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L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Juve s’arrêta devant une fort jolie personne qu’entouraient des jeunes gens empressés.

Juve, cependant que l’orchestre attaquait les premières mesures de la valse, la fameuse quinzième, s’inclina devant la jolie femme et de son ton le plus aimable :

– Vous m’avez fait l’honneur, mademoiselle, de m’accorder cette valse.

Et le policier, fort galant homme, offrait son bras. La jeune fille le regarda d’un air gracieux, cependant qu’elle s’avançait.

– Merci, monsieur, fit-elle.

Elle rassembla d’un geste élégant sa traîne qu’elle plaça sur son avant-bras, puis, croyant aller au-devant du désir de son danseur, elle ajouta :

– Voulez-vous qu’au lieu de la danser, nous la causions, cette valse ? Je viens de tourner comme une toupie pendant une demi-heure et je commence à en avoir assez ?

– Cela me convient parfaitement, déclara Juve, qui, machinalement, pour éviter la bousculade tournoyante, attira sa compagne dans une galerie voisine.

Sarah Gordon était décidément une très jolie personne aux yeux bleu clair et grands qui pétillaient de malice et de gaieté. Elle avait une épaisse chevelure blonde. Sa taille bien cambrée n’était ni trop grande, ni trop petite. Audacieusement décolletée, la jeune fille qui, contrairement aux usages français, portait de nombreux bijoux, était évidemment d’une perfection sculpturale que révélaient les lignes harmonieuses de ses vêtements.

– C’est drôle, s’écria-t-elle soudain, en regardant Juve, bien dans les yeux, que vous ayez cette profession. Jamais je n’aurais imaginé qu’un détective pût être un homme du monde.

Juve sourit :

– Je ne vois pas pourquoi, mademoiselle, ce serait incompatible.

– C’est vrai, cela se voit certainement en Amérique, même en Angleterre, mais chez vous, à Paris, cela semble extraordinaire. Et bien que peu familiarisée encore avec vos usages, je me suis laissé dire que les policiers français n’allaient pas dans les salons.

– C’est peut-être exact, fit Juve, d’un ton énigmatique, encore que pas très certain. Il y a toutes sortes de gens dans les mondes parisiens les plus fermés, même des policiers, ne vous en déplaise. Seulement, on ne le sait pas toujours…

Sarah Gordon éclata de rire :

– Il est bien certain que je ne parle pas pour ma réception où sont venus un tas de gens que je ne connais pas et dont je ne me soucie guère. Mais enfin, croyez-vous que la police parvienne à s’introduire dans les familles qui ont la prétention de ne recevoir que des gens de leur milieu ?

– J’en suis certain, fit Juve. Et vous pouvez être assurée que chaque fois qu’il y a quelque part une cérémonie rassemblant plus de cinquante personnes, on y trouve une proportion raisonnable, sinon de détectives professionnels, tout au moins d’amateurs.

– C’est vrai, reconnut Sarah Gordon. Je sais que bien des gens du monde font ce métier d’indicateurs. Ainsi, continua-t-elle avec un sourire enjoué, ce monsieur qui nous observe là-bas au bout de la galerie est peut-être de ce monde-là ?

Juve jeta les yeux dans la direction indiquée par Sarah Gordon, et ne put s’empêcher de rire. La personne que désignait la jeune fille n’était autre que Fandor.

Juve ne répondit pas. Était-ce par hasard que l’Américaine lui avait signalé le journaliste, ou bien, alors, avait-elle agi intentionnellement, et si cela était, quels étaient les soupçons cachés de cette mystérieuse personne ?

Juve était venu à son bal, autant pour la connaître mieux, pour agir en détective, que pour faire une petite enquête dans le milieu bizarre de ceux qu’elle recevait.

Le policier estimait, en effet, qu’il devait y avoir entre les aventures auxquelles il avait été mêlé ces jours derniers et l’entourage de Sarah Gordon, des liens, indirects sans doute, mais indiscutables cependant. Juve, toutefois, cessant de regarder Fandor, tourna la tête et aperçut dans les salons, valsant éperdument, un personnage dont la vue lui fit froncer le sourcil :

– Vous recevez toutes sortes de gens, à votre bal, mademoiselle, et véritablement, il en est dont la présence peut étonner les moins difficiles.

