Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Parbleu, je le savais bien. Ah jeunesse ! Quand l’amour vous tient ! C’est ton Hélène que tu attends, canaille ! Eh bien soit, reste avec elle, passe une bonne journée, dites-vous vos projets, échangez des propos tendres, et demain, ne manque pas de venir chez moi, nous aurons à causer.
Heureux comme un enfant à qui on permet de faire l’école buissonnière, Fandor serra chaleureusement les mains de Juve qu’il quitta pour courir au rendez-vous de celle qu’il aimait, depuis si longtemps et avec tant d’ardeur.
Si Juve avait vu Fandor à neuf heures du soir, il aurait été désespéré de l’attitude de son ami.
Le journaliste, en effet, avait passé une journée entière en proie aux plus mortelles inquiétudes. En vain depuis deux heures de l’après-midi, il avait attendu Hélène. Hélène n’était pas venue.
***
– Enfin, monsieur, m’expliquerez-vous ce que vous voulez ?
– Je n’ai peut-être pas à vous le dire, mademoiselle, et le seul fait de votre présence ici me prouve que vous avez compris.
– Non, monsieur.
– Je vous demande pardon… Si, mademoiselle !
Dans une pièce à peu près déserte, mal éclairée, sans meubles, deux êtres humains échangeaient ces paroles discordantes.
C’étaient un homme et une femme, jeunes et beaux tous les deux : l’acteur Dick et Hélène, la fille de Fantômas. Par suite de quelles circonstances et de quels singuliers événements, se faisait-il que l’acteur et la jeune fille, se trouvaient ainsi en présence ?
Il était six heures du soir, et cet entretien avait lieu à Enghien, dans une maison déserte, abandonnée, semblait-il, et isolée à l’extrémité du lac, sur le bord de la route pavée qui se dirige vers Saint-Denis.
Quelques heures auparavant, alors qu’Hélène se disposait à se rendre chez Fandor, avec lequel elle avait rendez-vous, elle était abordée par un individu dont elle ne voyait point le visage, car l’homme affectait, tout en se tenant près d’elle, de ne pas marcher à sa hauteur et de rester toujours un peu en arrière, afin évidemment qu’elle ne le vît point.
En pleine rue, cet homme avait murmuré quelque chose à l’oreille de la jeune fille, et il faut croire que les propos qu’il avait tenus la troublaient singulièrement, car, changeant brusquement d’itinéraire, au lieu d’aller chez Fandor, Hélène s’était dirigée vers la gare du Nord.
Elle avait pris le premier train en partance pour Enghien, puis, sitôt arrivée, elle avait demandé un renseignement à un sergent de ville et s’était dirigée à grands pas vers cette maison déserte, dans laquelle elle pénétra sans la moindre hésitation, émue cependant au plus haut point.
Hélène monta au premier étage de cet immeuble qu’elle ne connaissait pas, exécutant simplement à la lettre et avec une obéissance passive les instructions que lui avait données le mystérieux personnage qui l’avait abordée dans la rue à Paris.
Elle était désormais en face de Dick. Il n’y avait pas de doute, en effet, elle reconnaissait sa voix. L’homme ne dissimulait d’ailleurs pas sa personnalité et lorsque Hélène lui avait dit : « Je sais que vous êtes l’acteur Dick », il n’avait pas protesté.
– Que voulez-vous ? reprit la jeune fille. Que voulez-vous de moi ? Pourquoi m’avoir attirée dans ce lieu ?
L’acteur s’inclina devant elle.
– Merci, dit-il, merci d’être venue. J’avoue que c’est à peine si j’osais l’espérer.
– Vraiment ? interrompit Hélène. Il me semble pourtant, qu’après ce que vous m’avez dit et révélé tout à l’heure, il m’était impossible de faire autrement. Vous avez évoqué de tels souvenirs et rappelé des choses si tragiques que je ne pouvais pas refuser de venir.
Renonçant à son attitude respectueuse, Dick, dont les yeux lançaient des éclairs, déclara triomphalement :
– Et j’imagine que vous êtes, ce qui mieux est, décidée à m’obéir ?
Hélène rougit.
