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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Voilà ta route ! Va tout droit jusqu'à ce que tu trouves le grand fleuve.

Elle leva vers lui son regard chargé de reconnaissance.

– Comment vous remercier, toi et ta sœur ?

– En ne nous oubliant pas tout à fait ! fit-il en haussant ses lourdes épaules. Nous, nous prierons pour toi...

Comme s'il avait hâte de la quitter tout à coup, il se détournait pour reprendre son chemin à travers champs, mais, soudain, se ravisa, revint à elle.

Et puis..., fit-il d'une voix sourde, au cas... sait– on jamais ? où tu ne retrouverais pas celui que tu aimes, je voulais te dire que tu pourrais revenir chez nous. On sera toujours heureux, Magdeleine et moi... moi surtout, tu sais, de t'avoir à la maison...

Avant que Catherine eût réalisé le sens de cette si simple déclaration, Pierre avait tourné les talons et courait déjà à travers champs, comme on se sauve. Elle resta là un moment, regardant la silhouette massive se dissoudre peu à peu dans les grisailles du petit jour. Des larmes roulaient sur ses joues sans qu'elle songeât à les essuyer. Elle était sensible à cet amour fruste et pudique qui, né si soudainement, avait à peine osé se montrer. C'était comme une petite flamme amicale qu'elle allait emporter avec elle au long de sa route. Autour d'elle, le jour, en grandissant, sortait les choses de leur aspect indistinct, les ciselait de plus en plus vigoureusement. Elle pouvait voir, derrière elle, fumer les toits de Toucy, distinguer la bannière bleue sur le donjon du château. Les cloches s'éveillaient pour l'Angélus, répandant leurs notes frêles sur la terre grasse et déjà verdoyante de la campagne. Une alouette chanta, quelque part, et Catherine éprouva une joie profonde, simple et primitive comme la nature immense et vide qui l'entourait. Devant elle, la vieille route romaine s'enfonçait entre deux vallonnements. Murmurant une fervente action de grâce à la Sainte Mère de Dieu qui lui avait donné ce moment de réconfort, Catherine appuyée sur son bâton de pèlerin se mit en route.

Au coucher du soleil, le lendemain, Catherine, assise dans les roseaux, regardait couler à ses pieds l'eau grise de la Loire. Elle avait marché, marché, soutenue par une volonté qui la dépassait elle-même, sans tenir compte de sa lassitude, de ses pieds dou loureux, à travers collines, plaines et forêts éclair– cies d'étangs, tendue vers ce fleuve qui était la meilleure route pour atteindre la ville assiégée. À la nuit close, une hutte de bûcheron abandonnée lui avait offert un abri précaire où elle avait cependant dormi, écrasée de fatigue, après avoir mangé une partie de son pain et de son fromage. Au jour levé, elle était repartie, malgré les courbatures qui la torturaient. Chacun de ses muscles, chacun de ses os faisaient l'office d'un minuscule instrument de supplice. Ses pieds brûlaient tellement qu'elle avait dû les rafraîchir mainte et mainte fois dans l'eau des étangs. Des ampoules s'étaient formées, qui avaient crevé. Elle avait dû empaqueter ses pieds dans des bandes tirées de sa chemise. Et elle avait continué, toujours, toujours...

suivant cette antique voie romaine qui semblait ne vouloir aboutir nulle part.

Les paysans qu'elle rencontrait parfois lui adressaient une salutation, touchaient parfois son bâton de pèlerine, se signaient et lui demandaient de prier pour eux. Mais aucun ne l'arrêtait ni ne lui offrait l'asile de sa maison.

Sa jeunesse et sa beauté prévenaient contre elle. Les bonnes gens pensaient avoir affaire à quelque grande pécheresse qui s'en allait au tombeau de saint Benoît pour le pardon de ses fautes. Cent fois, elle avait cru tomber au bord de l'interminable route, cent fois elle avait obligé ses pieds à avancer.

Parfois, auprès d'un calvaire ou d'une petite Vierge des quatre chemins, elle faisait une courte halte, priait un instant pour implorer la force de continuer puis reprenait son bâton et sa route.