Il désignait le personnage qu’il venait d’apercevoir. Sarah Gordon le remarqua aussi, elle rougit imperceptiblement :

– C’est un brave homme, fit-elle, même si les apparences sont contre lui.

– Mario Isolino est un gaillard qui a plus que les apparences pour le desservir, mademoiselle, et si vous vous rappelez l’aventure de la rue Fortuny au cours de laquelle j’ai eu l’honneur de faire votre connaissance, je pourrais ajouter que seule l’indulgence d’un commissaire de police fait que cet Italien ne se trouve pas actuellement sous les verrous.

– J’aime mieux, monsieur Juve, qu’il soit libre, et j’estime que les gens auxquels on fait grâce sont moins redoutables que ceux que l’on traite durement.

– Que voulez-vous dire ? interrogea le policier, surpris par cette déclaration énigmatique.

– Voilà…, fit la jeune fille.

Elle désigna un canapé à Juve, s’y installa.

Le policier se plaça à côté d’elle. Sarah Gordon reprit :

– En deux mots je vais vous expliquer ma théorie : je suis seule, dans ce Paris que je connais mal, riche comme vous savez, comme tout le monde le sait, et j’ai peur, oui, peur de tout et de rien. Aussi, plutôt que de fermer les yeux à la manière des autruches qui, après s’être caché la tête, s’imaginent qu’elles sont invisibles, je préfère regarder le danger, tout au moins l’inconnu, nettement, bien en face. S’il est autour de moi des gens que je redoute et que je suspecte, je les attire et pour mieux les connaître, je les mêle dans mon intimité.

– C’est, fit Juve, une théorie un peu paradoxale, et en la poussant plus loin, je vais vous demander si vous consentiriez par exemple, à vous faire pierreuse par crainte des apaches ?

– Mais pourquoi pas, monsieur ?

Cependant, la jeune fille se levait brusquement. Elle allait à un jeune homme au visage énergique et glabre qui passait devant elle, elle le prit par la main, l’attira vers Juve :

– Monsieur, dit-elle, permettez-moi de vous présenter mon ami, M. Dick. C’est un artiste de grand talent, et si nous avions ici une assistance un peu moins enthousiaste de la danse, il nous charmerait très certainement en nous disant quelques vers.

Juve se souvenait d’avoir vu le comédien dans la bagarre de l’hôtel Fortuny. Il se contenta de répondre à son salut et demeura silencieux devant lui.

La jeune fille, toutefois, quittait précipitamment Juve.

– Nous avons bavardé pendant deux ou trois valses, fit-elle, mes danseurs doivent se demander ce que je deviens.

Elle s’éclipsa, laissant les deux hommes en tête à tête dans la galerie.

L’artiste ne bougea pas et ne rompit pas le silence, il considérait Juve fixement. Le policier se décida enfin à parler :

– Vous exercez, monsieur, une profession fort intéressante, et qui exige énormément de travail.

Juve cherchait ses mots, ne savait trop que dire, il articula machinalement :

– Dès le Conservatoire, il faut engager la grande lutte artistique, et les compétitions, n’est-il pas vrai, y sont fort nombreuses ?

– Il suffit d’avoir du talent, monsieur, pour réussir, et sans vouloir me vanter, je puis vous dire que je n’ai guère eu de peine à obtenir mon premier prix.

– C’est superbe, fit Juve qui, distraitement, ajoutait : dès lors, vous appartenez sans doute au Théâtre Français ?

– Me prenez-vous pour un bourgeois, monsieur ? La profession d’artiste ne doit pas se confondre, à mon avis, avec le métier de fonctionnaire. Non, je n’appartiens pas à la Comédie-Française. Bien que je sois premier prix du Conservatoire, je suis au Théâtre Ornano.

– Au théâtre quoi ? répéta Juve qui croyait avoir mal entendu.

