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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 00:09

Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Cela, par exemple, c’est plus fort que de jouer au bouchon ! T’as donc fait un héritage, Beaumôme, pour être aimable avec les femmes ?

Énigmatique, l’individu haussait les épaules, puis mettant un doigt sur ses lèvres, il recommanda :

– T’occupe pas de cela Adèle, ne t’inquiète pas de savoir d’où vient l’argent. Il faut prendre la vie comme elle se présente, et du moment que je suis riche, savoir en profiter.

***

Quant au mystérieux mécanicien qui semblait avoir été l’organisateur en chef, après avoir quitté l’apache Bébé boulevard des Batignolles, en lui recommandant d’aller prendre une succession de bains, puis de rentrer se coucher, il était simplement descendu dans le métro.

Il en ressortait dix minutes après, place Pereire, puis s’arrêtait au N° 214 de l’avenue Niel.

– M me la Comtesse de Blangy ? demanda-t-il au concierge, en touchant poliment sa casquette.

La gardienne de la loge répondit :

– Rez-de-chaussée, à droite. Le service se fait par la cour.

Le mécanicien se garda de sonner à la grande entrée. Il traversa la cour puis frappa deux coups à la porte de la cuisine.

Il attendit quelques instants. Un bruit de pas précipités. Une femme lui ouvrit et poussa un cri de stupéfaction en l’apercevant.

Le mécanicien entra rapidement dans l’appartement dont la porte un instant entrebâillée se referma sur lui.

À la manière de quelqu’un qui est fort au courant de la disposition des lieux, le mécanicien, sans s’inquiéter de la personne qui était venue à sa rencontre, suivit le couloir obscur, traversa une galerie, entra dans un cabinet de toilette, et là, se dépouilla vivement de sa casquette et de sa veste de cuir.

– Ouf, ça y est ! proféra-t-il en poussant un soupir de lassitude cependant qu’il se laissait choir sur un fauteuil.

La personne qui était venue lui ouvrir l’avait suivi dans ce cabinet. C’était une grande femme à la silhouette majestueuse, à la tournure de princesse. Elle avait un visage aux traits fins, de grands yeux noirs l’illuminaient cependant que sur ses tempes s’épanouissaient de lourds bandeaux de cheveux roux, mêlés de quelques fils d’argent. Un instant elle considéra, d’un air plein d’angoisse, le mystérieux mécanicien qui s’était assis sur un moelleux fauteuil, et d’une voix tremblante, elle demanda :

– Qu’avez-vous encore fait, Fantômas ? J’ai peur !

– Lady Beltham, de votre part, cela ne m’étonne pas.

Les deux interlocuteurs demeurèrent silencieux un instant.

Ainsi donc, c’était lady Beltham qui, sous le nom de comtesse de Blangy, habitait ce rez-de-chaussée, 214, avenue Niel.

Le mystérieux et audacieux mécanicien de l’autobus qui avait conduit son véhicule dans la devanture du Comptoir National était Fantômas… Le génie du crime, le maître de l’effroi !

Les deux amants, les deux héros tragiques de tant d’aventures et de tant de drames, se trouvaient bien, en effet, réunis en tête-à-tête, ignorés de tous au fond de cette pièce élégante, discrète et confortable. Cependant, Fantômas répondait à l’interrogation angoissée de sa maîtresse :

– Eh bien, oui, fit-il, c’est moi, et je viens de réussir un coup extraordinaire.

En quelques mots alors, l’effroyable et téméraire bandit racontait à son auditrice la façon dont il s’était emparé de l’un des autobus qui stationnaient à Saint-Germain-des-Prés, un de ses complices faisant l’office du conducteur. En cours de route, il recueillait quelques-uns des leurs qui jouaient le rôle de voyageurs, puis Fantômas, pilotant la voiture, la précipitait à toute allure dans la devanture du Comptoir National.

La boutique était enfoncée et les complices de Fantômas, bien stylés au préalable, faisaient main basse sur toutes les sommes d’argent que l’accident avait éparpillées dans les bureaux.

