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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– C’est bien d’être venus, je vous remercie. J’ai besoin de quelqu’un parmi vous. De la grande Berthe. Il y a une femme au Dépôt actuellement et je veux la faire sortir. C’est la grande Berthe qui la sauvera.

Fantômas se rapprocha de la femme. Il la prit par la main, cependant que d’une voix un peu plus puissante, il ordonnait aux hommes :

– Vous autres, débinez-vous, je n’ai plus besoin de vos services !

Le Maître avait une attitude étrange, et il s’exprimait d’une voix lointaine dont les intonations étaient difficiles à définir. Fantômas était-il ému plus qu’il ne voulait le paraître, ou avait-il peur ? Ou bien alors, au contraire, cette apparence bizarre, presque hésitante, dissimulait-elle une sourde colère, une froide mais terrible résolution ?

Le Bedeau et ses deux amis se posaient en vain ces questions, cependant qu’ils dévalaient le monticule au sommet duquel se trouvait le kiosque où Fantômas les avait rejoints.

– Qu’est-ce qu’il avait le patron ? demandait Œil-de-Bœuf. Ça n’avait pas l’air de bicher.

– Oh ben, c’est qu’il prépare sans doute une combine et alors, il a p’t-être les foies rapport à la rousse, répondit Bec-de-Gaz.

Le Bedeau, lui, toujours très craintif, ayant perpétuellement la peur du Maître, se contenta de proférer :

– Fantômas est le patron. Après tout, s’il nous a fait débiner sans vider son sac, c’est qu’il a ses raisons.

Les apaches continuèrent silencieusement leur marche. Aucun d’eux ne songeait au sort que Fantômas pouvait réserver à la grande Berthe, rien ne prouvait d’ailleurs que le bandit allait faire le moindre mal à la pierreuse et du reste, aucun d’eux ne se souciait d’elle.

***

Le lendemain, réunis chez le père Korn, les complices de Fantômas recommençaient leur partie de dés, ils n’avaient revu ni Fantômas, ni la grande Berthe.

Contrairement à ses habitudes, celle-ci n’était pas apparue dans le cabaret, à moitié grise à une heure du matin, lestée de sa modeste recette du soir, vingt-cinq ou trente sous habituellement, qu’elle dépensait aussitôt dans le bouge, lorsqu’elle ne les perdait pas au zanzi.

La pierreuse, en effet, s’éternisa ce soir-là sur le boulevard de la Chapelle, où elle avait installé son quartier général.

Contrairement aux règlements de la police, elle fit le trottoir après une heure du matin et, avec la plus tranquille audace, même avec une attitude de défi et de provocation, elle racola les passants attardés, injuriant ceux qui ne s’arrêtaient pas pour lui répondre.

Sous les arcades de métro, la pierreuse faisait un tel tapage que des agents finirent par s’approcher, pour voir ce dont il s’agissait.

Ils trouvèrent la grande Berthe étendue à plat ventre sur un banc, comptant ses gros sous, en poussant de rauques grognements :

Elle entendit le pas lourd des gardiens de la paix et ne se dérangea point. Elle se contenta de les fixer d’un œil narquois et lorsqu’ils passèrent à proximité d’elle, elle grommela :

– Tiens v’là les vaches !

– Brigadier, fit le plus jeune des agents, un débutant, qui tressaillait sous l’insulte, avez-vous entendu ?

Le brigadier, un homme d’âge, répliqua, paternel :

– Assurément que j’ai-z-entendu, mais mieux vaut-z-avoir l’air de ne pas entendre, ce n’est pas la peine de faire des histoires.

Cependant, la grande Berthe insistait avec un goût déplorable, une persistance de mauvais aloi :

– Allez-vous cavaler, les vaches ? grogna-t-elle. Non, mais c’est-y pas malheureux de voir des feignants comme ces gars-là !

Elle avait hurlé ces injures, et le jeune agent blêmissait de colère. Le brigadier, sous peine de voix s’évanouir son prestige auprès du débutant, ne put faire autrement que d’apostropher sévèrement la pierreuse :

– D’abord, dit-il, levez-vous et obtempérez aux ordres de l’autorité, que je vous dis de rentrer dans votre domicile, sans causer du scandale sur la voie publique.