La vue du grand fleuve indomptable lui avait arraché un cri de joie. Malgré son épuisement, elle avait couru à lui comme à un ami retrouvé, s'était penchée sur son eau rapide pour y boire, y baigner ses mains et ses pieds.

Puis elle s'était assise auprès de lui, pour regarder couler ses flots qui, bientôt, pas seraient sous les murs d'Orléans et qui, peut-être, l'y porteraient demain. Devant elle, la vieille cité de Gien étageait sur le coteau ses hautes maisons de bois et ses toits bruns. Un vieux castel croulant, débonnaire à force de vieillesse, faisait de son mieux pour dominer l'antique ville des ducs d'Orléans. Mais Catherine ne regardait pas le château. Sur la rivière, aux pieds des murs, visibles sous les arches du pont encore inachevé qui rejoignait l'autre rive, des bateaux plats, chalands et barques, attendaient au repos, tirés sagement sur les grèves.

Le soleil, boule rouge, ensanglantait les eaux de la Loire, derrière les flèches grises de la cité, prêt à plonger. La corne d'un guetteur, au-dessus de la porte fortifiée, appela les attardés pour les ramener dans les murs. La ville allait se refermer pour la nuit... Catherine se hâta de se rechausser puis, boitillant, rejoignit les gens qui se dirigeaient vers le pont-levis. Le soleil s'était noyé et la nuit montait vite. Handicapée par ses pieds blessés, Catherine franchit la haute ogive de pierre parmi les derniers mais s'arrêta pour demander à un soldat de garde où se trouvaient les halles. Elle savait que, dans la plupart des villes, surtout celles qui jalonnent les routes des grands pèlerinages, on aménage un coin de la halle en un réduit où les pèlerins peuvent s'abriter pour la nuit. L'espace délimité entre quelques piliers est clos par un hourdage de bois qui garantit du vent et de l'humidité.

– Va tout droit, puis à main droite ! fit l'homme. Tu vas à Fleury1, femme ?

– J'y vais !

– Dieu te garde, et aussi Monseigneur Saint Benoît !

1. L'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire a longtemps porté le nom d'abbaye de Fleury.

Elle remercia d'un signe de tête, s'engagea dans une rue si étroite que les encorbellements des maisons leur donnaient l'air de s'appuyer l'une à l'autre.

Tout en marchant, elle finit ce qui lui restait du pain de Magdeleine, trouva la halle sans peine. Ce n'était qu'une haute toiture de lauzes sur d'énormes piliers de bois. Mais le réduit aux pèlerins était bien là. En poussant la porte de planches, la jeune femme vit que la paille y était fraîche et qu'il n'y avait qu'un seul pèlerin, un vieillard déjà endormi. Il avait ce visage pétrifié que donne la grande fatigue, ouvrit un œil quand elle entra, marmotta quelque chose puis, refermant son œil, se remit à ronfler. Heureuse de n'être point obligée de parler, Catherine s'installa dans un coin, ramena un peu de paille sur elle et s'étendit, un bras sous la tête.

Elle eut l'impression qu'elle venait juste de s'endormir quand elle sentit qu'on la secouait. Le vieux pèlerin barbu était penché sur elle.

– Hé..., disait-il, hé ! Si tu vas à la grande abbaye, il est temps de te lever !

Elle ouvrit les yeux, vit qu'un peu de jour apparaissait au-dessus du hourdage et se hâta de se lever.

– La nuit a été brève, dit-elle avec un sourire d'excuse.

– Elle est toujours brève quand on est bien las ! Viens, il est temps de se mettre en chemin.

Catherine secoua la tête. Sa qualité de pèlerine l'obligeait, normalement, à faire à pied tout le chemin. Mais elle était trop fatiguée pour continuer ainsi.

Elle comptait bien employer l'une des trois pièces d'argent de Sara à trouver un bateau.

– Je ne partirai sans doute pas aujourd'hui, mentit-elle. J'ai à faire dans cette ville.

