personne n’est entré ici ! Personne ! Cette clef était là il y a un quart d’heure. Je l’ai moi-même regardée.

Il porta soudain les mains à son front. Une idée lui traversa l’esprit :

– Ah ! Les infirmiers !

M. Tissot courut comme un fou jusqu’au valet de chambre, qui demeurait atterré, appuyé contre la porte entrebâillée.

– Jean, demanda le censeur de la Banque, un infirmier est-il entré ici ?

– Je ne sais pas, monsieur, je ne peux pas dire. Croyant que c’était Madame qui était blessée, j’étais affolé, je ne me suis pas occupé de cet homme. Dans le brouhaha il a pu parfaitement…

Le valet de chambre n’acheva pas :

– Qu’on me laisse seul, ordonna M. Tissot.

Quelques minutes plus tard, le censeur de la Banque, ayant décliné son nom et ses qualités, obtenait d’être mis en communication directe avec le commissaire de police de l’arrondissement, et un entretien rapide s’engagea entre le magistrat et le haut fonctionnaire.

– Est-il vrai, demandait M. Tissot, qu’une femme blessée sur la voie publique a été apportée à votre commissariat et que vous avez donné l’ordre de la diriger chez moi, ce qui fut fait à l’aide d’une voiture-ambulance ?

Or, le commissaire ne paraissait même pas comprendre ce qui lui était demandé.

– Mais, jamais de la vie, je ne sais pas ce que vous voulez dire. À quelle heure ?

– À l’instant. Il y a quarante minutes à peine.

– Cela, monsieur, je vous certifie que c’est absolument inexact. D’ailleurs, je vais demander aux Ambulances.

Dix minutes plus tard, M. Tissot, qui était blême, était en communication avec le directeur du service des Ambulances municipales.

– Pouvez-vous savoir, demandait-il, si une voiture a été requise pour une femme accidentée sur la voie publique, et demeurant rue des Pyramides ?

– Aucune voiture des ambulances urbaines n’a été occupée dans ces conditions, monsieur.

Alors M. Tissot, accablé, se laissa retomber dans un fauteuil.

– Les voleurs ! s’écria-t-il. Les infirmiers étaient des voleurs.

Puis le sentiment de sa responsabilité lui revint avec netteté.

– Mais c’est abominable, se dit-il, il y a là plus qu’une coïncidence. C’est une machination inouïe ! Roquevaire perd sa clef, on me vole la mienne. Que vais-je apprendre ? que vais-je apprendre encore ?

Il empoigna à nouveau le téléphone, et appela M. Châtel-Gérard :

– Allô, c’est vous, Châtel ?

– C’est moi, mon bon ? Qu’y a-t-il pour votre service ?

Brutalement, car il était fort énervé, et n’avait point d’ailleurs à considérer M. Châtel-Gérard comme un supérieur hiérarchique, M. Tissot annonça la nouvelle :

– C’est une chose épouvantable, disait-il. On vient de me voler la clef des caves, chez moi, dans mon cabinet, avec une audace inouïe.

– Mais c’est effroyable ! hurla-t-on dans l’appareil. C’est impossible aussi. Vous êtes sûr de ce que vous dites ?

– Absolument certain, hélas.

Et en trois mots, d’une voix rauque, qui s’étranglait dans sa gorge, car il était littéralement affolé, M. Tissot mettait le gouverneur de la Banque au courant de ses aventures :

– Que faire ? Je ne sais plus où donner de la tête, comment poursuivre ces gens ?

Puis, M. Châtel-Gérard sembla retrouver un peu sa présence d’esprit.

– Coûte que coûte, dit-il, nous devons tirer ces aventures au clair et éviter le scandale effroyable qui nous menace. Il y aurait un coup de Bourse abominable. Ne bougez pas de chez vous, Tissot, j’arrive !

Il y avait bien un quart d’heure de marche pour se rendre de la Banque de France au domicile de M. Tissot. En voiture, et certainement le gouverneur avait dû sauter dans son coupé, c’était l’affaire de cinq minutes ; or, trois quarts d’heure s’écoulaient avant que le gouverneur général de la Banque ne fût introduit dans le cabinet de M. Tissot où ce dernier, toujours écroulé, se mordait les lèvres avec rage.