Comme lady Beltham demeurait atterrée en écoutant ce récit, Fantômas conclut :

– Voyez-vous, lady Beltham, lorsque les gens sont décidés à agir, qu’ils ont de l’adresse et de l’audace, ils font ce qu’ils veulent dans Paris. Le coup a été excellent, j’ai là, sur moi, plusieurs centaines de milliers de francs.

Le bandit se leva, alla et vint dans la pièce, l’air triomphant. Lady Beltham, elle, s’était laissée choir sur un canapé, elle avait pâli, son visage exprimait une terreur profonde.

– Je ne sais pas, murmura-t-elle, où s’arrêtera votre témérité, mais je redoute, Fantômas, le jour fatal de l’échéance où vous serez pris et livré à la justice.

Le célèbre bandit, que l’on avait à juste titre qualifié d’insaisissable, rit de tout son cœur.

– Plaisantez-vous, lady Beltham ? s’écria-t-il. Supposez-vous que je puisse être jamais pris ? Ceci d’ailleurs n’est rien, une simple amusette en passant ! N’ai-je pas fait mieux déjà ? Et pour ne vous citer que ma plus récente opération n’ai-je pas réussi à me marier officiellement devant tout le monde il y a de cela quinze jours, en plein midi, à l’église de la Madeleine ? Ce jour-là, j’avais dans l’assistance des gens comme Juve et Fandor.

Lady Beltham leva les mains au ciel.

– Ah, Fantômas, murmura-t-elle, comment pouvez-vous évoquer sans frémir cette heure effroyable et cet acte insensé, qui d’ailleurs a coûté la vie, par votre faute, à la malheureuse Mercedes de Gandia ?

– Les bons paient pour les mauvais, dit Fantômas.

Puis il ajouta après un instant de silence :

– Vous verrez d’ailleurs du nouveau d’ici peu, lady Beltham. Je me sens animé d’une ardeur incroyable et mes projets sont tels que lorsqu’ils seront réalisés, ce qui ne tardera guère, ils bouleverseront l’univers.

***

Le secrétaire particulier de M. Havard s’approchait timidement du chef de la Sûreté ; il tenait une carte à la main :

– C’est quelqu’un, commença-t-il…

– Fichez-moi la paix ! cria M. Havard, cependant que le haut fonctionnaire bondissant de son fauteuil allait à un téléphone dont il décrochait rageusement le récepteur :

– Allô, allô ! hurla-t-il dans l’appareil. Envoyez-moi d’urgence les inspecteurs de la section centrale. D’urgence. Vous entendez ?

Il revint à son bureau, fouilla fiévreusement une liasse de documents :

– La cote 22 grommela-t-il, qu’a pu devenir la cote 22 ?

Son secrétaire qui s’était reculé se rapprocha de nouveau et balbutia d’une voix timide :

– Monsieur le Chef de la Sûreté, c’est quelqu’un…

– Sacré nom d’un chien, la cote 22 !

On frappait à la porte.

– Entrez, fit le chef de la Sûreté, furieux.

Trois hommes pénétrèrent dans le cabinet de M. Havard :

– Ah c’est vous, dit celui-ci. Eh bien, mes gaillards j’ai joliment besoin de vous ! Léon, Michel, Martin, il va s’agir de se débrouiller ! Naturellement, vous connaissez la nouvelle ?

– Le Comptoir National ? L’autobus ? demanda Michel.

– Parbleu, je viens d’être prévenu par le commissaire de police.

À ce moment, quelqu’un frappait encore à la porte du cabinet directorial et pénétrait sans attendre de réponse. C’était un quatrième inspecteur de la Sûreté : l’inspecteur Lévêque.

M. Havard courut à lui, lui arracha brusquement les documents qu’il tenait à la main, puis les ayant examinés d’un rapide coup d’œil, le chef de la Sûreté proféra, poussant un gros soupir :

– Ah, je m’en doutais, c’est encore vous qui aviez la cote 22.

– Monsieur le directeur, fit Lévêque, vous me l’avez donnée il y a une minute pour rechercher les fiches des anarchistes que vous soupçonnez avoir commis l’attentat du Comptoir National [7].

