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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 00:09

Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Mais qu’est-ce que vous me voulez ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Et il semblait trembler de tous ses membres.

Les agents cependant, le questionnaient rudement :

– Vous avez vu entrer cet autobus qui est là ?

– Oui, oui !

– Il y avait des hommes qui conduisaient ?

– Deux mécaniciens, oui, oui.

– Ils ont été rejoints par deux autres ?

– Oui.

– Où sont-ils ?

– Ah, je ne sais pas ! Ils sont partis par là, ils m’ont dit qu’ils reviendraient demain matin et que le patron les autorisait à garer.

– Bon Dieu ! hurla l’un des gardiens de la paix qui s’étaient joints aux agents de la Sûreté. Ils se seraient donc encore défilés ?

Et, en même temps, l’un d’eux secouait Fantômas :

– Voyons, charretier, par où sont-ils partis ?

– Par là. Ils ont sauté le mur.

Le pseudo charretier, tendant le bras, montra le fond du terrain.

– Dix hommes de ce côté ! hurla une voix. Les autres, fouillez les tas de charbon.

Un quart d’heure plus tard, le charretier, c’est-à-dire Fantômas, demeuré à la tête de son cheval, vit revenir vers lui l’un des agents de la Sûreté qui paraissait commander.

– Votre nom ? demanda-t-il.

– Gustave-Eugène Mercier.

– Employé aux Charbonnages d’Audincourt ?

– Oui, monsieur.

– Bon. Vous savez où est le poste ?

– Oui, monsieur.

– Eh bien, allez-y tout de suite, nous vous y rejoignons.

– Bien, monsieur l’agent.

Le charretier s’éloigna, puis revint sur ses pas :

– Est-ce que je peux emmener ma voiture, parce que ce sont des tonneaux que je dois livrer encore aujourd’hui.

– Emmenez-la, vous irez après avoir fait votre déposition.

– Bon, monsieur l’agent, bon.

L’air de plus en plus abruti, et de plus en plus terrifié, Fantômas prit par la bride la maigre haridelle attelée au haquet.

– Hue, cocotte !

L’équipage s’ébranla au pas, sortit au pas du terrain vague. Mais à peine le haquet était-il parvenu sur la chaussée de la rue Cantagrel que Fantômas, d’un bond leste, sautait sur le siège :

– Les imbéciles ! hurla-t-il. Qu’ils me poursuivent donc. Ils sont à pied et il n’y a pas de fiacres par ici.

Lancé à folle allure, le haquet dévala la rue, semant l’épouvante sur son passage. En quelques minutes, il atteignait les quais. La nuit tombait, le quartier était désert. Fantômas continuant à fouetter le cheval, le fit descendre sur la berge.

– J’ai dupé les agents, murmura-t-il, il me reste à faire justice de ceux qui n’ont pas su me servir.

Rapidement, Fantômas sauta du siège sur le sol. Il prit le cheval par la bride, le fit tourner et alors, avec un froid sourire, le Maître de l’Épouvante se rendit coupable d’une abominable lâcheté.

Il avait fait reculer la voiture jusqu’au bord de la Seine, de telle façon que l’extrémité du haquet surplombât le fleuve, puis il fit jouer le mécanisme de bascule.

Les tonneaux qui chargeaient le haquet, les tonneaux dans lesquels se cachaient ses complices, s’ébranlèrent, roulèrent, et, les uns après les autres, tombèrent dans l’eau noire, entraînant avec eux les apaches, ceux qui, d’après Fantômas, « n’avaient pas su bien servir leur Maître ».

– Je crois, railla le bandit, que j’en noie six à la fois.

Puis, ayant éclaté de rire, il recula la voiture, la fit ranger le long de la rive et, à grands pas, sifflotant, joyeux, trouvant que tout est bien qui finit bien, le Roi du Crime se perdit dans le noir.

5 – LA CLEF PERDUE

Fantômas s’éloignait de la rive, fort satisfait et des plus persuadés qu’il avait réussi à se débarrasser de ses complices, réussi aussi à rompre les poursuites des gens de police. Fantômas se trompait.

Lorsqu’en sortant du terrain vague, il fouetta son cheval et le lança au triple galop, il avait dépassé, dans la rue Cantagrel, un homme qui lui avait jeté un long regard de haine et de menace.

