Текст книги "L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Ah, demanda M. Châtel-Gérard, vous croyez qu’il convient de descendre aux caves ? Si, pourtant… ?
– Peut-être, conseillait M. Havard, serait-il bon que je fasse venir d’autres inspecteurs ? Qu’en pensez-vous, Juve ? Désirez-vous du renfort ?
Le policier secoua la tête :
– En temps ordinaire, demanda-t-il, qui a le droit ici d’aller dans ces souterrains ?
– Moi, répondit M. Châtel-Gérard, Tissot et Roquevaire.
– Personne autre ?
– Non, personne autre.
– Alors, il faut que ce soit vous, monsieur, et vous seulement qui descendiez. Il ne serait pas bon d’attirer l’attention.
Et, comme M. Châtel-Gérard, à cette déclaration de principe, paraissait des moins rassurés, Juve se hâta d’ajouter :
– Oh n’ayez crainte, je considère qu’il serait mauvais de descendre en groupe aux caves, mais je considère aussi qu’il serait dangereux de vous laisser y aller seul. Je vous accompagne, monsieur Châtel-Gérard.
– Et si Fantômas surgissait ?
– S’il surgissait, monsieur, lui ou moi, sans doute, ne sortirions pas vivants de vos caves.
Et, à la façon dont Juve parlait, il était visible que le roi des policiers était en effet décidé à tout pour arrêter les exploits du sinistre et terrifiant Homme à la Cagoule.
9 – DANS LES CAVES DE LA BANQUE DE FRANCE
En affirmant que Fantômas n’était pas homme à renoncer à un vol décidé par lui, en proclamant que le bandit, coûte que coûte, arriverait à s’emparer des richesses de la Banque s’il avait véritablement résolu de s’en emparer, en estimant que la restitution des trois clefs ne prouvait absolument rien, Juve ne se trompait pas.
Fantômas, après s’être emporté de terrible façon contre le malheureux Tête-de-Lard, s’était calmé presque subitement :
– Tête-de-Lard, avait déclaré le bandit, en contemplant son complice terrorisé, tu n’es qu’un imbécile, mais je te pardonne. D’ailleurs, tu vas racheter ton imbécillité en te rendant utile.
– Que devrai-je donc faire ?
– Quelque chose de bien simple. Tête-de-Lard, voici les trois clefs volées, je vais les enfermer dans une boîte, tu les porteras demain à la première heure, à la Banque de France en recommandant qu’elles soient remises directement entre les mains du gouverneur général.
Tête-de-Lard, en recevant cet ordre, pensa mourir d’effroi, car il ne lui semblait pas très prudent de se rendre à la Banque de France, mais il n’osa refuser, sachant par expérience que Fantômas n’aimait pas que l’on discutât ses instructions.
Quelques instants plus tard, Tête-de-Lard s’éloignait, porteur du paquet que lui avait remis Fantômas, et le bandit demeurait seul.
Fantômas alors parut en proie à un grand énervement. Il allait et venait dans sa chambre, fumant avec rage et, de temps à autre, poussant un sourd juron. Il faisait évidemment appel aux dernières ressources de son génie, à son imagination toujours en éveil. Il cherchait le moyen de prendre sur Juve une revanche éclatante.
Mais soudain, Fantômas rit, de ce rire gouailleur et infernal qui lui était propre et dont il accompagnait, le plus souvent, ses plus terribles résolutions :
– Juve, grommela le bandit, je crois que vous n’avez pas songé à cela.
L’homme à la cagoule vérifia l’heure : il était près de minuit et demi. Puis, ayant dépouillé son sinistre manteau noir, ayant rejeté le masque qui voilait ses traits, marchant vite, il se rendit jusqu’aux petites rues étroites qui entourent l’immeuble de la Banque de France.
Fantômas, assurément, disposait de multiples complices. Le génie du Crime, depuis qu’il terrorisait Paris, depuis qu’il avait paré son nom d’une gloire sanglante et effroyable, s’était ménagé des alliés dans les endroits les plus divers.
Il sonna bientôt de façon particulière trois coups, puis deux, puis trois encore, à la porte d’un immeuble de la rue Radziwill. Il pénétra dans une sorte d’hôtel borgne dont il monta l’escalier.