– Il s’agit bien d’anarchistes ! cria M. Havard. Voyons, mes enfants, c’est stupide ! Le vol du Comptoir National est signé, clair comme le jour. Parmi les papiers qui ont disparu, se trouvent ceux qui appartenaient, par suite de la mort de l’infante d’Espagne, au soi-disant baron Stolberg, mari de Mercedes de Gandia. Or, vous savez bien, les uns et les autres, que le baron Stolberg, c’est la dernière personnalité prise par Fantômas. Fantômas, encore, toujours lui !

M. Havard s’arrêtant de parler, courut à la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure de la Préfecture.

Un vacarme assourdissant en montait, des pétarades qui évoquaient les écoles à feu de toute une batterie d’artillerie.

– D’où vient ce tapage ?

– Ce ne peut être que l’automobile de nos collègues Nalorgne et Pérouzin, dit Martin. Depuis qu’on les a chargés de ce service, ils sont toujours en train de réparer quelque chose, il faut croire…

– Il ne s’agit pas de cela, fit-il, mais bien de s’élancer à la poursuite du voleur de la banque et de ses complices. Car il y a naturellement des complices dans cette affaire.

M. Havard s’interrompit encore. Il se tourna vers son secrétaire qui l’avait approché, surmontant sa timidité, et le touchant au bras, il demanda :

– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Que voulez-vous ?

Le jeune homme enfin tendit la carte qu’il tenait à la main.

– Je n’ai pas le temps de recevoir ! cria M. Havard.

Cependant, ses yeux s’étaient arrêtés sur le bristol et il lut à haute voix :

M. Bercelier

Directeur technique de la Compagnie générale des Omnibus

– Qu’il entre, s’écria le chef de la Sûreté. Ah ! par exemple, il vient à point !

Deux secondes après, M. Bercelier pénétrait dans le cabinet du haut fonctionnaire. Celui-ci courut à lui :

– Eh bien, fit-il, en voilà une histoire ! Si vous croyez que c’est amusant pour nous. Mais aussi je ne comprends pas la Compagnie. Vos employés ne sont donc pas capables de garder leur voiture ? Les engins de cette espèce, des mastodontes de cette sorte ne se volent pourtant pas comme un mouchoir de poche ?

– Sans doute, répliqua M. Bercelier, mais l’aventure est tellement extraordinaire, et la témérité des voleurs si grande, que nous ne pouvions guère nous attendre…

– Vous vous rendez compte, poursuivit M. Havard, de la responsabilité qu’encourt la Compagnie ?

– Les agents de police de la place Clichy, survenus au moment de l’accident, ont manqué de présence d’esprit. Ils auraient dû songer qu’on allait peut-être voler la Banque, et organiser une surveillance immédiate. Je sais bien qu’ils n’étaient pas nombreux. Mais la Compagnie des Omnibus ne saurait être rendue responsable de l’insuffisance des gardiens de la paix.

M. Havard leva les bras au ciel à ces derniers mots :

– Ni moi non plus ! cria-t-il. Les agents de police ne me regardent pas. C’est l’affaire du préfet et si vous comptez engager la discussion sur ce terrain, c’est à lui qu’il faudra vous adresser.

M. Bercelier, un homme très calme, très froid et dont l’attitude pondérée faisait un curieux contraste avec celle du chef de la Sûreté, véritablement hors de lui-même ce jour-là, coupa court à la discussion d’un geste de la main.

– Monsieur le chef de la Sûreté, dit-il, j’ai quelque chose de plus grave à vous communiquer.

– De quoi s’agit-il ?

M. Bercelier reprit :

– Voilà, un autre autobus a été volé.

– Il ne manquait plus que cela ! Comment est-il cet autobus ? Quel est son numéro ?

– La voiture n’a pas de numéro. En outre, elle est difficile à reconnaître. C’est ce que nous appelons une « voiture haut-le-pied ». Et qui a pour mission d’aller se substituer aux véhicules en panne, tantôt sur une ligne, tantôt sur une autre. Je viens d’apprendre au dépôt qu’elle n’est pas rentrée à midi comme d’ordinaire. Or, il est neuf heures du soir et nous ne savons toujours pas ce qu’elle est devenue.

– Voyons, monsieur Bercelier, pourriez-vous me décrire cette voiture ? A-t-elle une forme particulière ? Une couleur spéciale ?