Mais l’acteur précisa :

– Je dis : au Théâtre Ornano. C’est un établissement populaire. On y joue le drame selon la vieille formule, en même temps que la comédie à la manière joyeuse et gaie des auteurs de 1830. La vraie terreur et la vraie gaieté, voilà ce qui me plaît mieux que les élucubrations psychologiques de nos écrivains modernes. Si jamais vous me faites l’honneur de venir m’entendre, je suis sûr que vous ne regretterez pas d’avoir fait le lointain voyage du boulevard Ornano et de mon théâtre, dans lequel les places les plus chères coûtent cinquante sous. J’ai bien l’honneur, monsieur, de vous saluer.

L’acteur s’inclina, disparut dans la foule, cependant que le policier demeurait abasourdi.

– Drôle de type, fit-il. Décidément, les gens que l’on trouve à ce bal sont plus extravagants les uns que les autres.

Juve fut arraché à ses réflexions par une légère douleur qui le fit sursauter.

– Aïe ! grommela-t-il. Puis il se retourna :

– Comment, c’est toi qui me martyrise ?

Fandor, en effet, s’était subrepticement rapproché de Juve et lui pinçait le bras.

– Oui c’est moi.

Le journaliste avait perdu tout son entrain, et son visage, à l’expression sévère, signifiait qu’il avait à parler sérieusement avec le policier.

Les deux hommes s’écartèrent de la foule. Fandor interrogea :

– Je suppose bien, Juve, que, malgré vos apparences mondaines, vous êtes venu ici dans un autre but que celui qui consistait simplement à faire tournoyer des jeunes filles dans une épouvantable cohue, à vous faire écraser les orteils par un tas de croquants et à essayer en vain d’approcher un buffet inaccessible ? Si l’homme du monde est présent à cette fête, le policier s’y trouve également plutôt deux fois qu’une ?

– D’accord, où veux-tu en venir ?

– À vous faire dire ceci, Juve : que vous recherchez quelqu’un, une ou plusieurs personnes et que vous espérez, de cette enquête, tirer de précieux renseignements sur les affaires qui nous préoccupent.

– C’est vrai, reconnut Juve, qui ajoutait à voix basse : J’ai retrouvé ici le milieu de la rue Fortuny, de même que rue Fortuny, j’avais découvert des gens devenus suspects à la suite du vol effectué à la Banque de France par Fantômas. De là, je conclus que je finirai bien par prendre, dans un immense coup de filet, tous ceux qui, de près ou de loin, constituent la bande énigmatique et formidable de notre adversaire.

– Je le savais, et d’ailleurs, tandis que vous étiez en train de flirter avec la charmante Américaine qui nous reçoit, j’ai moi-même remarqué ici quelques silhouettes assez intéressantes, quelques personnages inattendus. La comtesse de Blangy est dans nos murs.

– Je le sais, mais ce n’est pas elle qui m’intéresse surtout.

– Parbleu, mieux vaut toujours s’adresser à Dieu lui-même qu’à ses saints.

– Et Dieu, en l’espèce, pourrait bien être le diable, ou tout au moins…

– Tout au moins, lui, n’est-ce pas ?

– Tais-toi, Fandor, je vois que tu penses comme moi. As-tu remarqué quelque chose ? J’ai la persuasion qu’il est ici, et voici deux heures que, sans interruption, j’examine tous les visages, j’épie les gestes de tous les gens qui me paraissent suspects. As-tu un indice ?

– Que feriez-vous, Juve, si tout d’un coup, ailleurs, ou même dans ce salon, vous vous trouviez en présence de notre adversaire ?

– J’ai souvent changé d’avis à ce sujet, mais désormais, ma décision est prise. Irrévocable. Les demi-mesures ne nous ont pas réussi : si Fantômas se dressait en face de moi en ce moment, je l’abattrais comme un chien en lui logeant cinq balles dans la tête.

– Ah, fit Fandor, qui continua : Juve, avez-vous jamais vu Fantômas masqué ?

– Ah çà, Fandor, que signifie cet interrogatoire ? Tu me poses là des questions auxquelles tu pourrais répondre aussi bien que moi.