Fantômas, une demi-heure plus tard, se trouvait sur le toit de la maison. La largeur de la rue, cinq mètres à peine, le séparait des toits de la Banque. Il eut pour le vide un sourire de dédain.
– Je crois que cette fois, murmurait le bandit, je suis prêt à donner l’attaque.
Au pied d’une cheminée, il ramassa un paquet de cordes volontairement abandonné là. Avec une adresse consommée, il s’en empara, et, ayant fixé le bout du cordage à un crampon de fer, il jeta le câble par-dessus la rue sur le toit de la Banque. Le câble se terminait par un nœud coulant. Fantômas avait lancé la corde avec une si grande habileté que ce lasso improvisé s’enroula autour d’une saillie de la toiture. Il tendit lentement le câble et sourit encore :
– Voici le pont qu’il me faut.
Et dès lors, avec une assurance extraordinaire, narguant le vertige, souple, rapide, invisible presque dans la nuit profonde, Fantômas se livra à la plus périlleuse des acrobaties.
Il avait empoigné des deux mains le mince cordage et, suspendu dans le vide, balancé par le vent, au risque de lâcher prise, il traversa la rue, atteignit la toiture de la Banque. Fantômas alors trouva moyen de décrocher le câble qui tenait encore à l’immeuble dont il était parti. Il le tirait à lui pour ne pas laisser trace de son passage. Cela fait, il éclata de rire.
– Et voilà, disait Fantômas, voilà ce à quoi Juve n’a point pensé !
Le Génie du Crime, tout le temps de son voyage aérien, avait tenu serré entre les dents un assez volumineux paquet qu’il venait de déplier lentement. Il avait extrait son maillot, remis sa cagoule sinistre, caché à nouveau son visage et c’était de la sorte la silhouette fantastique de l’homme noir, la silhouette légendaire de Fantômas terrorisant le monde, qui se profilait dans la clarté lunaire, sur le toit de la Banque de France.
– De mieux en mieux, murmurait Fantômas qui ne semblait plus désormais se hâter. Vers les dix heures, demain matin…
Mais il s’interrompit pour rire encore, rire infernalement.
Puis Fantômas progressa précautionneusement sur le zinc de la toiture. Il avait un peu bruiné et le métal était glissant. N’importe, il allait toujours. Sa silhouette se découpa quelques instants encore sous le ciel, pâle, puis elle disparut. On n’entendit plus aucun bruit. Fantômas, une fois encore, semblait s’être fondu dans la nuit, s’être évanoui dans le silence et l’ombre.
***
– Messieurs, maintenant, il importe de prendre les plus grandes précautions. Je vous ai bien prévenus que je considérais que nous n’étions point encore hors d’affaire et par conséquent…
Juve était debout au milieu du cabinet directorial et s’entretenait avec M. Châtel-Gérard qui venait de demander d’urgence M. Tissot et aussi le baron de Roquevaire.
Ils allaient tous les quatre descendre aux caves ainsi qu’après réflexion l’avait conseillé le policier et tous, après s’être entretenus avec Juve, éprouvaient, sans pouvoir s’en défendre, une vive émotion à la pensée d’une rencontre possible avec Fantômas.
– Messieurs, continua Juve, je vous répète que toutes les précautions prises par les ingénieurs pour mettre les caves à l’abri d’un attentat, sont nulles dès qu’il s’agit de Fantômas. Donc tenez pour certain qu’il est fort possible que le bandit soit là où nous allons aller. Cela dit, je pense qu’il est superflu de vous recommander de faire très attention. Vous êtes armés, messieurs ?
Les trois hommes auxquels Juve s’adressait firent oui de la tête.
– Très bien. Mais ce n’est pas suffisant. Laissez-moi vous recommander tout spécialement de ne pas avoir de sots scrupules de générosité. À la première alerte, au premier signe de danger, faites feu !
– C’est entendu, répondit le baron de Roquevaire qui maîtrisait avec peine sa nervosité.
