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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Dick paraissait très décidé à mettre ses menaces à exécution.

M e Hussin lut une résolution farouche sur le visage du jeune homme et, prudemment, recula :

– Prenez garde, cria-t-il d’une petite voix grêle, prenez garde !

– À quoi, bon Dieu ? Ah çà, monsieur, qu’est-ce que vous fichez chez moi ?

L’huissier avait enfin trouvé dans l’amas de ses papiers bleus celui qu’il cherchait :

– À la requête de la maison Job, tailleur, déclarait-il pompeusement, et en vertu d’une ordonnance de M. le Président du Tribunal, dont je vous laisserai copie, je suis chez vous, monsieur, pour effectuer une saisie.

– Une saisie ?

– Oui, monsieur, une saisie foraine. Comme vous allez partir en Égypte, j’ai obtenu l’autorisation de saisir même après coucher du soleil. En conséquence…

À ce moment, Dick balança réellement entre les deux hypothèses qu’il avait formulées quelques instants avant : l’homme qui lui parlait était-il fou ou simplement ivre ?

Dick ne pouvait hésiter qu’entre ces deux suppositions. Non seulement il ne devait rien à la maison Job, mais encore il ne connaissait pas la maison Job. Non seulement il n’avait aucune idée d’être exposé à une saisie, mais encore il n’avait jamais eu l’intention de partir en Égypte.

– Qu’est-ce que vous me chantez là ? rugit Dick, en prenant l’huissier par le bras et en le secouant. Allez cuver votre vin ailleurs, bon Dieu. Job ! L’Égypte ! qu’est-ce que ça veut dire ? qu’est-ce que vous venez saisir chez moi ? Je ne dois d’argent à personne !

– Pourtant, monsieur…

– Il n’y a pas de pourtant. Fichez-moi le camp !

D’un coup de pied Dick venait d’envoyer la serviette de l’huissier, qu’il bousculait, vers la porte de l’escalier.

– Attendez, hurlait le jeune homme, j’ai votre pardessus à vous rendre. Oh, vous pouvez commencer à descendre l’escalier, je vous le flanquerai sur la tête, allez, allez, barrez-vous, je vous ai assez vu.

– C’est indigne, vous aurez de mes nouvelles. Je vais aller requérir le commissaire de police. Ah, monsieur Chatriot…

– M. Chatriot ? interrogea Dick, qu’est-ce que c’est que cela ?

– Mais c’est vous.

– C’est moi ?

– Dame, sans doute.

Cette fois, Dick crut comprendre, sa fureur se calma :

– Voyons, reprenait-il, un peu plus de calme, comment dites-vous que je m’appelle ?

– Vous vous nommez, je suppose, Dick Chatriot… M. Dick Chatriot et je suis ici au 218 de la rue des Batignolles.

– Voilà l’explication. Vous n’êtes pas au 218 de la rue des Batignolles, vous êtes au 218 bis. et je ne me nomme pas Dick Chatriot, mais Dick seulement. Dick tout court. Dick, comme un chien.

Et laissant là l’huissier, au milieu de ses paperasses qui voltigeaient sur le palier, l’acteur traversa son antichambre en criant :

– Arrangez-vous, d’ailleurs, avec ma concierge. Moi je suis pressé ! Ah bon sang de bon sang, si j’ai la poisse ce soir tout de même. J’aurai donc tout contre moi.

Dick s’empara, sur une chaise, d’un grand sac tout préparé.

– L’entracte sera fini, ronchonnait-il, et même j’aurai de la veine si je n’arrive pas après la romance. Tant pis, je vais me déshabiller dans mon fiacre et passer mon costume. Ah bon sang de bon sang, cet huissier !

Il claqua la porte de son logement, enjamba M e Hussin qui, à genoux, cherchait en tâtonnant sur le palier ses ordonnances voltigeantes, puis il dégringola ses quatre étages. Rue des Batignolles, après tant de déveine, Dick eut la chance d’apercevoir un taxi-auto :

– Eh là-bas, au Théâtre Ornano, et ventre à terre.

– J’ai pas de cheval, bourgeois.

– Marchez donc.

Il s’enfourna dans le fiacre, il claqua les portières, leva les vitres, abaissa les rideaux bleus.