– Du scandale, nom de Dieu ! Quoi encore ? C’est-y que je fais du mal, c’est bien mon droit de roupiller sur un banc. Une supposition que j’aurais pas de carrée, faut pourtant bien que je pieute quelque part ?

La grande Berthe proférait ces choses d’une voix éraillée, d’une langue que l’ivresse semblait avoir rendue pâteuse. Et de son œil gouailleur, elle narguait encore les agents.

Le plus jeune la secoua à l’épaule :

– Allons, debout, ordonna-t-il, et fiche le camp si tu ne veux pas qu’on t’emmène au poste.

– Eh bien, nom de Dieu, jura la pierreuse, je vous en défie bien de me mener au poste. Quoi c’est-y que j’ai fait ? A-t-on jamais vu des salauds pareils ? Feignants. Vaches que vous êtes !

C’en était trop. Le brigadier fit signe à son collègue et les deux agents, prenant chacun la fille par un bras, l’emmenèrent au commissariat voisin.

Dans le bureau de police, ils firent rapidement leur rapport. Le brigadier, de sa grosse écriture, nota sur le papier :

« Scandale sur la voie publique, rébellion aux agents. »

Puis, il demanda à la pierreuse :

– Ton nom ?

– La grande Berthe.

– Tes papiers ? Ta carte [24] ?

– J’en ai pas. Perdus dans le canal voilà trois jours.

Le brigadier-chef, qui dirigeait le poste, s’était rapproché des agents qui venaient de procéder à l’arrestation.

– Ça va bien, déclara-t-il, ça suffit, puisqu’elle ne veut pas donner son identité, on va l’envoyer au Dépôt.

Chose curieuse : à ces derniers mots, la grande Berthe parut très satisfaite d’apprendre le sort qui lui était réservé.

***

Toutes les femmes arrêtées et transférées des commissariats à la Préfecture en « panier à salade », sont groupées dans ce grand sous-sol du Dépôt.

La foule humaine qui y grouille est bizarre, interlope et cosmopolite. On y trouve une majorité considérable de loqueteuses et de mendiantes. Puis, aussi, des femmes aux toilettes criardes et luxueuses, de vieilles dames aux apparences correctes, arrêtées pour vols dans les magasins. On voit également des étrangères, des pierreuses, des romanichelles.

Tout ce monde-là bavarde à voix basse, chuchote, des groupes se forment, des amitiés se créent, des haines surgissent, c’est l’image de la vie qui se reflète dans ce « parc » où l’on a « bouclé » tout ce troupeau humain.

C’est aussi un va-et-vient perpétuel nuit et jour, car le Dépôt, c’est la permanence, le local toujours ouvert pour recevoir les épaves rejetées par la rue.

Cette nuit-là, le Dépôt était plus encombré encore qu’à l’ordinaire, car il venait d’y avoir deux jours de fête, pendant lesquels les juges d’instruction avaient pris congé.

Ainsi donc, les femmes, qui, par malheur pour elles, avaient été arrêtées le samedi, au lieu d’être interrogées le lendemain, conformément à la loi, et dirigées ensuite sur les prisons si elles n’étaient remises en liberté, devaient séjourner dans ce local odieux en attendant le mardi matin.

La malheureuse Rose Coutureau, arrêtée pour vol, était là depuis deux jours. Et la gamine, abasourdie, atterrée à l’idée de ce qui allait lui arriver, était demeurée dans son coin, prostrée, indifférente à tout ce qui se passait. En fait, d’ailleurs, depuis deux jours, il ne se passait rien, ou peu de chose.

De temps à autre apparaissaient des gardiens, qui poussaient dans la salle, une ou plusieurs prisonnières. Celles-ci avaient des attitudes diverses. Certaines étaient cyniques, d’autres terrifiées, quelques-unes, larmoyantes, on en trouvait qui hurlaient leur colère, qui pleuraient en protestant de leur innocence, et au bout de quelques instants, tout cela s’apaisait, chacune s’installait de son mieux.