– Autre chose, reprit Juve. Comme il convient de ne pas donner l’alarme dans la Banque, j’estime, et je pense, monsieur le gouverneur, que vous partagerez mon avis, que le mieux est d’agir discrètement. Nous allons donc descendre tous les quatre et tous les quatre seulement. Nous posterons quatre agents à l’entrée des salles des coffres, c’est-à-dire à l’entrée de la cave ordinaire, avec mission d’empêcher quiconque d’en sortir. Comme le sous-sol réservé où nous allons, débouche dans la cave ordinaire, nous sommes certains qu’à part nous, personne ne pourra s’échapper par là.
Juve parlait toujours avec son extraordinaire sang-froid. Mais ses interlocuteurs s’énervaient.
– C’est cela, c’est cela, disait M. Tissot.
– Allons, marchons, faisait M. Châtel-Gérard.
– Marchons ! répondit Juve en souriant.
Il plaça son browning, dont il avait décroché le cran de sûreté, dans la poche de son veston.
– Un dernier avis… ajouta le policier. Autant que possible, messieurs, tâchons de marcher dans un ordre rigoureux. Moi d’abord, M. de Roquevaire ensuite, puis M. Tissot, et enfin M. Châtel-Gérard.
Cette fois, les ultimes avis étaient donnés. Juve, précédant les trois hommes, sortit du cabinet directorial. Dans les couloirs qu’il longeait pour se rendre au rez-de-chaussée dans la grande salle du public où débouchait l’entrée des caves, le petit groupe passa. Les trois porte-clefs baissaient la tête, soucieux, inquiets. Juve lui, souriait, et, sans en avoir l’air, jetait de tous côtés des yeux inquisiteurs. Juve, en effet, depuis quelque dix ans qu’il poursuivait Fantômas, avait été témoin de tant de ruses employées par le bandit, avait vu Fantômas recourir à de si surprenants expédients, qu’il avait pris l’habitude de douter de tous et de tout. Avec son flair spécial, il imaginait bien en ce moment que Fantômas ne devait pas être loin et devait ourdir un plan d’attaque, mais il ne pouvait arriver à préciser la façon dont le bandit allait s’y prendre.
– Que va-t-il se passer ? se demandait Juve.
Et une sueur froide lui perlait aux tempes.
Les caves de la Banque de France ! Depuis qu’il avait à s’occuper de les protéger, Juve avait appris combien on avait accumulé les dispositifs spéciaux pour les mettre à l’abri de tout accident : le feu ne pouvait rien contre elles. Une révolution avec la tourmente qu’elle déchaîne d’ordinaire, n’aurait peut-être pas réussi à les forcer. Les murs des locaux auraient résisté à la dynamite. On pouvait les noyer, les ensabler, les remplir de gaz asphyxiants, et pourtant, Juve savait que Fantômas pourrait, s’il le voulait, trouver moyen de pénétrer jusqu’à elles, en dépit de tout cela, en dépit des quadruples portes à triples serrures qui fermaient leur entrée.
Juve et les trois porteurs de clefs arrivèrent quelques secondes plus tard à l’entrée des caves.
– Léon ! Michel !
À l’appel du policier, les deux inspecteurs de la Sûreté accouraient.
– Mettez-vous ici, ordonnait Juve, et ne laissez sortir personne.
– Très bien, chef.
C’était le dernier ordre à donner avant la périlleuse descente.
– Messieurs, commença Juve, quand vous voudrez ?
– Allons, répondit M. Châtel-Gérard d’une voix qui tremblait,.
Ayant franchi la porte donnant dans le hall, la porte que le public peut voir, Juve et ses trois compagnons pénétraient dans la caisse ordinaire, au centre de laquelle se dresse, imposant, le gigantesque coffre-fort où se trouvent enfermées les espèces nécessaires aux opérations quotidiennes. À droite et à gauche, sur de lourdes étagères faites de grosses barres de fer, des colis, des boîtes, de petits coffres s’entassaient.
– C’est ce que nous appelons la « Serre », répondit M. Châtel-Gérard, à une muette interrogation du policier. Toutes ces boîtes et ces colis contiennent, soit des valeurs, soit des pierres précieuses, des dépôts, en un mot.
– Parfaitement.
– Et voici l’entrée de la cave secrète.