Le gouverneur de la Banque arriva enfin.

M. Châtel-Gérard n’était pas seul. Un homme d’une cinquantaine d’années, au visage énergique, l’accompagnait.

– Mon cher ami, dit M. Châtel-Gérard, j’ai pensé qu’il fallait parer au plus pressé ; avant de venir chez vous, je suis passé à la Sûreté, et j’ai eu la bonne fortune de rencontrer M. Juve que je vous présente. Allons droit au fait : que pouvez-vous dire de la disparition de votre clef ?

M. Tissot allait répondre, Juve ne lui en laissait pas le temps :

– Pardon, faisait-il, avec son autorité tranquille et son calme coutumier, en matière de police, monsieur, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Je vous avoue que j’ignore tout de la Banque de France, tout de ces clefs auxquelles vous semblez attacher tant d’importance. Renseignez-moi d’abord, nous travaillerons plus utilement ensuite.

– Soit, concéda M. Châtel-Gérard.

Et, gagné par le calme du policier, le gouverneur de la banque, avec sang-froid, mit Juve au courant :

– Vous n’ignorez pas, disait-il, que notre établissement de crédit a le privilège d’émettre des billets de banque. Vous savez sans doute qu’à chaque billet émis doit correspondre dans les coffres de la Banque une valeur réelle en or ou en argent.

– Je sais, interrompait Juve.

– Dans ces conditions, poursuivit M. Châtel-Gérard, il y a deux sortes de caisses : à la Banque de France, la caisse ordinaire d’abord, où sont enfermés dans un gigantesque coffre de sûreté, très solide, les espèces, les titres, les valeurs qui servent au trafic journalier. La clef de cette caisse est entre les mains du caissier.

– Est-ce cette clef qui a disparu ?

– Laissez-moi achever, monsieur. La caisse ordinaire est située dans une salle fort bien à l’abri de toutes les tentatives de vol, mais enfin, dans une salle ordinaire. C’est dans cette salle également, cette salle que l’on appelle en terme technique ; « la Serre », que sont déposés les objets précieux, mis là en sécurité par les clients de la Banque.

– Bien, monsieur.

– Dans cette salle, où se trouve la caisse ordinaire, est enfin une porte dissimulée dans le mur, qui mène à un étroit escalier creusé dans un puits, fermé de trois autres portes, et conduisant à ce que nous appelons : « la Caisse extraordinaire », c’est-à-dire aux caves de la Banque où sont accumulés les milliards qui garantissent la valeur en or et en argent des billets de banque. Les quatre portes qu’il faut franchir jusqu’à ces caves, qui sont, je vous le signale tout de suite, à l’abri de l’incendie parce qu’on peut les noyer, à l’abri du pillage parce qu’on peut les ensabler, à l’abri de la mine même parce que les murailles résisteraient à la dynamite, sont toutes munies d’une triple serrure. Il faut trois clefs pour les ouvrir, trois clefs différentes. L’une de ces clefs est en ma possession, l’autre est aux mains du caissier principal, la troisième est confiée au plus vieux censeur en fonctions, en l’espèce à M. Tissot.

– Et c’est l’une de ces clefs qui a été volée ?

– Hélas, monsieur, répondit le gouverneur, une première clef a été perdue ce matin, par le caissier.

– Perdue, ou volée ?

– Perdue, je le croyais. Volée peut-être ?

– Et l’autre ?

– L’autre vient d’être dérobée à M. Tissot.

C’était au tour du censeur de la Banque, d’expliquer à Juve le vol dont il venait d’être victime.

– Que croire ? conclut-il, que penser ? Il me semble que je deviens fou.

Juve, jusqu’alors, avait tranquillement écouté les explications qu’on lui donnait. Soudain, il sortit du silence indifférent, en apparence, qu’il avait jusqu’alors observé, et la déclaration qu’il fit jeta les deux hommes qui l’écoutaient dans une profonde stupeur, dans un effroi abominable aussi.

– Messieurs, déclarait Juve, si vous voulez que je vous parle franchement, je ne vous cacherai pas que pour moi, il n’y a aucune illusion à se faire. Le vol est manifeste dans les deux cas, et son auteur est, ne peut être que Fantômas.