Les errants de Dieu n'ont rien à faire dans aucune ville hormis le but de leur pèlerinage ! Si tu veux être exaucée, il te faut songer seulement au lieu où tu vas ! reprocha le vieillard, scandalisé. Mais chacun fait comme bon lui semble. La paix soit avec toi !

– Et avec toi aussi !

Le pèlerin sortit. Catherine attendit quelques instants, au seuil du réduit, puis l'ayant vu se diriger vers l'autre extrémité de la ville, elle se disposa à partir et, tout d'abord, abandonna son bâton de pèlerin qui ne lui servirait plus guère puisque, comme l'avait dit le vieillard, un voyageur de la Foi n'avait pas droit aux moyens de locomotion. Mais elle s'enveloppa soigneusement dans son grand manteau parce qu'une pluie fine couvrait la ville. Puis elle descendit vers les grèves.

Il ne lui fut pas trop difficile de trouver une barque. Un homme, fluet et taciturne, assis sur des filets de pêche pliés, se trouvait là. Indifférent à la pluie, il mangeait un oignon en regardant couler le fleuve. Quand Catherine lui demanda s'il connaîtrait un batelier pour descendre au moins jusqu'à Châteauneuf, il leva de lourdes paupières grisâtres et fripées.

– T'as de l'argent ?

Elle fit signe que oui, mais l'homme ne bougea pas.

– Fais voir ! Tu comprends, c'est trop facile de dire qu'on en a ! L'argent, au temps où nous vivons, on en voit de moins en moins. Les terres sont ravagées, le commerce est mort et le roi lui-même gueux comme Job sur son fumier. Alors, maintenant, on paye d'avance.

Pour toute réponse, Catherine sortit une pièce d'argent et la mit dans la main crasseuse de l'homme. Celui-ci la fit sauter, la regarda de près, mordit dedans. Sa figure morose s'éclaira.

– Ça va, fit-il. Mais, pas plus loin que Châteauneuf ! Après on risque de tomber sur ces Godons maudits qui assiègent Orléans et je tiens à ma peau.

Tout en parlant, il faisait glisser au fleuve une barque plate et aidait Catherine à s'y installer. La jeune femme prit place à l'avant, face tournée vers l'aval du fleuve. L'homme sauta à son tour, d'un bond souple qui fit à peine tanguer l'esquif, saisit la longue gaffe qu'il planta dans l'eau et donna une vigoureuse poussée. Le courant était rapide, la barque se mit à glisser presque sans aide. Assise à la pointe, Catherine regarda défiler la ville puis les berges plates, chevelues de roseaux qui portaient encore les rouilles de l'hiver. Elle ne se souciait pas de la pluie qui mouillait son visage et dont l'épais manteau de bure la protégeait bien. Des réminiscences du passé montaient en elle, lui rendant, avec une étrange précision, les images d'autrefois. Elle se revoyait, fuyant Paris insurgé, avec Barnabé, sa mère, sa sœur et Sara... Comme elle avait aimé ce premier voyage que le vieux Coquillart avait rendu si attrayant ! Elle croyait encore entendre sa voix profonde et lente récitant doucement les vers du poète : C'est la cité sur toutes couronnée Fontaine et puits de science et de clergie Sur le fleuve de Seine située...

Mais Barnabé était mort, Paris était loin et la cité vers laquelle Catherine voguait était une ville aux abois, affamée et désespérée dont elle ne pouvait guère attendre que la mort, ou pire même : la plus affreuse désillusion. Pour la première fois, elle se demanda ce que serait l'accueil d'Arnaud et si même il la reconnaîtrait ! Tant de jours s'étaient écoulés depuis leur rencontre sous les murs d'Arras !

Catherine s'efforça, alors, de chasser les pensées morbides, nées sans doute de sa trop grande fatigue et de la tension nerveuse qu'elle s'était imposée.

Elle voulait, intensément, goûter cet instant de paix, la descente de ce beau fleuve aux herbes grises, aux sables jaunes... Vers la fin de l'après-midi, apparurent les tours blanches et les poivrières bleues d'un grand château dont les pieds baignaient dans l'eau de larges douves dépendant du fleuve.

Catherine demanda ce qu'était ce beau domaine.