Elle, la fille hautaine, fière, autoritaire, qui ne se courbait devant personne, avait été réduite à baisser la tête, et, au lieu de répondre comme il le méritait au jeune acteur, elle avait gardé le silence.
– Reconnaissez-le donc, je ferais trembler Fantômas lui-même.
Et il semblait si énergique, si décidé en proférant ces audacieuses paroles, qu’Hélène, anxieuse, avait demandé :
– Ah dites-moi, de grâce… Quel homme êtes-vous ?
Le mystérieux comédien ne répondit point. Mais il ne pouvait s’empêcher de se souvenir que, quelques heures auparavant, une autre femme, avec laquelle il se trouvait en tête-à-tête, Sarah, la jolie Américaine, lui avait demandé sur le même ton de mortelle angoisse.
– Quel homme êtes-vous ?
Pas plus qu’à Sarah Gordon, Dick ne répondit à Hélène, mais, avançant un siège, il le désigna à la jeune fille, puis, cependant qu’il restait debout, les bras croisés devant son interlocutrice, il commença d’une voix résolue :
– Écoutez, mademoiselle, voici quels sont mes désirs, et sous peine des plus grandes catastrophes, je vous engage vivement à les considérer comme des ordres. Retenez bien ce que je vais vous dire. Suivez à la lettre mes recommandations.
– Parlez, monsieur, murmura Hélène, toute tremblante.
26 – SURPRENANTES RENCONTRES
Dick parti, Sarah avait passé par de terribles perplexités car, ainsi qu’elle l’avait dit, la jeune femme était très éprise de l’acteur, elle se sentait fort troublée par l’étrange attitude qu’il venait d’avoir.
Devait-elle partir en Amérique ainsi qu’elle en avait manifesté l’intention ? Devait-elle, au contraire, céder aux supplications du jeune homme et retarder son départ, attendre qu’il fût libre de s’en aller avec elle ?
Sarah, en digne Américaine qu’elle était, possédait un caractère ombrageux et supportait mal la contradiction.
Elle s’était d’abord imaginé que Dick accepterait avec enthousiasme le projet de voyage qu’elle comptait lui soumettre, et elle n’en était que plus affectée par les résistances imprévues du bel acteur.
– Que veut-il dire avec tous ces mystères ? songeait-elle. Pourquoi ne point partir maintenant ? Pourquoi attendre ? Attendre quoi ?
Mais à toutes les interrogations anxieuses qu’elle pouvait se poser, Sarah ne trouvait point de réponse.
D’ailleurs, encore qu’elle eût fait l’audacieuse, elle éprouvait une secrète jalousie à l’égard de Dick qui n’était point sans augmenter le malaise moral dont elle souffrait.
– Pourquoi a-t-il eu l’air si ému de la mort de cette Rose Coutureau ? songeait Sarah.
Puis l’Américaine se répétait :
– Je sais bien qu’il m’aime et qu’il n’aime que moi.
Mais elle avait beau se répéter cette assurance, elle avait beau s’affirmer qu’elle n’était pas inquiète, Dick l’avait troublée avec ses paroles et lui était impossible d’oublier qu’il avait parlé de venger une femme, cette jeune fille tuée la veille par Fantômas.
Fort énervée, fort chagrine en tout cas, Sarah ne savait plus à quel parti s’arrêter.
– Je l’aime, je ne vais pas partir, murmurait-elle par moments.
Puis, quelques secondes après, elle secouait la tête, fronçait ses fins sourcils, tapait du pied :
– Tant pis pour lui ! disait Sarah. Je l’ai prévenu que je partais, je lui ai offert de m’accompagner, libre à lui de venir ou de ne pas venir, je serai sur le transatlantique samedi prochain.
Et, dans ces moments de résolution, Sarah commença avec rage ses préparatifs de départ, bouscula ses malles, rassembla ses affaires, sonna la femme de chambre qu’elle renvoya quelques minutes plus tard, ayant à nouveau décidé de patienter et d’attendre que Dick eût bien voulu lui expliquer son étrange attitude.