– Hélas, monsieur le chef de la Sûreté, répondit le directeur technique, tout ce que je puis dire, c’est qu’il s’agit d’un véhicule du type D. A., sans impériale, à trente et une places. La caisse est peinte en vert.

– En vert ! s’écria Havard, haussant les épaules. Naturellement, comme toutes les autres. Je ne comprends pas que vous ayez adopté cette couleur uniforme. Le public n’y comprend rien. Enfin, nous ne sommes pas là pour critiquer, mais pour agir.

Bercelier s’inclina :

– Je vous remercie par avance, déclara-t-il, de ce que vous ferez dans l’intérêt général comme dans l’intérêt de la Compagnie. De notre côté, monsieur le chef de la Sûreté, nous vous communiquerons d’urgence tous les renseignements qu’il nous sera possible de recueillir.

Le directeur technique de la C. G. O. était à peine parti que M. Havard se tournait vers les inspecteurs demeurés immobiles au fond de son bureau.

– Vous avez entendu ? Vous vous rendez compte de la difficulté de l’affaire ? Mais je sais que cela n’est pas pour vous rebuter. Voyons Michel et vous Léon, il va s’agir de prendre en main cette histoire.

M. Havard s’interrompit :

– C’est insupportable, le tapage que fait cette automobile dans la cour ! s’écria-t-il. On ne s’entend pas. Allons ailleurs ! Passons dans le cabinet du sous-chef, nous y serons débarrassés de ce vacarme, ce qui est nécessaire pour établir notre ligne de conduite.

***

Dans la cour, cependant, ignorant les perturbations qu’ils causaient parmi le haut personnel de la Préfecture, Nalorgne et Pérouzin, consciencieusement enfoncés sous le capot de leur voiture, s’entretenaient des mystères de la carburation.

Les deux inspecteurs de la Sûreté ne paraissaient pas très bien d’accord sur les causes de l’arrêt de leur véhicule, qui, s’il faisait grand tapage lorsqu’on mettait le moteur en route, ne parvenait pas à démarrer. D’un air solennel et convaincu, Nalorgne affirmait :

– C’est sûrement la faute du carburateur. Il admet trop d’air, c’est ce qui empêche le moteur de donner sa force.

Mais Pérouzin secouait la tête négativement et affirmait avec aplomb :

– Ça n’a aucun rapport, et si la voiture n’avance pas, c’est que peut-être il y a quelque chose de déboulonné dans le différentiel.

Après un instant de repos, les deux hommes, qui étaient couverts de poussière et de cambouis, disparurent à nouveau sous le mécanisme. Nalorgne appela Pérouzin :

– Qu’est-ce qu’il y a ? répliqua celui-ci.

– Je me demande, fit Pérouzin, si ça n’est pas un tour de la magnéto ?

Nalorgne en profitait pour sortir de dessous la voiture où il se trouvait fort mal, et s’asseyant sur le marchepied, cependant qu’il s’épongeait la figure avec un chiffon gras, il répondit d’un air entendu :

– Ah, la magnéto… Mais ce serait très grave.

Les deux hommes cessèrent un instant de travailler et se regardèrent dans les yeux, puis, brusquement, éclatèrent de rire. Ils s’étaient compris.

– Ma foi, murmura Pérouzin, nous pouvons bien l’avouer entre nous, nous n’y connaissons pas grand-chose.

– Vous pourriez dire rien du tout, Pérouzin. Mais, je ne me décourage pas, nous finirons bien par connaître le métier.

– Nous en avons fait bien d’autres. Quand je pense que j’étais notaire autrefois !

– Et moi ecclésiastique, fit Nalorgne.

– Nous sommes ensuite devenus inspecteurs des jeux au Casino de Monte-Carlo [8].

– Puis, continua Nalorgne, nous avons monté un bureau d’affaires rue Saint-Marc à Paris.

– Un bureau qui ne marchait pas, dit Pérouzin comme un écho.

– Enfin, nous sommes entrés à la Sûreté avec, pour mission, d’aider Juve à arrêter Fantômas.

– Lequel Fantômas, conclut Nalorgne, s’est trouvé par le hasard des circonstances, sinon le meilleur de nos amis, du moins le plus redoutable de nos maîtres.