– Fantômas ? Que Fantômas ?

– J’en suis certain.

Et, avec cette précision rigoureuse qu’il apportait toujours dans les affaires les plus complexes, il expliqua :

– Fantômas seul est capable, messieurs, de connaître d’abord les détails intérieurs de la Banque de France. Lui seul, enfin, peut rêver le vol prodigieux de ces caves. Lui seul serait capable de le réussir. Mieux même, je vous avouerai que seul Fantômas et personne d’autre, à mon avis, peut avoir eu l’audace nécessaire pour s’être emparé comme il l’a fait, de la clef de M. Tissot. Le stratagème des faux infirmiers, vous le reconnaîtrez, était merveilleux.

– Il est incompréhensible, surtout, dit le malheureux M. Tissot. Comment Fantômas pouvait-il savoir où je cache ma clef ?

– Vous avez dû le lui dire, répondit Juve en se levant.

Et, tandis que le censeur de la Banque, abasourdi par cette réponse, considérait Juve, le visage empourpré de colère, le policier, souriant, reprenait :

– Mais oui, vous avez dû le lui dire. Soyez sûr que si Fantômas s’est servi des faux infirmiers qui ne pouvaient que vous éloigner quelques instants et, par conséquent, lui laisser quelques minutes à peine pour effectuer le vol, c’est qu’il avait la certitude qu’il n’aurait point beaucoup de difficultés à trouver votre clef.

– Donc ?

– Donc, s’il savait où était votre clef, c’est que vous le lui aviez dit.

– Ah non par exemple ! Monsieur !

Cette fois, en dépit de la gravité du moment, le censeur de la Banque protesta avec fureur.

– Calmez-vous, monsieur. Loin de moi la pensée de vous accuser. Vous avez certainement renseigné Fantômas sans vous en douter.

Tout en parlant, Juve s’était levé, avait traversé le cabinet de travail, puis, était venu s’agenouiller devant le bureau-ministre de M. Tissot.

Juve examina attentivement le meuble. Il finit par demander :

– Où était votre clef, monsieur ? Dans cette bibliothèque, n’est-ce pas ?

– Oui, comment le devinez-vous ?

– Un peu de patience.

Juve continuait à inspecter le meuble puis, avec un petit claquement de langue marquant sa satisfaction :

– M me Tissot est brune ou blonde ?

– Très brune, répondit M. Tissot. Mais pourquoi ? Ma femme ?

– Vous aimez M me Tissot ? interrogeait encore Juve.

– Monsieur, les plaisanteries de cette nature…

– Je ne plaisante pas, reprit Juve, répondez-moi : vous êtes fidèle à M me Tissot ?

– Assurément.

– Alors, monsieur, vous ne recevez point ici de femme blonde ?

– De femme blonde ?

Juve eût parlé chinois au censeur de la Banque qu’il eût sans doute été mieux compris.

Que venait faire l’histoire d’une femme blonde compliquant le vol, si complexe déjà, de la fameuse clef ?

– Monsieur, reprenait Juve, j’avais raison de le dire, c’est bien vous qui avez renseigné Fantômas.

– Mais comment, nom d’un chien ?

– De la façon la plus simple : voyez ce cheveu.

Juve, se relevant, tendait entre deux doigts un cheveu blond à M. Tissot.

– C’est un cheveu de femme, expliqua-t-il. Le cheveu d’une femme blonde, il est intact.

– Eh bien ?

M. Châtel-Gérard, à son tour, s’était rapproché, il interrogeait en fronçant les sourcils. Peut-être n’était-il pas éloigné de supposer qu’une affaire de femme allait venir s’ajouter encore aux embarras de la minute.

– Eh bien, faisait constater Juve, ce cheveu est intact, mais penchez-vous, regardez au bas de votre bibliothèque. Vous allez voir qu’à chacun des battants adhère la moitié d’un autre cheveu.

– Je ne vous comprends pas.