M. Châtel-Gérard venait de s’arrêter devant une grille accolée à la muraille.
Aidé de ses deux compagnons, le gouverneur de la Banque fit jouer les triples serrures. Les portes s’ouvrirent, tournant sur elles-mêmes. Or, ces portes démasquaient une sorte de puits, fort étroit, dans lequel était taillé un petit escalier en colimaçon si étroit que Juve eut quelque peine à y passer.
– Faites attention, recommanda M. Tissot, l’escalier a en tout quarante-trois marches. À la dixième, vous allez trouver une porte, à la vingtième une autre, puis à la trentième, et enfin au bas.
Juve ne répondit pas. Il descendit, faisant le moins de bruit possible et s’attendant presque à heurter à l’improviste quelque obstacle terrible.
Il n’en fut rien cependant.
À la dixième marche, Juve trouva la porte fermée qu’on lui avait annoncée. Les trois serrures jouaient, la porte s’ouvrit.
– Descendez, monsieur Juve.
C’était M. Tissot qui venait de parler.
– Je descends, riposta le policier. Mais ne fermez-vous pas la porte derrière vous.
– Fichtre non, on ne peut pas ouvrir de l’intérieur, nous serions enfermés.
– Très bien, monsieur.
Juve descendit encore. La seconde porte fut ouverte sans mésaventure. La descente continuait toujours. À la trentième marche, pourtant, Juve s’arrêta.
– Monsieur le gouverneur, appela-t-il.
– Monsieur Juve ?
– Qu’avez-vous au juste à faire dans les caves ?
– Je dois y prendre un portefeuille bourré de coupures de mille francs, une liasse de un million et demi.
– Fort bien. Et où est ce portefeuille ?
– Tout au fond de la cave, monsieur Juve, dans la seconde salle même.
– Il y a donc deux caves ?
– Oui et non. Le souterrain, à vrai dire, mesure cent quarante-deux mètres de long, il est d’un seul tenant, mais en son milieu, il y a une cloison.
– Et nous allons dans le second compartiment ?
– Oui, monsieur Juve.
– Allons !
Juve descendit les trois derniers degrés et se heurta à la dernière porte :
– Ouvrez, messieurs.
Les trois serrures grincèrent : la porte s’ouvrit.
Mais, tandis que Juve et ses compagnons avaient jusqu’alors descendu l’escalier dans une complète obscurité car, par mesure de précautions, pour éviter tout risque d’incendie il n’y a point d’éclairage dans les sous-sols de la Banque, Juve vit le souterrain s’illuminer splendidement devant lui au moment où la dernière porte s’entrebâillait. Un mécanisme ingénieux en effet a été prévu dans les caves même, qui fait que la dernière porte en s’ouvrant éclaire les réserves en faisant jouer un commutateur électrique.
Juve alors recula ébloui.
Il pénétrait dans la grande cave secrète de la Banque et demeurait stupéfait des richesses inouïes qu’elle contenait. Sur des chevalets de bois, d’abord, de grands cartons gonflés, bourrés de billets de banque, s’entassaient les uns sur les autres, classés avec ordre et contenant des fortunes à affoler Crésus. Plus loin, à demi enfoncés dans le sol, on apercevait d’énormes barils faits d’acier, doublés de plomb, bourrés de pièces d’or.
Sur chaque baril étaient apposées des étiquettes impressionnantes :
Pièces de vingt francs à l’effigie de 1889, un milliard et demi. Ou encore : Louis de vingt francs à l’effigie de 1907, deux milliards [10] .
C’était tout au long du souterrain un ruissellement d’or inouï, fantastique.
– Mazette ! s’exclama Juve.
Mais ce n’était pas l’heure de plaisanter. La première surprise passée, Juve ne songeait plus qu’au danger encore menaçant.
– Faisons vite, murmura-t-il.
Et il entraîna ses compagnons vers la porte séparant, ainsi que l’avait expliqué le gouverneur de la Banque, les deux sections de la cave secrète.
Au demeurant, les souterrains apparaissaient déserts, calmes, paisibles, et Juve peut-être s’était-il forgé de vaines craintes en redoutant des périls qui devaient être imaginaires pour les trésors cachés là.