– C’est vrai, reconnut Pérouzin. Nous avons risqué gros à ce moment, et si Juve avait voulu nous faire du tort, rien ne lui était plus facile.

Les deux hommes se taisaient encore et réfléchissaient aux choses qu’ils venaient d’évoquer. Elles étaient exactes, quoique surprenantes : Nalorgne et Pérouzin, après avoir exercé les professions les plus diverses, étaient entrés, en effet, dans les services de la Sûreté générale à une époque où le terrible bandit Fantômas les avait utilisés comme indicateurs et même complices de ses entreprises. Certes, il n’aurait tenu alors qu’à Juve de les faire arrêter. Il les avait épargnés. Pourquoi ? On le saurait peut-être quelque jour.

Quant à Nalorgne et Pérouzin, peu préoccupés de l’avenir, ils se contentaient de la tranquillité présente et depuis quelque temps, se sentaient gonflés de joie, parce que, sur leur demande et l’assurance qu’ils avaient donnée qu’ils connaissaient fort bien l’automobile, on leur avait confié la première des voitures achetées par la Sûreté générale pour le service des inspecteurs.

Nalorgne et Pérouzin regardaient le véhicule avec sympathie et tendresse.

– Ce qu’elle est jolie tout de même, murmurèrent-ils. Dommage qu’elle ne veuille pas marcher.

La nouvelle voiture de la Préfecture était une sorte de phaéton, type de course, et munie à l’avant d’un capot très élevé, tout en métal, de nature à fort bien protéger les passagers de la voiture contre les agressions possibles ou les coups de feu.

– Dommage qu’elle ne veuille pas marcher, répéta Nalorgne.

Cependant Pérouzin, plus entêté que lui, était allé tourner la manivelle. Le moteur pétarada de nouveau et l’ancien notaire, avec une agilité surprenante de la part d’un homme de sa corpulence, courut au volant, remua les leviers et pour la vingt-cinquième fois depuis le commencement de la journée, tenta d’embrayer.

Oh, surprise ! La voiture démarra !

– Attendez-moi, s’écria Nalorgne, qui se précipita sur le marchepied.

– Enfin, s’écriaient les deux hommes, enfin elle marche !

Mais soudain devant eux se dressait la silhouette de leur collègue, l’inspecteur Martin. Il agitait les bras en faisant de grands gestes :

– Arrêtez, cria-t-il, le patron vous demande. Il vous attend tout de suite dans son cabinet. M. Havard a des ordres à vous donner.

Pérouzin bloqua instantanément les freins de sa voiture et cala son moteur ; le véhicule s’arrêta net.

– Décidément, grommela Nalorgne, nous avons la guigne. Pour une fois que nous parvenons à faire marcher l’automobile, il faut qu’on nous empêche de sortir avec.

3 – CARNAGE DANS PARIS

Il était à peu près cinq heures du soir et les rues étaient encombrées par un grand nombre de véhicules, cependant que les trottoirs, noirs de monde, présentaient l’animation propre aux voies parisiennes.

Se faufilant à travers les voitures, piloté de main de maître, trouvant sa route au milieu des pires encombrements, un autobus avançait, une voiture de réserve évidemment, car elle ne portait aucune étiquette et ne prenaient point de voyageurs. À l’intérieur du véhicule se trouvaient cinq ou six ouvriers qui fumaient et lisaient le journal. Sur le siège, deux conducteurs devisaient.

La place du Châtelet franchie à vive allure, à la hauteur du pont au Change, l’autobus tourna sur la gauche, prit le quai de Gesvres.

– Nous sommes à l’heure, patron ?

– Je suis toujours exact et tu devrais le savoir.

– C’est que j’imagine que l’on ne nous attendrait pas.

Le conducteur de la voiture sourit, haussa les épaules :

– Je reconnais que c’est probable.

Engagé sur le quai, l’autobus avait accéléré l’allure. En quelques instants il atteignit la place de l’Hôtel-de-Ville qu’il traversa, puis continuant à suivre la Seine, il se dirigea vers le pont Louis-Philippe.

Là, soudain, le lourd véhicule ralentit.

– Attention, annonça l’homme qui tenait le volant, nous allons nous arrêter dans ces parages. Le pavé ici est mauvais à souhait.