– Répondez-y, je vous en prie, insista Fandor, et si j’ai l’air de dire des naïvetés, n’en tenez pas compte. Je suis obligé de faire actuellement une déduction compliquée et j’ai besoin de votre appui pour cela. Écoutez-moi bien, Juve, et répondez : définissez-moi Fantômas masqué.

Le policier haussa les épaules :

– Tes questions sont stupides, mais j’y réponds tout de même. Donc, Fandor, Fantômas, indépendamment des nombreux déguisements sous lesquels il se cache, apparaît fréquemment à ses victimes, ou à nous-mêmes, soit le visage dissimulé derrière un loup noir, à la manière des dominos de carnaval, soit la tête enveloppée dans une sorte de cagoule, aussi sombre que la nuit, comme en portent les pénitents des couvents d’Italie.

– Je vais vous poser encore une question, Juve : Avez-vous une idée quelconque sur la façon dont Fantômas se fixe cette fameuse cagoule autour de la tête ?

De plus en plus surpris, le policier regardait son ami, pour tâcher de comprendre où il voulait en venir. Mais Fandor gardait un visage impassible.

– Je n’en sais rien. Peut-être fixe-t-il cette cagoule autour de sa tête avec un lacet, avec un élastique ?

– Avec un élastique avez-vous dit ? Ah tant mieux. Encore une question, Juve : Avez-vous été enfant, autrefois ?

– Fandor, tu as certainement bu trop de champagne.

– Je vous jure, Juve, que mon gosier est aussi sec que l’amadou de votre briquet. Je me répète : avez-vous été enfant ?

– J’ai été enfant. Il y a longtemps…

– Vous avez, comme tous les gosses, porté de grands chapeaux dont on assurait la stabilité sur votre tête au moyen d’un élastique qui vous passait sous le menton.

– C’est vrai.

– Et, lorsqu’on vous ôtait votre chapeau, si l’élastique s’en allait avec, il restait néanmoins sur votre peau les traces de ce lien, c’est-à-dire une sorte de petit filet rouge, imperceptible, durant peu de temps, mais visible tout de même.

– Oui. Alors ?

– Alors, j’aime à croire qu’un homme qui a l’habitude de porter une cagoule serrée autour de son cou par un élastique, peut avoir à l’occasion, comme les enfants, ce petit filet rouge esquissé sur la peau. Dès lors, Juve, cherchez autour de vous, et regardez.

Le journaliste n’en dit pas plus. Une apparition blonde venait rompre son entretien avec le policier. C’était Sarah Gordon qui, s’adressant à Fandor que Juve lui présentait, demandait au journaliste :

– Monsieur, ayez donc l’obligeance de m’offrir votre bras, pour traverser ce salon. C’est très amusant, je suis chez moi, c’est-à-dire que tous ces gens sont mes invités et cependant je connais très peu de monde. Je ne puis cependant m’approcher du premier venu et lui dire de me servir de cavalier. Vous êtes un des rares qui m’aient été présentés.

Juve perplexe, se demandait cependant :

– Que signifie l’attitude de cette femme ? Véritablement, elle arrive toujours au moment où il ne le faut pas. À moins que ce ne soit précisément, au contraire, le moment où il le faut. À son point de vue.

Mais, soudain, Juve tourna les talons et parcourut la galerie. Il sentait son cœur battre : un homme à la grande silhouette, aux yeux sombres qui s’ouvraient dans un visage de vieillard tout encadré de barbe blanche, venait de passer auprès de lui et Juve avait été frappé de stupeur. N’avait-il pas remarqué sur la nuque de cet homme une sorte de petite ligne rouge, semblable à la trace de l’élastique dont Fandor venait de l’entretenir quelques instants auparavant ?

Cependant, le journaliste avait, avec Sarah, une conversation vive et animée. L’Américaine, réellement naïve, ou feignant de l’être, allait d’étonnement en étonnement :

– C’est drôle, fit-elle, en regardant complaisamment Fandor des pieds à la tête. Vous êtes habillé comme tout le monde et pourtant vous êtes journaliste ?