– Quel malheur, quel malheur, hurlait Dick. Si je peux enfiler mon costume, il n’y aura peut-être encore rien de perdu, mais sapristi…

À ce moment, Dick se débarrassait de son pantalon, enlevait ses chaussettes, son caleçon, et à peu près nu, s’apprêtait à enfiler les vêtements qui devaient lui servir au théâtre à tenir son rôle.

Le malheureux jeune homme devait connaître toutes les adversités.

Sa voiture, à ce moment, effectuait un virage rapide. Dick ne se rendit compte de rien. Un choc épouvantable retentit. Dick crut que son fiacre allait voler en éclats.

En tout cas, cependant qu’il s’aplatissait contre les portières, la voiture versait, tournait sur elle-même et il y eut des cris. Étourdi par le choc, Dick alors demeura dans le taxi-auto renversé, quelques instants immobile, ne sachant plus trop ce qui lui était arrivé. Puis, au-dessus de sa tête, la portière s’ouvrit :

– S’il y avait quelqu’un dedans, disait une voix, bien sûr qu’il doit être tué.

Dick aperçut dans le demi-jour d’un réverbère voisin, le képi galonné d’un sergent de ville :

– Je ne suis pas tué, murmura-t-il, mais tout de même.

Au même moment, l’agent qui avait ouvert la portière, ordonna d’une voix formidable :

– Que les dames s’en aillent, que les dames s’en aillent !

Dick cependant se redressait. Il essayait de se dégager de la voiture, il allait se hisser par la portière, sur la voie publique.

– Ne bougez pas ordonna la même voix impérative. Ah, ah, mon gaillard ! Qu’est-ce que vous faisiez tout nu dans ce fiacre ? Expliquez voir un peu.

Dick s’attendait si peu à la question qu’il resta quelques secondes sans répondre puis, voyant toujours la figure sévère du sergent de ville penchée au-dessus du fiacre culbuté, voyant même surgir un second képi d’agent, il comprit qu’il importait de fournir des éclaircissements à sa tenue, en effet, bizarre.

– Je suis acteur, commençait-il, je me préparais à entrer en scène.

– Dans une voiture ?

– Je me rendais à mon théâtre.

– Tout nu ?

– Mais non, sapristi, vous voyez bien que j’ai un autre costume ! Laissez-moi sortir d’abord. Si vous croyez que je suis bien là-dedans.

Mais au moment où, pour la seconde fois, Dick tentait de s’extraire de son sapin, la poigne d’un agent se posa sur son épaule, et le repoussa de force à l’intérieur de la voiture.

– C’est bon, c’est bon, déclarait le représentant de l’autorité, on les connaît les gaillards de votre espèce, qui se déshabillent dans les voitures de place. Ah, votre affaire est claire, mon bonhomme !

– Mon affaire est claire ? interrogea Dick, mais puisque je vous dis…

– Habillez-vous et au poste !

– Au poste ? vous n’y pensez pas ?

L’agent dédaigna de répondre. Il se tourna vers son collègue :

– Réquisitionne un fiacre, commanda-t-il, c’est un dégoûtant. Si nous le sortons comme ça, il va faire du scandale.

En entendant cet ordre net et précis, Dick ne put s’empêcher naturellement d’éclater de rire :

– Mais non, agent, protestait-il, je ne suis pas un dégoûtant, laissez-moi m’habiller et allons au poste, seulement par pitié, arrêtez un taxi-auto, je suis à la minute.

Si Dick avait réfléchi cependant, il se serait peut-être rendu compte qu’après les multiples incidents qui avaient marqué sa soirée, il n’était plus en réalité à la minute, car l’heure à laquelle il devait arriver au théâtre était passée depuis longtemps.

Mais il ne réfléchissait plus. Il était dans un tel état d’énervement qu’il continuait, sans songer que c’était bien inutile, à vouloir rejoindre son théâtre, le plus rapidement possible.

– Je m’habille, annonça Dick.