Cet homme qui était survenu avec les agents aux abords du terrain vague et, qui, impuissant, assistait à la fuite de Fantômas, étant lui-même à pied et ne disposant d’aucun véhicule pour donner la chasse au bandit, n’était autre que Juve, et Juve, grâce à son flair merveilleux, avait reconnu le sinistre bandit dans le charretier grimé qui enlevait le haquet.

Juve, qui se trouvait à la Sûreté lors de l’attentat, en avait été mis au courant. Il était en toute hâte reparti en taxi-auto, fouillant Paris, téléphonant à droite et à gauche, cherchant un indice qui pût lui indiquer ce qu’était devenue la bande tragique. C’était ainsi que le hasard d’une rencontre lui avait fait apprendre au commissariat du II arrondissement que la police avait de bonnes raisons de croire que Fantômas ne s’était pas encore débarrassé de son autobus, et qu’il roulait encore dans Paris. Enfin, c’était en téléphonant à la Sûreté que Juve apprenait que deux hommes avaient été pris en filature, qu’ils semblaient s’en être aperçus, et qu’ils s’enfuyaient dans la direction d’Austerlitz.

De renseignement en renseignement, Juve arriva donc au terrain vague au moment où Fantômas s’en échappait, déguisé en charretier.

– Trop tard ! s’était écrié le policier en se rendant compte, à la mine déconfite des agents, qu’assurément la police avait été bernée une fois de plus par le sinistre bandit.

Juve, à l’instant où il parvenait sur le terrain vague, avait pris le commandement des agents qui s’y trouvaient encore réunis. Il ordonnait que l’on fouillât minutieusement les tas de bois. Quelques secondes plus tard, on lui rapportait la valise laissée par Fantômas et dans laquelle traînaient encore des bâtons de maquillage, ce qui était des plus significatifs.

– Trop tard, répéta Juve en serrant les poings.

Il abandonna immédiatement la rue Cantagrel, se doutant bien que les recherches y seraient vaines. Il eut la chance de trouver un taxi-auto et lui jetait comme adresse cette indication pourtant vague :

– À la Seine.

En cours de route, Juve interrogeait des sergents de ville :

– Avez-vous vu un haquet passer marchant ventre à terre ?

– Oui, monsieur l’inspecteur.

Il retrouva assez facilement la piste de Fantômas et arriva, peu après le départ du bandit, sur le quai où stationnait encore, vide de son chargement, le haquet qui avait servi à noyer les complices du meurtrier.

– Bigre, pensa Juve, en apercevant la voiture abandonnée, qu’est-ce que cela veut dire et pourquoi les tonneaux ont-ils disparu ?

Juve ne pouvait pas évidemment deviner le nouveau forfait du bandit.

En toute hâte il remonta jusqu’à son taxi-auto qui stationnait, l’attendant sur un pont. Il donna une nouvelle indication :

– Suivez la Seine.

Et, pendant que le chauffeur, ne connaissant pas la qualité de Juve, se disait qu’il avait chargé un bien étrange client, le policier demeurait debout dans son fiacre, cramponné à l’armature de la capote et fixant avec inquiétude les berges désertes, le fleuve.

Or, à peine dix minutes plus tard, Juve apercevait, flottant au milieu des eaux, disparaissant, puis remontant au gré des tourbillons toute une série de tonneaux.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa le policier.

Il se pencha vers son chauffeur :

– Forcez l’allure et tournez au premier pont.

Le wattman obéit. Juve, sauta sur le sol juste au moment où les tonneaux arrivaient à sa hauteur.

Or, de ces tonneaux, il semblait à Juve que montaient des cris lamentables. Les tonneaux d’ailleurs devaient se remplir rapidement, certains avaient déjà coulé, d’autres n’apparaissaient plus qu’à peine, ils allaient disparaître.

– Mordieu, j’en aurai le cœur net, gronda Juve.

Le policier s’orienta rapidement, reconnut le pont sur lequel il se trouvait : le pont d’Austerlitz, et se rappela que, sur la berge il devait y avoir deux agents plongeurs.

Juve dégringola les escaliers, rejoignit les gardiens qui étaient bien là, en effet.