À midi et à sept heures, des femmes, des prisonnières, condamnées à de légères peines qu’elles subissaient au Dépôt, aidaient les gardiens à apporter la nourriture aux détenues provisoires.

Rose Coutureau avait à peine pu toucher à l’effroyable ratatouille qui lui avait été servie, et c’était exténuée de fatigue et d’inanition qu’elle avait vécu dans la salle du Dépôt sa journée du lundi après sa journée du dimanche.

Le mardi matin de bonne heure, une animation nouvelle s’était créée dans la vaste salle où étaient parquées les femmes. Des gardiens étaient venus, une liste à la main, et ils appelaient des noms, tandis que des réponses s’entrechoquaient :

– Présente, me v’là !

– J’m’amène !

– Par ici.

– Quoi c’est que vous me voulez ?

Rose Coutureau n’avait pas tardé à comprendre que le moment approchait où elle allait comparaître devant le magistrat qui l’interrogerait sur son vol. Ces appels avaient en effet pour but de rassembler les femmes que l’on envoyait aux juges d’instruction.

Il était neuf heures, et un premier groupe avait déjà quitté le Dépôt, pour monter au cabinet des magistrats ; avant toutefois d’emmener ces femmes, le gardien annonça :

– Dans une heure, j’en emmènerai d’autres. En voici la liste : tenez-vous prêtes.

Soudain, Rose Coutureau tressaillit. On venait de prononcer son nom, et elle allait répondre comme elle l’avait entendu faire aux autres, lorsque soudain, une voix rogomme et gouailleuse déclara :

– Rose Coutureau, présente, c’est moi !

Instinctivement, la fille de l’habilleur tourna la tête dans la direction de la personne qui venait d’émettre cette affirmation. Elle vit une grande femme brune, aux traits fatigués, aux lèvres peintes et aux yeux cerclés de noir. Une pierreuse à n’en pas douter. Rose Coutureau n’osait pas protester.

– Après tout, pensa-t-elle, peut-être que nous sommes deux…

Et, timide, la jeune fille n’osait pas prendre la parole, interrompre le gardien et lui signaler le fait. Elle n’en aurait, d’ailleurs, pas eu le temps. Fendant les rangs pressés de la foule, la femme qui s’était donnée pour Rose Coutureau s’approcha soudain de la jeune fille :

– Viens, fit-elle en la prenant par le bras, j’ai à te causer.

Stupéfaite, Rose se laissa entraîner dans un angle de la salle.

– Dis donc, commença la grande pierreuse en prenant familièrement la fille de l’habilleur par la taille, j’ai dû t’épater lorsque j’ai répondu : Présente, à ta place.

– Vous me connaissez donc ? interrogea la jeune fille.

– Probable, fit son interlocutrice en haussant les épaules, mais c’est pas de ça dont y s’agit. Faut que je t’explique et ça urge, rapport à ce que nous allons être obligées de nous séparer dans un instant. Voilà donc de quoi il retourne : moi, je m’appelle la Grande Berthe, j’ai été bouclée ici pour rébellion aux agents, des bêtises sans importance, quoi. J’en ai pour vingt-quatre heures de boîte et comme j’ai déjà tiré douze heures de préventive, ce soir, à six heures, après les flagrants délits, on me relâchera. Toi, y paraît que c’est pas le même truc, t’es ici pour vol, et tu vas trinquer. L’instruction d’abord, une affaire de huit jours, quoi, puis, huit jours encore avant de passer au tourniquet [25]. La condamnation ensuite, enfin, ma fille, t’en as pour une paye avant de sortir de tôle. Or, paraît qu’il faut que tu te débines dès ce soir.

Rose Coutureau écoutait sans comprendre ce déluge de paroles. Elle était abasourdie par ce préambule, elle le fut bien plus encore, lorsque la grande Berthe lui eut exposé ses dernières intentions :

– Voilà ce qu’on va faire, poursuivit la pierreuse : quand tout à l’heure les gardiens viendront chercher Rose Coutureau, c’est moi qui partirai à ta place. Naturellement, lorsqu’on demandera la grande Berthe, tu répondras que c’est toi, et tu reconnaîtras devant le juge, que tu as bien traité les agents de vaches. Tu ajouteras que tu étais ivre, que tu regrettes.