– On ne nous a pas encore imposé d’uniforme, mademoiselle, comme les capitaines de dragons, ou les garçons de banque.

– Oh, fit Sarah, ce n’est pas cela que je voulais dire ! Mais j’imaginais que les gens qui exercent votre profession avaient toujours une allure un peu spéciale.

– Je vois ce que c’est, fit Fandor, vous les supposiez sales et loqueteux, fumeurs de grandes pipes, et porteurs de chapeaux mous, enfoncés sur des têtes hirsutes ?

– À vous parler franchement, telle était, en effet, mon opinion.

– Nous avons changé tout cela, mademoiselle, depuis longtemps.

Mais il s’arrêta net. Une détonation venait de retentir, Fandor pâlit et lâcha Sarah Gordon interdite au milieu du salon. Le journaliste se précipita. La foule se massait vers le fond de la galerie dans laquelle Fandor avait quitté Juve quelques instants auparavant :

– Je savais bien, grommela le journaliste, que cette soirée ne finirait pas sans quelque mauvaise histoire.

Pendant près de vingt minutes, ce fut un désordre inexprimable dans les somptueux salons du Gigantic Hôtel.Les danseurs s’étaient arrêtés, des groupes se formaient dans lesquels on discutait avec animation, sans savoir exactement ce qui s’était passé toutefois. Des maîtres d’hôtel, des inspecteurs du Gigantics’efforçaient toutefois de calmer les gens. Et à ceux qui suggéraient qu’il venait d’y avoir un drame, un crime peut-être, que l’on avait tiré un coup de revolver, ils répondaient avec aplomb :

– C’est une erreur, messieurs, il ne s’est rien passé ! Un meuble est tombé, il a fait du bruit, voilà tout.

On déclarait aussi qu’il s’agissait là d’un court-circuit dans les cuisines, de l’explosion d’un tuyau de gaz sur le trottoir, hors de l’immeuble.

***

Fandor enfin retrouva Juve.

Le policier sortait des bureaux de l’administration. Il était très pâle :

– Eh bien ? interrogea Fandor.

– Eh bien, fit Juve, tu avais raison, la petite ligne rouge. À peine tu m’avais quitté qu’un homme aux allures de vieillard a passé à côté de moi, et il était marqué comme tu l’avais dit, marqué à la nuque.

– Qu’avez-vous fait ?

– Je l’ai suivi dans la galerie. Je me suis rapproché de lui. J’allais lui mettre la main au collet. Il s’est retourné à ce moment-là.

– Et puis ?

– C’est là, continua Juve, où je ne comprends plus. Une détonation a retenti. Instinctivement, j’ai baissé la tête. L’homme à la ligne rouge, Fantômas, car ce ne peut être que Fantômas, a baissé la tête lui aussi. Et si une balle a sifflé à mon oreille, une balle également a sifflé à la sienne.

– Vous voulez dire que vous avez tiré tous les deux ?

– Non. Nous n’avons tiré ni l’un ni l’autre.

Le policier lui expliqua alors comment, dans la bagarre survenue immédiatement après le coup de feu, il avait été séparé du mystérieux vieillard. Il ne l’avait pas revu. Sa fuite était-elle due au hasard ou à la protection de complices ?

Fandor n’écoutait plus.

– Vous n’avez en somme tiré ni l’un ni l’autre et un coup de feu a retenti ?

– Oui. Qui visait-on ?

– Qui ?

13 – VOLEUSE À LA TIRE

Boulevard Malesherbes, la foule des passant  s’était arrêtée quelques instants, en face du magasin de nouveautés Paris-Galeries, pour regarder avec cette curiosité béate qui est la caractéristique de la badauderie parisienne, une voiture automobile en panne sur le bord du trottoir.

Puis, comme l’accident paraissait devoir s’éterniser et que le spectacle ne se modifiait pas, les passants, peu à peu, s’en étaient allés indifférents, peu soucieux de savoir ce qu’il allait advenir des malheureux immobilisés ainsi sur la voie publique par les mystères de la carburation ou les défaillances de l’allumage.