– Vite, vite, leur cria Juve en brandissant sa carte d’inspecteur de la Sûreté, y a-t-il un bachot par ici ? Quelqu’un se noie !

Malheureusement si Juve était pressé, s’il voulait agir rapidement, les deux agents auxquels il s’adressait paraissaient infiniment moins désireux de se jeter à l’eau.

– Il y a bien une barque attachée au ponton des bateaux, commençait l’un d’eux, mais elle a un cadenas.

Et l’autre ajoutait, déférent :

– Monsieur l’inspecteur, nous venons de dîner. Nous mettre à l’eau maintenant, c’est risquer la congestion.

Juve très calme ne répondit pas. Il avait pour les deux acolytes un regard de mépris :

– Évidemment, faisait-il, vous êtes des agents plongeurs qui ne plongez pas.

Et, sans ajouter un mot, laissant là les deux hommes stupéfaits, Juve courut sur la berge, se dépouillait de sa veste, arrachait ses chaussures, puis, sans hésiter davantage se jeta à l’eau.

La température était fraîche. Juve qui d’abord, en plongeant, avait coulé, réapparut à la surface, à demi paralysé par le froid.

Mais vraiment Juve n’était pas homme à reculer pour un pareil incident.

– Où sont les tonneaux ? murmura-t-il.

Nageant vigoureusement, gagnant le milieu du fleuve, Juve cherchait à voir les barriques qui l’avaient intrigué.

Il n’en aperçut plus qu’une seule. Encore était-elle aux trois quarts remplie et on pouvait s’attendre d’un moment à l’autre à ce qu’elle fût engloutie.

– Hardi ! cria Juve à lui-même.

Et, avec une virtuosité que n’eût pas désavoué un professeur de natation, il tira sa coupe dans la direction du tonneau.

Or, Juve nageait si vigoureusement, avec une si parfaite habileté, qu’il finit par rejoindre le tonneau qui, cependant, entraîné par le courant, avait pris beaucoup d’avance sur lui.

Juve s’agrippa à la barrique et, nageant toujours, entreprit de la faire dévier, de la repousser vers une rive. Il n’aurait point réussi dans sa périlleuse tentative, si les agents plongeurs qu’il avait laissés sur le quai n’avaient eu une véritable inspiration.

À peine Juve s’était-il éloigné que les agents plongeurs se déclaraient :

– C’est un inspecteur principal. Tu sais, on va peut-être avoir des ennuis ?

Et l’autre agent avait répliqué :

– Faudrait tout de même faire quelque chose…

Les deux hommes se rendirent alors au ponton des bateaux parisiens et finirent par s’apercevoir que la barque, attachée là, était bien enchaînée et cadenassée, mais que le cadenas n’était pas fermé.

Dès lors, la manœuvre s’imposait. Les deux agents plongeurs se jetèrent dans la barque, firent force rames.

– Hardi, tenez bon, nous voilà !

Ils arrivaient juste au moment où Juve commençait à trouver que la barrique était fort lourde, et que, peut-être, il n’aurait point le temps de la pousser jusqu’à la rive avant que, complètement pleine d’eau, elle coulât dans le fleuve.

Juve, toutefois, voyant qu’on venait à son secours, se roidit et, suivant le conseil qu’on lui donnait, tint bon.

– Prenez le tonneau d’abord, commandait-il. Moi ensuite.

Mais prendre le tonneau n’était pas commode. Les deux agents purent tout juste l’agripper contre le bord de leur barque, l’empêcher de couler.

– Il va nous échapper, monsieur l’inspecteur !

– Non, mordieu, il ne le faut pas !

Juve n’était pas encore sorti de l’eau. Il soutint le tonneau et, péniblement, en cet équipage, la barque se rapprocha heureusement de la berge.

Or, à peine la petite embarcation avait-elle frôlé le quai que Juve, aidé des deux agents, parvint à hisser le tonneau sur la berge.

Mais, là, une stupéfaction nouvelle immobilisait les trois hommes. Le tonneau s’ouvrait de lui-même, le couvercle était arraché et la plus comique apparition du monde sortait à la façon dont un diable sort d’une boîte.

– Merci, messieurs ! dit le rescapé.