« Comme ça, tu comprends, insistait la pierreuse, tu seras libre ce soir, tu peux y compter, je connais le tarif. Pendant ce temps-là, moi, je trinquerai à ta place. Inutile de me raconter comment tu as fait ton coup, ton homme m’a mis au courant. »

Cette fois, Rose Coutureau comprit, et son cœur se gonfla d’une immense gratitude à l’égard de cette excellente femme qui consentait bénévolement à prendre sa place, à se faire condamner, alors qu’elle n’avait rien fait, à subir enfin la peine qu’elle méritait, elle, Rose Coutureau.

Qui donc avait pu avoir l’idée de cette substitution ? La fille de l’habilleur n’osait croire que c’était son amant, si bourru cependant, que c’était Beaumôme qui avait imaginé cette merveilleuse combinaison.

D’autre part, pour quelle raison la pierreuse agissait-elle ainsi ? Rose Coutureau était naïve, mais pas au point de croire qu’une inconnue avait consenti à se substituer à elle pour le simple plaisir de lui rendre service.

Mais la grande Berthe répondit à la question implicite que se posait la jeune fille.

– T’as pas besoin d’avoir de scrupules, dit-elle. Si je fais la combine, c’est parce que le truc me va. Tu as de la veine d’avoir un amant qui est plein aux as, il m’a gavée de pèze, et au fond, moi, tu sais, plutôt que de trimer sur la rade par tous les temps, et de ne rien ramasser que des rebuffades, j’aime encore mieux passer quelques semaines en tôle, à me la couler douce, bien nourrie, bien logée. Qu’est-ce que tu veux, moi j’ai pas de chance. Pour faire le truc, faut être gentille ! Ça allait bien il y a dix ans, mais maintenant que je suis moche, autant changer de métier.

Une voix, soudain, surmonta le murmure confus de la grande salle du Dépôt. Un gardien criait, appelait des femmes :

– Alice Binet ! Jeanne Dubourg ! Rose Coutureau !

– Présente ! répondit la grande Berthe d’une voix forte.

En hâte, elle prenait congé de la jeune fille.

– Ça y est, fit-elle, ça commence, à bientôt. On se reverra. Tu remercieras ton homme, qui a été généreux pour moi.

Elle ajouta :

– Paraît qu’il y a une plainte déposée contre toi. Si tu pouvais obtenir que la gonzesse que t’as volée veuille bien la retirer, ou tout au moins ne vienne pas à l’audience et qu’elle écrive au président, ça vaudrait mieux. Adieu.

La pierreuse partit, puis revint encore sur ses pas :

– N’oublie pas de répondre quand on appellera la grande Berthe. Et quand tu seras dans le tourniquet, fais l’imbécile, reconnais que tu t’es rébellionnée contre les agents, mais ajoute que t’étais soûle et que tu regrettes.

***

Les choses se passèrent comme l’avait dit la mystérieuse pierreuse, et Rose Coutureau, sans comprendre exactement pourquoi cette substitution avait lieu, sans deviner surtout quel pouvait bien être l’homme assez généreux, assez intelligent pour s’occuper d’elle ainsi, avait néanmoins accepté la situation.

Après le départ de la grande Berthe, qu’on emmenait à l’instruction sous le nom de Rose Coutureau, la fille de l’habilleur était restée encore quelque temps au Dépôt, puis on avait appelé vers midi « la grande Berthe ». Et elle s’était présentée.

La jeune fille alors, toujours sous le nom de Berthe, avait été conduite à l’audience des flagrants délits. Heureusement pour elle, les agents qui, la veille au soir, avaient arrêté la pierreuse n’étaient pas cités comme témoins, l’inculpée ayant déclaré dans son interrogatoire au commissariat de police, reconnaître les faits qui lui étaient reprochés. Comme dans un rêve, Rose Coutureau s’entendit gourmander, traiter de fille perdue, qualifier de femme apache, puis, un vieux monsieur assisté de deux autres plus jeunes, vêtus de noir, de derrière un grand bureau, l’admonesta paternellement :

– Il ne faut plus vous enivrer, ma petite, ni être ainsi en rébellion. Voyons, vous êtes jeune et gentille, tâchez d’être raisonnable !