– Sully ! répondit le batelier. Il appartient au sire de La Trémoille, le favori de Charles VII...

Et, pour bien montrer l'estime que lui inspirait le maître du château, l'homme cracha dans l'eau d'un air dégoûté. Catherine ne répondit pas. Elle avait déjà eu l'occasion de rencontrer Georges de La Trémoille, ce Bourguignon transfuge qui était devenu le plus cher conseiller et le mauvais génie du roi de Bourges. Il lui inspirait quelque chose d'assez analogue au dégoût manifesté par son guide, mais elle n'en dit rien. D'ailleurs la barque obliquait vers la rive pour accoster.

– Nous nous arrêtons ? fit-elle, surprise, en se détournant à demi.

– J'ai à faire à Sully, répondit l'homme. Descends...

Elle se leva pour monter sur le plat bord. A cet instant précis, elle reçut un coup violent sur la tête et s'effondra la tête la première, sans connaissance...

Lorsque Catherine reprit conscience, le jour en était à ses derniers feux.

L'ombre montait de l'est tandis que, vers l'occident, il ne restait qu'une faible lueur pâle sur laquelle, de l'autre côté de la Loire, se détachaient les tours pointues de Sully. Elle se redressa sur un bras, vit qu'elle était étendue dans l'herbe, sur la berge et qu'elle était absolument seule. Il n'y avait plus de bateau en vue, plus de batelier, rien qu'un vol de courlis qui partit en flèche à quelques toises d'elle. Il lui fallut quelques instants pour réaliser parce que sa tête lui faisait affreusement mal. En y portant la main, elle toucha une grosse bosse très sensible. Le batelier l'avait assommée, sans doute pour la voler. Et, de fait, le peu qu'elle possédait encore avait disparu : les deux dernières pièces d'argent, la dague et enfin le grand manteau qui l'avait si bien protégée des nuits froides et de la pluie. Un profond découragement l'abattit un moment. C'était à croire que tout se liguait pour l'empêcher de rejoindre Arnaud. Les obstacles s'accumulaient sur sa route comme pour lui interdire le passage. Mais ce ne fut qu'une brève défaillance. Aristocrate d'occasion et d'éducation, Catherine avait l'indomptable vitalité d'une gamine de Paris habituée à se colleter, front contre front, avec les pires difficultés. Elle fit un effort pour se lever ; s'accrocha aux branches basses d'un saule pour garder son équilibre. Quand la terre s'arrêta de tourner autour d'elle, elle prit une profonde respiration, remonta sur son cou le bord de son surcot de laine troué et quitta la berge pour rejoindre le chemin qui suivait le fleuve. Elle savait qu'il n'y avait plus qu'à se laisser guider par le cours et aussi, que la grande abbaye de Saint-Benoît n'était plus qu'à deux lieues. Là, on lui donnerait asile et réconfort. Sa journée en bateau et la bonne nuit précédente lui avaient rendu des forces et, n'eût été la douleur de sa tête, elle se fût trouvée presque bien. Elle hâta si bien le pas qu'une heure plus tard, elle voyait se dresser devant elle les vastes bâtiments du monastère et leur majestueuse entrée : une énorme tour– porche romane, carrée, puissante et belle comme une forteresse, grave et jaillissante comme une prière. Un peu de lumière brillait entre les massifs piliers, faisant vivre les personnages et les fleurs des admirables chapiteaux. Catherine vit que nombre de pèlerins dormaient là, les uns à côté des autres, tassés pour mieux se tenir chaud. La voyant apparaître, une vieille femme lui fit signe de s'approcher et se poussa-pour lui faire place :

– La maison-Dieu est pleine à craquer, lui confia-t-elle, tant nous sommes nombreux à venir implorer Monseigneur Saint Benoît pour la délivrance de la bonne ville d'Orléans ! Mais ici, on n'a point trop froid !

Viens près de moi, on se tiendra chaud...

Catherine obéit, plia les genoux et se laissa tomber auprès de la vieille qui partagea généreusement avec elle son manteau rapiécé.