Mais toutefois Juve, à l’instant même, retrouvait son sang-froid, il sauta sur l’homme, il l’empoigna à l’épaule :

– Ah çà, nom d’un chien, qui êtes-vous donc ?

– Tête-de-Lard, monsieur Juve.

– Tête-de-Lard ?

Juve encore une fois fut abasourdi.

Il contemplait, au comble de l’étonnement, la tête bouffie et empâtée de graisse de l’individu qu’il venait d’arracher à une mort quasi certaine.

Juve avait jadis connu Tête-de-Lard, alors charcutier aux environs de la rue Bonaparte.

Juve savait que de mauvaises affaires avaient conduit l’ancien commerçant à exercer des professions plutôt louches. Il avait eu l’occasion de rencontrer ainsi Tête-de-Lard dans les cabarets interlopes parmi la pègre. Mais, en vérité, il ne songeait pas du tout que ce pût être cet apache-là qui allait se dresser hors du tonneau lorsque le sauvetage aurait réussi.

– Vous, Tête-de-Lard ? répéta Juve. Ah çà, mais que diable faites-vous ici ?

Tête-de-Lard était encore trop ému pour ruser ou même songer à mesurer ses paroles :

– C’est, commença l’apache, c’est à cause de Fantômas. Il y a heureusement une Providence pour les imbéciles tout comme il y a un Dieu pour les ivrognes.

– Fantômas ? c’est Fantômas qui vous à mis là-dedans ?

– Oui, monsieur Juve.

– Et dans les autres tonneaux ?

– Il y avait des copains.

– Quels copains, Tête-de-Lard ?

Mais cette fois l’apache avait eu le temps de réfléchir, il ne commettait pas la faute de renseigner exactement Juve. Il rusait au contraire, il répétait :

– Des copains à moi, monsieur Juve, des copains que Fantômas ne connaissait pas, mais qui ont eu comme moi le malheur d’arriver au moment où Fantômas désirait n’être pas reconnu.

Tout cela n’était pas clair, tout cela était même fort embrouillé. Juve, pourtant, énervé comme il l’était, n’y faisait pas assez attention.

– Cela va bien, ordonna-t-il en se tournant vers les agents plongeurs, conduisez cet individu au poste de police, faites-lui boire quelque chose, réchauffez-le ! Moi, je vais rentrer chez moi.

Et comme Tête-de-Lard faisait une figure piteuse, ne comprenant pas exactement si on l’arrêtait ou si on ne l’arrêtait pas, Juve ajoutait :

– Tête-de-Lard, il faudra venir me voir demain ou après-demain au plus tard. Ou plutôt, venez sitôt réchauffé, montez donc chez moi, 1 ter, rue Tardieu.

Juve, à cet instant, de la meilleure foi du monde, ne pensait point à soupçonner Tête-de-Lard de complicité avec Fantômas. Dans son esprit, l’apache avait tout simplement dû arriver sur la berge avec quelques amis au moment où Fantômas venait y abandonner le haquet. Fantômas avait dû vouloir se débarrasser de ce témoin gênant. Juve imaginait que Tête-de-Lard était une victime, mais ne pensait pas à en faire un complice.

***

Juve, quelques instants plus tard, s’étant assuré qu’aucun autre tonneau ne flottait sur le fleuve, regagnait son taxi-auto et rentrait chez lui.

– Mauvaise journée, songeait-il, s’habillant rapidement tout en taquinant le téléphone pour avoir la Sûreté. Mauvaise journée. Fantômas a encore triomphé, a encore commis un crime épouvantable.

Mais, tandis qu’il téléphonait ou plutôt qu’il s’égosillait à demander un numéro qu’on ne lui donnait point, Juve soudain demeurait immobile.

– Ah çà, pensait le policier, soudainement, revenant à lui-même, est-ce que je ne me suis pas conduit comme le dernier des imbéciles ? Ce Tête-de-Lard ?

Chez Juve, heureusement les pires étourderies ne pouvaient durer longtemps.

***

Le lendemain matin, il n’était bien entendu bruit dans Paris que de l’extraordinaire audace dont Fantômas avait fait preuve la veille, en attaquant la voiture des Postes à deux pas de l’Hôtel de Ville.