Or, tout le temps que Sarah hésitait de la sorte, c’est-à-dire le matin, puis, l’après-midi, puis encore l’après-dîner, car la jeune femme remonta immédiatement dans sa chambre après la fin du repas, Sarah resta seule. À tous moments elle avait besoin de domestiques et, certes, elle ne soupçonnait pas que ces gens, dont elle réclamait les services par leur présence continuelle, éloignaient un maître d’hôtel dont l’apparence correcte et banale servait à dissimuler le redoutable Fantômas.
Fantômas, en effet, rôdait continuellement au Lac Palace.
Il n’avait pas abandonné son sinistre projet de tuer la riche Américaine, mais les circonstances, pour une fois, le desservaient et il lui était impossible d’exécuter ses desseins.
À dix heures, cependant, comme l’hôtel s’emplissait des allées et venues des élégants et des élégantes qui se rendaient au Casino voisin, le portier frappait à la porte de la chambre de Sarah.
– Entrez ! commanda la jeune femme.
– Mademoiselle, déclarait le domestique en se découvrant et en prenant un ton des plus respectueux, il y a une personne qui désire entretenir madame.
– Une personne ? répondit Sarah.
Elle eut à ce moment un grand battement de cœur, elle pâlit, car elle pensait deviner qui pouvait être cette personne.
– C’est Dick ! se disait Sarah. À coup sûr, il s’est ravisé, il vient m’avertir qu’il part avec moi.
Mais avant même que la jeune femme eût achevé de penser cela, le portier précisait :
– Mademoiselle, c’est une dame. Elle affirme que madame ne la connaît pas, mais elle a insisté pour que madame la reçoive, disant qu’elle venait faire une commission urgente.
– Faites entrer cette jeune femme.
Sarah avait été quelque peu déçue en apprenant que ce n’était point Dick qui venait la voir, mais elle se consola en songeant qu’il s’agissait certainement d’une messagère du jeune artiste et que la commission qui lui serait faite devait venir de Dick.
Quelques secondes plus tard, le heurt familier de l’ascenseur avertissait Sarah que sa visiteuse arrivait au palier de son étage. On frappait encore à sa porte et, à son invitation, une jeune femme pénétrait auprès d’elle.
Sarah dévisageait l’arrivante avec une émotion qu’elle dissimulait mal.
Elle était en face d’une jolie personne, belle, d’une fraîche beauté, toute jeune encore et dont le visage avait quelque chose de séduisant et d’intrigant à la fois.
La timidité se peignait sur ses traits et cependant ses yeux avaient une étrange énergie, elle semblait décidée et hésitante. Elle était simplement mise, elle était très distinguée.
– Vous demandez à me parler, mademoiselle ? s’informa Sarah.
– Oui, mademoiselle.
– Vous venez me faire une commission ?
– Oui, mademoiselle.
La voix de la visiteuse était sympathique, bien timbrée. Elle ne tremblait pas et cependant Sarah croyait deviner en elle comme une légère hésitation.
– Eh bien, mademoiselle, je vous écoute, répétait Sarah. Qui vous envoie vers moi ?
La visiteuse, cette fois, ne répondit pas tout de suite.
Elle réfléchit quelques secondes ; un pli lui barrait le front d’une ride soucieuse et c’est d’une voix basse, anxieuse, qu’elle se décida enfin à reprendre la parole :
– Mademoiselle, dit la jeune fille en regardant Sarah bien en face, comme si elle eût cherché à lire les sentiments de l’Américaine au fond des prunelles changeantes, mademoiselle, je viens vous faire une commission grave, et je vous prie de m’accorder toute votre attention.
– Mais mademoiselle, faisait-elle, je vous écoute très attentivement. Voulez-vous vous asseoir ?
Elle offrit un siège. Elle-même s’assit, mais la jeune fille demeura debout :
– Mademoiselle, reprit-elle, il va falloir me répondre en toute franchise. Aimez-vous l’acteur Dick ?
À ce nom, ce nom qu’elle attendait, Sarah qui s’était assise, se releva brusquement.
Sa nature impétueuse se donna libre cours :
– Qui donc êtes-vous, mademoiselle, pour vous permettre une pareille question ? demanda Sarah âprement. Ceci ne regarde que moi, je suppose, et, tout au plus, le jeune homme que vous venez de nommer.