Et, toujours pour gagner du temps, il commença à revêtir non pas ses habits ordinaires, mais ses habits de scène. Quelques instants plus tard, Dick avait en effet revêtu ses habits, mais alors, les agents reculèrent de stupéfaction, ils avaient devant eux un homme vêtu d’une culotte collante, de bas de soie, les épaules recouvertes d’une sorte de chemise rouge, bâillant sur la poitrine, la tête coiffée d’un bonnet phrygien, orné d’une cocarde gigantesque.

Du fiacre renversé, à l’ébahissement de la populace, c’est un contemporain de la Révolution Française qui sortait.

– Qu’est-ce que cette mascarade ? commença l’un des agents.

Dick, cependant, ayant ramassé ses autres vêtements et les ayant enfournés dans son sac, sortait du taxi-auto et se rendait compte que l’accident venait d’avoir lieu place Clichy.

– Au poste, au poste ! cria le jeune homme. Ne perdons pas de temps, je suis un acteur.

L’agent, à ce moment, revenait de ses premières suppositions :

– Ma foi, disait-il à son collègue, ça n’est peut-être pas un dégoûtant, c’est un échappé de Charenton.

Dick, cependant, avait, d’un geste impérieux, arrêté un taxi-auto :

– Il faut aller au poste, disait-il.

– Parbleu !

– Eh bien, allons-y, et vite !

Au poste de police, par bonheur, Dick tomba sur un secrétaire réellement intelligent et vif.

En deux mots, le jeune homme raconta son aventure, expliqua comment il se faisait qu’au moment où sa première voiture avait été culbutée, il était à moitié nu à l’intérieur de son fiacre :

– Monsieur le commissaire, disait Dick, vos agent m’ont traité de satyre, mais je ne leur en veux pas. Vous voyez dans quel embarras je me trouve. Tout ce que je vous demande, c’est de me remettre en liberté le plus vite possible. Je me tiendrai demain après-midi à votre disposition si cela est nécessaire.

Dick avait des pièces d’identité, le secrétaire les examina, puis s’inclina :

– Vous êtes libre, monsieur. Vous êtes libre. Dépêchez-vous donc de partir à votre théâtre. Qu’est-ce qu’on joue donc à Ornano ?

– On joue : Les Amours du Bourreau ou L’Enfant de la Guillotineet je tiens le rôle de Sanson. Le vous enverrai des places.

Sur cette bonne promesse, une promesse que les acteurs font toujours sans y attacher la moindre importance, car ils n’en tiennent jamais compte, Dick sortit du poste et remonta dans un taxi-auto.

– Au Théâtre Ornano, hurla-t-il, à toute allure.

Et la voiture démarra, Dick, enfin, respira.

– Quelle soirée, jurait le jeune homme, bon Dieu, c’est à devenir fou…

Puis, il murmura soudain d’une voix très préoccupée, un peu anxieuse :

– Mais tout cela est étrange, vraiment, tout cela est bizarre. Ce serait à croire que…

Il n’acheva pas sa phrase.

Au Théâtre Ornano, à la porte de l’entrée des artistes, un figurant accueillit Dick d’une raillerie :

– Eh bien, monsieur Sanson, dit-il, vous voilà tout de même ? Ne vous pressez pas, vous savez. Non, ne vous pressez pas. Ça pourrait vous faire mal.

Dick ne répondit pas. Il monta l’étroit escalier qui conduisait au plateau, il le monta quatre à quatre.

24 – LE DERNIER TABLEAU

Cependant, une foule houleuse réclamait le lever du rideau. La salle de spectacle était bondée. C’était un samedi soir, et du rez-de-chaussée aux dernières galeries, les spectateurs étaient pressés les uns contre les autres, car le théâtre n’était pas très grand et devait contenir beaucoup de monde.

Toutes les places, même les meilleures, étaient fort étroites.

Tout ce monde-là, d’ailleurs, vociférait avec un bel ensemble. Depuis vingt minutes déjà la seconde partie du spectacle aurait dû être commencée, on attendait toujours. Que se passait-il donc ?

Du haut des galeries tombaient des exclamations ironiques, des ordres brutaux.

– Grouillez-vous ! De quoi qu’y retourne ? Au rideau ! Quand c’est qu’on commence ?