Cependant, ayant pénétré dans la seconde cave, ou plutôt dans la seconde partie de la cave, Juve contemplait, ébloui encore, les lingots d’or représentant la garantie des billets de banque en circulation.
– Quelle fortune, dit le policier, et le revolver à la main, il s’immobilisa cependant que M. Châtel-Gérard, blasé sur ce spectacle, se hâtait vers le fond de la pièce pour y prendre la liasse de billets dont il avait besoin.
– Monsieur Juve… commença le gouverneur…
Mais il n’acheva pas. À ce moment précis, et, sans que rien eût pu faire prévoir la chose, un incident se produisit.
D’abord, un vacarme épouvantable et soudain frappait les oreilles du policier. Cela venait du plafond.
Juve, Tissot, le baron de Roquevaire et M. Châtel-Gérard avaient levé les yeux au même moment.
– Alerte ! criait Juve.
– Attention ! hurlait M. Tissot.
M. Châtel-Gérard, affolé, criait de toutes ses forces :
– Au secours ! Au secours !
Et, en une seconde, cependant que le sol tremblait, il s’abattit une trombe véritable, une trombe de sable, de fer, de pierres, qui débouchait dans la cave, semblant provenir du plafond.
Quelque chose de noir s’agitait au milieu de cette avalanche. M. Tissot, M. Châtel-Gérard, M. Roquevaire étaient renversés sur le sol ; Juve poussait un grand cri de rage et de désespoir.
– Feu, feu ! c’est Fantômas !
Déjà la chose noire ou l’être animé, Fantômas, si c’était Fantômas, s’était relevé.
Le claquement des armes à feu résonna, lugubre, sous les voûtes. Juve, étourdi d’un formidable coup de poing, avait roulé sur le sol, ensanglanté, puis la fantastique apparition noire, bondissant vers la porte de la cloison, la franchissait, la fermait derrière elle, et c’était soudain l’obscurité complète dans la cave où se trouvaient le policier et ses compagnons, l’obscurité remplie du grondement sinistre de l’avalanche qui continuait.
Quelques minutes passèrent, puis le silence se refit.
Juve, le premier, se débattant comme un fou, réussit à s’arracher du lit de sable qui l’avait à demi enseveli.
– Allons, hurla-t-il, du courage, monsieur Châtel-Gérard !
– Oui, voilà. J’étouffe…
– Monsieur Tissot ?
– J’ai le bras cassé, je crois.
Le Baron de Roquevaire, lui, avait devancé l’appel du policier.
– Je n’ai rien, dit-il, mais nous sommes perdus.
À quoi Juve répondit en serrant les poings et d’une voix étrangement tremblante :
– Perdus, non, nous ne sommes pas perdus, mais nous sommes volés ! Ah pardieu, je comprends tout !
Et Juve, en effet, comprenait l’extraordinaire procédé auquel Fantômas venait d’avoir recours :
Le bandit avait découvert le moyen de pénétrer dans les caves de la Banque. Par le toit, il avait dû se glisser dans les énormes réserves de sable, dans les réservoirs remplis de terre qui, par l’ouverture d’une vanne, peuvent servir à combler les réserves. Il avait trouvé moyen de creuser ce sable, de se couler jusqu’à la vanne. Cette vanne, il l’avait ouverte, il s’était laissé tomber du haut du toit par cet étroit orifice jusqu’aux caves secrètes. La terre qui tombait avec lui avait suffi à amortir sa chute. À peine arrivé dans le souterrain, il s’était relevé. Il avait traversé la cave, franchi la cloison, enfermé le policier et les porte-clefs au fond du souterrain. Il était libre maintenant, libre de piller, de piller une fabuleuse fortune dans les réserves de la Banque.
– Fantômas ! rugit Juve, Fantômas nous a-t-il vaincus ? Non. Non. Pas encore !
Il fallait aviser, aviser promptement.
Aidé de M. de Roquevaire qui semblait moins affolé que les deux autres, et faisait preuve d’un bon courage, Juve dégageait M. Tissot et M. Châtel-Gérard.