Or, M. le baron de Roquevaire, caissier en chef de la Banque de France, était peut-être le seul de tout Paris que cet exploit laissât parfaitement indifférent.

C’était un excellent homme, un employé supérieur sorti des rangs infimes du personnel grâce à un zèle intelligent, à une capacité hors ligne et cependant il arrivait à son bureau le front soucieux, l’air de mauvaise humeur, aussi ennuyé que possible. M. de Roquevaire qui, en traversant la Banque, avait reçu les très respectueux saluts d’une infinité d’employés, se débarrassa rapidement de son pardessus, de son chapeau qu’il remit à un huissier accouru au-devant de lui, puis il interrogea :

– M. le gouverneur est-il descendu ?

– Oui, monsieur le caissier.

– Bien, je vais le trouver ! Faites préparer mon courrier.

Le gouverneur de la Banque de France, M. Châtel-Gérard était au physique comme au moral ce que l’on est convenu d’appeler « un gros personnage ».

Parvenu par la politique, au poste farouchement envié de gouverneur de la Banque de France, arrivé très jeune puisque à peine âgé de cinquante ans, M. Châtel-Gérard était profondément imbu de sa propre importance, de ses mérites et de la situation qu’il occupait.

M. Châtel-Gérard d’ailleurs, en homme fort bien élevé, apparaissait cependant toujours comme des plus courtois, des plus affables, des plus accueillants. Il habitait, comme tout gouverneur de la Banque de France, dans l’immeuble même, un somptueux appartement auquel on accédait par un escalier de marbre.

M. de Roquevaire, caissier principal de la Banque de France, ayant sous ses ordres une multitude d’employés, était bien sûr continuellement en rapports avec M. le gouverneur.

Les deux hommes s’estimaient, s’appréciaient. Ils n’avaient point des relations de sous-ordre à patron, mais plutôt d’ami à ami.

Pourtant, ce matin-là, avant d’entrer chez le gouverneur, le baron de Roquevaire parut hésiter :

– Dois-je lui avouer ? se demandait-il.

Puis, il haussa les épaules :

– Hélas, comment n’avouerais-je pas ?

Le caissier principal de plus en plus troublé, parvint jusqu’au grand salon qui servait de salon d’attente et demanda à l’huissier :

– Puis-je voir M. Châtel-Gérard ?

– Veuillez vous donner la peine d’entrer, monsieur le caissier. M. le gouverneur est seul.

L’huissier avait poussé les portes rembourrées. Le baron de Roquevaire pénétra dans le somptueux cabinet du gouverneur.

Or, à peine M. de Roquevaire s’était-il introduit dans la grande pièce que M. Châtel-Gérard, qui travaillait à son bureau, levait la tête et le regardait avec stupéfaction.

– Eh bien, mon cher ami, comment va ? Mais vous semblez tout drôle, en vérité. Pas d’ennuis ?

– Un ennui très grave, monsieur le gouverneur.

– Vous m’effrayez. Un ennui personnel ou un ennui de métier ?

– Un ennui de métier, mon cher gouverneur.

– Alors, j’arrangerai cela.

M. Châtel-Gérard souriant, sûr de lui, feignait de plaisanter ; il interrompit son caissier pour lui offrir une cigarette à bout d’or dans un élégant étui.

– Vous fumerez bien ?

Mais, comme le baron de Roquevaire avait refusé, M. Châtel-Gérard poursuivait :

– Vous avez vu le nouvel exploit de Fantômas hier après-midi ?

– Hélas, monsieur le gouverneur, il s’agit bien de cela…

– Ah c’est vrai, j’oubliais. Qu’y a-t-il donc ? Confiez-moi vos peines.

– Monsieur le gouverneur, disait-il enfin, je viens de m’apercevoir, il y a quelques instants, d’une terrible aventure.

– Laquelle ?

– J’ai perdu le clef de la caisse.

– Hein ?

Cette fois, le gouverneur général de la Banque avait pâli, et c’était en se dressant qu’il interrogeait nerveusement son malheureux subordonné :

– Vous avez perdu la clef de la caisse ? Quelle clef ? Quelle caisse ? La caisse de tous les jours, j’espère ?