– Tu viens de loin ? demanda-t-elle curieuse.

– Des marches de Bourgogne, répondit Catherine qui n'osait pas se déclarer bourguignonne.

– Tu es jeunette pour les grandes routes ! Et tu viens prier toi aussi au tombeau du grand Saint ?

– Je vais à Orléans ! fit Catherine durement, espérant ainsi que la vieille, vexée, la laisserait tranquille. Mais, tout au contraire, elle vit tout à coup les yeux pâles de la vieille briller comme des étoiles. Elle se pencha vers elle et murmura :

– Ah... tu n'es pas la seule ! Toi aussi tu veux assister au miracle ?

– Le miracle ?

– Allons ! fit la vieille avec un clignement d'yeux entendu et un léger coup de coude, ne fais pas celle qui ne comprend pas ! Toutes les petites gens du val de Loire savent qu'Orléans sera délivré par une envoyée de Dieu, une pucelle venue de Lorraine, jusqu'à Chinon où est notre gentil sire.

Elle lui a dit qu'avec l'aide du Seigneur elle bouterait l'Anglais hors de France et elle lèverait le siège d'Orléans.

– C'est un conte pour les petits enfants ! fit Catherine avec un sourire indulgent.

Du coup la vieille devint rouge jusqu'à son bonnet.

Un conte ? Aussi vrai que je m'appelle Bertille la dentellière, c'est la vraie vérité du Bon Dieu. Il y en a ici même qui l'ont vue, Jehanne la pucelle, quand elle s'en est venue à Chinon avec six hommes d'armes. Elle portait habit de garçon mais elle est toute jeunette, et belle comme un ange du Seigneur et, dans ses yeux, il y a tout le ciel avec toute sa lumière. La preuve même que, dans Orléans, les capitaines l'espèrent déjà et que Monseigneur le Bâtard a dit à ses bonnes gens qu'il leur fallait avoir bon courage, que Dieu leur enverrait des vivres et du secours... Paraît que le roi l'a envoyée à Poitiers, la Pucelle, pour que les évêques et les clercs du royaume la voient et lui rendent justice. Mais bientôt elle entrera dans Orléans... Je sais bien, moi, que si je n'étais pas si vieille, j'irais tout droit dans la ville investie pour la voir. Seulement mes pauvres jambes ne me porteraient même pas jusque-là et je mourrais en route. Alors, j'aime mieux rester ici, à prier pour ses armes, à l'ange du royaume !...

C'est ainsi que Catherine entendit pour la première fois parler de Jehanne d'Arc. Elle n'en éprouva aucun émerveillement, encore que cette pensée la tînt éveillée une grande partie de la nuit. De l'irritation, bien plutôt, et un flot amer de jalousie pour cette fille «jeune et belle » que « les capitaines espèrent déjà », les capitaines dont Arnaud faisait partie. Est-ce que cette Lorraine qui allait lui apparaître avec l'auréole d'une envoyée de Dieu jointe à celle de sa beauté, dans toute la gloire des armes pour lesquelles il vivait exclusivement, n'attirerait pas à elle le regard et le cœur d'Arnaud de Montsalvy ? Il fallait qu'elle– même se hâtât, il fallait qu'elle arrivât avant cette femme dangereuse et, tout au fond de son cœur angoissé, Catherine se mit à détester la Guerrière.

Le lendemain matin, elle accepta le pain que les moines noirs distribuaient aux pèlerins puis, tandis que les autres s'engouffraient dans la grande église, elle s'esquiva et gagna la route sans être vue. La vieille Bertille lui avait dit qu'il y avait encore tout près de neuf lieues jusqu'à la capitale du duché d'Orléans, neuf lieues... une éternité !