Juve avait déjà retrouvé son parfait sang-froid, sa maîtrise coutumière de lui-même.
– Avisons, disait-il, avisons.
Et, éclatant de rire, il ajoutait :
– Mordieu, Fantômas est venu avec une facilité relative, mais je ne vois pas comment il sortira des caves. Léon et Michel font bonne garde.
Cette constatation rendit un peu d’énergie au malheureux M. Châtel-Gérard.
– Vous avez raison, monsieur, fit-il d’une voix qui haletait, mais je me demande si réellement on peut triompher de Fantômas.
– Il faudrait pouvoir prévenir mes agents, murmura Juve.
Et ce fut, soudain, comme un trait de lumière pour M. Tissot.
– Mais il y a le téléphone ici, cria-t-il. On peut téléphoner des caves au bureau du sous-directeur !
Juve tira de sa poche son inséparable petite lampe électrique à la faible lueur de laquelle les quatre hommes se regardaient l’un l’autre.
M. Châtel-Gérard était blême. M. Tissot tremblait violemment et d’ailleurs saignait du nez, ayant probablement été heurté par un lourd moellon. Le baron de Roquevaire apparaissait à peu près calme. Quant à Juve, s’il semblait fort en colère, il ne paraissait pas ému.
– Bon Dieu, ne perdons pas de temps ! hurla le policier. Si on peut téléphoner, téléphonons !
Peu après, M. Châtel-Gérard se penchait au-dessus d’un petit appareil téléphonique collé à la muraille, et un dialogue étrange s’engageait alors entre le gouverneur de la Banque et le sous-directeur.
– Allô c’est vous ?
– C’est moi, M. Châtel-Gérard. Vous me téléphonez des caves ?
– Mais oui.
– Qu’y a-t-il pour votre service ?
Le sous-directeur n’était nullement ému, un peu surpris cependant de cette communication téléphonique, car il ignorait complètement les incidents relatifs aux clefs et les inquiétudes des hauts dirigeants de la Banque.
– Il y a pour mon service, répondait M. Châtel-Gérard en hésitant et en interrogeant Juve du regard, il y a pour mon service que, que…
– Passez-moi l’appareil ! dit Juve.
Le policier se saisissait, en effet, du transmetteur et tout d’abord se présentait.
– Monsieur, dit-il, c’est l’inspecteur Juve qui vous téléphone.
– L’inspecteur Juve ?
Le nom du policier plongea bien entendu le malheureux sous-directeur dans des abîmes d’ahurissement.
– Juve ? C’est vraiment Juve qui me parle ? Juve ? Le grand policier ? Vous êtes donc avec M. Châtel-Gérard ?
– Oui, répondait Juve avec une grande impatience, et je vous prie de m’écouter. C’est très grave.
– Mais quoi, mon Dieu ? parlez !
– Voici.
En dix phrases courtes et nettes, Juve avait résumé les aventures qui venaient de se dérouler. Il avait expliqué le vol des clefs et aussi qu’il était dans la cave secrète avec M. Châtel-Gérard, M. Tissot et le baron de Roquevaire. Qu’en ce moment même, Fantômas était en train de piller les réserves de la Banque.
– Monsieur, conclut Juve, vous allez immédiatement avertir les deux agents Léon et Michel que j’ai postés à l’entrée des caves secrètes. Vous leur direz de fouiller la réserve, puis de rester immobiles devant la porte du puits. Cela fait, vous enverrez chercher les serruriers. Il est probable que Fantômas est en ce moment caché dans la première cave, peut-être, au contraire, est-il dissimulé dans l’escalier du puits. Enfin, peu importe. Vous descendrez avec les agents jusqu’à nous. Comme Fantômas n’a pas pu sortir par la porte du hall, comme il ne peut pas repartir par où il est venu, il faudra bien qu’on le prenne.
Juve, dès lors, ces ordres donnés, raccrocha. Du temps passait, et il n’y avait plus aucun bruit, aucun indice de la présence de Fantômas dans la cave comble de pièces d’or. En vain, Juve collait son oreille à la porte que le bandit avait fermée, il ne percevait aucun indice de ce que pouvait faire le maître de l’effroi.