L’angoisse visible de M. Chàtel-Gérard venait de ce fait, qu’à la Banque de France, les réserves en or qui garantissent l’émission des billets de banque et atteignent des valeurs formidables, sont entourées et protégées par des précautions toutes spéciales. Il y a, à la Banque, la caisse ordinaire, caisse dans laquelle se trouvent enfermées les espèces nécessaires au fonctionnement quotidien de l’établissement de crédit. Il y a aussi ce que l’on appelle la « caisse secrète » qui est installée dans des caves et où se trouvent précisément les lingots d’or qui représentent la valeur des billets de banque émis.

M. Châtel-Gérard revint à la charge :

– Parlez donc, Roquevaire. Quelle clef avez-vous perdue ? La clef de la caisse ordinaire ou des caves ?

– J’ai perdu la clef des caves, monsieur le gouverneur.

– Sapristi, mon cher de Roquevaire, c’est une fâcheuse histoire, une très fâcheuse histoire. Mais enfin, rien n’est perdu, c’est le cas de le dire. Les caisses ne sont pas en danger puisqu’il y a encore deux autres clefs, la mienne et celle de Tissot, mais tout de même, c’est fâcheux…

M. le gouverneur général s’interrompit, se mordit les lèvres, puis questionna encore.

– Vous êtes certain que vous avez perdu cette clef ? Comment cela est-il arrivé ?

– Je ne sais pas, monsieur le gouverneur, je ne saurais pas vous dire. Vous savez que je porte habituellement cette clef à mon trousseau, comme s’il s’agissait d’une clef ordinaire, car j’estime que ne point la cacher est encore le meilleur moyen de dérouter ceux qui pourraient avoir l’idée d’un vol. Or, monsieur le gouverneur, ce matin, je me suis aperçu que l’anneau qui tient mes clefs s’était ouvert et que la clef secrète des caisses avait disparu.

– Où vous en êtes-vous aperçu ?

– Chez moi, monsieur le gouverneur.

– Alors cette clef est tombée chez vous ?

– Je l’ai cherchée partout.

– Vous l’avez peut-être perdue hier soir en revenant de la Banque.

– Peut-être, monsieur le gouverneur.

– Avez-vous pensé à signaler la chose au commissariat ?

– Oui, monsieur le gouverneur.

– On n’avait rien rapporté ?

– Non, monsieur le gouverneur, mais je pense qu’il était encore trop tôt quand je suis passé. Maintenant, peut-être.

– Si vous alliez voir ?

– Oui, monsieur le gouverneur.

Le baron de Roquevaire, pivota sur les talons et s’apprêtait à sortir du cabinet. Il s’arrêta une seconde pour demander :

– Aura-t-on besoin, monsieur le gouverneur, d’aller aux caves aujourd’hui ?

– Non, pas aujourd’hui, c’est heureux car, sans cela le scandale serait inévitable, mais enfin, demain, après-demain, d’un moment à l’autre… Il faut que cette clef se retrouve.

M. de Roquevaire s’éloignait, fort ennuyé, mais certainement moins contrarié encore que le gouverneur général de la Banque, qui voyait, faisant suite à cet incident, une série d’histoires, de scandales, choses dont il avait particulièrement horreur.

Or, derrière M. de Roquevaire, c’était M. Tissot, censeur de la Banque de France qui s’introduisait auprès du gouverneur général.

– Mon cher ami, disait M. Tissot, en secouant cordialement la main du gouverneur, je viens vous voir de bonne heure, ce matin, pour vous proposer si vous n’aviez rien de mieux à faire, d’aller visiter nos réserves, pour nous assurer de la frappe.

– Mon bon, interrompit le gouverneur, vous tombez aussi mal que possible. Il y a une clef de perdue.

M. Tissot sursauta.

– Une clef de perdue ? Une clef des caves ? Vous avez perdu la vôtre ?

– Non, pas moi, répliqua le gouverneur, c’est Roquevaire.

– Ah bigre !