Les deux gardes municipaux qui avaient amené Rose la reconduisirent au Dépôt.

La jeune fille, qui n’avait rien compris à ce qui s’était passé, se retrouva dans la grande salle obscure et froide, dont le personnel se renouvelait sans cesse.

Et peu à peu, au fur et à mesure que les heures passaient, Rose Coutureau s’inquiétait. Qu’allait-il advenir d’elle ? Elle avait peur que la supercherie ne fût découverte et que la substitution ne créât d’ennuyeuses complications. Une voix forte, vers six heures du soir, appela pourtant :

– La grande Berthe !

Ce fut le seul nom prononcé. Rose Coutureau sentit que son cœur s’arrêtait de battre. On appelait seulement la grande Berthe. Qu’est-ce que cela signifiait ?

D une voix défaillante, elle répondit :

– Présente.

Le gardien la regarda sous le nez.

– C’est toi, la grande Berthe ? fit-il.

– Oui, balbutia Rose Coutureau.

– Eh bien, poursuivait l’homme, ton heure est arrivée.

Il consulta une feuille de papier :

– Oui, c’est bien cela, grogna-t-il, vingt-quatre heures de prison, ça y est, elles sont tirées, t’es libre, ma fille, passe au greffe donner une signature et débine-toi ensuite.

– Silence, vous autres ! grogna le gardien, car le murmure des bavardages dans la salle du Dépôt commençait à s’accroître de façon intempestive.

15 – « LE 7 DE CE MOIS »

– Qu’est-ce que je vais prendre, non mais qu’est-ce que je vais prendre ?

Rose Coutureau qui venait de passer trois jours de cauchemar dans les locaux de la Conciergerie, qui avait été condamnée à un jour de prison aux lieu et place de la grande Berthe, et qui s’était fait reprocher son ivrognerie par un vieux magistrat, ignorant son identité, était, au sortir du Dépôt, instinctivement rentrée chez elle.

Au préalable, toutefois, Rose Coutureau, avant de revenir rue Ramey chez son père, était allée au domicile de son amant, l’apache Beaumôme. Elle voulait le remercier de ce qu’il avait fait pour elle, car la jeune fille naturellement croyait que c’était à lui qu’elle devait sa miraculeuse évasion.

Beaumôme, toutefois, n’était pas chez lui. Rose Coutureau se dit :

– Évidemment, je suis bête. Il est déjà neuf heures du soir, Beaumôme doit être à son travail.

En effet, le travail actuel de Beaumôme consistait dans la manœuvre du rideau au Théâtre Ornano, et la fille de l’habilleur eut un instant l’idée de retourner au théâtre, dont elle faisait d’ailleurs partie, mais elle eut peur de s’y rendre, craignant les représailles et les reproches de ses camarades. N’était-elle pas une voleuse, et n’allait-elle pas être indignement chassée du nombre des artistes appartenant à la troupe ?

Lorsqu’elle réfléchissait à l’acte odieux qu’elle avait commis, Rose Coutureau demeurait atterrée. Elle ne comprenait pas comment elle avait eu l’audace et l’astuce de faire un semblable vol. Rien dans son éducation n’avait pu l’orienter du côté de cet affreux vice et c’était spontanément, malgré elle, pour ainsi dire, qu’avec l’habileté d’une professionnelle consommée elle avait fouillé dans le réticule de cette fameuse grande dame, qu’on appelait la comtesse de Blangy, et qu’elle lui avait dérobé son porte-monnaie.

Qu’avait-elle compté faire de cet argent ? Si elle n’avait pas été prise, comment l’aurait-elle dépensé ? Évidemment, Rose Coutureau avait eu un but en volant. Son idée était d’acheter à Beaumôme une bague que le jeune apache avait déclaré désirer.

– Beaumôme, s’était naïvement figuré la jeune fille, est mon amant, mais a aussi pour maîtresse une autre femme. Si je pouvais lui faire cadeau de cette bague, il serait gentil, et peut-être arriverait-il à m’aimer beaucoup…

C’était ainsi qu’elle s’était déshonorée, sans y réfléchir. Elle avait volé.