Et puis, soudain, le téléphone sonna :
– Allô ! hurla Juve, bondissant à l’appareil.
C’était le sous-directeur.
– Monsieur Juve !
– Oui, c’est moi.
– Vos ordres sont exécutés, monsieur. Vos agents ont fouillé la serre, ils sont maintenant à la porte du puits, personne n’est sorti.
– Parfait ! Dans ce cas, nous tenons Fantômas.
– Il faut l’espérer, monsieur Juve, mais un mot encore : doit-on fermer la Banque ?
– Jamais de la vie, répondait Juve. Inutile de provoquer un scandale. Les agents sont-ils prévenus ?
– Oui, monsieur. J’ai fait téléphoner à la Sûreté. M. Havard arrive en personne.
– Très bien, merci.
Juve transmit à ses co-prisonniers les nouvelles qu’il venait de recevoir. Il ajouta :
– J’espère que nous aurons du nouveau dans une heure.
Et, disant cela, Juve souriait, car il se rendait bien compte que, cette fois, il y avait beaucoup de chances pour que Fantômas fût pris, pris comme au piège dans les sous-sols de la banque.
Une heure après, cependant, le téléphone sonnait encore.
– Allô. Quoi de nouveau ? demandait Juve.
– Prenez patience, répondait la voix du sous-directeur. Les agents et les serruriers viennent d’arriver, ils sont descendus dans le puits, mais ils viennent de trouver la première porte de la dixième marche, fermée.
– Comment cela se fait-il ? interrogea Juve.
– Nous n’en savons rien.
À ce moment, Juve s’accouda si nerveusement sur le pupitre de l’appareil téléphonique qu’il arriva un nouveau malheur : le policier arrachait l’appareil.
– Malédiction, jura-t-il.
Les fils étaient brisés, il était dès lors impossible d’être tenu au courant des efforts des sauveteurs.
Et désormais, le temps parut effroyablement long. Il était environ onze heures du soir lorsque Juve et ses trois compagnons, qui étaient descendus dans les caves à dix heures du matin, entendirent des bruits de pas de l’autre côté de la cloison qui fermait leur prison.
– Monsieur le gouverneur.
– Monsieur Tissot.
– Monsieur Juve.
– Monsieur de Roquevaire.
Des voix les hélaient.
– Voilà, voilà ! répondait Juve. Nous sommes tous là.
Et faisant taire d’un geste ses compagnons, le Roi des Policiers questionna :
– Fantômas ? Avez-vous pris Fantômas ?
Michel répondit :
– Chef, nous n’avons vu personne. Toutes les portes étaient fermées. Nous avons fouillé partout, sondé les murs, sondé l’escalier même : Fantômas s’est évanoui, Fantômas n’est plus là.
***
Deux heures plus tard Juve se retrouvait en compagnie de M. Havard dans le cabinet du gouverneur de la Banque, lequel paraissait au comble de la désolation.
– Enfin, monsieur Juve, gémissait le malheureux Châtel-Gérard, enfin c’est de la sorcellerie. Comment Fantômas a-t-il pu s’enfuir ? Comment a-t-il pu disparaître, puisque vos agents étaient à la porte des caves et que Fantômas était entre eux et nous ?
Juve lentement hochait la tête, préoccupé.
– Hélas, avouait le policier, je ne le comprends que trop.
Et comme M. Havard, qui réfléchissait, bondissait littéralement à cette déclaration, Juve avouait :
– C’est de ma faute, c’est moi qui lui ai laissé la possibilité de s’enfuir.
Et après un silence, d’une voix qui tremblait, Juve continuait :
– Oui, c’est moi qui ai donné un ordre stupide. Pour laisser continuer les opérations de la Banque et éviter le scandale, alors que nous étions prisonniers dans la cave, j’ai donné l’ordre à Léon et à Michel de quitter la porte de la cave ordinaire pour venir se poster devant la porte des caves secrètes. C’était fou. Fantômas n’était déjà plus dans les caves secrètes.
– Mais, où était-il donc ?
– Il était dans l’un des colis de la serre, reprenait Juve, c’est trop évident.