Au bout de quelques instants, un homme surgit de dessous la voiture automobile. Il avait trempé la moitié de son corps dans le ruisseau, de telle sorte que ses vêtements lui moulaient le bras et la jambe d’un côté seulement. De l’autre, ses habits étaient maculés de cambouis. Il avait de la graisse et du noir sur le visage, sur le col, dans les cheveux. D’une voix caverneuse, il appela désespéré, cependant qu’il se dressait à demi de dessous la voiture :

– Nalorgne, passez-moi la clef anglaise !

C’était Pérouzin, dont la voiture, une fois encore, se trouvait en panne et qui s’efforçait de la réparer. Il répéta d’une voix chargée d’angoisse :

– La clef anglaise ! Nalorgne, voulez-vous me la passer ? Elle doit être dans le coffre arrière, ou sur le coussin de devant.

S’exprimant ainsi, Pérouzin jetait des regards désespérés en direction de Paris-Galeriesà son inséparable ami qui demeurait planté sur le trottoir, à quelques pas de lui, debout le long d’un arbre, et immobile comme s’il avait été frappé de paralysie soudaine.

– La clef anglaise, répéta Pérouzin, d’un ton larmoyant.

– Non, dit Nalorgne.

Puis, il reprit sa position immobile, semblant étudier fixement quelque chose. Pérouzin, d’abord interdit par, cette brève réplique, insista de nouveau :

– Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi ne voulez-vous pas me passer la clef anglaise ? J’en ai pourtant besoin, c’est le tuyau du carburateur qui s’est desserré, ça fuit comme un panier, nous perdons toute notre essence. Je vous en prie, la clef anglaise !

Encore une fois, Nalorgne répondit :

– Non.

Pérouzin allait protester, puis il réfléchit qu’une altercation ne servirait à rien, sinon à le ridiculiser, lui et son collègue. L’ancien notaire était de bonne composition et peu partisan des discussions.

– Si Nalorgne me refuse la clef anglaise, pensa-t-il, c’est qu’il doit avoir ses raisons pour cela. Peut-être a-t-il peur de se salir les mains ?

Et, brave homme, Pérouzin se tira, non sans peine, de dessous l’automobile. Il allait monter sur le marchepied de la voiture pour fouiller sous les coussins et en retirer l’outil qui lui était nécessaire, lorsque Nalorgne lui fit un signe, cependant qu’il murmurait imperceptiblement :

– Laissez donc cela tranquille, venez et regardez…

Pérouzin obtempéra : il suivit des yeux le doigt de Nalorgne qui lui désignait quelque chose, quelqu’un plutôt, dans la foule amassée devant les étalages de Paris-Galeries.

– Voyez-vous, poursuivit mystérieusement Nalorgne, cette toute petite personne brune, aux cheveux ébouriffés, qui a l’air de s’intéresser vivement à l’étalage des corsets soldés à quatre francs soixante-quinze ?

Pérouzin ouvrit des yeux arrondis de surprise :

– Je la vois, en effet. C’est bien la toute petite femme, celle qui a plutôt l’air d’une gamine, d’une fillette ?

– C’est cela même.

– Ce n’était pas la peine de me déranger. J’ai énormément à faire sous la voiture, si c’est tout ce que vous aviez à me dire… Je suis étonné qu’un inspecteur de la Sûreté comme vous, qui, en outre, est un ancien prêtre, tombe ainsi en arrêt devant la première petite bonne femme venue et croit nécessaire de déranger ses collègues de leur travail.

– Vous serez toujours plus bête que nature, Pérouzin, fit-il, et je me demande comment j’ai pu autrefois m’associer avec vous pour monter un bureau d’affaires.

– Qui n’a pas réussi, d’ailleurs…

– Regardez-la ! Sacrée gamine, va ! Voyez-vous ce qu’elle va faire ?

– Je devine, elle va faire un coup, un mauvais coup. Sans doute chiper quelque chose à l’étalage ?