– Mais, patron, êtes-vous sûr qu’en un pareil endroit vous pourrez bloquer la rue ?

– Imbécile !

Les freins venaient de crier, le lourd véhicule s’immobilisa, se rangea contre le trottoir. En un instant, le conducteur avait sauté sur le sol et, ouvrant l’une des tôles entourant le moteur, il y enfouissait sa tête et demandait à son compagnon :

– Les hommes sont-ils là ?

Celui-ci semblait inspecter le quai avec une vive attention.

– Je ne vois personne, patron.

– Imbécile !

De l’intérieur du véhicule, cependant, les autres mécaniciens étaient descendus sans se presser. Ils se groupaient maintenant à l’avant de la voiture :

– Tout va-t-il bien, patron ?

– Tout va bien, mes amis.

Le pilote était toujours penché à l’intérieur du capot, mais sans doute à travers les interstices des tôles, il avait pu examiner la rue.

– Prêtez-moi la main, commandait-il. À l’intérieur de la voiture il y a des barres de fer qu’il faut décharger.

Sous sa conduite, tous remontèrent dans le véhicule. Or, ces mécaniciens avaient à peine repris place dans l’autobus, à peine quitté le trottoir, que leur attitude brusquement changea. Ils avaient eu jusqu’alors les gestes de braves gens peu inquiets d’une panne survenant à l’improviste. Ils semblèrent soudain pris d’une rage d’activité.

– Attention ! recommanda le pilote, d’une voix nette et brève, une voix de commandement qui semblait imposer à tous ses compagnons. Chacun a bien compris mes instructions, n’est-ce pas ?

Les autres baissaient la tête, faisaient oui du geste, mais ne soufflaient mot. Le conducteur reprit, en s’adressant simultanément à chacun des hommes :

– Toi… tu t’arrangeras pour demeurer pendant toute l’affaire debout à l’avant de l’autobus, prêt à tourner la manivelle.

– Bien, patron.

– Quant à vous deux, vous prendrez garde à bien apporter les barres de fer.

– Bien, patron.

Se tournant vers un quatrième individu, le pilote ajoutait :

– Tu demeureras ici pour tourner le moulinet.

– C’est compris.

Ces ordres donnés, le chef, car véritablement l’homme qui pilotait ces mécaniciens semblait leur commander en chef, se hâta d’ajouter :

– Pressons-nous, les enfants, nous avons six minutes tout juste avant l’arrivée.

Tandis que l’autobus s’immobilisait ainsi, au long du trottoir, un agent qui stationnait à quelque distance, juste au point de la rue des Barres, remarquait le lourd véhicule et s’en approchait à pas lents.

– Dites donc, mes amis, commença le digne gardien de l’ordre, en interpellant les mécaniciens, vous ne pourriez pas vous ranger un peu, vous allez gêner la circulation.

Les mécaniciens semblaient se concerter du regard, c’était le conducteur qui répondit :

– Faites excuse, monsieur l’agent, on n’en a pas pour longtemps, mais en ce moment nous ne pourrions pas bouger de deux centimètres, c’est une petite panne, mais nous allons en sortir.

L’agent grommelait quelque chose qui était une approbation, puis ajouta, bonasse :

– Si c’est pas malheureux tout de même que les bandits de la place Clichy n’aient pas eu de panne, eux. Ah, c’est pas à des gars comme cela que ça arrive d’être arrêtés en chemin !

– Sûr, dirent les mécaniciens.

Les bras croisés sur la pèlerine, l’agent s’éloignait.

– Bedeau, appelait cependant le conducteur de l’autobus, s’adressant à un des mécaniciens et tendant le doigt vers l’agent, tu tacheras de le coucher, il nous a tous vus de trop près.

– C’est entendu, patron.

Bedeau, avait dit le pilote ? Nom sinistre et célèbre dans le monde des apaches.

Il n’y avait, en effet, aucun doute à avoir sur la personnalité de tous ces mécaniciens et de leur chef. Ceux qui se groupaient ainsi soi-disant pour faire cesser une panne, étaient bien les membres de la bande du Maître de l’Effroi, du Roi du Crime, de Fantômas. Non content d’avoir volé déjà un autobus pour piller le Comptoir National, place Clichy, Fantômas, dont l’audace ne connaissait pas de bornes, ce jour-là, pilotant un nouveau véhicule en plein Paris, conduisait sa bande vers de mystérieuses et tragiques besognes.