Alors commença pour Catherine la partie la plus cruelle de sa voie douloureuse parce que, maintenant, l'angoisse et le doute habitaient son cœur dans le temps même où son corps arrivait peu à peu aux limites de l'épuisement. Pendant la marche du matin, tout alla à peu près bien. Mais, passé Châteauneuf, les blessures de ses pieds s'étaient rouvertes et tous ses muscles avaient recommencé à lui faire mal. La fièvre, peu à peu, se glissait dans son sang. Se penchant sur une fontaine pour y boire, elle vit avec épouvante son visage amaigri, ses traits tirés, sa peau grise de poussière. Elle avait l'air d'une mendiante et pensa que jamais Arnaud ne la reconnaîtrait. Il rirait d'elle, bien plutôt ! Le lieu était désert, la fontaine abritée, en contrebas du chemin, par un bouquet d'aulnes. Le temps gris était assez doux.

Vivement Catherine ôta ses guenilles et se plongea dans la fontaine. Le froid de l'eau la fit claquer des dents mais, peu à peu, elle en ressentit du bien-être.

La brûlure de ses pieds s'estompait. La voyageuse se frotta de son mieux, regrettant les doux savons que Sara savait si bien préparer, puis lava ses cheveux qu'elle tordit ensuite sur sa tête. En sortant de l'eau, celle-ci lui renvoya le reflet de son corps et elle y puisa un peu de réconfort. Grâce au ciel, malgré l'écrasante fatigue, il n'avait rien perdu de sa splendeur ni de sa grâce nerveuse. Un peu remontée, elle se sécha comme elle put, remit ses hardes et reprit sa route. Le chemin s'infiltrait entre la Loire et une épaisse forêt, mais, à mesure qu'elle avançait, il devenait plus désert. De larges étendues de forêts avaient brûlé. De loin en loin, on pouvait voir les vestiges d'un village, un tronc d'arbre noirci, voire des cadavres abandonnés. La guerre était présente partout et montrait de plus en plus sa face grimaçante.

Mais, possédée par son désir d'arriver coûte que coûte, Catherine n'y prenait pas garde. Elle usait ses yeux à tenter de découvrir, au loin, les murs de ce qui était devenu pour elle la Terre Promise. Au coucher du soleil, elle avait parcouru six grandes lieues... et la forme confuse d'une grosse ville se montrait au loin, grise et indistincte. Elle devina qu'enfin c'était là Orléans et son émotion fut si forte qu'elle se laissa tomber à genoux dans l'herbe courte, éclata en sanglots puis balbutia une courte prière. La nuit lui déroba bientôt la cité. Alors elle s'étendit là où elle était, comme une bête épuisée, sans même chercher un abri couvert. Qui donc, dans ce désert, prendrait souci d'une mendiante endormie ? Elle n'avait plus rien que l'on pût voler, elle était plus pauvre que les plus pauvres, en guenilles, affamée, presque nue et les pieds en sang... Elle dormit d'un sommeil de brute, se releva au premier rayon du soleil aussi simplement que si elle venait juste de tomber et reprit sa marche en avant. Un pas... un autre pas et encore un autre. Là-bas, la ville semblait grandir, lui faire signe... Ses yeux fiévreux ne voyaient plus qu'elle, ignorant les fumées d'incendie que l'on voyait à certains points de l'horizon.

Si elle n'eût été si lasse, elle eût tendu les mains pour tenter de saisir le mirage qui devenait vivant. Peu à peu, elle distingua les îles plates sous leurs chevelures d'herbes, le grand pont, coupé en deux endroits, avec les forteresses qui le gardaient de part et d'autres. Elle vit la flèche aérienne des églises, les grandes dégoulinures noires laissées par l'huile et la poix bouillantes sur les murs, les bombardes qui les couronnaient. Elle vit le grand désert des faubourgs rasés par les Orléanais eux-mêmes, les tragiques pans de murs qui avaient été de belles demeures et même de grandes églises, déserts de l'héroïsme ponctués, comme d'autant de bêtes à l'affût, par les bastilles de bois et de terre élevées par l'assaillant. Elle vit enfin le rouge étendard anglais et ses léopards d'or planté sur ces bastilles et narguant les douces fleurs de lis qui couronnaient d'azur et d'or la plus haute tour du château...

Immobile, les yeux brouillés de larmes, Catherine oublia ses douleurs, la faim qui tordait ses entrailles pour ne plus songer qu'à une seule chose : là, derrière ces murailles, Arnaud vivait, respirait, se battait et souffrait sans doute puisque la ville, à ce que l'on disait, n'avait plus de pain...

Elle approcha, dès lors, lentement, avançant prudemment parmi les décombres qu'elle utilisait pour se cacher. Une énorme bastille anglaise, qu'elle apprit plus tard être celle de Saint-Loup, s'élevait entre elle et la ville.

Il fallait passer sans être vue, atteindre la porte de Bourgogne, la seule qui fût encore accessible parce que les Anglais de Suffolk et de Talbot n'avaient pas assez d'hommes pour encercler la ville martyre. Les sons lointains d'une trompette parvinrent à Catherine, bientôt suivis d'un abondant tir d'artillerie.

Les bombardes crachaient, des deux côtés du pont, quelques boulets de pierre avant que la nuit ne fût close. Des couleuvrines leur répondirent puis il y eut des voix d'hommes qui hurlaient. Une tentative devait être faite sur la ville car la jeune femme pouvait voir des soldats s'agiter sur le rempart... A force de précautions, elle avait dépassé sans être vue la bastille Saint-Loup, approchait de la porte quand, derrière un pan de mur, elle vit une tête affleurer un escalier qui s'enfonçait dans la terre. Deux mains la saisirent prestement et elle se retrouva bientôt au bas des marches dans ce qui semblait être une crypte à peine éclairée par une chandelle de suif. Avant qu'elle ait pu protester, une voix goguenarde déclarait :

– Et alors, frangine ? Qu'est-ce que tu crois ? Qu'on peut entrer comme ça dans Orléans quand il fait encore jour ? Faut attendre la nuit, ma belle !

Regardant autour d'elle, Catherine vit qu'une vingtaine d'hommes et de femmes à peu près aussi mal en point qu'elle-même étaient assis à terre, au pied des deux colonnes supportant la voûte d'arêtes, dans une attitude accablée. La voûte de cette crypte était très haute et se perdait dans l'ombre.

La chandelle fumeuse éclairait seulement, sur un chapiteau de pierre, la silhouette charmante d'un jeune garçon appuyé sur un grand cerf...

– Qui sont ces gens ? demanda Catherine. Où sommes-nous ?

Le garçon qui l'avait descendue de force eut une grimace qui pouvait passer pour un sourire. Il était sale et une abondante barbe noire mangeait son visage, mais son regard était jeune, son corps vigoureux quoique maigre.

Il haussa les épaules.

– Ceux de Montaran ! Les Godons ont brûlé notre village hier... On attend pour entrer, nous aussi. Quant à cet endroit, c'est la crypte de l'église Saint– Aignan que les gens d'Orléans ont rasée avec tout le reste du faubourg

; tu n'as qu'une chose à faire : t'asseoir avec nous et attendre.

Il ne lui demandait rien de plus, retournait à son poste d'observation en haut de l'escalier plus qu'à demi écroulé. En regardant mieux ses voisins, elle vit des faces douloureuses, des traces de larmes récentes et quelques maigres ballots de hardes. Tous tenaient les yeux baissés comme s'ils avaient honte de leur misère. Elle n'osa pas leur parler, s'assit un peu à l'écart et attendit. Il faisait froid dans cette cave et un frisson courut le long de son échine. Elle avait sommeil mais résista à l'envie de dormir, craignant que les autres ne l'oubliassent, tout à l'heure, quand ils s'avanceraient vers la ville. L'attente, d'ailleurs, ne fut pas longue. Une heure peut-être... Au bout de ce laps de temps, le garçon reparut sur les dernières marches, eut un grand geste d'appel.

– Amenez-vous, c'est le moment !

Les réfugiés se levèrent sans un mot, passifs comme un troupeau habitué à suivre le plus fort. L'un derrière l'autre, ils sortirent de la crypte suivant leur guide, se coulèrent à nouveau dans les décombres, courbés en deux pour ne pas être vus. La nuit n'était pas très sombre et des étoiles brillaient, d'un éclat froid, haut dans le ciel. Catherine aperçut la porte entre ses deux tours... La distance fut vite parcourue. Bientôt, on fut sur un petit pont-levis qui commandait la poterne accolée à la grande porte. Le grand pont était relevé... En franchissant le rempart au moyen de l'étroit couloir, Catherine crut défaillir de joie. Enfin, elle y était ! L'invraisemblable odyssée était terminée. Elle entrait dans Orléans...

