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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Sa femme ? fit le moine sincèrement surpris. Quelle femme ?

Le moine devenait-il fou ? Catherine le fixa dans les yeux, se demandant si la mémoire lui manquait subitement ou s'il se moquait d'elle.

– La dernière fois que j'ai entendu parler de messire de-Montsalvy, dit-elle lentement, en butant sur les mots qui passaient mal, c'était il y a plusieurs années. Il s'apprêtait à prendre pour épouse damoiselle Isabelle de Séverac, la fille du maréchal, et...

– Isabelle de Séverac est morte, Madame !... deux mois avant son mariage. Et messire Arnaud, qui d'ailleurs, à ce que l'on dit, n'était pas très chaud pour aliéner sa liberté, ne lui a point donné de remplaçante.

– Quoi ?

Les mains de Catherine, crispées sur le bord de son siège, s'étaient mises à trembler. Une brusque envie de pleurer monta de son cœur à ses yeux qui se brouillaient. Elle ne savait plus où elle en était... Pendant si longtemps, elle s'était interdit de songer à cet homme dont le seul nom la faisait défaillir encore de tendresse, chassant l'image trop chère comme un rêve impossible

!... Et voilà qu'elle apprenait, brusquement, de la manière la plus inattendue, qu'il était libre... libre autant qu'elle-même. C'était à en perdre la raison !

– Mon frère, dit-elle douloureusement, que n'êtes-vous venu plus tôt vers moi ? Pourquoi ne m'avez-vous rien dit ? Pourquoi m'avez-vous laissé croire pendant si longtemps qu'il était perdu pour moi ?

– Mais... Madame, fit le frère interloqué, je ne pouvais pas deviner que vous l'ignoriez. Les nouvelles passent, malgré la guerre, de la Cour du roi Charles à celle du duc de Bourgogne... et je vous rappelle que, banni, je ne pouvais venir vers vous. Mon prieur a obtenu que soit rapporté l'arrêt qui me frappait... et j'accours vers vous. Irez-vous prier le duc pour Orléans ?

Les yeux de Catherine, fixés dans le vague, brillaient comme des étoiles.

Frère Étienne sentit qu'elle lui échappait, qu'elle était déjà loin, partie rejoindre le rêve ancien qu'elle retrouvait avec délices.

– Madame... reprocha-t-il doucement, vous ne m'écoutez pas ? Irez-vous vers Monseigneur Philippe ?

Elle revint à lui, l'enveloppa d'un sourire si éblouissant qu'il suffoqua le moine. Devant ses yeux, cette femme morne se transformait à vue d'œil.

C'était comme si elle avait rejeté de ses épaules un manteau lourd et noir qui éteignait sa lumière intérieure. Catherine, en quelques instants, s'était transfigurée. Elle secoua la tête.

– Non, mon frère !... Jamais plus je n'irai vers Philippe de Bourgogne !

Ne me le demandez pas, je n'irai pas ! Sans vous en douter, vous venez de m'apporter le signe du destin que j'attendais. C'est fini...

– Mais Madame... Orléans...

– Orléans ? J'y vais !... Dès demain je partirai d'ici pour rejoindre la ville assiégée. Vous m'avez dit qu'il était toujours possible d'y entrer, j'y entrerai...

et j'y mourrai, s'il le faut !

– Votre mort n'aidera en rien la cité, Madame, fit le moine sévèrement.

Elle n'a aucun besoin d'un cadavre supplémentaire à ensevelir dans les ruines de ses murs. Elle a besoin que les Bourguignons s'en aillent.

J'ai déjà prié le duc de retirer ses troupes, au mois d'octobre. 11 n'en a rien fait. Pourquoi donc pensez-vous qu'il en serait autrement aujourd'hui ? Le duc va se remarier. Mon pouvoir va cesser. Tout ce que je peux faire, pour vous, c'est écrire au duc, lui apprendre que je vais m'enfermer dans la ville assiégée et que, s'il tient à ma vie, il doit retirer ses hommes... Peut-être cela vous sera-t-il utile... peut– être que non ! Mais je ne peux pas faire plus !

Elle s'était levée, frémissante de joie et déjà animée de. la hâte de se mettre en route. À pas rapides, elle se dirigea vers la porte, faisant voler derrière elle sa traîne de drap noir ourlée de renard.

– Poursuivez votre repas, mon frère, dit-elle. J'ai des dispositions à prendre...

Elle s'élança dans l'escalier pour rejoindre Ermengarde qui, justement, remontait. Les deux femmes se rencontrèrent à mi-hauteur. Incapable de se contenir plus longtemps, Catherine saisit son amie aux épaules et lui plaqua deux baisers retentissants sur les joues.

– Ermengarde... embrassez-moi. Je pars !

– Vous partez ? Mais pour où ?

– Pour Orléans... et pour mourir si besoin est ! Jamais je n'ai été plus heureuse !...

Avant que la comtesse, stupéfaite, ait pu placer un mot, Catherine avait continué de dégringoler l'escalier à la recherche de Sara qu'elle voulait charger de préparer ses bagages au plus vite. Son cœur sautait dans sa poitrine et, si elle n'eût été retenue par un ultime souci de respectabilité, elle eût chanté de bonheur. Elle savait, d'une profonde certitude, ce qu'elle devait faire maintenant : rejoindre Arnaud, par tous les moyens, lui crier une dernière fois son amour et s'ensevelir avec lui dans les ruines du dernier bastion de la royauté française. Orléans serait le tombeau gigantesque, à la mesure de son amour, où cet amour, enfin, reposerait en paix...

Catherine ignorait, comme frère Étienne lui-même, que ce même jour une jeune fille de dix-huit ans qui venait des marches de Lorraine, vêtue d'un petit habit de garçon noir et rude, avait plié le genou devant Charles VII dans la grande salle du château de Chinon et lui avait dit: «Gentil Dauphin, j'ai nom Jehanne la Pucelle et je suis venue avec mission de donner secours à vous et au Royaume. Et vous mande le Roi des Cieux, par moi, que vous serez sacré et couronné à Reims... » On était, ce jour-là, le 8 mars 1429.

À l'aube du lendemain, six cavaliers franchirent au galop de chasse le pont-levis du château. Debout sur l'une des tours d'entrée, une silhouette noire les regarda dévaler le raidillon et se dissoudre dans les brouillards de la vallée après avoir franchi l'Aujon sur le vieux pont de pierre jadis construit par les Romains. Quand il ne fut même plus possible de distinguer le bruit des sabots sur la terre, Ermengarde de Châteauvillain rentra chez elle et s'en alla à la chapelle pour prier. Une pesante tristesse emplissait son âme car elle ne savait pas si, un jour, elle reverrait Catherine. L'aventure dans laquelle la jeune femme se jetait tête baissée était tellement folle ! Pourtant, la comtesse ne la désapprouvait pas. Elle savait trop qu'à la place de Catherine, elle eût agi en tous points de la même façon. Il ne lui restait plus, à elle-même, qu'à attendre, espérer et implorer du Ciel la faveur de donner enfin à Catherine ce bonheur qui semblait si résolument la fuir.

Pendant ce temps, à la tête de sa petite troupe, Catherine parcourait la première des quelque soixante-dix lieues qui la séparaient d'Orléans. Pour cette longue chevauchée, elle avait revêtu un costume d'homme et s'en félicitait car jamais elle ne s'était sentie aussi à l'aise. Des chausses noires, collantes, attachées à la taille par des aiguillettes, moulaient ses longues jambes que des bottes souples emprisonnaient presque jusqu'au genou. Un pourpoint court, en drap noir bordé d'agneau de même couleur, et un grand manteau de cheval complétaient son équipement avec un camail à capuchon qui ne laissait voir que l'ovale pâle de son visage. Une dague à manche d'acier ciselé était passée à la ceinture de cuir assortie à ses gros gants.

Durant ces mois de chagrin et de découragement, Catherine avait un peu maigri et, dans ce costume sévère, elle avait l'air d'un jeune garçon de grande maison.

Moins à l'aise était certainement Sara dont les formes opulentes s'accommodaient mal du costume masculin bleu ardoise dont on l'avait affublée. Mais elle n'était pas femme à se soucier longtemps de son apparence et goûtait pleinement le plaisir de chevaucher à nouveau, en plein air, en pleine nature. Le frère Chariot suivait, égrenant son chapelet en homme qui a la longue habitude de laisser sa monture le mener. La marche était fermée par trois hommes d'armes qu'Ermengarde avait obligé son amie à accepter comme escorte. Toute la journée, on avait couru à travers les plateaux monotones du Châtillonnais, coupés de forêts qui semblaient ne jamais devoir finir. Au soir, on entra dans la double cité de Châtillon.

Catherine, tournant résolument le dos au massif château des ducs de Bourgogne où, sur le simple énoncé de son nom, elle eût été accueillie avec empressement par le châtelain, choisit de descendre à l'hostellerie de l'abbaye Saint-Nicolas. Pour elle, le geste était symbolique. Désobéissant à Philippe, renonçant à lui pour se joindre à ses ennemis, elle n'avait plus que faire de ses châteaux. Fatiguée par la journée de cheval, elle dormit comme une souche, se réveilla à l'aube, dispose et pleine d'une ardeur qu'elle n'avait pas connue depuis bien longtemps.

La seconde journée de marche fut à peu près semblable à la première. Le paysage se coupait parfois de profondes vallées qui en rompaient la monotonie. Le train que l'on menait semblait mortellement lent pour l'impatience de Catherine, tenaillée par la hâte de voir à l'horizon les remparts d'Orléans, mais si l'on voulait ménager les chevaux, une allure raisonnable s'imposait. On ne pouvait faire plus de douze à quinze lieues par jour pour que les bêtes allassent sans souffrir jusqu'au bout du voyage. Une auberge de pèlerins accueillit ce soir-là les voyageurs et les soldats employèrent une partie de leur soirée à nettoyer et aiguiser leurs armes. Dès le lendemain, on quitterait les territoires de Bourgogne et le danger de mauvaises rencontres deviendrait sérieux. Mais, de ce danger-là, Catherine n'avait cure. Une seule chose comptait désormais pour elle : rejoindre Arnaud.

Une pluie diluvienne noyait le paysage quand, au matin du troisième jour de marche, la petite troupe se mit en route.

Des trombes d'eau se déversaient sur la terre, brouillant les contours, trempant jusqu'aux os les six cavaliers.

– Il faut nous arrêter, Catherine, dit Sara vers le milieu du jour.

– Nous arrêter où ? fit Catherine nerveusement. Nous ne sommes plus en terrain assuré et même les maisons-Dieu peuvent cacher des pièges. Il nous reste encore une lieue à peine pour atteindre Coulanges-la-Vineuse.

Nous nous y arrêterons.

– Coulanges n'est pas sûr, objecta l'un des archers d'escorte. Un brigand Armagnac, Jacques de Pouilly, qui se fait appeler Fortépice, en tient le château. Il vaudrait mieux gagner Auxerre.

Auxerre n'est pas plus engageante, coupa Catherine fermement. Au surplus, notre troupe n'a rien d'attirant pour un brigand. Par ce temps affreux, votre Fortépice doit être enfermé dans sa grande salle, devant un feu bien flambant, à jouer aux échecs avec un de ses hommes. Il y a bien un couvent quelconque à Coulanges ?

– Oui, mais...

– C'est là que nous nous arrêterons, sans entrer dans le bourg. Nous n'en bougerons jusqu'à l'aube où nous repartirons. Ah ! çà, messires soldats, auriez– vous peur ? En ce cas, il vaudrait mieux pour vous regagner la Bourgogne encore si proche...

– Madame, Madame..., reprocha frère Etienne. Il faut beaucoup de courage pour s'avancer ainsi en pays ennemi. Ces hommes ne font que leur devoir en vous mettant en garde.

Pour toute réponse, Catherine haussa les épaules, piqua légèrement son cheval des éperons et força l'allure. Bientôt, le coteau de Coulanges-la-Vineuse, couronné de son château, se silhouetta en grisaille derrière le rideau de pluie. Mais, à mesure que l'on approchait, une inquiétude vague se glissait dans l'âme de la jeune femme. Le paysage, qui avait dû être autrefois riant et fertile, était étrangement sinistre. Les terres paisibles et encore protégées de Bourgogne avaient disparu. Le sol noir paraissait brûlé et ne montrait que de rares chicots de bois tordu qui avaient dû être des ceps de vigne. De loin en loin, une maison écroulée, un tas de cendres froides ou, pire encore, un corps pendu à quelque branche qui achevait de se corrompre sous la pluie... Au passage d'une maison encore debout, Catherine et Sara, horrifiées, se cachèrent les yeux : barrant la porte de la grange d'une sinistre croix blême, il y avait le corps nu, crucifié et éventré d'une femme aux longs cheveux noirs.

– Mon Dieu ! murmura Catherine épouvantée... Mais où sommes-nous donc ?

Le soldat qui avait tenté de la détourner de sa route intervint encore :

– Je vous l'ai dit, Madame, ce Fortépice est un bandit... mais je ne pensais pas que c'était à ce point ! Voyez, devant nous, ces bâtiments en ruine : c'est le couvent où vous espériez vous arrêter. Il a dû l'incendier, le misérable ! Il faut fuir, Madame, pendant qu'il est temps encore. Le mauvais temps, comme vous le pensiez, aura peut-être retenu au château Fortépice et ses brigands. Mais il ne faut pas tenter le diable ! Voyez ce sentier, sur la gauche, qui s'enfonce dans le bois, prenons-le. À deux lieues d'ici, environ, nous trouverons les carrières de Cour– son où nous pourrons prendre abri pour la nuit car, du château de Courson, je ne suis guère plus sûr, ne sachant pas qui le tient.

Glacée par l'affreux spectacle qu'elle venait de contempler, Catherine n'objecta rien. Elle laissa l'homme prendre son cheval par la bride et le diriger vers le chemin qui s'enfonçait à travers bois. Le sentier serpentait entre deux impénétrables taillis qui semblaient des murs de branchages enchevêtrés. De loin en loin, un rocher gris faisait une trouée. A mesure que l'on s'enfonçait dans le bois, la route se rétrécissait et les branches des arbres se rejoignant d'un bord à l'autre finirent par en faire une sorte de tunnel qui allait s'assombrissant. On n'entendait pas d'autre bruit que le pas des chevaux et, de temps à autre, le cri d'un oiseau en vol. Et, soudain, ce fut l'attaque...

De derrière un mur rocheux, du haut de plusieurs arbres, des hommes bondirent sur la route, saisirent les chevaux par la bride tandis que d'autres, s'agrippant, deux à la fois, aux cavaliers, les désarçonnaient et les jetaient à terre. En un clin d'œil, Catherine et ses compagnons se retrouvèrent solidement ligotés, jetés dans la boue du chemin sans cérémonie. La bande qui les avait assaillis était formée d'hommes vigoureux, suffisamment dépenaillés, mais tous les visages étaient masqués d'un chiffon qui ne laissait voir que les yeux. Seules les armes étaient de bonne qualité et reluisantes. L'un des hommes, le seul qui portât une brigandine de plaques d'acier sur son justaucorps de buffle, une longue épée et des éperons de chevalier, se détacha du groupe et vint examiner les captifs.

– Pas fameuse, la prise, grogna l'un des brigands. Les bourses ne sont pas grasses. Autant les pendre tout de suite !

– Il y a les chevaux et les armes qui sont de bonne qualité, coupa sèchement celui qui semblait le chef. Et c'est moi qui décide.

Il courbait un peu sa haute taille maigre pour mieux examiner ses prisonniers et, soudain, il éclata de rire tandis qu'il ôtait le chiffon crasseux drapé sur son visage. Catherine vit avec quelque surprise qu'il était beaucoup plus jeune qu'elle n'aurait cru : vingt-deux ou vingt-trois ans peut-

être. Cependant tous les stigmates du vice précoce étaient inscrits sur cette figure sèche aux lèvres molles mais aux yeux aigus de rapace.

– Il n'y a que trois hommes dans cette brillante cavalcade ! s'écria-t-il.

Le reste est composé d'un moine et, Dieu me pardonne, de deux femmes.

– Deux femmes ? fit l'autre brigand avec stupeur, en se penchant à son tour pour mieux voir. Celle-ci, oui, ça crève les yeux, mais j'aurais bien juré que l'autre était un garçon.

Pour toute réponse, le chef tira sa dague, fendit le pourpoint de Catherine frémissante de rage, dénudant une partie de sa poitrine.

Avec un garçon comme ça, on doit pouvoir se passer de femmes, grogna-t-il joyeusement. Mais elle est trop mince pour moi ! J'aime les filles bien dodues. L'autre me convient mieux.

– Espèce de pourceau ! s'écria Catherine écumant de colère. Vous paierez cher l'audace d'avoir porté la main sur moi. Je suis la comtesse de Brazey et Monseigneur le duc de Bourgogne vous fera regretter cette agression... et ce geste !

– Je me moque du duc de Bourgogne comme d'une guigne, ma belle !

Et je vais te dire mieux : je considère qu'auprès de ce prince des traîtres, je suis un ange, moi, Fortépice... Mais, bien que mes gestes te déplaisent, je vais m'en permettre un autre, rien que pour voir si tu mens.

D'un revers de main, il arracha le camail qui couvrait la tête, le cou et les épaules de la jeune femme par-dessus son pourpoint. Les épaisses nattes dorées qu'elle avait soigneusement serrées autour de sa tête apparurent et brillèrent doucement sous la lumière pauvre que dispensait ce jour pluvieux.

Fortépice la considéra un instant, songeur, puis :

– La comtesse de Brazey, la belle maîtresse de Philippe de Bourgogne, passe pour avoir les plus beaux cheveux du monde. Si ce ne sont pas ceux-là, je veux bien être pendu !

– Soyez tranquille, fit Catherine sèchement, cela viendra !

– Le plus tard possible ! Allons, la prise est meilleure que je ne croyais.

Je gage que, pour te ravoir, ma belle, le duc Philippe se montrera royalement généreux. J'aurai donc l'honneur de t'offrir l'hospitalité de mon castel de Coulanges en attendant ta rançon. On y mange mal, mais on y boit bien.

Ceci compense cela. Quant aux autres... À propos, qui donc est cette belle dame aux yeux noirs qui me regarde comme si j'étais messire Satan.

– C'est ma suivante, répliqua la jeune femme.

Elle vous suivra donc, fit Fortépice soudain galant, avec un sourire qui inquiéta Catherine bien plus que le ton agressif qui l'avait précédé.

De fait, il se détourna vers son lieutenant et ordonna :

– Tranchemer, tu vas hisser les prisonnières et l'enfroqué sur leur monture. On les ramène. J'ai justement besoin d'un chapelain. Le moine fera l'affaire. Quant aux autres...

Le geste qui accompagnait ces derniers mots était si explicite et tellement affreux que Catherine s'insurgea :

– Vous n'allez pas tuer ces hommes ? Ils sont à mon service. Ce sont de braves soldats et de fidèles serviteurs. Je vous interdis d'y toucher. On paiera rançon pour eux aussi.

– Ça m'étonnerait fort ! fit Fortépice. Et je n'ai nul besoin de bouches supplémentaires à nourrir. Allez vous autres.

– Sale brute, hurla Catherine hors d'elle. Si vous commettez ce crime, je jure que...

Fortépice soupira profondément et fronça les sourcils.

– Oh... elle crie trop fort ! Elle crie beaucoup trop fort, cette péronnelle ! Et j'ai horreur que l'on crie. Fais-la taire, Tranchemer.

Malgré les cris et la défense que, toute ligotée qu'elle était, Catherine réussit à fournir, Tranchemer ; la bâillonna solidement avec l'affreux chiffon crasseux qui lui servait de masque. Force fut à Catherine, à demi étouffée et, de plus, incommodée par l'odeur de saleté du bâillon, de se taire. Les yeux agrandis d'horreur, elle dut voir deux hommes du brigand se pencher vivement sur les trois soldats ligotés et leur trancher froidement la gorge. Le sang jaillit en abondance, inondant le sentier et se mêlant aux flaques d'eau.

La boue devint rouge. Les trois victimes n'avaient pas poussé un cri...

Rapidement, les routiers les délièrent. On leur enleva leur équipement puis on les déshabilla complètement.

– Qu'est-ce qu'on en fait ? demanda Tranchemer.

– Il y a un champ au bout de ce sentier, à quelques toises. Portez-les là.

Les corbeaux s'en chargeront...

Tandis que quelques hommes, sous les ordres de Tranchemer, accomplissaient la macabre besogne ordonnée par leur chef, celui-ci se hissa sur l'un des chevaux libérés par ses victimes et prit la tête de la troupe qui allait se diriger vers Coulanges.

– Nous avons chassé en vain toute la journée, s'écria-t-il avec une œillade à l'adresse de Sara. Mais, morbleu, le retour nous paye de notre temps perdu...

Les prisonniers, toujours ligotés, suivaient, la mort dans l'âme. Mais en Catherine la révolte et la colère couvaient.

Le château dont Fortépice avait fait son repaire était mal entretenu, en assez mauvais état, mais demeurait redoutable. Si le donjon menaçait de tomber en ruine, la ceinture fortifiée tenait bon et, pour le chef de bande, c'était l'essentiel. A l'intérieur régnait une saleté sans nom. Dans la cour d'abord où les animaux étaient parqués dans des cabanes sordides et où le fumier montait, parfois, à hauteur d'homme. Et les logis n'étaient guère plus confortables. Catherine se vit attribuer, dans une tour d'angle qui dominait de très haut la vallée de l'Yonne, une chambre exiguë, en forme de demi-lune, pourvue d'une étroite et antique fenêtre romane qu'une mince colonnette partageait en deux. Les murs étaient absolument nus, à l'exception d'abondantes toiles d'araignées qui voltigeaient au moindre courant d'air. Quant au sol, vierge de tapis, il n'avait pas dû connaître le balai depuis longtemps. Une épaisse couche de poussière s'y mêlait aux restes d'une fort ancienne jonchée de paille que l'on n'avait jugé utile de renouveler ou même d'enlever. Cela sentait le rance, le moisi et l'humidité, mais la porte basse avait de solides verrous extérieurs, si bien entretenus qu'ils ne grinçaient même pas.

– Vous plaignez pas, lui avait dit Tranchemer en lui faisant les honneurs de cet appartement, c'est notre meilleure chambre. Il y a une cheminée...

En effet, il y avait bien une cheminée d'angle à hotte conique, mais il n'y avait pas de feu dedans, ce que Catherine fit remarquer d'un geste.

– Il y en aura dès qu'on aura assez de bois, fit le lieutenant, philosophe.

Pour le moment, on a juste assez pour la cuisine. Les hommes sont allés en chercher dans la forêt. Vous en aurez ce soir.

Il était sorti, laissant la jeune femme à ses méditations qui n'avaient rien de gai. La colère qui l'avait saisie, tout à l'heure, faisait place, peu à peu, à un sombre abattement et à un profond mécontentement d'elle-même. Quelle sottise d'être allée se jeter stupidement dans la gueule de ce loup de campagne ! Jusques à quand maintenant allait-elle demeurer dans ce sinistre réduit ? Fortépice avait parlé d'une rançon. Sans doute allait-il envoyer un messager vers Philippe de Bourgogne et, sans doute aussi, ce dernier se hâterait-il de faire délivrer sa maîtresse. Mais ceux-là mêmes qui la délivreraient ne constitueraient, tout compte fait, que de nouveaux geôliers car ils auraient plus que certainement mission de la ramener à Bruges dans le plus bref délai. Philippe ne l'arracherait pas à Fortépice pour la laisser courir vers Orléans et vers un autre homme... Il fallait, à tout prix, trouver le moyen de s'échapper avant l'arrivée de la rançon.

Appuyée d'un bras à la colonnette de sa fenêtre, la jeune femme considéra tristement la hauteur vertigineuse des murailles au-dessous d'elle. Soixante pieds au moins la séparaient du roc sur lequel reposait le château et, à moins d'avoir les ailes de l'oiseau... Prise d'une idée, Catherine courut à son lit, en ôta la courtepointe usée, le matelas dont la paille perçait par endroits apparut tristement nu. Il n'y avait pas de draps, donc aucun moyen de faire une corde, même de fortune... Découragée, la jeune femme se jeta sur ce matelas qui, sous son poids, fit un bruit de papier froissé. Elle ne voulait pas pleurer parce que les larmes entraînent le découragement, une sorte de désespoir amollissant et qu'elle avait besoin de toute la clarté de son esprit. Si encore Sara avait été laissée auprès d'elle ! Mais Fortépice avait emmené la gitane dans son propre appartement, sans cacher les intentions fort précises qu'elle lui inspirait. Frère Étienne, lui, avait disparu dans une autre direction.

La fatigue et l'énervement se faisant sentir, Catherine ferma les yeux malgré elle. Tout misérable qu'il était, ce lit invitait au repos et elle se sentait trop lasse pour résister. Elle ferma les yeux, faillit sombrer dans le sommeil mais le bruit de la porte qui s'ouvrait la rappela à la conscience. Elle se redressa. C'était Tranchemer qui entrait, portant un chandelier de fer noir qui éclairait en plein son visage marqué de petite vérole, son nez un peu trop rouge de grand buveur au-dessus d'une bouche en croissant de lune. Sur son autre bras, il portait des vêtements qu'il jeta sur le pied du lit.

– Tenez, fit-il, c'est pour vous. Le chef vous fait dire que vous n'avez plus besoin de vêtements d'homme pour rester ici. Il vous envoie ce qu'il y a de mieux. Dépêchez-vous de les endosser. Il n'aime pas qu'on tarde.

– Bien ! soupira Catherine. Allez-vous-en. Je vais me changer...

– Oh ! mais non, fit l'autre en accentuant son sourire narquois. Je dois m'assurer que vous changez tout de suite, remporter votre défroque de garçon... et au besoin vous assister.

Le sang aux joues, Catherine sentit la colère lui revenir. Ce rustre prétendait-il la faire déshabiller devant lui ?

– Je ne me changerai pas tant que vous serez là ! s'écria-t-elle.

Tranchemer posa son chandelier et s'approcha.

– Parfait ! fit-il tranquillement. Alors je vais vous assister. Je peux appeler à l'aide, vous savez...

– Non ! C'est bon, je vais me changer !

Elle était inquiète, ne sachant à quoi préludait cette étrange exigence.

Mais la seule idée des mains du bandit sur son corps la révulsait. Elle déplia les vêtements apportés par lui. Il y avait une robe de velours brune, assez mitée mais à peu près propre et une chemise de lin, fine d'ailleurs, et tout à fait propre. Une sorte de surcot de laine épaisse accompagnait le tout.

– Retournez-vous ! ordonna-t-elle sans grand espoir d'être obéie.

Et, en fait, Tranchemer resta planté là où il était, la fixant avec un intérêt non dissimulé. Alors, prise d'une brusque rage, elle arracha hâtivement ses vêtements d'homme, plongea dans la chemise qu'elle avait disposée sur le lit avec tant de hâte que la blancheur de son corps ne brilla, aux yeux du bandit, que l'espace d'un éclair. Mais cet éclair suffit sans doute à Tranchemer et lui arracha un soupir à défoncer les murailles.

– Par les tripes du Pape ! grogna-t-il tristement. Quel dommage qu'on n'ait pas le droit de vous toucher ! Le chef doit être fou de vous avoir préféré votre servante !

– Où est-elle ? fit Catherine qui achevait de serrer nerveusement les lacets de son corsage.

Ses mains étaient moites et maladroites. Elle aurait volontiers giflé cet homme qui la regardait béatement. Tranchemer éclata de rire.

Où voulez-vous qu'elle soit ? Dans le lit de Fortépice, pardi ! II n'aime pas perdre son temps et quand il lui prend envie d'une fille, faut qu'elle y passe, et tout de suite !... Autant vous dire qu'il y en a pour un moment, surtout si le chef est de bonne humeur.

– Qu'est-ce que son humeur vient faire dans cette histoire ? demanda Catherine d'un ton raide.

Tranchemer eut un sourire béat qui acheva de porter à son comble l'exaspération de la jeune femme.

– Dame ! S'il est de bonne humeur, il nous la prêtera quand il se sera bien amusé avec. Les belles femmes, ça ne court pas les routes, par le temps où nous voilà. Par ici, elles sont toutes maigres comme des chats écorchés...

Alors, une comme elle, c'est une aubaine.

Le ton bonasse de Tranchemer était juste ce qu'il fallait pour rendre Catherine enragée. Elle vit rouge.

– Allez me chercher votre Fortépice, hurla-t-elle. Allez me le chercher et tout de suite !

Tranchemer ouvrit des yeux ronds.

– Hein ? Le déranger en ce moment ? Jamais de la vie. Je tiens à ma peau, moi !

D'un bond, Catherine se réfugia vers la fenêtre, qu'elle désigna d'un doigt tremblant de rage.

– Je me moque de votre peau. Elle ne vaudra pas cher si vous allez dire, tout à l'heure, à ce bandit que je suis morte. Je vous jure que, si vous n'allez pas me le chercher tout de suite, je saute.

– Vous n'êtes pas folle ? Qu'est-ce que ça peut bien vous faire qu'on s'amuse avec votre domestique ?

– Occupez-vous de ce qui vous regarde et faites ce que je vous dis.

Sinon...

Elle se glissait déjà sur l'appui de la fenêtre. Tranchemer hésita. Il avait bonne envie de lui sauter dessus et de l'assommer un bon coup pour la faire tenir tranquille. Mais le Diable seul savait ce qu'elle ferait en revenant à elle

! Et, de toute façon, tout ça, c'était beaucoup trop compliqué pour la cervelle simpliste du lieutenant. Il ne pouvait ni abîmer ni laisser se détruire une proie comme celle-là, une proie en or sur laquelle Fortépice comptait pour se faire une fortune. S'il arrivait quelque chose à cette diablesse de femme, Tranchemer savait bien que son chef lui arracherait la peau par minces lanières, comme il le faisait si volontiers quand il en voulait sérieusement à quelqu'un. Mieux valait encore prendre le risque de le déranger dans ses ébats.

– