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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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En parlant, le docteur s’était retourné…

– Ah çà, fit le médecin à Léon et à Michel, qu’est-il donc devenu ?

Mais Léon et Michel répondirent :

– Docteur, Juve est parti il y a quelques minutes. Il nous a fait signe de ne pas le suivre, et de demeurer à votre disposition.

Et Michel interrogea :

– Vous disiez, docteur, que les réactifs ?

– Les réactifs prouvent, murmura le médecin, qu’il n’y a pas eu d’empoisonnement.

– Alors, cette mort est inexplicable ?

– Pour le moment, oui.

Or, à l’instant même où le directeur du Laboratoire municipal déclarait que la mort de lady Beltham lui apparaissait impossible à préciser, Juve revenait dans la pièce.

Le policier était dans un piteux état. Des toiles d’araignées s’accrochaient à sa chevelure, il avait le veston plein de boue, le pantalon souillé de sable, les mains noires, les bottines boueuses.

– Eh bien ? interrogeait Juve.

Il semblait triomphant.

D’une même voix, Léon, Michel et le docteur questionnaient le policier :

– D’où venez vous ? Que vous est-il arrivé ?

Juve se laissait tomber sur un fauteuil, avec un soupir de satisfaction.

– Docteur, disait-il, savez-vous comment est morte lady Beltham ?

– Non, fichtre non !

– Avez-vous pensé à un empoisonnement par le gaz ?

À ces mots, le praticien leva les bras au ciel.

– Évidemment non. S’il y avait eu empoisonnement par le gaz d’éclairage, vous auriez senti en entrant dans la pièce une odeur caractéristique.

Et il ajouta péremptoire :

– D’ailleurs, il n’y a pas de gaz dans la pièce, l’éclairage est électrique.

Mais Juve reprit :

– Cela ne fait rien, répondez-moi toujours, Docteur.

– Que voulez-vous savoir ?

– Peut-il rester des traces d’empoisonnement par le gaz d’éclairage ? Pouvez-vous me dire, en examinant la morte, si elle a pu être asphyxiée par ce gaz ?

– Oui, répondait le docteur, je n’ai qu’à faire l’examen spectroscopique de son sang. Mais je vous le répète, c’est bien inutile, car, d’ordinaire, l’odeur suffit à le révéler, même à une personne profondément endormie. Et puis enfin, il n’y a pas de gaz ici, et puis encore…

– Faites cet examen.

Le médecin s’emporta :

– Mais fichtre de nom d’un chien, puisque je vous dis que s’il y avait eu empoisonnement par le gaz vous auriez certainement senti l’odeur du gaz, vous Juve et vos deux agents ! Puisque je vous assure que cette odeur persiste de longues heures dans les pièces qui en ont été imprégnées, puisque, sapristi, il n’y a pas de gaz ici !

– Faites donc cet examen.

L’attitude du policier était si énigmatique que le médecin, quoique ne comprenant pas où Juve voulait en venir, décida de lui donner satisfaction.

Cela prit bien une heure. Il préleva par une saignée à la veine du bras une légère quantité de sang, il l’examina minutieusement, se livrant à toutes sortes de recherches compliquées.

Et soudain le directeur du Laboratoire municipal déclara, réellement abasourdi :

– C’est indiscutable, Juve vous avez raison. Je trouve des traces nettes d’oxyde de carbone dans le sang de la morte.

– Vous voyez bien !

– Oui, je vois, répondit le docteur, je vois que c’est de la sorcellerie, car, enfin, s’il apparaît indiscutable, désormais, que lady Beltham a été asphyxiée par de l’oxyde de carbone, rien n’indique la façon dont le crime a pu être commis. Absence d’odeur d’une part, absence de gaz d’autre part, tout cela fait que…

– Cela m’a bien fait chercher, murmura le policier, mais tout de même nous tenons l’explication de l’assassinat.

– Quelle est-elle donc ? Parlez.

Léon, Michel et le docteur se groupaient autour de Juve.

Et Juve, de son petit ton tranquille, commençait d’expliquer :

– Oh ma foi, c’est bien simple. Figurez-vous que je me suis rappelé avoir lu un jour, dans un traité de médecine légale, le traité de toxicologie du Dr Ch. Vibert [31], une remarque intéressante : « Il arrive, disait ce livre, que l’on peut être asphyxié par le gaz d’éclairage dans de telles conditions qu’aucune odeur ne puisse laisser deviner la cause de la mort. Il suffit que le gaz d’éclairage ait pénétré dans une pièce filtrant à travers une couche de terrain assez épaisse, à travers des matériaux tels que des graviers, de la terre, pour qu’il perde toute odeur. Il n’entre alors, à vrai dire, dans les locaux que de l’oxyde de carbone. Ce gaz étant inodore, les personnes qui se trouvent dans ces locaux peuvent parfaitement passer de vie à trépas sans être averties par l’odeur caractéristique du gaz d’éclairage du danger qu’elles courent. »

– C’est juste, interrompit le praticien.

– Très juste, reprit ironiquement Juve, et la preuve est que lady Beltham en est morte. J’ai pensé à cela tout à l’heure, docteur, et c’est pourquoi je suis descendu dans la cave. D’abord je n’ai rien trouvé, mais j’ai eu l’idée de creuser le sol de cette cave. Il y a là, à un mètre de profondeur, une conduite de gaz qui a été crevée récemment, car les brèches sont encore toutes fraîches. Le gaz a filtré à travers le sol, filtré à travers les murs de la cave. Il était inodore quand il a pénétré dans la chambre où dormait lady Beltham. Nous n’avons rien entendu, nous autres, Léon, Michel et moi, car il n’y avait rien à entendre. Nous n’avons rien senti, et lady Beltham n’a rien senti parce qu’il n’y avait rien à sentir. La mort est venue, furtive, mystérieuse, tout doucement, et cette pauvre femme n’a pas souffert. Hélas, ce qui me fait peur, c’est que si je comprends à peu près comment Fantômas, après avoir évidemment d’avance perforé la conduite de gaz, a pu provoquer ce drame, je ne comprends pas comment il se fait que Fantômas ait tué lady Beltham. J’étais sûr qu’un tel crime lui aurait fait horreur. Mais cela, docteur, ce n’est plus de votre compétence.

Juve, quelques instants avant, en remontant dans la chambre de lady Beltham, après avoir découvert la si extraordinaire façon dont le crime avait été commis, avait paru presque triomphant.

Maintenant il demeurait accablé, prostré. Il croyait pressentir qu’après ce nouveau crime, plus horrible encore que tous les crimes qu’il avait osés jusqu’alors, Fantômas, que rien n’arrêterait plus, serait capable de forfaits toujours pires.

20 – L’ALCOOL ASSASSIN

– As-tu monté le cervelas ?

– Probable. Puis aussi quatre litres à douze, tiens, v’là la monnaie.

Sur la table de la petite pièce qui servait de salle à manger, Rose Coutureau venait de jeter quelques gros sous d’un air nonchalant et maussade. Son père, qui sommeillait, à demi étendu sur la table, la tête posée sur le bras, se redressa, regarda sa fille, non sans manifester un certain étonnement.

Après avoir bâillé deux ou trois fois, car il semblait avoir très sommeil, le père Coutureau interrogea :

– Quatre litres ? Pourquoi c’est-il que tu as apporté autant de vin aujourd’hui ?

Rose Coutureau était passée dans la cuisine où elle préparait le déjeuner, déjà fort en retard, car il était au moins une heure et quart de l’après-midi.

Elle revint, haussant les épaules, et expliqua :

– Eh bien, un pour le manger de midi, pas vrai, et un autre pour le soir.

Le père Coutureau, qui savait compter, approuva, mais il ajouta :

– Eh bien, ça ne fait jamais que deux, ça…

D’une voix grondeuse et presque inintelligible, Rose Coutureau, qui vraisemblablement, était de fort mauvaise humeur, répondit :

– Eh bien, j’en ai monté deux autres pour demain, voilà tout !

Et elle retourna dans la cuisine, cependant que le père Coutureau la suivait d’un regard qui avait une expression de méfiance :

– Qu’est-ce qu’elle combine encore ? se demanda-t-il, et pourquoi qu’elle apporte des provisions pour deux jours ?

Il hésita un instant, se demanda s’il n’allait pas essayer de tirer au clair cette situation évidemment anormale et compliquée, qui devait provenir d’une cause qu’il ignorait. Mais il n’osa pas.

Aussi bien, sa fille était fort occupée en ce moment à se débattre avec le fourneau à gaz qui ne marchait pas. Et le père Coutureau qui, décidément, avait sommeil, se coucha à nouveau à demi sur la table et essaya de s’endormir, la tête appuyée sur le coude.

Il s’était attardé la veille, longtemps, après la représentation du théâtre. Tout d’abord, on s’était éternisé dans les couloirs des loges, à discuter les divers incidents qui avaient été suscités, l’avant-veille, par la venue du journaliste Fandor.

Puis, au lieu de s’en aller, quelques artistes, parmi lesquels se trouvait le père Coutureau, s’étaient mis à travailler à préparer des décors, à bâtir des praticables, pour la nouvelle pièce qui allait passer dans quelques jours.

On en avait eu jusqu’à quatre heures du matin, et dame, alors, au lieu d’aller se coucher, on avait préféré attendre une heure de plus, et ne sortir du théâtre qu’au moment où s’ouvriraient les marchands de vins. Dès lors, de cinq heures à dix heures, on avait été boire et se restaurer dans divers bistrots. Enfin le père Coutureau était rentré, légèrement ivre et passablement fatigué.

Il avait eu à s’occuper de son intérieur, car Rose Coutureau n’aimait guère faire le ménage, et de la sorte le vieil habilleur n’avait pu commencer à goûter du repos que vers midi moins le quart, au moment où sa fille était partie aux provisions.

Elle était revenue une heure après, au moment où son père allait s’assoupir pour de bon. Celui-ci essayait de s’assurer du sommeil avant que le déjeuner fût prêt, mais c’était en vain. Rose allait et venait, fit du tapage, remua des meubles, des objets, et le vieil ivrogne grommelait sans cesse, pestant contre la fatigue dont il ne pouvait se départir.

– Donne-moi un verre de vin blanc, ordonna-t-il à sa fille, ça me remettra.

Il en but un, puis deux, et s’étira longuement, mais Rose vint le bousculer, l’obligea à se déranger de la table sur laquelle elle mettait le couvert.

Le père et la fille expédièrent leur frugal déjeuner en silence. Ils n’échangèrent pas trois paroles. Si le père Coutureau tombait de sommeil, sa fille était sombre, préoccupée, nerveuse au dernier point.

En un quart d’heure ils avaient fini. Rose débarrassa vivement. Et le père Coutureau entrevoyait désormais avec joie quelques heures de tranquillité devant lui, pendant lesquelles il allait pouvoir se reposer sur son lit. Il allait quitter la pièce qui servait de salle à manger lorsque Rose lui barra le passage. Elle avait son chapeau sur la tête ; sous son bras elle dissimulait un volumineux paquet.

– Tu sors ? demanda le père Coutureau, étonné de voir sa fille s’en aller de si bonne heure.

– Oui, répondit Rose, qui ajouta : Adieu, je me débine.

Coutureau demeura un instant surpris, considérant la gamine et cherchant à lire dans ses yeux le motif véritable de cette sortie précipitée. La jeune fille, d’ailleurs, n’essaya pas de dissimuler longtemps :

– Eh bien oui, fit-elle, quoi, je sors ! Ne suis-je pas libre ?

– Sans doute, reconnut son père, tu peux te balader comme tu veux, surtout que les répétitions ne commencent pas avant cinq heures. Viendras-tu me prendre pour aller au théâtre ?

– Je ne sais pas si j’irai au théâtre, dit lentement Rose.

C’est ce que craignait le père Coutureau. Il attendait cette réponse, il avait comme le pressentiment depuis quelques instants que quelque chose se préparait.

– Quand reviendras-tu ici ? demanda-t-il.

– J’en sais rien, fit Rose qui, très catégoriquement, ajouta : Je me débine pour de bon, j’en ai assez !

– Assez de quoi ? mon Dieu… C’est-y que je t’embête ?

La gamine haussa les épaules.

– S’agit pas de cela, fit-elle, mais je ne veux plus rester ici, tout le monde me regarde avec des sales yeux et j’ai peur.

– Peur de quoi ? fit Coutureau. Puisque tu as obtenu le désistement de la comtesse de Blangy, il n’est pas possible que l’on t’ennuie à nouveau. D’ailleurs, l’affaire de la grande Berthe est en train de s’arranger.

– C’est pas l’affaire du vol qui me fait peur, c’est rapport à l’autre accusation, que j’ai le trac. Y m’a fichu les foies ce journaliste, et ce qu’il a dit doit être vrai. On doit vouloir me fourrer dans cette histoire, j’aime mieux me cacher, je sais où aller.

Coutureau commençait à s’énerver :

– C’est stupide, c’est idiot ! Tu es tranquille ici, qu’est-ce que tu vas devenir ?

– Je t’ai déjà dit que je savais où aller.

Soudain le père Coutureau comprit. Une colère subite lui monta au cerveau :

– Nom de Dieu ! jura-t-il. Nom de Dieu ! Fille de rien ! Coureuse ! Ah, je sais bien maintenant ce que tu veux dire ! C’est encore une combine avec ton gigolo. Il te tient par la peau, ce Beaumôme, et c’est sûrement lui qui te détache de ta famille, qui veut t’entraîner.

– Eh bien oui, parfaitement, c’est chez Beaumôme que je vais ! Avec lui je serai tranquille et comme il me l’a dit, si jamais on se mêle de vouloir m’embêter, il sera là pour me défendre. Tandis que toi, tu me laisserais bien embarquer par les flics si jamais…

– Salope ! hurla le père Coutureau. Il ne te manquait plus que cela maintenant. T’en aller avec ce voyou, et te préparer à jouer du couteau ou du revolver si jamais il se passe quelque chose. Ah tu iras loin du train dont tu vas !

Mais, triomphalement, Rose Coutureau narguait son père :

– Je m’en fous, fit-elle, et j’aime mon amant ! T’as rien à dire à ça !

C’était en effet un argument devant lequel il n’y avait qu’à s’incliner. Le père Coutureau ne trouva rien à répondre. Il regarda sa fille quelques instants, abasourdi, stupide, incapable de formuler une pensée.

La jeune personne venait de rassembler quelques menus objets qui lui appartenaient, elle les mit dans une sorte de sac, de filet à provisions, puis, lorsqu’elle eut fini, elle se rapprocha de son père et, se hissant sur la pointe des pieds, elle l’embrassa sur la joue.

– Adieu, fit-elle.

Le père Coutureau se sentit tout ému.

Ainsi donc, c’était vrai, sa fille le quittait. Il allait rester tout seul, dans ce logement, pas bien grand sans doute, mais qui lui paraîtrait immense lorsqu’il ne serait plus peuplé par la silhouette aimée et gracieuse de la gamine qui, sans cesse, papillonnait autour de lui. Il serra les poings, grommela :

– Ah le salaud, le salaud ! Dire que c’est pour cette espèce de voyou que ma fille me plaque !

Et il étendit le bras, fit un geste de menace.

– Sûr, que je ferai un malheur, déclara-t-il, que je le tuerai un jour, ce débaucheur de filles ! D’abord, il n’a pas que toi comme maîtresse. Écoute donc un peu, Rose, tu sais bien, cette femme qu’on appelle Adèle, eh bien, tout le monde sait que Beaumôme te trompe avec elle.

– C’est pas vrai, fit-elle, c’est au contraire avec moi que Beaumôme trompe Adèle.

Coutureau haussa les épaules.

– Naturellement, fit Rose avec un air de mépris, vous autres hommes, vous ne comprenez pas ça, mais c’est tout différent. Et puis, zut ! Je ne veux pas qu’on me parle de ces choses-là. Adieu !

– Viendras-tu au théâtre ce soir ? cria le père Coutureau, qui avait couru jusqu’à l’entrée et se penchait sur la rampe pour interroger une dernière fois sa fille déjà au bas de l’escalier.

– Je viendrai s’il le veut, et si cela lui déplaît, je ne viendrai pas ! cria-t-elle.

– Oh crapule, crapule ! grogna le père Coutureau qui rentrait dans son logement, tout bouleversé.

Puis, il bâilla encore, et le sommeil s’appesantit sur lui, plus impérieux, plus violent que ne l’étaient encore l’émotion et la colère déterminées par le départ de sa fille. Le vieil habilleur alla s’installer sur son lit, avec l’intention d’y dormir pendant quelques heures, car il était réellement exténué.

***

Dans l’escalier sombre qui conduisait au sixième étage, où se trouvait le logement du père Coutureau, deux hommes montaient. Ils croisèrent Rose qui s’en allait. Et tout d’abord, ils ne firent pas attention à elle, qui passait à côté d’eux comme une ombre dans l’obscurité d’un palier. Les deux hommes, lentement, continuèrent leur ascension. Soudain l’un d’eux s’arrêta et dit à son compagnon :

– Avez-vous remarqué, Pérouzin ?

– Quoi donc, Nalorgne ? De quoi s’agit-il ?

C’étaient les deux inspecteurs de la Sûreté qui, après de longues hésitations et des tergiversations sans nombre, s’étaient introduits dans l’immeuble  occupé  par les Coutureau, père et fille, et avaient commencé la montée des étages pour atteindre le sixième. Nalorgne répéta la question :

– Je vous demande si vous avez remarqué cette femme, qui vient de nous croiser ?

– Moi, vous savez, toutes les femmes, je les regarde, c’est dans mon tempérament. Jamais il n’a été défendu à un ancien notaire de s’intéresser au beau sexe. Ce n’est pas la même chose pour vous qui avez été prêtre.

– Il ne s’agit pas de ça. Cette femme qui vient de s’en aller, de descendre, vous n’avez pas remarqué son visage, ses traits ?

– Ma foi non, fit Pérouzin. Il faisait tout noir.

– Eh bien, malgré l’obscurité, poursuivit Nalorgne, moi, je crois bien l’avoir reconnue. Ça doit être la petite Rose.

– Ah vous croyez ? C’est possible après tout. La chose en somme n’aurait rien d’étonnant, puisqu’elle habite dans cette maison. D’ailleurs, Nalorgne, je m’en vais vous tirer d’embarras et dans un instant, je vous renseignerai… Parbleu, encore un étage à monter, et nous serons chez elle. On verra bien si elle s’y trouve. Dans le cas où elle serait absente, nous pourrons en conclure que nous venons de la rencontrer s’en allant.

Les deux hommes montèrent, cependant que Nalorgne, maugréant, ajouta :

– C’est une vérité de La Palisse que vous dites là, et somme toute, si nous voulions savoir, le plus simple serait peut-être de redescendre sur les traces de cette femme.

– Bah, fit Pérouzin, il faudrait ensuite remonter, et l’escalier est terriblement dur. D’ailleurs, peu nous importe. Il ne s’agit pas d’une arrestation, puisqu’au contraire, nous venons lui apporter une bonne nouvelle et lui dire que son affaire de vol est désormais complètement terminée. Je pense que le père Coutureau va être satisfait et qu’il nous paiera quelque chose à boire.

Nalorgne sourit à cette idée, il ajouta :

– En même temps, on pourra bien le taper de deux places de théâtre.

Cependant, le père Coutureau, à peine endormi, fut obligé de se réveiller. On frappait à sa porte avec insistance. De son lit, sans bouger, il cria :

– Qui va là ? Que veut-on ? Il n’y a personne ?

Mais on insistait. Jurant, pestant contre les gêneurs, Coutureau, qui chancelait de sommeil, butant dans tous les meubles, alla ouvrir.

Nalorgne et Pérouzin, avec des airs solennels, pénétrèrent dans la première pièce.

Coutureau les vit, les reconnut :

– Ah, nom de Dieu, fit-il, la police !

Et son saisissement était si grand, son angoisse si visible, qu’il se laissa choir sur une chaise, tremblant de tout son corps.

– Nous ne venons pas pour l’affaire du vol.

– Ah ! fit le vieil habilleur, en étouffant un bâillement, puis il ajouta machinalement :

– Ma fille n’est pas là, c’est-y que vous l’auriez voulu voir pour l’autre affaire ?

– C’est pour l’autre affaire, en effet, que nous venions. Et peut-être, pourrez-vous nous renseigner ? Où se trouve votre fille ?

– Je ne sais pas, fit Coutureau. Elle est descendue faire une course, elle rentrera peut-être bientôt, peut-être plus tard, vous savez, avec les femmes on ne sait jamais. Faut vous dire, poursuivit-il en coupant sa déclaration de bâillements profonds, que ma petite est toute retournée depuis l’histoire du vol et l’assassinat de lady Beltham.

Nalorgne et Pérouzin se lancèrent un nouveau regard. Oh, évidemment, la conversation devenait intéressante pour eux, et désormais, ils imaginaient qu’ils allaient apprendre toutes sortes de choses sur lesquelles ils ne comptaient pas, s’ils parvenaient à faire bavarder adroitement le père Coutureau. L’affaire de lady Beltham commençait à être connue, les journaux en avaient parlé, mais on n’avait aucune précision sur le crime et il semblait fort étonnant à Nalorgne et à Pérouzin que l’assassinat de lady Beltham ait pu « retourner », comme le disait le père Coutureau, sa fille Rose.

– Vous savez donc quelque chose ? interrogea Pérouzin.

Et il fut très surpris lorsque le père Coutureau, d’un air mystérieux et grave, lui eut déclaré :

– C’est Fantômas qui a fait le coup et si j’avais pu m’en douter, j’aurais prévenu la police auparavant, car j’avais des indices.

– Des indices ? reprit Nalorgne. Lesquels, grands Dieux ?

– C’est-à-dire, poursuivit Coutureau, qui bâillait de plus en plus, que personnellement je n’en avais pas, mais ma fille était au courant de bien des choses, et ça se comprend, toute cette histoire-là, c’est encore des manigances à Fantômas.

Visiblement, le vieil habilleur faisait toutes sortes d’efforts pour parler clairement et s’exprimer avec netteté, mais cela lui était difficile, les vapeurs de l’ivresse et la fatigue qu’il éprouvait ne lui permettaient guère d’être précis. Nalorgne et Pérouzin, d’ailleurs, l’écoutaient sans grande attention. Ils étaient bien trop troublés pour cela. L’un et l’autre, toutefois, éprouvaient une grande satisfaction, se sentant très fiers de voir leur importance s’accroître soudain. Évidemment, le hasard venait de les mettre sur une piste fort intéressante. Mais il fallait jouer serré et ne pas agir en imbéciles, comme à l’ordinaire.

Et Nalorgne traduisait la pensée de Pérouzin, lorsque affectant un air cordial et sympathique, il dit au père Coutureau :

– Dites donc, vieux copain, c’est pas tout ça, on était venu dire à votre fille qu’elle en avait fini avec ces histoires de vol. Eh bien, m’est avis qu’il faut arroser cette bonne nouvelle !

– Sans doute, proféra le père Coutureau qui, se levant avec effort du siège sur lequel il était tombé, allait au buffet pour prendre une bouteille de vin.

Nalorgne et Pérouzin profitaient de cet instant pour s’entretenir à voix basse :

– C’est une affaire superbe, et nous allons faire une capture sensationnelle.

Pérouzin interrogeait :

– Vous êtes donc, comme moi, de l’avis qu’il faut le mettre en état d’arrestation ?

– Oui, poursuivit Nalorgne. Cet homme-là a des renseignements qui feront plaisir à Juve, mais nous ne pouvons pas le cuisiner ici, et il ne faut pas lui donner de soupçons. Emmenons-le boire dehors et, au fur et à mesure qu’il sera ivre, on le fera causer. Après quoi, on le conduira à la Sûreté.

– Bravo, s’écria Pérouzin, je n’aurais pas raisonné autrement. C’est une affaire superbe que nous allons traiter là.

Les deux hommes, après avoir affecté des mines farouches, reprirent des visages riants pour recevoir le père Coutureau qui rentrait dans la pièce.

Et le voyant venir avec une bouteille, les deux amis feignirent une extrême surprise.

– Non par exemple ! C’est vous qui régalez ?

– Bien sûr, déclara Coutureau.

Nalorgne et Pérouzin protestèrent :

– Mais non, mais non, nous ne pouvons pas accepter ou alors, ce sera à charge de revanche !

Déjà le vieil habilleur avait rempli les verres :

– Comme vous voudrez, fit-il.

On but une première bouteille, on en but encore une autre, et le père Coutureau, qui n’était pas avare, s’applaudissait de la décision prise par sa fille quelques heures auparavant, et qui avait eu pour résultat de garnir très copieusement sa cave.

Le plus dur toutefois était à faire, car il s’agissait de décider le père Coutureau à quitter son logis et à accompagner les agents de la Sûreté jusque chez les mastroquets les plus proches.

Au bout de quelques instants, il s’y décidait cependant :

– Si je fais des manières, messieurs, déclara-t-il, ce n’est point pour vous fausser compagnie, mais bien parce que je tombe de sommeil. Cela se comprend, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

Cependant qu’il allait quérir son chapeau, Pérouzin dit à l’oreille de Nalorgne.

– Vous voyez, il n’a pas fermé l’œil de la nuit ! C’est le remords qui le travaille. Sûrement qu’il a trempé dans l’affaire.

Tous trois descendirent l’escalier, gagnèrent la rue. On avisa un marchand de vin. Nalorgne paya la première tournée. Le père Coutureau toutefois, ne semblait guère se décider à parler. Il avait dit, assurait-il, tout ce qu’il savait sur cette affaire de la fameuse lady Beltham, dont il se foutait, au fond.

Nalorgne et Pérouzin déployaient des efforts d’intelligence extraordinaires pour obtenir de nouveaux renseignements. Comme ils approchaient du bas de la rue Clignancourt, ils virent un rassemblement. Coutureau, en bon badaud qu’il était, voulut s’en approcher, quant à Nalorgne et Pérouzin, ils savaient ce dont il s’agissait. La foule entourait une automobile qui stationnait le long du trottoir sous la garde d’un agent. Or, cette voiture, c’était la leur, et dès lors, l’idée leur vint qu’ils n’avaient rien de mieux à faire que d’y faire monter le père Coutureau sous prétexte d’une promenade et de le conduire ensuite à la Sûreté.

Les deux agents ne tardèrent pas à convaincre leur invité de l’opportunité de cette promenade.

– Çà par exemple, fit le père Coutureau, ce n’est pas ordinaire ! Si jamais je m’étais douté que j’irais me promener aujourd’hui en automobile… J’aurais plutôt juré que j’allais roupiller toute la journée.

Pérouzin s’installa au volant. Nalorgne fit monter Coutureau à côté de lui, et s’installa lui-même sur le marchepied.

Par hasard, la voiture démarra sans difficulté, et Pérouzin, avec audace, allait s’engager dans les rues mouvementées du centre de Paris, mais Nalorgne, qui était la prudence même, lui recommanda :

– Prenez donc par les boulevards extérieurs, nous aurons moins de monde et l’on pourra faire de la vitesse.

Cette dernière phrase avait pour but d’épater le père Coutureau, car en réalité, il ne s’agissait nullement de faire de la vitesse, mais bien d’éviter l’éventualité d’une panne dans les quartiers encombrés où le prisonnier aurait pu s’échapper facilement.

Coutureau, d’ailleurs, ne se doutait pas le moins du monde qu’il était prisonnier. Il se laissait aller au charme de la promenade, et, béatement carré sur le siège avant, à côté de Pérouzin, il se laissait envahir par une douce somnolence que favorisait la caresse d’air frais qu’il recevait en plein visage, tandis que la voiture avançait.

On suivit le boulevard de la Chapelle, on passa au pied de Belleville, puis on gagna la place de la Nation, et dès lors, par les grandes avenues qui avoisinent la Bastille, les promeneurs gagnaient le boulevard Bourdon.

Tout cela, naturellement, ne s’était pas fait d’une traite, et l’on avait stationné à maintes reprises chez les marchands de vin.

Nalorgne et Pérouzin s’étaient pris à ce jeu dangereux et désormais, le moins ivre des trois, c’était peut-être le père Coutureau qui devait à ses qualités professionnelles de buveur un merveilleux entraînement.