***

À midi, M. Tissot, ainsi que chaque jour, regagnait pour déjeuner, l’appartement qu’il occupait, rue des Pyramides, et qui était l’appartement le plus paisible et aussi le plus élégant qui fût. Censeur de la Banque de France, c’est-à-dire nanti d’un titre des plus honorifiques, M. Tissot, qui possédait une grosse fortune, qui gagnait encore de beaux appointements et qui n’avait à peu près rien d’autre à faire qu’à dépenser le plus d’argent possible, pouvait représenter aux yeux du plus commun le type parfait de l’homme heureux. Il était marié à une jolie femme charmante, intelligente, il n’avait point d’enfants, aucun souci ne le hantait à part celui, à heures fixes, de faire de bons déjeuners, car il était gourmand.

M. Tissot rentrant chez lui songeait à l’aventure qui venait de mettre le gouverneur de la Banque de France en si grand émoi.

– Roquevaire a perdu sa clef, murmurait Tissot. Mon Dieu, qu’il doit être ennuyé ce pauvre Roquevaire. Aussi bien c’est une histoire peu amusante. Si même cette clef ne se retrouvait pas, je me demande comment on en sortirait. Sans doute Châtel-Gérard et moi nous avons la nôtre, mais il faut la réunion des trois clefs pour ouvrir les portes des caves. Donc, il faudrait changer les serrures en entier. Ah, cela en ferait un potin ! Inévitablement de Roquevaire devrait démissionner et peut-être même Châtel-Gérard.

Tous les matins, une somptueuse automobile venait chercher à la Banque M. Tissot, pour le ramener à son domicile, mais très souvent, M. Tissot renvoyait sa voiture, préférant rentrer à pied et prendre un peu de mouvement.

Il avait fait ce matin-là le trajet à pied et arrivait à midi chez lui.

– Madame est-elle rentrée, Jean ? questionnait Tissot, en tendant au valet de chambre sa pelisse et son haut-de-forme.

– Madame n’est point encore là, monsieur.

– Bien, vous la prierez de passer me voir dans mon cabinet dès qu’elle arrivera.

Tissot suivit une longue galerie, traversa un fumoir, un petit salon et atteignit son cabinet de travail.

– J’ai encore une demi-heure avant de déjeuner, songea le censeur de la Banque, je puis fumer un bon cigare.

Il allait allumer un havane en dépit des ordonnances de son médecin, lorsque soudain, il s’approcha de sa bibliothèque.

– Ce pauvre de Roquevaire, répéta-t-il machinalement, ce qu’il doit être embêté avec sa clef perdue.

Le censeur de la Banque, tout en monologuant, choisissait sur les rayons de sa bibliothèque un gros volume de l’ Histoire de Francede Michelet.

– Il est vrai, faisait-il, parlant encore à haute voix, que c’est une lourde responsabilité que d’avoir la charge de ces clefs. Maintenant, je vais toujours avoir peur.

Et tout en parlant, M. Tissot ouvrait le volume de Michelet qu’il avait choisi dans sa bibliothèque. Dans ce volume, en effet, il avait caché la clef dont il avait la garde, la seconde clef des caves secrètes.

La cachette était, d’ailleurs, merveilleusement truquée au centre même des pages du volume. Dans l’épaisseur de ces pages, à coups de canifs, on avait creusé une encoche profonde de deux centimètres, large de trois et c’était dans cette sorte de niche que M. Tissot déposait en sûreté la précieuse clef.

Lorsque le volume de Michelet était refermé, rien ne pouvait permettre de soupçonner l’existence de la cachette. Lorsque le volume était replacé sur les rayons de la bibliothèque, bien évidemment, nul ne pouvait deviner qu’il renfermait un objet de si précieuse valeur.

– Allons, monologua M. Tissot, considérant la petite clef brillante, j’ai toujours ma clef, moi, et c’est l’essentiel. Roquevaire se débrouillera après tout et Châtel-Gérard aussi.

M. Tissot tira sa montre, s’étonna que sa femme ne fût point encore rentrée des courses matinales qu’elle avait été faire sans doute lorsque, avec une brusquerie incompréhensible, la porte de son cabinet s’ouvrit, poussée par le valet de chambre effaré :

– Monsieur, monsieur ! appelait le serviteur.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

Il y a des tons de voix auxquels on ne se trompe pas, et le valet de chambre avait parlé de telle façon que M. Tissot pressentit une mauvaise nouvelle.

– Qu’est-ce qu’il y a, Jean ? Qu’est-ce qui vous prend ?