En sortant de prison, elle alla donc chez son amant et ne le trouvant pas, prit la direction de la rue Ramey, où était le domicile de son père. Elle passa en tremblant devant la concierge, toute rougissante à l’idée que cette femme savait sans doute qu’elle était une voleuse, mais la concierge n’avait pas eu l’air de s’apercevoir que la fille de l’habilleur revenait ce soir-là après une longue et équivoque absence.

Rose Coutureau, parvenue au sixième étage, cependant que le cœur lui battait, avait introduit la clef dans la serrure, puis s’était installée dans le logement, et comme elle avait faim, elle avait profité des restes du dîner de son père.

Puis la jeune fille s’était assoupie dans un fauteuil, car elle n’osait pas aller se coucher sans avoir au préalable revu le père Coutureau et eu une explication avec lui.

Cette explication fut rapide mais énergique et brutale. À une heure du matin le père Coutureau rentrait légèrement ivre, suivant son habitude. Il aperçut sa fille qui sommeillait dans son fauteuil et ne parut pas étonné de ce retour, ce qui stupéfia Rose.

– Ah bon Dieu, grogna le père Coutureau, te voilà, petite poison, approche un peu !

En tremblant, courbant le dos, baissant la tête, Rose obéit, puis se mit à pousser des cris perçants. Le père Coutureau lui administrait une formidable raclée.

– Tiens, salope ! Tiens, gamine ! disait-il à chaque coup. Voilà qui t’apprendra à barboter dans les profondes des autres. Canaille ! Tu as déshonoré ta famille. Ah sacré bon Dieu ! Je te garantis que tu vas marcher droit maintenant, et que ça ne t’arrivera plus de faire des coups semblables. Jour de Dieu ! Si jamais on m’avait dit que la fille du père Coutureau deviendrait une voleuse…

Le père Coutureau s’interrompit de crier et sa fille soudain s’arrêta de gémir. Un mot les avait arrêtés court. En effet, une voix railleuse et ironique avait proféré :

– Imbécile !

Le père Coutureau, furieux, se retourna. Il allait protester, tancer d’importance celui qui se permettait de commenter ainsi son attitude. Le vieil habilleur, en effet, n’aimait point que quiconque se permît de lui faire des observations sur la façon dont il traitait sa fille. Mais lorsqu’il aperçut son interlocuteur, il ne prononça pas une parole, il demeura immobile, silencieux, interdit.

En face de lui, se dressait la silhouette tragique du personnage qui, l’avant-veille, était déjà venu lui annoncer qu’il allait mettre en liberté la prisonnière retenue au Dépôt. C’était le même individu, entièrement vêtu de noir des pieds à la tête, drapé dans un grand manteau sombre, et dont le visage était dissimulé sous une épaisse cagoule simplement percée de trois trous, deux pour les yeux, le troisième au niveau des lèvres.

– Fantômas ! balbutia le père Coutureau.

Rose, terrifiée par cette apparition, s’était jetée au fond de la pièce. Elle voyait sous les plis du manteau noir briller le canon d’un revolver. Elle joignit les mains, souffla terrifiée :

– Ah mon Dieu, au secours !

Cependant, le père Coutureau, qui n’était pas plus rassuré que sa fille, attendit quelques instants, n’osant rompre le silence. Il articula enfin :

– Qu’y a-t-il ? Que voulez-vous ?

Fantômas ricana, puis il gronda :

– Idiot, crétin, triple brute, as-tu fini de crier, de faire scandale dans ta maison, et d’annoncer à tous les voisins que ta fille, la voleuse, s’est évadée de prison ? Ne comprends-tu pas que ton attitude va avoir pour résultat de faire découvrir ce qui s’est passé, et la faire arrêter prochainement !

Rose Coutureau, entendant ces paroles, sentait des gouttes de sueur froide lui perler au front.

Ainsi donc elle était en présence de Fantômas ! C’était là le sinistre bandit, dont la réputation de cruauté faisait trembler les plus courageux.