Tous, cependant, paraissaient fort occupés à la réparation d’un essieu. Fantômas demanda :

– Vous êtes prêts ?

– Tout ce qu’il y a de plus prêts, patron.

Mais, en même temps, Mort-Subite déclarait :

– J’ai les foies, je me demande si l’on ne va pas se faire poisser.

Il y eut de sourds murmures et de rudes protestations.

– Dis donc le môme, va-t-en donc voir à la cuisine, si par hasard nous y sommes.

C’était un des faux mécaniciens qui interpellait ainsi un petit pâtissier arrêté sur le bord du trottoir, son panier en équilibre sur la tête et semblant surveiller avec grand intérêt le travail des hommes qui s’empressaient autour de la voiture.

Le petit pâtissier s’éloigna, mais fut immédiatement remplacé par une sorte de vagabond dont la tenue bizarre était digne de remarque. L’homme portait un haut de forme dont les bords avaient été déchirés, ce qui le réduisait à avoir l’aspect d’une sorte de boîte tronquée. Il avait sur les épaules un grand pardessus vert taché, usé, déchiré. L’un de ses pieds était chaussé d’une espadrille et l’autre d’un soulier verni. Au demeurant, cet homme à l’aspect de mendiant, fumait l’air béat une énorme pipe en terre qu’il soutenait précieusement de ses deux mains avec une peur évidente de la casser.

– Naturellement, monologuait-il, ‘turellement que ça devait arriver ! Ah bien ça, c’est plutôt farce ! Je m’en va zyeuter le spectacle sans payer ma place. Seulement, qu’est-ce qu’ils peuvent bien fiche ici ? C’est tout à fait rigolo. Heureusement que je ne vais pas être reconnu.

Or, au moment même où l’individu semblait s’affirmer qu’il ne pouvait pas être reconnu, le conducteur le fixa de ses yeux ardents.

– Bouzille ! appela-t-il.

Le mendiant sursauta.

– Bon, voilà le café qui se gâte…

Mais tout de même, il s’empressa d’accourir :

– Qu’est-ce que vous voulez, mon bon monsieur ?

Or, en parlant, Bouzille, car c’était bien Bouzille, ce mendiant, l’inénarrable chemineau qui avait vécu tant de fantastiques aventures et promené sa perpétuelle bonne humeur au sein des pires catastrophes, Bouzille, pâlissait, blêmissait, prenait un air sérieux.

– Ah pardon, je ne vous avais pas reconnu, patron. Comment c’est vous, Fantômas ?

Fantômas qui portait la casquette des mécanos, la veste de cuir, Fantômas, dont les joues noires de cambouis étaient embroussaillées d’une fausse barbe mal faite, ne tressaillit même pas :

– Oui, c’est moi, Bouzille ! Que fais-tu là ?

– Mais je me promène, je regarde les oiseaux.

– Tu espionnes, Bouzille ?

– Et quoi donc, patron ?

La candeur de Bouzille était évidemment feinte et Fantômas ne s’y trompait pas. Pourtant telle était l’audace du bandit qu’il ne paraissait nullement ennuyé d’avoir été identifié par Bouzille et nullement inquiet de voir rôder autour de lui cet étrange personnage qui, certes, était connu dans la pègre, y était même estimé, apprécié, mais qui, enfin, s’était toujours refusé à entrer définitivement dans la bande dont s’entourait le terrifiant criminel.

– Bouzille, ordonna Fantômas, tu vas nous prêter la main.

– Ouais ? Et pourquoi faire ?

– Tu crieras.

– Je crierai ? demanda-t-il. Et quand ?

– Tu le verras bien.

Déjà, le redoutable conducteur de l’autobus avait fait le tour du véhicule, il inspectait le quai dans la direction de l’Hôtel de Ville.

– Attention, recommanda-t-il encore, et dépassant les mécaniciens qui faisaient toujours mine de s’affairer à la hauteur des roues arrière, il revint à l’intérieur de la voiture où était demeuré l’homme qui, quelques instants auparavant, se trouvait à côté de lui sur le siège.