La porte de Bourgogne ouvrait sur une rue étroite que bordaient, d'un côté, les bâtiments d'un couvent et de l'autre une file de maisons aux volets clos. Quelques soldats en armes se tenaient là, poudreux et noirs encore du récent combat. Les torches que portaient certains d'entre eux éclairaient la sortie de la poterne près de laquelle un pot à feu brûlait en fumant dans une cage de fer. Le vent, assez fort, couchait les flammes.

– Encore des réfugiés ! fit une voix hargneuse qui fit battre un peu plus fort le cœur de Catherine. Qu'allons-nous en faire alors qu'il nous faudra bientôt songer à rejeter les bouches inutiles ?

– Les gens de Montaran ! dit quelqu'un. Leur village a brûlé hier...

Le premier homme qui avait parlé ne répondit pas mais Catherine, aimantée par quelque chose de plus fort que sa volonté s'avança vers le lieu d'où la voix était venue. Elle ne s'était pas trompée. À quelques pas d'elle, il y avait Arnaud de Montsalvy.

Adossé contre le mur du couvent, tête nue, ses courts cheveux noirs en désordre, il regardait avec humeur la file lamentable qui venait de pénétrer dans la ville. Son visage portait des traces de poudre et une balafre que Catherine ne connaissait pas lui coupait une joue. Son armure était cabossée, il paraissait un peu las mais, avec une joie fiévreuse, elle constata qu'il n'avait pas changé. Les traits étaient les mêmes, un peu plus accentués peut-

être. La bouche ferme avait un pli amer. Les yeux, qu'elle avait vus se charger de tendresse si rarement, étaient toujours aussi durs, le port de tête toujours aussi arrogant. Tel qu'il était, mal rasé et plutôt sale, il parut à Catherine plus beau que l'archange saint Michel. N'était-il pas son rêve fait chair ?

Sa joie de le retrouver si vite, là, auprès de cette porte à peine franchie, fut si forte qu'elle oublia tout ce qui n'était pas lui. Il l'attirait irrésistiblement...

Les yeux soudains brillants, les mains ouvertes, les lèvres humides, elle s'avança vers lui, à petits pas, comme en extase... Elle semblait si peu sur terre que ses compagnons s'écartèrent étonnés, lui laissant le passage.

Arnaud ne la vit pas tout de suite. Il examinait avec une visible irritation la garde faussée de son épée. Mais, brusquement, il leva la tête, aperçut cette femme en haillons qui s'avançait vers lui sur les gros pavés ronds, humides de la dernière pluie. Quelque chose en elle attira son attention flottante. La femme semblait ne se soutenir qu'à peine. Elle était visiblement parvenue aux frontières de l'épuisement, mais ses yeux irradiaient une lumière intense et, sur sa robe misérable, croulait le fleuve doré d'une merveilleuse chevelure. Lentement, lentement elle approchait, un sourire aux lèvres, tendant des mains écorchées et tremblantes. Il crut à une apparition née de sa fatigue. Le combat du jour avait été rude et ses bras étaient las d'avoir manié pendant des heures la lourde épée à deux mains. Il se frotta furieusement les yeux, regarda encore... Et, soudain, il la reconnut.

Incapable de parler, Catherine s'était arrêtée à quelques pas de lui, le dévorant du regard. Leurs yeux s'accrochèrent, se nouèrent une longue minute où le temps parut s'arrêter. L'étonnement, l'incrédulité se lisaient dans ceux d'Arnaud qui, de seconde en seconde, se dilataient. Une joie violente aussi, mais ce ne fut qu'une impression fugitive... Brusquement, Arnaud se reprit. Il se redressa tandis que tout son visage se convulsait sous l'assaut d'une violente irritation. Furieux, il pointa vers la jeune femme un doigt accusateur, hurla :


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