– Monsieur, répondait le domestique qui tremblait de tous ses membres, monsieur, je n’ose pas dire à monsieur.

– Quoi donc ? mais parlez donc nom d’un chien !

– Il y a, monsieur, il y a un agent.

– Un agent ? Il y a un agent qui veut me voir ? Mais répondez-moi donc !

– C’est un accident, monsieur.

– Mon Dieu, un accident ? À qui ?

Derrière le valet de chambre qui se troublait, qui bégayait, qui n’osait pas répondre, planté au milieu du salon, M. Tissot aperçut un gardien de la paix.

Il fut sur lui en une seconde.

– Qu’est-ce qu’il y a, agent ? Quel accident ?

– Mon Dieu, monsieur, il ne faut pas vous mettre dans des états. Enfin c’est deux jambes cassées, voilà tout. Aussi avec ces maudits taxi-autos. Enfin, monsieur, elle en réchappera peut-être.

– Elle ? qui ? Ma femme ?

– Oui, monsieur, votre « dame ». Elle vient d’être renversée par un taxi-auto près du Louvre. Nous l’avons amenée dans une ambulance.

M. Tissot n’entendait plus. Bousculant l’agent au passage, il courait comme un fou à travers le salon, arrivait dans la galerie juste à temps pour apercevoir, derrière les femmes de chambre qui couraient affolées portant des piles de draps, la silhouette d’un infirmier vêtu de blanc qu’il agrippait au passage.

– Ma femme ? râla le malheureux. Où est-elle ?

L’homme se dégagea :

– Soyez calme, monsieur, recommanda-t-il. M me Tissot est en bas dans l’ambulance, nous allons la monter.

Mais M. Tissot n’en écoutait pas davantage. Un vertige le prit.

– Quoi ? était-ce possible ? Sa femme venait d’être victime d’un accident ? Une ambulance était en bas, on allait la remonter blessée, morte peut-être.

Affolé, M. Tissot, une seconde resta immobile, puis, il aperçut les portes de la galerie ouvertes à deux battants, probablement pour faciliter le passage de la civière qu’on allait remonter.

– Ah mon Dieu ! gémissait le malheureux.

Et, tenant son front à deux mains, un rictus d’épouvante sur la physionomie, il courut à l’escalier. Il descendit aussi vite qu’il le put, pris du besoin de voir, de savoir, de connaître toute l’étendue de son malheur. Sur le trottoir de la rue des Pyramides, une foule stationnait, entourant la voiture d’ambulance municipale, encore hermétiquement close.

M. Tissot ne distinguait que la silhouette d’une infirmière assise au fond de la voiture, près d’un brancard sur lequel reposait le corps d’une femme, la tête entourée de linges sanglants.

– Marguerite ! hurla Tissot.

Mais au même moment s’étant penché sur la blessée, M. Tissot se rejeta en arrière.

– Mais ce n’est pas ma femme ! hurla-t-il. Ce n’est pas Marguerite !

Et comme il hurlait, une main gantée se posait sur son épaule. Tissot se retourna. Fendant la foule, écartant les curieux, une jeune femme venait d’arriver jusqu’à lui :

– Qu’est-ce que tu fais-là ? Pourquoi m’appelles-tu ? Que se passe-t-il ?

Alors M. Tissot ouvrit des yeux démesurés. Des sons rauques sortirent de sa gorge. Il perdit connaissance. C’était sa femme, c’était Marguerite qui venait de lui mettre la main sur l’épaule, Marguerite qui se portait le mieux du monde.

6 – LA CLEF VOLÉE

– Quoi c’est toi ? mais tu n’es donc pas blessée ?

– Blessée ? pourquoi ? Mais enfin, pourquoi veux-tu que je sois blessée ?

M. Tissot, petit à petit, reprit son sang-froid. Il revint vers l’ambulance, il se pencha sur la blessée.

– Je ne connais pas cette femme, dit-il à l’infirmière. Il y a certainement une erreur.

Et refermant la portière, M. Tissot rentra sous la voûte de l’immeuble, suivi par son épouse.

Or, au moment où M. Tissot traversait le trottoir, il apercevait précisément, débouchant du grand escalier, un infirmier accompagné du valet de chambre Jean.


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