Quelques-uns, plus hardis que les autres, et fort au courant sans doute du personnel du théâtre, interpellaient directement le personnage qu’ils croyaient responsable de ce retard. Et comme on savait que c’était Beaumôme qui avait pour mission de lever le rideau, des amis connus ou inconnus l’apostrophaient des galeries, en disant :

– C’est-y qu’il a la cosse ? faudrait voir, Beaumôme, à en mettre un coup ! Probable qu’il a encore des bras neufs, ce soir !

Ces interjections semaient un peu de gaieté dans la salle. Le public bon enfant, comprenant qu’il devait se passer quelque chose d’anormal dans les coulisses, fit quelques instants de silence, puis le tapage reprit de plus belle.

La clientèle du Théâtre Ornanoétait très mêlée. À côté de petits commerçants, on apercevait des figures farouches d’apaches et de pierreuses. Et tout ce monde-là, qui cependant ne frayait jamais ensemble dans la vie courante, au théâtre liait connaissance, se faisait des amabilités.

Quelques personnages qui, au début de la soirée étaient passés les uns à côté des autres sans avoir l’air de se connaître, paraissaient peu à peu s’enhardir. On les entendait s’interpeller, ils se faisaient d’abord de petits signes hésitants et discrets, puis, peu à peu, s’accoutumant, voyant que l’énoncé de leurs noms ne provoquait aucun scandale, ils se parlaient à haute voix à travers la salle.

Et c’est ainsi que lorsqu’une voix cria d’une galerie :

– Ça va toujours, Bec-de-Gaz ?

On en entendit une autre répondre de la galerie d’en face :

– Eh oui, ça colle, Œil-de-Bœuf.

Quelques jeunes apprentis apaches se désignaient avec admiration et respect la silhouette massive du Bedeau venu tout seul au théâtre, et qui affectait plus que jamais un air sinistre et préoccupé.

– C’est vraiment un mec costaud. Il en a une dégaine épatante !

– Oui, j’crois ben que depuis que sa gonzesse a claqué, y n’en a jamais reluqué une autre.

Depuis les aventures de l’autobus et de la Banque de France, tous les complices de Fantômas s’étaient tenus tranquilles, ne se terrant pas dans un repaire ignoré, déroutant la police en ne se cachant pas.

Certes, les agents avaient arrêté quelques rôdeurs, et découvert dans les bouges des récidivistes, que bon gré mal gré on avait impliqué dans les affaires de la place Clichy et du quai de l’Hôtel-de-Ville. Mais en réalité, les véritables acteurs de ces deux drames tragiques n’avaient pas été découverts, et depuis que l’opinion publique s’était calmée, la police, impuissante à intervenir, relâchait sa surveillance. Les secrets d’ailleurs, étaient fort bien gardés dans la bande. Et si d’aventure des haines naissaient entre ceux qui la constituaient, les uns et les autres s’arrangeaient pour vider entre eux les querelles, mais nul n’aurait osé moucharder les camarades, dénoncer des faits aussi graves, sachant par expérience que si la justice décidait d’épargner l’indicateur, celui-ci serait certainement châtié par ceux qu’il aurait dénoncés.

Cependant, Œil-de-Bœuf qui s’ennuyait à sa place était venu rejoindre son inséparable ami Bec-de-Gaz.

Il le vit avec une femme et il interrogea en la désignant :

– C’est donc que tu te mets en ménage, Bec-de-Gaz ?

Mais le grand apache haussa les épaules :

– Tu l’as pas regardée la gonzesse, fit-il. C’est Adèle.

C’était Adèle en effet, et l’apache qui posait la question savait que l’ancienne bonne vivait avec Beaumôme.

Adèle avait un visage courroucé et, volontiers, elle profita de l’occasion pour faire connaître ses sentiments :

– Sûr que je ne voudrais pas de Bec-de-Gaz, déclara-t-elle. C’est bon pour être copains, mais pas pour autre chose. Quant à Beaumôme, j’y tiens pas plus que cela. D’ailleurs, c’est un salaud, et un lâcheur ! Un homme qui fait ce qu’il fait est capable de tout.

Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, avec des mines graves, approuvèrent la pierreuse. Ils savaient, en effet, ce que celle-ci reprochait à Beaumôme. N’avait-il pas eu pendant un certain temps deux maîtresses, elle et Rose Coutureau, et désormais ne préférait-il pas cette dernière à Adèle qui, pourtant, s’était dévouée ?

– Puisqu’y m’plaque, j’m’en fous, disait Adèle, J’vas prendre un autre homme, le Bedeau, par exemple qui, sans doute est un peu vieux, mais c’est un type sérieux, solide, et bien capable de défendre sa môme à l’occasion.

– Le Bedeau, déclara Bec-de-Gaz, il en a sa claque des gonzesses. Rapport à ce qu’il a toujours des embêtements avec elles. Rappelle-toi plutôt ce qui est arrivé quand il était avec Fleur-de-Rogue ?

– Oui, poursuivit Œil-de-Bœuf, sûrement que tu n’aurais rien à faire avec le Bedeau, et moi j’ai comme une idée que nous pourrions te proposer une bien meilleure combine.

Œil-de-Bœuf regarda Bec-de-Gaz, lequel devinant ce qu’il allait offrir à Adèle, l’approuva d’un hochement de tête.

Œil-de-Bœuf poursuivit :

– En somme, on est tous les deux, Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, de bons, de très bons copains. Comme qui dirait les deux doigts de la main, seulement ce qui nous manque, c’est une femme. Alors pourrait-on pas s’arranger pour vivre tous les trois en ménage ?

La proposition aussi nettement formulée, ne parut pas scandaliser outre mesure Adèle qui, décidément, tenait surtout à ne pas rester sur la mauvaise impression que produisait autour d’elle le lâchage de Beaumôme.

Et, pendant quelques instants, les trois interlocuteurs se mirent à étudier de très près ce projet.

Au parterre, cependant, deux hommes qui s’étaient rencontrés poussaient chacun une exclamation de surprise :

– La Carafe !

– Tête-de-Lard !

C’était la première fois que les deux apaches se rencontraient, depuis le fameux jour où ils avaient été si brutalement séparés l’un de l’autre, lorsque Fantômas leur avait joué le mauvais tour de les précipiter à la Seine.

On avait vaguement raconté dans les milieux interlopes que Tête-de-Lard avait été sauvé par la police, puis bouclé. Les mauvaises langues ajoutaient qu’il avait même servi d’indicateur. Aussi, pendant huit jours, avait-on proféré à son égard des menaces terribles, et décidé que l’on mettrait à mort cet ancien charcutier au visage gras, fuyant et peu net. Puis, nul n’ayant été arrêté, on était revenu sur cette opinion et d’autre part, Tête-de-Lard semblait avoir été réhabilité par Fantômas lui-même lorsque celui-ci lui avait manifesté ainsi qu’au Bedeau, sa confiance, en le faisant intervenir dans l’affaire de la grande Berthe. Dans un groupe, quelques apaches d’ailleurs, auxquels se joignaient désormais La Carafe et Tête-de-Lard, félicitaient la grande Berthe d’être sortie de prison. Bébé déclarait admiratif :

– Pour une combine épatante, c’en est une. T’as vraiment du talent, la môme. Mais qui c’est qui t’a aidée, et pourquoi qu’t’as fait sauver la Rose Coutureau de la taule ?

Mais la grande Berthe ne voulait donner aucun renseignement à ce sujet.

Le tapage, cependant, croissait dans la salle et, sur l’air des Lampions, la foule impatiente réclamait :

– Le rideau ! Le rideau !

Puis, le bruit peu à peu augmenta, devint un véritable vacarme. Ensuite, par enchantement, on se tut et les spectateurs, résignés, reprirent le cours de leur conversation.

Tout d’un coup, le silence se fit définitivement dans la salle, puis, brusquement, on applaudit frénétiquement :

Les trois coups venaient enfin d’être frappés. Il y eut un remue-ménage au parterre et aux galeries. Pendant cinq minutes, on se bouscula consciencieusement pour gagner sa place, puis tout se tut. Le rideau se levait.

***

Cependant, depuis trois quarts d’heure environ, l’affolement le plus complet, le désarroi le plus intense, régnaient dans la coulisse.