L’ex-notaire suivit curieusement des yeux la gamine qui, après avoir examiné sans grande attention les corsets, passait au rayon de fleurs et plumes, semblant s’intéresser vivement aux déclarations enthousiastes que faisait le vendeur préposé à l’écoulement de cet article. Mais, cependant qu’elle regardait ainsi, ses mains, qu’elle dissimulait sous une sorte de pèlerine, allaient et venaient autour d’elle, ses doigts écartés frôlaient sans cesse les gens qui se trouvaient à proximité. La gamine aux cheveux ébouriffés semblait se préoccuper particulièrement de suivre de très près une dame fort élégante qui s’intéressait, elle, aux objets exposés.

– Attention, ça va y être dans un instant. Voyez plutôt !

La gamine s’était rapprochée de plus près encore de la grande dame. Celle-ci portait suspendu à la saignée du coude, un réticule qui battait le long de sa jupe. Il était à peu près à quarante centimètres au-dessus du sol.

La petite femme, soudain, profitant d’une légère bousculade, laissa tomber son mouchoir sur le trottoir, et avec un geste fort naturel, se pencha pour le ramasser, mais en même temps, plus rapide que l’éclair, elle avait ouvert le réticule de sa voisine, elle y plongeait une main, petite main adroite, qu’elle retirait aussitôt ; puis, de l’air de la plus parfaite innocence, elle s’écarta, fit quelques pas dans la direction opposée.

Pérouzin n’avait rien vu, mais lorsque Nalorgne lui eut dit : « Eh bien, vous avez compris ? », il se contenta de répondre :

– J’ai compris, en effet. Cette petite personne a ramassé un objet par terre, mais il n’y a pas délit. C’est son mouchoir qui lui appartenait.

– Et dire, grommela-t-il, que c’est à des gens comme ça que l’on confie la surveillance de Paris ! Mon cher Pérouzin, nous allons faire une capture sensationnelle, entendez-vous ? Et pour réussir complètement, nous ne sommes pas trop de deux. Écoutez, obéissez-moi : vous allez aborder cette grande dame élégante qui s’en va. Vous allez lui dire ceci : « Madame, votre porte-monnaie vient de vous êtes dérobé, mais la police tient la voleuse, veuillez m’accompagner au poste de la rue d’Anjou, et votre argent vous sera rendu. » Moi, de mon côté, je vais arrêter la petite femme qui s’est emparée de ce porte-monnaie et je serai au bureau de police lorsque vous y arriverez avec la victime. Allez, dépêchez-vous !

– Et l’automobile ?

– Elle ne s’en ira pas, soyez tranquille, nous avons assez de peine à la faire marcher et vous vous y connaissez, du moins on le prétend. Songez donc, jamais personne d’autre ne pourra la faire démarrer. Et si, par hasard, d’ailleurs, cela arrivait, ce serait une bénédiction, car nous en serions débarrassés.

Ce dernier souhait que formulait Nalorgne était perdu pour Pérouzin qui s’élançait sur les traces de la grande dame élégante, fort inquiet à l’idée qu’il allait falloir l’aborder et que peut-être celle-ci aurait un médiocre plaisir à entrer en conversation avec un homme aussi sale que l’était Pérouzin qui venait de passer une demi-heure sous la voiture. Nalorgne, cependant, emboîtait le pas à la petite femme aux cheveux ébouriffés. Et, tout en la suivant, cependant qu’elle se dirigeait d’un pas assuré vers la Madeleine, il se répéta les instructions que lui avait données jadis son chef suprême, M. Havard :

– Le bon agent de la Sûreté ne doit pas faire de scandale lorsqu’il procède à une arrestation. Les choses doivent passer inaperçues.

Et Nalorgne, estimant qu’il fallait suivre à la lettre ces instructions, n’aborda point la petite femme avant qu’elle ne se fût éloignée de Paris-Galeries.

Le cœur battait un peu à Nalorgne, car c’était la première fois, depuis qu’il était inspecteur de la Sûreté, qu’il allait enfin réussir une arrestation. Oh, il était bien trop malin, pensait-il, pour révéler tout de suite sa qualité. Dès lors, pressant le pas, retroussant sa moustache et s’efforçant d’avoir l’air d’un séducteur, il dépassa la petite femme et, l’ayant heurtée à l’épaule pour qu’elle le regardât, il lui décocha un coup d’œil si peu équivoque, si caractéristique, que les plus éhontées professionnelles du trottoir ne l’auraient pas renié.