Et il se trouvait que Fantômas connaissait son père ; mieux encore qu’il était au courant de sa propre évasion à elle, de la substitution de la grande Berthe et de la machination que Rose Coutureau supposait avoir été organisée par Beaumôme, son ami.

Elle pensa défaillir et devint toute pâle lorsque Fantômas, s’étant avancé d’un pas, vint vers elle et lui parla :

– Et toi, petite sotte, disait le bandit dont elle voyait les yeux se fixer dans les siens, que vas-tu faire ? Tu restes là stupide, sans songer à l’avenir. Dis-toi bien cependant que la première personne venue va pouvoir te reconnaître et te dénoncer. On sait partout que tu as été arrêtée. On va comprendre que tu t’es échappée et si jamais on te repince, ce sera très grave !

Peu à peu, cependant, Rose Coutureau, au fur et à mesure que lui parlait Fantômas, se sentait rassurée. Le terrible bandit ne la menaçait pas de son revolver, et depuis cinq minutes qu’il était là, en face d’elle, elle n’était ni morte de peur ni assassinée. D’ailleurs, l’intonation de la voix de Fantômas n’était ni mauvaise ni méchante. Et même, il semblait à Rose Coutureau que, par moments, elle avait des accents aimables et doux, cette voix. La jeune fille croyait l’avoir déjà entendue quelque part, mais où et quand ?

Elle tressaillit encore. Fantômas s’était rapproché d’elle et, d’un geste familier, lui caressait la joue de sa main gantée de noir. Il proféra lentement :

– C’est jeune, c’est naïf, ça ne sait pas.

Puis il la regarda longuement, avec sympathie. Rose Coutureau, sans lever les yeux sur le bandit et maintenant son regard obstinément baissé à terre, interrogea d’une voix larmoyante :

– Que faut-il faire ? Que voulez-vous de moi ?

– Je veux te protéger, te sauver, déclara le Maître de l’Effroi, qui, avisant un fauteuil, l’unique siège confortable de la pièce, s’y carra confortablement, croisant les jambes l’une sur l’autre.

– Voyons, fit-il, approche ici, petite… Il faut, déclara Fantômas, qu’on ne te reconnaisse point de quelque temps, et pour cela tu vas changer de tournure, d’âge et d’aspect.

– Mon Dieu, qu’allez-vous me faire ?

Fantômas éclata de rire :

– Je ne vais ni te couper la tête, ni t’arracher les yeux, mais tu vas me faire le plaisir de te déguiser. Vas chercher tes frusques, tout ce que tu possèdes, apporte-les et mets-les sur la table.

Machinalement, Rose obéit. Elle alla à une armoire, en tira des vêtements. De dessous son manteau, cependant, Fantômas avait extrait une perruque grise qu’il jetait à la jeune fille.

– Colle-toi cela sur la tête, dit-il.

Rose obéit. Fantômas alors ajouta :

– Tu possèdes bien, je suppose, puisque tu es artiste au Théâtre Ornano, des accessoires de maquillage ?

– Oui.

– Bien.

Et comme la jeune fille les apportait, il poursuivit :

– Fais-toi une tête de vieille. La patte d’oie, les rides, quelques traits sur les joues, un peu de rouge à la commissure des lèvres en tirant sur le bas pour agrandir ta bouche. Éclaircis-moi ces sourcils avec du blanc, marque-toi un peu le front.

De plus en plus étonnée, Rose Coutureau obéissait. Lorsqu’elle eut fini, Fantômas la regarda, haussa les épaules :

– C’est idiot, très mal fait. Tu es grimée comme l’as de pique. Cela peut passer dans une boîte comme le Théâtre Ornano, mais tu aurais véritablement l’air d’une mascarade si jamais tu t’avisais de sortir comme cela dans la rue. Allons, essuie-moi tout cela et donne ta frimousse !

Fantômas avait pris les crayons de couleur, le blanc gras, et avec une habileté surprenante de la part d’un homme dont ce n’était point la profession, il maquillait la jeune fille, non pas comme on le fait au théâtre, mais beaucoup plus délicatement, à la façon qu’emploient les bandits ou les agents de la Sûreté pour se rendre méconnaissables à la ville.