– Vous allez me comprendre. Fantômas, déclara Juve, du ton doctoral qu’il affectait parfois, s’est introduit, monsieur, chez vous, peu de temps avant votre retour de la Banque. Sachant que M. de Roquevaire devait s’être aperçu ce matin de la disparition de sa clef, Fantômas, fin psychologue, se doutait bien que, de façon toute naturelle, en rentrant chez vous, vous iriez vérifier si la vôtre était toujours en votre possession. Je suis persuadé d’ailleurs que vous avez visité la cachette ? Est-ce exact ?

– C’est exact, monsieur.

– Naturellement ! Donc, Fantômas, se doutant que votre premier souci en arrivant chez vous serait de mettre ou de prendre votre clef dans sa cachette, a imaginé ceci : il a collé, dans votre cabinet de travail, de longs cheveux de femme au travers de tous les meubles pouvant vous servir de cachette. Il lui suffisait alors d’être seul quelques instants dans votre cabinet, pour deviner, en voyant le cheveu rompu et les cheveux intacts, le meuble ouvert par vous, ouvert, je le répète, lorsque vous avez visité la cachette. Autrement dit, Fantômas avait scellé vos meubles et c’est en constatant qu’un de ses scellés était rompu qu’il a appris que votre bibliothèque vous servait de coffre-fort.

– Mais, même si vous avez raison, M. Juve, comment Fantômas aurait-il deviné quel livre me servait à cacher la clef ?

– Comme je vais le deviner moi-même.

Le policier se leva, alla vers la bibliothèque, puis déclara d’une voix triomphante :

– Votre clef, monsieur, est dans le tome VI ou plutôt était dans le tome VI de l’ Histoire de Francede Michelet.

La déclaration de Juve était si précise, et pourtant il n’avait touché aucun volume, que M. Tissot portait la main à son front d’un geste égaré.

– Expliquez-moi comment ?

– Mais monsieur, c’est enfantin. Voyez plutôt. Si bien close que soit votre bibliothèque, il y a toujours un peu de poussière qui y pénètre et qui laisse une trace bleuâtre sur le vernis des rayons d’acajou. En prenant le tome VI de l’ Histoire de Francede Michelet, vous avez tiré le volume et laissé une empreinte dans la poussière. Il n’en fallait pas plus pour renseigner Fantômas.

La merveilleuse habileté dont Juve faisait preuve en dénouant ainsi, en l’espace de quelques minutes, une intrigue pourtant embrouillée, en reconstituant avec une autorité souveraine la mystérieuse scène du vol, acheva d’ébahir le gouverneur de la Banque aussi bien que M. Tissot.

– Hélas, gémit le gouverneur, tout cela ne nous sert à rien, puisqu’il est trop tard. Qu’allons-nous faire ? Fantômas ! C’est le terrifiant Fantômas qui vient d’agir. Ah malédiction ! Comment éviter le scandale désormais ?

Juve cependant, ayant cessé de parler, semblait s’absorber dans une méditation anxieuse.

– Monsieur le gouverneur, appela-t-il soudain.

– Oui, quoi ?

– Avez-vous besoin d’aller aux coffres ?

– Aux caves, vous voulez dire ?

– C’est cela même.

– Non, faisait-il, aujourd’hui, je n’ai pas besoin de descendre aux réserves secrètes, mais demain sans doute, cela sera nécessaire, après-demain, certain. Ah, c’est abominable, monsieur Juve !

Or Juve secoua la tête en souriant.

– Mais non, mais non, fit le policier, il ne faut pas désespérer ainsi.

– Mais vous ne vous rendez pas compte des conséquences terribles que vont avoir ces vols ?

– Je m’en rends très bien compte.

– Nous ne pouvons pas pénétrer jusqu’aux coffres de réserve d’abord, et c’est déjà quelque chose. En outre, si les clefs ne se retrouvent pas, il va falloir faire changer les serrures secrètes des quatre portes qui barrent l’accès des caves. Or, il faut une loi pour cela. De plus…

– Monsieur, il est absolument inutile de m’énumérer les conséquences tragiques de ce vol. Demain, après-demain au plus tard, les deux clefs volées seront entre vos mains.

– Les deux clefs volées ?

– Oui, monsieur, je vous en donne ma parole.

– Mais puisque c’est Fantômas ?

– Raison de plus. Fantômas, depuis quelques jours, multiplie les crimes audacieux, j’ai une belle revanche à prendre contre lui, vous me l’offrez.