Toutes les cinq minutes, Beaumôme, préposé aux manœuvres du rideau, était venu de son air cafard et en se dandinant sur ses courtes jambes, demander à M. Rigou, régisseur général :

– C’est-y qu’on peut lever ?

Et, chaque fois, M. Rigou avait répondu sur un ton énervé :

– On ne peut pas. Dick n’est pas encore arrivé.

Beaumôme, indifférent, haussait les épaules, retournait à son poste, traînant ses espadrilles sur le plancher poussiéreux du théâtre.

Puis, il revenait encore au bout de quelques instants :

– C’est-y qu’on peut lever ?

Il obtenait la même réponse. À la troisième fois, il fit observer :

– Les types rouspètent dans la salle ! Sûr qu’ils vont tout casser.

M. Rigou serra les poings, leva les yeux au ciel, mais il ne pouvait donner l’ordre de lever le rideau, Dick, le principal interprète, n’était pas là.

Et M. Rigou qui assumait toutes les responsabilités, sentit le désespoir l’envahir.

On avait fait, ce soir-là, une si bonne recette, que, bien avant l’heure à laquelle devait commencer la représentation, la salle était comble, et c’est pourquoi, contrairement aux usages, M. Rigou avait pu venir dans les coulisses, avant la seconde partie du spectacle, alors qu’en temps ordinaire il restait au contrôle jusqu’à la fin du deuxième acte, pour surveiller la caisse qui vendait encore des places à des retardataires.

Les affaires du théâtre marchaient bien et, depuis quelques jours, on était tombé sur un excellent programme que certainement on pourrait faire tenir pendant toute une quinzaine.

La pièce principale s’appelait Les Amours du Bourreau ou L’Enfant de la Guillotine.C’était un drame sombre, en vingt-sept tableaux, de telle sorte que la moitié du temps se passait en entractes pour que l’on pût opérer les changements. Malgré ces inconvénients matériels, l’œuvre théâtrale, due à un professionnel du roman-feuilleton, remportait un vif succès.

Elle avait d’excellents interprètes, parmi lesquels le jeune acteur Dick, qui tenait superbement le rôle du bourreau Sanson.

Or, voici qu’il manquait, qu’il était absent sans avoir prévenu, sans que l’on sût pourquoi. Que fallait-il donc faire ? Pour rien au monde, M. Rigou n’aurait voulu rembourser les places, ce qui était d’ailleurs impossible, une partie de la recette ayant déjà été distribuée aux acteurs pour le règlement de leur semaine. Les artistes, habitués à ne s’émouvoir de rien, demeuraient silencieux et résignés, dans les coulisses, derrière les portants.

Dans un coin des coulisses, près du rideau, se trouvaient Beaumôme et Rose. Les deux amants s’entretenaient à voix basse, et, malgré les plaisanteries dont l’apache émaillait sa conversation, sa maîtresse demeurait sombre :

– Je suis sûre, murmurait Rose Coutureau, qu’il est arrivé quelque chose de fâcheux à mon vieux. Qu’est-ce qu’il a pu devenir, pourquoi n’est-il pas rentré ?

Beaumôme, qui se souciait fort peu du père Coutureau, essayait pourtant de la rassurer :

– Tu t’étais bien débinée toi-même, probable que le vieux en a profité pour aller faire la bombe. Il aime bien se soûler la figure, il a dû s’envoyer quelque muflée dans un bistrot des environs.

– Ça se pourrait, déclarait la gamine, mais ça m’étonne, car il tombait de sommeil le jour où je l’ai quitté. Pour qu’il soit sorti de la taule, faut qu’il se soit passé quelque chose de grave, il faut surtout, poursuivit-elle, qu’il y ait eu un événement extraordinaire, puisqu’il n’est pas encore là.

Et, de fait, le père Coutureau, tout comme l’acteur Dick, manquait au théâtre. Mais cela n’avait pas la même importance. Les artistes s’étaient passés du vieil habilleur, et la figuration aurait un chef de moins. Cela ne pouvait empêcher le spectacle de se dérouler normalement.

– C’est égal, j’ai peur, disait Rose Coutureau. Il se passe des choses, depuis quelques jours, qui me donnent de terribles émotions.

– Tu t’en fais une bile, dit Beaumôme. Faut-y que les femmes soient gourdes.