La petite femme le regarda, et, bien qu’elle fût fort troublée, faillit éclater de rire. Nalorgne, cependant, engageait la conversation :

– Dites donc, mademoiselle…

– Ah, non, très peu ! Quelle caricature !

Nalorgne avait entendu. Ça, par exemple, c’était raide. Et instantanément, il lui revint à l’esprit qu’il était inspecteur de la Sûreté, qu’il incarnait la Puissance, et que laisser quelqu’un se moquer de lui, c’était permettre que l’on bafouât l’autorité. Dès lors, changeant brusquement d’attitude, il laissa lourdement sa main s’abattre sur l’épaule de la gamine, et d’une voix de stentor lui déclara :

– Au nom de la loi je vous arrête !

L’effet ne manqua pas de se produire. La gamine poussa un cri terrible, essaya de s’arracher à Narlogne, mais celui-ci la maintenait de ses doigts crispés sur son épaule. La petite femme se jeta par terre, roulant sur le trottoir, entraînant dans sa chute le grand inspecteur de la Sûreté. Un attroupement considérable se produisit et aussitôt, les commentaires de la foule se manifestèrent, peu flatteurs à l’égard de cet homme qui brutalisait cette malheureuse :

– Il en a du culot le frère ! Quelle brute ! Si c’est permis de maltraiter ainsi une gosse !

– Attends un peu, propre à rien ! On va t’apprendre à tomber sur les gens ! Canaille, va !

Peu s’en fallut que Nalorgne ne s’en tirât avec force blessures et horions. Mais, heureusement, deux agents en uniforme étaient survenus. Nalorgne se fit connaître, et les sergents de ville, écartant la populace, finirent par rétablir l’ordre, par restituer la petite femme au policier. Puis, l’un traînant l’autre, suivis des gardiens de la paix et d’une foule considérable, ils s’acheminèrent vers le bureau de police de la rue d’Anjou.

Si Nalorgne, à ce moment, avait réfléchi aux instructions de M. Havard, il aurait dû s’avouer, en bonne conscience, qu’il ne les avait pas strictement observées. Cette arrestation d’une toute petite femme par un policier robuste avait ameuté tout le quartier.

La prisonnière, au commissariat, fut transférée dans le local réservé aux personnes arrêtées sur la voie publique. Quelques instants après, Nalorgne qui ne la quittait pas, fut invité à passer avec elle dans le cabinet du commissaire. Il y trouva Pérouzin et la grande dame élégante qui, toute pâle, achevait de déclarer au commissaire qu’en effet, son porte-monnaie venait bien de lui être dérobé. Pérouzin se rapprocha de Nalorgne :

– Vous savez, fit-il d’un air important que cela a été très difficile de la décider à venir jusqu’ici. Elle m’a pris pour un gigolo, elle croyait que je voulais lui offrir quelque chose et tout d’abord, elle m’a saqué [19].

– C’est comme moi avec la petite, fit Nalorgne, mais j’ai eu du flair et j’ai réussi à l’arrêter tout de même.

Pérouzin considéra Nalorgne avec admiration, puis il se regarda lui-même avec complaisance et, constatant que les deux personnes qu’il avait fallu amener au commissariat y étaient, il déclara d’un air convaincu :

– Nous sommes décidément des types épatants !

Le commissaire, brièvement, notait les déclarations de la grande dame. Lorsqu’il eut terminé, il lui tendit la plume :

– Veuillez, madame, fit-il, inscrire au-dessous de ces lignes, votre nom et votre adresse.

– Est-ce bien nécessaire ?

– Indispensable, madame, étant donné la plainte que vous formulez.

La personne volée parut hésiter un instant, mais elle se décida cependant à faire connaître son identité et, cependant qu’elle signait au-dessous du texte rédigé par le commissaire, elle murmura :

– Je suis la comtesse de Blangy, 214, avenue Niel… Vous n’avez plus besoin de moi, monsieur ?


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