– Tu es prêt, interrogea Fantômas ? Ton chapelet est disposé ?

– Vous bilez pas, patron. Oui mon chapelet est prêt, et j’ai même dans l’idée comme ça, que les prières vont faire du tapage.

Mais Fantômas n’écoutait plus. Dépassant l’arrière du véhicule, il avait rapidement remonté sur le trottoir et avisant Bouzille qui, accoudé au parapet s’inventait un jeu nouveau consistant à cracher le plus loin possible :

– Bouzille.

– Patron ?

– Vois-tu ces deux plombiers là-bas ?

– Oui, patron.

– Tu vas aller les trouver, tu leur diras de ma part : Attention !

Bouzille ouvrit les yeux ronds, gonfla les joues, tira de sa poche un mégot qu’il se mit à chiquer, puis les yeux toujours sur Fantômas, il questionna :

– Ce sont des aminches ?

– Va, répétait le bandit, dépêche-toi ! L’un est Tête-de-Lard, l’autre, c’est La Carafe.

Bouzille se décida.

Il se dirigea vers deux ouvriers vêtus de la veste bleue des plombiers, portant en bandoulière le sac de cuir et qui, survenus là depuis quelques minutes, ne semblaient même pas avoir regardé dans la direction de l’autobus.

Bouzille les considéra curieusement puis, les frôlant presque, renifla très haut et très fort pour attirer l’attention.

– Eh, murmura-t-il en même temps, voilà l’instant, gare la casse !

Cela fait, Bouzille sans s’arrêter auprès des deux hommes, continuait son chemin et semblait s’absorber dans la contemplation des partitions de musique étalées en désordre dans les casiers d’un bouquiniste.

Bouzille, d’ailleurs, paraissait s’amuser infiniment. Il avait été certes violemment ému en reconnaissant Fantômas et ses principaux complices auprès de l’autobus arrêté, mais, déjà le calme renaissait en son âme de philosophe.

– Moi, murmurait Bouzille, je suis comme Absalon, ou plutôt non comme un autre. Enfin. Je ne sais pas, je m’en lave les mains.

Bouzille interrompit ses réflexions pour prêter l’oreille à un dialogue engagé tout près de lui. Le bouquiniste jusqu’alors, sommeillait sur une chaise, attendant l’heure où, chaque soir, renonçant à la venue d’un hypothétique client, il se décidait à fermer ses boîtes ; or, une main s’était posée sur son épaule, un bonjour cordial l’avait réveillé.

– Comment allez-vous, père Cornélius ? Et les affaires ?

– Les affaires vont comme moi, très mal.

– Plaignez-vous donc, on vous installe l’électricité.

C’était cette dernière phrase qui avait attiré l’attention de Bouzille.

Celui qui la prononçait, un tout jeune homme au visage soigneusement rasé, à l’air intelligent, aux yeux vifs et remuants, l’accompagnait en effet d’un grand geste, désignant les deux plombiers, les deux soi-disant plombiers plutôt, auxquels Bouzille venait de communiquer l’avertissement de Fantômas.

– Vous avez vu, continuait l’inconnu, qu’est-ce que c’est que cela ?

– Je ne sais pas, ma foi.

Le jeune homme montrait alors les deux ouvriers qui déroulaient au travers du quai un long câble d’acier qui brillait à la lueur des réverbères que l’on commençait à allumer et qui apparaissait bien un câble électrique, en effet.

– Je ne sais pas, répondait le père Cornélius, je ne sais pas, mais je m’en moque, ce n’est toujours pas cela qui fera vendre ma musique.

Le brave homme paraissait en grande intimité avec celui qui l’entretenait, car il continuait d’un ton familier :

– Et vous, êtes-vous content du moment ? Devenez-vous millionnaire ?

– Pas très vite !

– Pourtant, vous avez bien du talent. Ah nom d’un chien !

Abandonnant sa chaise et s’étirant à la façon d’un homme qu’une longue immobilité a engourdi, le bouquiniste répétait avec conviction :

– Ah vous avez bien du talent ! Tenez, je me rappelle quand vous jouiez le fameux drame. Vous savez le crime…


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