Sarah parlait avec emportement. Sa visiteuse lui répondit avec une douceur extrême :
– Mademoiselle, je vous en supplie, écoutez-moi avec calme et croyez bien que je ne suis pas votre ennemie. Je ne suis d’ailleurs qu’une commissionnaire, c’est une mission que je remplis auprès de vous et…
– Abrégeons ! Quelle commission ?
– Mademoiselle, insista la jeune fille, je ne vous la ferai que lorsque vous m’aurez répondu : aimez-vous sincèrement l’acteur Dick ?
Cette insistance était si surprenante que Sarah oublia l’incorrection de la demande.
– Peut-être, répondit-elle.
Mais tout le vague de la réponse était démenti par la façon vibrante et presque combative dont Sarah articulait ces paroles.
L’étrange jeune fille eut un faible sourire.
– Alors, mademoiselle, dit-elle en joignant les mains, je vous supplie de ne pas partir ce soir, de ne pas partir en Amérique, d’attendre…
Elle n’avait pas achevé que Sarah, frémissante, se dressait, les yeux menaçants, les gestes saccadés :
– Sortez, mademoiselle ! ordonnait l’Américaine. Sortez si vous ne voulez pas que j’appelle !
– Mais mademoiselle…
Il était impossible de calmer Sarah. Elle avait de ces colères subites, folles, que rien de pouvait apaiser.
– Sortez ! répétait-elle. Oh parbleu ! Je devine qui vous êtes. Sans doute c’est la maîtresse de Dick qui me parle.
Dick, la veille, avait fait germer la jalousie dans le cœur de Sarah et la suite des événements faisait que c’était l’innocente visiteuse qui devait supporter le contrecoup de ce sentiment nouveau, mais déjà vivace, dans le cœur de Sarah.
L’Américaine, en effet, n’hésitait plus.
Qui pouvait être cette jeune fille, venant la voir au nom de Dick et la suppliant de retarder son départ, si ce n’était la maîtresse de Dick, la rivale pour qui Dick voulait rester en France ?
Tout s’expliquait.
C’était pour avoir le temps de rompre une vieille liaison que Dick avait prié Sarah de reculer son départ, et c’était pour essayer de reprendre Dick que la maîtresse de l’acteur venait, elle aussi, supplier Sarah d’attendre quelque temps.
Et, en même temps que la colère, une joie folle s’emparait de l’âme de Sarah.
Si la maîtresse de Dick, en effet, venait demander à Sarah de ne point partir, c’était évidemment que l’acteur avait décidé, lui, d’accompagner Sarah. Naturellement l’Américaine était impitoyable.
– Vous êtes la maîtresse de Dick, répétait-elle, et je trouve, mademoiselle…
Mais la visiteuse l’interrompit d’un geste :
– Vous vous trompez, mademoiselle, affirmait la jeune fille avec un calme parfait, je ne suis point la maîtresse de Dick et même je ne connais Dick que depuis quelques heures.
Elle parlait d’un ton si convaincu, avec une sincérité si évidente que Sarah se prenait à douter.
– Vraiment ? demandait-elle narquoise, vous connaissez à peine Dick et cependant vous vous mêlez de ses affaires de cœur !
Or, la réponse que s’attirait Sarah stupéfiait l’Américaine :
– Mademoiselle, disait la jeune fille simplement, je ne me mêle point, comme vous le dites, des affaires de cœur d’un inconnu, je viens simplement m’efforcer d’empêcher d’irréparables malheurs. Vous le pouvez si vous ne partez pas.
– Enfin, demandait-elle, qui êtes-vous donc, mademoiselle ? Je ne comprends rien, absolument rien, à votre attitude, et je vous avoue que votre personnalité m’intrigue. Dois-je ignorer votre nom ?
– Il vous apprendra peu de chose, mademoiselle.
– Vous tenez à le cacher ?
– Je n’ai rien à cacher, mademoiselle, mais je ne me nommerai point.
Un éclair brillait dans les yeux de la visiteuse qui, jusqu’alors, avait cependant répondu avec une douceur extrême :
– Mademoiselle, il ne faut pas que vous partiez. Je vous supplie de ne point partir, au besoin je vous l’ordonne.
– Vous me donnez des ordres ?
– Oui ! Car je suis obligée de le faire.
– Mais qui êtes-vous ?
Hélène, la douce Hélène, car c’était la fille de Fantômas qui se trouvait en face de Sarah, remplissait auprès de celle-ci une commission dont elle avait été mystérieusement chargée par l’acteur Dick. Hélène ne répondit pas à la question, mais toisa Sarah.
Et comme l’Américaine, légèrement bouleversée par l’attitude de la jeune fille, se taisait, la fille de Fantômas poursuivit :
– Je ne puis rien vous expliquer, mademoiselle, par le fait que j’ignore beaucoup de choses. Toutefois, il y a quelque chose que je sais : votre départ, je vous le répète, causerait d’horribles malheurs. Vous aimez Dick, Dick vous aime, c’est au nom de cet amour qu’encore une fois je vous prie…
Mais Sarah s’était ressaisie :
– Il suffit, mademoiselle ! déclara l’Américaine, glaciale. Vous m’en avez assez dit, trop peut-être. Je veux croire que vous ne vous rendez point compte du grotesque de votre démarche. Je ne veux point discuter. Peu m’importe. Il n’y a qu’une chose que je sais, c’est que je partirai demain, et que je partirai en compagnie de Dick.
Jalouse en cet instant, furieusement jalouse, car elle ne doutait point qu’une intrigue amoureuse fût la cause de l’étrange visite qu’elle recevait, Sarah paraissait fermement décidée.
Or, entendant l’arrêt qu’elle venait de prononcer, Hélène avait changé d’attitude.
Ses yeux flamboyèrent, un flot de sang empourprait ses joues.
– Non, mademoiselle, cria la fille de Fantômas, vous ne partirez pas !
– Et pourquoi donc ?
Dressée devant Hélène, Sarah, frémissante, attendait :
– Parce que je vous en empêcherai.
– Par la force ?
– Oui, s’il le faut !
Hélas, au moment même où Hélène osait ainsi menacer l’Américaine, Sarah, éperdue, affolée de peur, bondissait en arrière et, fiévreusement, toucha la sonnette d’alarme installée, comme dans tous les hôtels modernes, au centre de sa chambre.
– Que faites-vous ? demanda Hélène.
– J’appelle au secours, railla Sarah qui, de plus, sous un coussin de son divan, avait pris un mignon revolver et le braquait sur la fille de Fantômas. J’appelle au secours, mademoiselle, et l’on verra bien…
– Vous êtes folle ! riposta Hélène.
Mais les instants pressaient.
Au carillon de la sonnette d’alarme, une sonnette stridente, prolongée, qui s’entendit du haut en bas de l’hôtel, toute la domesticité s’empressait.
Des cris retentissaient partout.
– C’est le signal d’alarme !
– Courez vite au premier !
– C’est à l’étage du second !
Hélène se rendit compte qu’elle était perdue.
Quel mystérieux atavisme cependant la rendait si froide, si tranquille, alors que le danger l’environnait de toutes parts, alors qu’elle risquait une arrestation, d’autant plus périlleuse qu’elle aurait été bien embarrassée pour expliquer au juste les motifs de sa présence dans la chambre de Sarah ?
C’était bien la fille de Fantômas qui était en face de l’Américaine. Hélène ne se pressait pas, elle dardait sur Sarah un regard méprisant et volontaire.
– Vous ne partirez pas, articula Hélène, et nous nous reverrons, Sarah Gordon.
Puis, ces énigmatiques paroles prononcées, la jeune fille ouvrait la porte de la chambre qu’elle refermait derrière elle, bondissait dans la galerie. Déjà on accourait.
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Hélène s’éloigna d’un pas calme.
– On appelle ? demandait-elle.
Elle feignait d’être une visiteuse de l’hôtel.
Pourtant comme personne ne la connaissait, comme, en longeant le couloir elle allait arriver sur le palier, vivement éclairé et où immanquablement on allait la dévisager, Hélène se troubla.
Qu’un seul des serviteurs accouru lui demandât qui elle était, que Sarah, remise de son trouble, sortît de sa chambre et la désignât, c’en était fait d’elle.
À ce moment précis, et alors que la sonnette d’alarme continuait à tinter éperdument, un maître d’hôtel, accouru du fond de la galerie, prit Hélène par le bras.
– Vite, mademoiselle, dit-il, prenez l’ascenseur ! Vous n’entendez donc pas le signal d’alarme ? Il y a danger à rester ici.
Hélène n’eut pas le temps de réfléchir.
Elle était bousculée par le maître d’hôtel, poussée dans l’ascenseur qui descendait.
Et c’est comme une vision de rêve qui bouleversait la fille de Fantômas.
Alors qu’elle entrait dans l’appareil, elle s’était retournée, elle avait un instant aperçu le visage du maître d’hôtel assurant sa fuite, et dans ce visage, ce visage aux traits énergiques, ce visage qui semblait sourire d’un sourire retenu, Hélène croyait avoir reconnu les traits de son père.
– Fantômas, Fantômas, murmura la jeune fille. Ah, pourquoi Fantômas est-il au Lac Palace ?
L’ascenseur cependant, descendait toujours.
Debout dans l’appareil, la jeune fille se demandait si elle allait pouvoir sortir sans encombre du grand hôtel.
Et elle avait la surprise encore de voir que, du premier étage, un homme se précipitait, montant à toute allure. Et cet homme, oh parbleu, la fille de Fantômas le reconnaissait à la minute.
Il pouvait bien porter des habits étrangers, il pouvait bien tenir un sac de voyage sous son bras, il pouvait bien feindre d’être un voyageur ahuri par le désordre, son visage était trop familier à Hélène pour qu’elle ne le reconnût point.
– Juve, se dit la fille de Fantômas. C’est Juve ! Il est ici et mon père y est aussi. Ah, j’ai peur, j’ai peur !
***
– Nalorgne ?
– Quoi Pérouzin ?
– Combien de fois nous sommes-nous arrêtés depuis Paris ?
– Dix-huit fois, seulement.
– C’est bien ce que je pensais. La machine commence à être au point.
Quelques minutes avant la scène tragique qui devait éclater dans la chambre de Sarah, une automobile de course, marchant à toute petite allure, mais dégageant une épaisse fumée et produisant un tapage infernal, s’était arrêtée à quelque distance du Lac Palace.
Cette automobile était celle de la Sûreté et les deux hommes qui en descendaient, noirs de cambouis et poussiéreux, ayant l’air de revenir du bout du monde, n’étaient autres que Nalorgne et Pérouzin, tous deux radieux à la pensée qu’ils avaient été avec leur voiture de Paris à Enghien en un peu moins de trois heures et quart.
Que venaient faire Nalorgne et Pérouzin à Enghien ?
Les deux agents auraient été assez en peine de le dire.
Ils avaient tout simplement reçu une note de service qui leur enjoignait l’ordre d’aller stationner dans la journée, aux environs du Lac Palacepour s’y mettre à la disposition du policier Juve qui aurait peut-être une certaine dame à ramener à Paris en qualité de prisonnière.
Nalorgne et Pérouzin étaient naturellement partis très tard de Paris, car ils avaient longuement peiné avant de pouvoir mettre en marche leur voiture. Fidèles à la consigne, cependant, ils arrivaient à Enghien et ils stationnaient là où ils devaient être à onze heures du soir au lieu de trois heures de l’après-midi.
– Nalorgne, disait Pérouzin, je crois que d’ici quelque temps cette voiture ira très vite.
– C’est bien possible, répondait Pérouzin, elle va déjà beaucoup mieux qu’avant, puisqu’elle marche.
L’argument était en effet sans réplique.
Les deux agents, satisfaits, continuèrent à tourner autour de leur voiture, la couvant des yeux fort amoureusement, car plus ils avaient de peine avec elle, plus ils l’aimaient, à la façon des mères de famille qui s’attachent surtout à leurs enfants souffreteux. Or, il y avait quelques secondes à peine que Nalorgne et Pérouzin stationnaient aux abords du Lac Palaceet ils soufflaient encore, car le dernier kilomètre parcouru leur avait coûté de pénibles efforts, ayant été marqué par sept mises en marche successives, lorsque le carillon d’alarme retentit à l’intérieur de l’hôtel.
– Attention, Nalorgne, disait Pérouzin, voilà une sirène. C’est sûrement une voiture de course comme la nôtre qui arrive.
– Laissez donc, répondait Pérouzin, il n’y a pas deux voitures comme la nôtre au monde. Et puis cela, ce n’est pas une sirène, c’est une sonnerie d’alarme.
Que faire dans cette circonstance ?
Nalorgne et Pérouzin hésitaient encore et ne savaient quel parti prendre, lorsqu’une femme apparut, vêtue de noir, qui sortait avec précipitation de l’hôtel et il n’y avait point à s’y tromper : elle était en fuite.
– Parbleu, jura Nalorgne, si mon flair ne me trompe pas, nous arriverons au beau moment.
– Oui, répondait Pérouzin, voilà assurément la dame que Juve doit arrêter et qui se sauve.
– Nous allons l’enlever.
– Si vous le voulez.
– L’enlever dans notre voiture ?
– Parfaitement ! Cela ira plus vite. Mettez en marche, Nalorgne.
Par extraordinaire, le moteur ronfla au premier coup. Or, la fugitive approchait.
Pérouzin bondit sur la jeune fille, qui n’était autre qu’Hélène et lui barra la route.
– Au nom de la loi, je vous arrête, madame.
– Laissez-moi passer ! cria Hélène.
– Aidez-moi Pérouzin.
Pérouzin et Nalorgne se jetèrent en même temps sur la malheureuse fille de Fantômas. Hélène eut beau résister, elle fut prise par les deux agents, entraînée vers l’automobile.
– En route, en route ! criait Pérouzin.
Il lâcha Hélène pour s’emparer du levier du changement de vitesse qu’il allait actionner. Or, à ce moment précis, des deux côtés de la route, deux hommes surgirent qui bondirent vers la voiture.
– Nom de Dieu, tenez bon ! cria une voix vibrante.
Phénomène extraordinaire, c’était la voix de Fandor.
– Tenez bon ! criait en même temps une autre voix, une voix qu’Hélène ne reconnaissait pas.
Et, alors, avec une rapidité inouïe une nouvelle lutte s’engageait.
Pérouzin, pris au collet, se sentit littéralement arraché de son siège. Il roula dans la poussière à dix pas de là, où d’ailleurs Nalorgne vint le rejoindre une seconde plus tard.
Puis, il y eut un grand bruit.
– Fuyez, fuyez ! cria une voix.
Le ronflement de la voiture prit de l’intensité. L’automobile démarra. Hélène avait sauté au volant, c’était elle qui partait. Puis le silence de la nuit se refit, profond, impénétrable sur la route déserte.
À cet instant Nalorgne se releva en gémissant.
– Êtes-vous mort, Pérouzin ? demanda-t-il.
– Non, répondait Pérouzin, et vous ?
Les deux agents étaient considérablement abrutis par l’extraordinaire agression dont ils venaient d’être victimes.
Nalorgne, cependant, retrouvait un peu sa présence d’esprit.
– Et la voiture, demandait-il, où est-elle ? Ah sapristi !
Mais Pérouzin le consola :
– Oh, elle est repartie, mais bien sûr, elle ne va pas aller loin. Nous n’avons qu’à marcher tranquillement, nous la rejoindrons.
Il ne venait pas une seconde, en effet, à l’esprit de l’agent que la malheureuse voiture, même pilotée habilement, pût effectuer plus d’un kilomètre sans s’arrêter une heure durant.
***
Que s’était-il passé cependant ?
Quels étaient les deux mystérieux personnages qui, si opportunément, avaient surgi des bords de la route pour sauter au collet de Nalorgne et Pérouzin et débarrasser Hélène de leur poursuite stupide ?
Fandor était l’un de ces hommes.
Et Fandor, sitôt la voiture partie, s’était rejeté sur le bas-côté de la route où il se tenait maintenant, immobile, caché derrière le tronc d’un arbre.
Le journaliste paraissait extraordinairement préoccupé :
– C’est à n’y rien comprendre, disait-il. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi Hélène n’est-elle pas venue à mon rendez-vous et pourquoi Nalorgne et Pérouzin voulaient-ils l’arrêter ? Enfin qu’est-il devenu ?
Il, le personnage mystérieux que Fandor ne nommait pas était évidemment l’homme, qui avec lui s’était élancé au secours d’Hélène. Fandor l’avait vu, Fandor l’avait reconnu.
– Mordieu, je tirerai cela au clair ! jura le journaliste.
Et, immobile, l’oreille aux écoutes, il guetta dans l’obscurité sans prêter la moindre attention au départ de Nalorgne et Pérouzin, partis en trottinant pour tenter de rejoindre leur voiture.
Or, Fandor guettait ainsi dans l’ombre depuis quelques instants, il était exactement onze heures cinq à sa montre, ainsi qu’il venait de le constater à la lueur blafarde de la lune, lorsque soudain le journaliste frémit de la tête aux pieds.
– Là, là ! murmura-t-il.
Et il regardait en face de lui dans la direction opposée de la route.
Puis, Fandor, quelques instants après, se courbant au point de marcher presque agenouillé, avança.
– Je ne me trompe pas… ajoutait-il un peu plus tard.
Et soudain il se prit à dire :
– C’est lui, c’est Fantômas !
Devant Fandor, en effet, se glissant précautionneusement dans l’obscurité, cherchant évidemment à s’enfuir, la silhouette d’un homme, la silhouette légendaire de Fantômas, la silhouette d’un homme vêtu de noir, ganté de noir, le visage masqué d’une cagoule noire et qui se mêlait, se confondait avec la nuit à tel point que par moment, il était invisible.
– Fantômas ! disait Fandor, c’est bien Fantômas qui m’a aidé à sauver Hélène. Parbleu. Il avait reconnu sa fille !
En vain Fantômas s’efforça-t-il de se dissimuler, en vain, dans le plus grand silence, se glissait-il dans l’ombre, furtif, leste, rapide, gagnant les quartiers déserts d’Enghien, suivant les grandes avenues. Fandor s’attachait à ses pas.
– Je le tiens, pensa le journaliste, il ne peut pas m’échapper, cette fois. Vêtu comme il l’est, il lui est interdit de revenir dans les quartiers éclairés d’Enghien. Dès que nous allons être loin des maisons habitées, ma foi, je risque le tout pour le tout. Je prends le browning, une, deux, trois sommations, et je fais feu.
Or, tandis que Fandor réfléchissait ainsi, Fantômas, ou du moins l’individu dont la silhouette était celle du bandit, continuait d’avancer.
À l’endroit de la route où le fuyard arrivait, il devait longer la façade de la petite maison où Hélène, l’après-midi même, s’était si mystérieusement entretenue avec l’acteur Dick avant d’aller rendre visite à Sarah Gordon.
Fandor avait deviné ce qui se passait.
Fantômas, brusquement, venait de bondir. Il s’était aperçu à coup sûr qu’il était filé. Fantômas, en effet, ne cherchant plus à se dissimuler, atteignait la porte de la maisonnette. Une clef brillait dans sa main ; il ouvrait, il entrait. Violemment, la porte se rabattit.
Mais, à la seconde précise où le battant allait se fermer, Fandor, impétueusement lancé, donnait de l’épaule, s’interposait.
L’homme masqué trébucha. Quand il se retourna, la porte était refermée, mais contre cette porte, Jérôme Fandor s’appuyait et Jérôme Fandor braquait sur lui son browning.
– Rendez-vous ! criait le journaliste. Rendez-vous, Fantômas§
Le bandit était pris, il haussa les épaules.
– C’est un vilain mot que vous prononcez là, Jérôme Fandor, railla-t-il ; d’ailleurs vous voyez que je n’ai pas d’arme, par conséquent…
Mais Jérôme Fandor n’avait pas envie de plaisanter.
Son cœur à ce moment battit violemment, il éprouva une émotion affolante à se trouver si près du légendaire homme à la cagoule noire.
Ainsi, c’était vrai, c’était possible. Il tenait Fantômas à sa merci. Il pouvait, en faisant feu, l’abattre comme un monstre malfaisant qu’il était.
– Fantômas, décidait Jérôme Fandor, vous allez lever les bras en l’air et les tenir ainsi jusqu’à ce que je vous aie attaché. Au moindre mouvement, je vous tue.