– Je sais ce que je sais, et d’ailleurs, tous ceux qui, comme nous, comme le père et moi, ont eu des rapports avec Fantômas, en tirent toujours des embêtements. Vois plutôt cette histoire de l’avenue Niel. Oh moi, je suis décidée ! Ça peut pas durer plus longtemps, et plutôt que de me retourner les sangs, nuit et jour dans la crainte d’être mêlée à ces affaires-là, j’irai plutôt casser le morceau à la police. Oui, dès demain, j’irai leur dire ce que j’ai vu, ce que je sais.

Tandis que Rose s’exprimait ainsi quelqu’un s’approchait du régisseur général.

– Pardon, monsieur ?

M. Rigou se retourna tout d’une pièce. Un vieil homme à l’allure minable, s’adressait à lui en hésitant. M. Rigou haussa les épaules, tourna les talons, et répondit, furieux :

– Il s’agit bien de vous ! Est-ce que tu crois, par hasard, que j’ai le temps de m’occuper de ça ? Quand je pense que mon premier rôle n’est toujours pas arrivé et que le troisième acte devrait être commencé depuis plus d’une demi-heure, j’ai autre chose à faire que de distribuer la figuration !

M. Rigou avait bien la mentalité des gens de théâtre, qui sont, à certains moments, très aimables, font des offres mirifiques et, tout à coup, sans raison, ont de grands airs affairés et semblent ignorer les gens qu’ils tutoyaient et appelaient leur cher ami deux minutes auparavant.

L’interrupteur que M. Rigou venait de rabrouer ne se tint pas pour battu cependant. Il se rapprocha du régisseur général :

– Je sais le rôle, déclara-t-il, tu n’as qu’à me le donner et je m’en vais le jouer !

M. Rigou regarda alors avec une certaine complaisance le mystérieux personnage aux allures de vieux comédien qui, ce jour même, à l’heure de l’apéritif, avait rencontré, au Café du Triangle, le régisseur général du Théâtre Ornano, dont il avait conquis la sympathie en faisant de très bonnes imitations des grands acteurs.

C’était ce cabot qui avait prétendu s’appeler, à l’instar du grand ancêtre, tout simplement : Talma, mais Talma Junior.

– Tu as déjà vu jouer la pièce et tu connais le rôle de Dick ?

– Parfaitement !

– Rose Coutureau, et vous autres, les artistes de la scène du début, arrivez ici !

On s’empressa sur le plateau.

– Commencez à voix basse, dit-il, et voyez si le camarade peut tenir le rôle. Je lui enverrai les répliques, pour l’aider.

On commençait une première scène et, en l’espace de quelques instants, M. Rigou fut transfiguré :

– Mais c’est épatant ! cria-t-il. Mon cher Talma, tu connais le rôle aussi bien que Dick lui-même. Pourras-tu continuer comme ça jusqu’au bout ?

– Jusqu’au bout, je n’ai pas peur.

– Risquons le paquet ! dit M. Rigou.

Et aussitôt, se précipitant vers Beaumôme, il lui cria :

– Frappe les trois coups, mon vieux, et allons-y, au rideau !

Avec trente-cinq minutes de retard, le spectacle reprit, la dernière recommandation de M. Rigou avait été :

– Enchaînez vivement vos répliques, mes enfants, pour que nous puissions finir à l’heure.

Et les artistes, stimulés à l’idée qu’ils pourraient très probablement terminer à temps pour prendre leur métro, interprétaient leurs rôles respectifs avec entrain, ce qui donnait à la pièce une saveur toute nouvelle et du meilleur aloi.

Ce fut un long cri de surprise, des murmures étonnés dans la salle lorsque l’on vit apparaître le bourreau Sanson. Les habitués, en effet, connaissaient l’interprète du rôle : le jeune et beau comédien Dick, la coqueluche de toutes les femmes et l’artiste que les hommes n’osaient pas critiquer, tant il était notoirement adroit et remarquable.