Et s’animant, Juve expliquait toujours :
– Parbleu, c’est enfantin ! Après nous avoir enfermés dans la seconde partie du souterrain, Fantômas s’est précipité dans la cave bourrée de billets de banque ; il a dû y voler une ou plusieurs liasses, cela, nous allons le savoir puisqu’en ce moment le caissier principal, le baron de Roquevaire, procède à des vérifications. Son vol commis, Fantômas a franchi rapidement l’escalier, claquant derrière lui les portes pour compliquer notre sauvetage. Il est arrivé dans la serre, il s’est glissé dans l’une des grandes boîtes confiées à la Banque, par lui je suppose, il y a quelques jours.
Léon et Michel, en fouillant la serre, ne l’ont pas trouvé et personne, bien entendu, n’a pensé à visiter aucun des colis mis en dépôt. Un complice assurément est venu tranquillement cet après-midi chercher ce colis mis très régulièrement en garde et délivré sans difficulté sur présentation du récépissé d’usage.
L’explication de Juve était si simple, si lumineuse, qu’elle fit stupeur.
– Vous devez avoir raison, commençait M. Châtel-Gérard.
Mais à ce moment on frappait à la porte du cabinet du gouverneur.
– Entrez !
C’était M. de Roquevaire.
– Monsieur le gouverneur, annonçait le caissier principal, je viens de terminer l’inventaire. Un portefeuille de billets de banque a été volé, c’est le portefeuille numéro 27, il contenant près de quinze cents billets de mille francs.
– Hélas ! gémit M. Châtel-Gérard.
– Mais ces quinze cents billets, continuait le caissier principal n’étaient pas complètement achevés. Il y manque un détail de fabrication finale.
– De sorte qu’ils n’ont pas de valeur, interrompit Juve précipitamment.
– Au sens propre du mot, vous avez raison, ce ne sont point de bons billets. Mais ils sont cependant très facilement écoulables.
Entendant cela, Juve s’était repris à sourire.
– Oh, déclara le policier, si Fantômas a volé des billets si faciles à reconnaître, des billets faux en somme, l’affaire n’est pas terminée. Sur mon âme, il faudra bien que nous retrouvions et le voleur et les billets volés !
Juve était déjà debout, il n’était plus désespéré, il n’était plus même accablé. Il avait d’abord, en reprenant les clefs, gagné une partie. Fantômas avait eu la revanche. Juve songeait à la belle.
10 – L’ENQUÊTE
– Eh bien, monsieur Havard ?
– Eh bien, Juve, je ne suis pas mécontent de ma journée, et j’estime que l’enquête, depuis quarante-huit heures, a fait des progrès immenses. Ou je me trompe fort, ou ce soir, nous serons lancés sur une piste, voire même sur plusieurs qui seront des plus sérieuses. Voulez-vous une cigarette ?
Le chef de la Sûreté tendait son étui à Juve, qui, machinalement y puisait, puis, les deux hommes se mirent à fumer.
La formidable affaire de la Banque de France n’avait pas été ébruitée. Certes, parmi le personnel du grand établissement de Crédit, on avait chuchoté ; plusieurs avaient exprimé cet avis : « Qu’il se passait des choses bizarres » et les allées et venues des agents en bourgeois ne s’étaient pas produites sans déterminer quelque émotion.
Toutefois, on y était habitué, et l’on se demandait si ces incursions policières n’avaient pas pour but de pincer quelque employé indélicat, ou de surveiller quelque transaction douteuse. Nul cependant, sauf les initiés, qui gardaient le silence absolu, ne se doutait de ce qui s’était produit. À la Préfecture, on se montrait également mystérieux et M. Havard, qui avait pris l’affaire en main, s’il avait donné des ordres précis à ses inspecteurs, s’était prudemment gardé de leur faire connaître les véritables motifs des recherches à faire.
Juve, fumant silencieusement, attendait que M. Havard se décidât à fournir les explications complémentaires que laissait prévoir son préambule.
Le chef de la Sûreté, d’ailleurs, semblait fort joyeux ce matin-là, très disposé à parler. Ayant donné quelques signatures, puis, consigné la porte de son cabinet, M. Havard s’en vint s’asseoir en face de Juve. Il se frotta les mains, commença :