– Mais, comment ferez-vous ?

– C’est un peu mon secret.

– Vous êtes certain de réussir ?

– Oui, à une condition.

– Laquelle ?

– Vous me confierez, monsieur le gouverneur, la troisième clef que vous possédez. D’abord, je ne serai pas tranquille de la savoir entre vos mains, car Fantômas trouverait moyen de vous la prendre, ensuite, j’en ai besoin.

– Vous voulez la troisième clef des caves ? Si vous l’avez, vous vous engagez à retrouver les deux autres clés volées ?

– Parfaitement.

Il n’y avait pas à hésiter, et M. Châtel-Gérard n’hésita pas. Il tira d’une poche de son gilet une petite clef brillante. Puis, il répéta :

– Monsieur, je vais vous confier cette clef, mais vraiment…

– Excusez-moi, interrompit Juve, qui avait pris son chapeau, je n’ai pas une minute à perdre.

Le policier salua et se retira.

Or, Juve avait à peine disparu du cabinet de travail, on venait tout juste d’entendre se refermer la porte de l’escalier que M. Tissot bondit vers le gouverneur :

– Mon cher, hurlait le censeur, j’ai peur, j’ai effroyablement peur.

– Oui, moi aussi. Est-ce bien Juve ? Ai-je eu raison de lui confier la clef ?

– Si c’est Juve, dit M. Tissot, il tiendra parole. Les trois clefs nous seront rendues.

– Si ce n’est pas Juve, si je me suis laissé berner, hurla M. Châtel-Gérard, je n’aurai qu’à me faire sauter la cervelle.

Cinq heures sonnaient.

7 – LA CLEF OFFERTE

Juve marchait toujours très vite en réfléchissant :

– Pourtant, se disait-il, je ne peux pas m’y tromper. Fantômas seul peut avoir médité de piller la Banque de France.

Il en revenait toujours là, car, ainsi qu’à l’ordinaire, le seul nom du bandit suffisait à lui faire redouter les pires catastrophes, à croire même à l’invraisemblable.

– Bah, conclut Juve, on verra bien. Je vais encore lui jouer un tour de ma façon.

Juve venait d’arriver sur la place du Théâtre-Français, il avisait un taxi-auto qui passait, l’arrêta d’un geste.

– Menez-moi rue Tardieu, 1 ter.

Une heure plus tard Juve était tranquillement installé dans l’appartement qu’il occupait près du square Saint-Pierre. Il lui fallait d’ailleurs une belle audace pour continuer d’habiter ainsi dans le logement qu’il avait conquis sur Fantômas, mais Juve n’en était pas à s’étonner pour si peu de chose.

***

Juve était déshabillé à présent, il avait revêtu une grande robe de chambre marron qu’il affectionnait pour travailler, il fumait un cigare et son front était rasséréné.

– Jean, appela le policier.

Le domestique qui, depuis des années, servait avec un dévouement grondeur le roi des policiers, accourut.

– Monsieur me demande ?

– Parfaitement. Faites venir mon invité.

– Quel invité, monsieur ?

– L’individu qui est dans le cabinet noir.

Jean, à cet ordre, ouvrit des yeux noirs effarés.

– Il y a un individu dans le cabinet noir, c’est donc pour cela… ?

– Oui, coupa Juve, c’est pour cela, Jean, que je vous ai interdit ce matin d’entrer dans la penderie.

Jean était trop accoutumé à apprendre les plus fantastiques nouvelles, pour se permettre une observation.

– Bien, monsieur, répondait le domestique, je vais conduire son invité à monsieur.

Quelques instants plus tard, la porte du cabinet de travail s’ouvrait et Jean poussait devant lui un individu qui n’était autre que Tête-de-Lard.

– Entrez, disait-il, M. Juve vous demande.

Mais comment diable Tête-de-Lard se trouvait-il chez Juve ?

Lorsque le policier, au péril presque de sa vie, avait réussi à tirer l’apache des flots de la Seine, il avait été un instant dupe de Tête-de-Lard. Juve n’avait point tout d’abord soupçonné l’apache d’avoir été complice de Fantômas.