Or, voici qu’un vieillard, ou tout comme, le remplaçait et instinctivement la foule se disposait à faire un mauvais accueil au comédien qui avait eu l’audace de se substituer à Dick, sans que l’on ait fait au préalable une annonce, sans qu’il se soit excusé de prendre une si grande liberté. Certes, la salle était mal disposée à l’égard du nouveau. On murmurait bien des : « Qu’est-ce que c’est que ce type-là ? Non mais, il en a du culot de vouloir remplacer Dick ! » et quelques pelures d’oranges vinrent même s’abattre sur la scène mais celui qui s’était donné pour Talma Junior plongea sur la foule son regard énergique cependant qu’avec netteté il débitait son rôle.

C’était quelqu’un que cet artiste et assurément s’il ne jouait pas de la même façon que Dick, il avait sa manière à lui de camper le personnage du bourreau, qu’il faisait terrible et redoutable rien que par les gestes et le ton.

M. Rigou, installé dans la boîte du souffleur et qui, tout en suivant attentivement le manuscrit, n’avait pas vu commencer le spectacle sans une certaine appréhension, se rassurait.

Lorsque le troisième acte fut terminé, une salve d’applaudissements consacra le succès définitif du comédien qui avait remplacé le beau Dick au pied levé.

Il fallut que Talma revienne saluer, et il le fit avec une humilité courtoise, une véritable aménité, s’inclinant jusqu’à terre, cependant que son regard perçant semblait fouiller dans le trou noir que, à ses yeux, représentait la salle.

Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz n’avaient pas hésité à consacrer la gloire du comédien :

– Il est épatant, ce mec-là ! avaient-ils déclaré.

Et Adèle, oubliant soudain qu’elle venait de conclure une alliance quasi matrimoniale avec les deux amis, ajoutait, enthousiasmée :

– Tout vieux qu’il est, s’il voulait, ça ne lui coûterait pas cher !

Pendant l’entracte, on félicita le comédien sur le plateau.

– Tu as été sublime, déclarait le régisseur général avec conviction.

Mais Talma se déroba aux ovations et demanda à se reposer seul, à demeurer dans un angle obscur, pendant les quelques instants de loisir dont il bénéficiait. M. Rigou lui avait apporté le manuscrit, Talma junior repassait attentivement le texte de l’acte suivant.

Assurément, l’homme était grimé merveilleusement, doublement même. Non seulement il s’était fait la tête du bourreau de la Révolution, une tête un peu fantaisiste sans doute, mais encore sa silhouette de vieux comédien n’était que le plus audacieux des maquillages, que la plus formelle des contrefaçons. Car, en réalité, et c’était là une chose que tout le monde ignorait, c’était encore Fantômas qui se dissimulait sous ce nouveau déguisement.

Pourquoi l’homme terrible était-il là ?

Pourquoi assumait-il la dangereuse responsabilité d’interpréter le rôle d’un artiste aussi en vue que l’était Dick ? Et pourquoi, enfin, se trouvait-il que, par suite d’un hasard extraordinaire, ce dernier manquait précisément le jour où Fantômas réussissait à se faire embaucher au Théâtre Ornanocomme pour le remplacer au pied levé ? Mystérieuse coïncidence ou bien résolution étudiée du Maître de l’Effroi ?

Cependant, le spectacle continuait et le succès du vieux comédien s’affirmait.

La pièce était tragique au possible, très mouvementée aussi. Il y avait notamment, au cours de ce spectacle sensationnel, deux clous destinés à provoquer l’admiration des spectateurs et aussi à les faire frissonner :

Le premier qui avait lieu à la fin du quatrième acte, était une scène qui se passait au cours d’une assemblée populaire ; certains personnages y injuriaient le bourreau, lui reprochant d’exercer un métier aussi affreux. Et Sanson, grandiloquent et superbe, leur répondait victorieusement en faisant l’apologie de sa profession et en exaltant le bras qui servait la noble cause du Devoir et de la Nation ! Fantômas, dans le rôle du bourreau, était vraiment superbe, et lorsqu’il eut déclaré avec emphase :

– Je suis le bras vengeur de la Nation. C’est moi le grand jardinier rouge, dont la tâche sublime est de purger la France de toutes les mauvaises herbes gui empêchent la Liberté, l’Égalité, la Fraternité de régner sur le pays, ce fut une salve frénétique d’applaudissements.


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