Lorsqu’il eut fini il regarda son œuvre et déclara :

– C’est parfait.

Rose courut à une glace et poussa un petit cri de dépit.

Certes, Fantômas avait réussi. S’il avait eu l’intention de faire d’elle une femme répugnante, une véritable horreur, c’était, en effet, absolument parfait.

Le bandit ricana :

– Cela te déplaît, pas vrai, gamine coquette, d’avoir ainsi l’air d’une vieille femme ? Il le faut cependant, et tu t’arrangeras pour te faire cette tête-là chaque fois que tu t’aviseras de sortir d’ici.

Fantômas se tournait vers le père Coutureau qui, pendant toute cette scène, n’avait pas dit une parole :

– Toi, fit-il, si tu ne veux pas qu’on te reprennes ta fille, tu vas crier dans tout le quartier qu’elle est toujours en prison, et que tu l’as remplacée pour faire ton ménage par cette contemporaine de Mathusalem.

Fantômas donna quelques instructions complémentaires à la jeune fille. Il lui recommandait de ne pas porter de corset, de s’épaissir la taille avec trois jupons supplémentaires, puis il la fit marcher devant lui, l’obligeant à recommencer sans cesse jusqu’à ce qu’elle eût adopté une allure trébuchante et vieillotte.

– Bien, dit-il enfin après cette longue et étrange répétition. De la sorte, tu seras méconnaissable. N’oublie pas de jouer ton rôle, si on te faisait travailler, tu pourrais devenir une grande artiste.

Fantômas, soudain, changea le sujet de la conversation, et aussi à l’aise chez le père Coutureau que s’il avait été chez lui, sans plus s’occuper de Rose, il dit au vieil habilleur :

– Donne-moi de quoi écrire. Vite, je suis pressé !

Le père Coutureau apporta un encrier, du buvard, du papier à lettres. Fantômas traça rapidement quelques lignes d’une grosse écriture nerveuse puis, ayant séché sa lettre sur le buvard, il la mit sous son manteau et se leva.

– Adieu, fit-il, à bientôt.

Le père Coutureau le retint :

– Écoutez, fit-il, je vous demande pardon, mais je ne sais comment vous remercier. Vous avez sauvé ma fille, vous l’avez arrachée à la prison, et maintenant vous lui avez indiqué le moyen de se rendre méconnaissable, de n’être pas reprise. Pourquoi faites-vous tout cela ? Comment pourrai-je vous prouver ma reconnaissance ?

Fantômas gronda :

– Imbécile, je n’ai que faire de tes remerciements. Mais il est bien évident que je ne donne rien pour rien. Je t’ordonne de m’aider, de m’obéir si jamais j’ai besoin de toi et je te défends, en tout cas, de jamais trahir mon secret, de ne jamais dire ce que je viens de faire et de t’indiquer ce soir.

Le père Coutureau allait protester de son dévouement, il n’en eut pas le temps, Fantômas s’était retiré.

– Que fais-tu, petite ? interrogea le père Coutureau qui, de plus en plus interloqué, revenait vers sa fille.

– Tu le vois bien, grommela Rose, je range.

Et, en effet, la jeune fille qui, tout à fait entrée dans la peau de son rôle, avait désormais toutes les allures d’une vieille femme, mettait l’encrier, le buvard à leur place.

Le père Coutureau que ces émotions avaient fatigué baillait à se décrocher la mâchoire.

– Je m’en vais me coucher, déclara-t-il.

Et, machinalement, comme autrefois, il embrassa sa fille sur le front.

Rose, cependant, était restée dans la salle à manger. Elle était bien trop énervée, bien trop émue pour avoir envie de dormir. Seule, elle retourna prendre le buvard sur lequel Fantômas avait séché sa lettre et, curieuse, elle regarda, car l’encre avait laissé des traces et la jeune fille cherchait à retrouver sur le buvard ce qu’avait écrit le bandit. La chose était facile. Toutefois le texte était à l’envers et Rose ne pouvait lire. Elle eut soudain une inspiration. Entre ses yeux et la lampe allumée, elle plaça le papier buvard et parvint à déchiffrer le texte de la lettre par transparence que Fantômas avait séchée.


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