On resta en panne boulevard Bourdon, vers six heures du soir, alors que la nuit tombait.

– C’est la magnéto, affirma péremptoirement Pérouzin, cependant que Nalorgne, non moins catégorique, déclarait :

– C’est le différentiel.

Il s’agissait de voir, peut-être même d’essayer de réparer. Toutefois, les deux inspecteurs de police se regardaient, navrés. Ils étaient descendus de la voiture, et tous deux songeaient au père Coutureau qu’il ne fallait pas laisser s’enfuir.

Or, sans doute, devant bien se douter de ce qui l’attendait, il profiterait des préoccupations mécaniques de Nalorgne et de Pérouzin pour se sauver et disparaître. Les inspecteurs regardèrent leur futur prisonnier.

Celui-ci ne semblait avoir aucune velléité de s’en aller. De plus en plus tassé, enfoncé dans la banquette rembourrée de l’automobile, il dormait.

Et soudain, une horloge voisine sonna six coups.

Comme s’il était mû par un ressort, le père Coutureau se dressa :

– Ah nom de Dieu, six plombes déjà ! fit-il. Faut que je me débine, j’ai juste le temps d’aller dîner et de monter au théâtre.

Et il bondit de la voiture, avec une certaine vivacité, trébuchant d’ailleurs pourtant, car il était ivre et très endormi.

Mais, à ce moment, Nalorgne et Pérouzin se précipitèrent sur lui. En l’espace d’une seconde ils lui passèrent les menottes, puis, d’une voix solennelle, déclarèrent en même temps :

– Au nom de la loi, je vous arrête !

– Hein ? qu’est-ce que vous chantez ? interrogea le père Coutureau qui demeurait abasourdi.

Mais Nalorgne et Pérouzin n’avaient pas le temps de répondre. À leur déclaration, venait de succéder une exclamation sardonique et railleuse. Un quatrième personnage qu’ils n’avaient point vu venir avait surgi soudain derrière eux. Cet homme avait crié d’une voix claironnante :

– Imbéciles ! Vous n’êtes que des idiots !

Boursouflés de leur importance, Nalorgne et Pérouzin se retournèrent. Ils virent devant eux un homme à la robuste silhouette, vêtu modestement d’un complet sombre, coiffé d’un chapeau melon. Il était rasé, son visage exprimait l’énergie et une flamme brillait dans ses prunelles.

Pérouzin, plus perspicace peut-être que Nalorgne, allait proférer un nom, mais le mystérieux nouveau venu mit un doigt sur ses lèvres, fit un geste. Pérouzin s’arrêta de parler, l’homme déclara :

– Oui, c’est moi ! Après ? Pourquoi cela vous étonne-t-il ? Je vois d’ailleurs, que vous êtes toujours aussi bêtes qu’auparavant. Quel est cet individu ? Pourquoi l’avez-vous arrêté ?

Nalorgne et Pérouzin tremblaient de tous leurs membres, car l’un et l’autre venaient de reconnaître, tant à sa silhouette qu’à sa voix, l’homme qu’ils redoutaient le plus au monde, ce en quoi ils n’avaient pas tort, car leur interlocuteur n’était autre que le Roi de l’Épouvante, le Maître de l’Effroi, Fantômas.

Comme des petits garçons surpris en faute, ils expliquaient :

– C’est le père Coutureau, l’habilleur du Théâtre Ornano, le père de cette Rose qui a volé la comtesse de Blangy. Nous le soupçonnons d’être coupable et d’avoir trempé dans le crime.

Ils s’arrêtèrent net, et Pérouzin reçut de Nalorgne un grand coup de poing dans la poitrine.

Parbleu, ils allaient en dire, une bêtise !

C’était de la folie, de l’innocence que d’aller avouer à Fantômas qu’ils arrêtaient un homme suspect de quelque complicité dans la mort tragique de lady Beltham, alors que selon toute apparence, le seul qui pouvait avoir osé porter la main sur la grande dame ne pouvait être que Fantômas lui-même.

Pérouzin comprit aussitôt ce que signifiait le coup de poing de Nalorgne :

– Eh bien, songeait-il, je viens de faire une belle gaffe, et cela va nous coûter cher.


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