Mais bien vite, Juve s’était ressaisi. Bien vite, il en était venu à penser qu’assurément Tête-de-Lard était un personnage qu’il importait de « cuisiner ».

Juve, en confiant le rescapé aux bons soins des agents plongeurs, avait invité Tête-de-Lard à venir le voir et quoique, après réflexion, l’inspecteur de la Sûreté avait été persuadé que l’apache manquerait au rendez-vous. Mais non ! Tête-de-Lard qui sans doute avait une idée derrière la tête pour agir ainsi, était venu sonner au domicile de Juve le soir même.

Le policier l’avait accueilli avec son plus aimable sourire.

– Tête-de-Lard, avait dit Juve, je tombe de sommeil. Si nous remettions toute causerie à demain matin, qu’en dites-vous ? J’ai précisément un lit de sangle inoccupé. Je vous l’offre. Dormez chez moi, nous causerons demain.

Et, sans laisser le temps à Tête-de-Lard de réfléchir, Juve avait poussé l’apache dans le cabinet noir d’où Jean venait de le faire sortir.

Juve, toutefois, la veille au soir, avait pris une précaution nullement superflue.

À peine Tête-de-Lard était-il entré dans l’alcôve obscure où Juve prétendait lui faire passer la nuit que le policier, d’un tour de main discret, avait poussé le verrou et bouclé son hôte.

– Dors, mon bonhomme, avait alors murmuré Juve, dors en paix, nous verrons plus tard, demain dans l’après-midi sans doute, à tirer de toi ce qu’il convient d’en tirer.

Or, depuis ce moment, c’est-à-dire depuis la veille, Juve n’avait pas revu l’apache.

Celui-ci bien entendu s’était réveillé, avait essayé de sortir de sa prison, puis, était demeuré immobile, retenant son souffle et faisant les pires suppositions.

– Je suis fait ! se répétait Tête-de-Lard. Je suis tout ce qu’il y a de plus fait.

Juve, à vrai dire aurait certainement interrogé Tête-de-Lard dans la matinée si, dans les couloirs de la Sûreté, il n’avait fait la rencontre de M. Châtel-Gérard. Les événements s’étaient alors précipités. Il venait tout juste de rentrer lorsqu’il fit demander l’apache.

Juve à l’apparition de Tête-de-Lard prit un air des plus aimables :

– Alors mon vieux, commença-t-il familièrement, la nuit a été bonne ? Pas de cauchemars ? Vous ne vous êtes pas trop embêté ?

– Mais, monsieur Juve, faisait-il, tournant machinalement entre ses doigts sa casquette crasseuse, et pleurant de ses deux yeux éternellement noyés dans la graisse de sa figure, je ne sais pas ce que cela veut dire. Oui, j’ai bien dormi, seulement…

– Et comme ça, interrompait Juve, vous avez été faire un tour cet après-midi ?

– Un tour, monsieur Juve ?

La face de Tête-de-Lard continuait à exprimer un ahurissement quasi complet.

Ah çà, Juve se moquait-il de lui ?

Il lui demandait s’il avait été faire un tour, alors que tout juste, il venait d’être rendu à la liberté ?

– Je n’ai pas été faire un tour, répondait Tête-de-Lard avec un soupir, puisque vous m’aviez bouclé.

Mais, à ce mot, Juve donnait des signes de stupéfaction :

– Bouclé, mon vieux ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?

– J’étais enfermé dans le cabinet noir, monsieur Juve.

– Enfermé ? Qu’est-ce que vous me chantez, Tête-de-Lard ?

– Dame ! monsieur Juve, protestait-il encore, quand j’ai voulu me lever, ce matin, je me suis aperçu que la porte était verrouillée.

Or, à cet instant, Juve éclata de rire :

– C’est pourtant vrai. Je me rappelle que ce matin, quand je suis sorti, j’ai machinalement tiré le verrou oubliant que vous étiez là. C’est rigolo. Mais vous ne m’en voulez pas hein, Tête-de-Lard ? Bougre, vous avez dû croire que je vous avais flanqué en taule. Mais, ça ne fait rien. Mettez votre main dans la mienne, Tête-de-Lard. Entre copains comme nous, il n’y a pas de rancune qui tienne. Nous allons nous caler les joues d’une manière un peu soignée, et, si vous m’en croyez, devant une bonne bouteille de vin.

Juve secouait avec une grande amitié la main molle et moite que lui abandonnait Tête-de-Lard. Il poussa l’apache dans la direction de la salle à manger d’une petite tape amicale sur l’épaule.

– Venez bouffer, Tête-de-Lard. Venez, mon vieux !

Tête-de-Lard commençait à se rasséréner. La cordialité de Juve était si parfaite, qu’il eût fallu à Tête-de-Lard beaucoup plus d’intelligence qu’il n’en avait réellement pour comprendre que le policier se moquait de lui.

D’ailleurs, Tête-de-Lard était gourmand ; ce gros homme qui avait passé dix ans de sa vie à respirer l’odeur fade et chaude du boudin et de la saucisse, appréciait les bons soupers, les copieux gueuletons qui entretenaient son embonpoint. Or, Juve le conduisait dans sa salle à manger où un pâté croustillant flanqué d’un poulet entouré d’un régiment de bouteilles meublait de la plus agréable façon la table servie. Comment être morose ou inquiet en présence d’un pareil festin ?

– À table, répéta Juve, et d’abord un bon coup pour se creuser l’estomac.

Un vin d’Anjou pétillant moussa dans les verres. Tête-de-Lard fut joyeux en une seconde.

– À table, monsieur Juve.

Et, comme il avait des usages, Tête-de-Lard reprit :

– C’est bien de l’honneur pour moi tout de même et je vous remercie.

Une demi-heure plus tard, Juve et Tête-de-Lard étaient les meilleurs amis du monde.

Tête-de-Lard mangeait avec une surprenante voracité et vidait sans discontinuer le grand verre que Juve emplissait avec une régularité d’horloge. On avait déjà parlé de toutes sortes de sujets, de la qualité des andouilles de Vire, des mérites du camembert bien fait, du vin de Suresnes, de l’aramon que l’on boit aux Halles [9] et même on avait fait une incursion dans le domaine de la politique. Tête-de-Lard s’était écrié, sincère et franc :

– Le gouvernement qui me plaît le mieux à moi, c’est celui qui donne le plus de banquets.

Que voulait donc Juve ?

Pourquoi se montrait-il si affable, si hospitalier à l’égard de Tête-de-Lard ? Pourquoi évitait-il avec un soin extrême d’aborder les événements de la veille ?

– Tête-de-Lard, mon vieux, à votre santé !

– À la vôtre, monsieur Juve !

Et les verres succédaient aux verres, le vin blanc au vin rouge, avec une telle rapidité, que bientôt Juve se mit à chantonner :

– La vie, disait le policier, la vie a vraiment du bon quand on se verse sur la pente du gosier du vin qui a goût de pierre à fusil.

Tête-de-Lard, lui, après être devenu loquace, était subitement passé à un mutisme parfait. Il ne s’occupait plus guère de Juve. Il ne répondait que par grognements, mais en revanche, il buvait comme une éponge.

Et c’était à cet instant psychologique, où l’ivresse commençait à bercer les rêves de Tête-de-Lard, que Juve soudain jeta son verre sur le parquet où il se brisa, tapa un coup de poing formidable sur la table, tout en s’écriant :

– Et puis, en voilà assez ! Tête-de-Lard, tu n’es qu’un cochon !

Tête-de-Lard était naturellement si loin de s’attendre à une pareille exclamation, qu’il s’arrêta net d’enfourner les victuailles dans sa gargantuesque bouche.

– Je suis un cochon, demanda-t-il, et pourquoi ?

– Oui, tu es un cochon, répétait Juve, parce que tu es un faux frère.

– Un faux frère ? bégaya l’apache.

– Parfaitement, et tu t’es foutu de moi depuis hier soir.

Tête-de-Lard d’abord ne répondit rien. Machinalement, cependant, il avait pris sur la table une bouteille de vin et, dans l’excès de son émotion, oubliant de se servir d’un verre, il avait renversé la tête en arrière et il buvait à même le goulot.

– Oui, tu t’es foutu de moi, continuait Juve, tu ne m’avais pas dit que tu étais avec Fantômas dans l’autobus, or, maintenant je le sais !


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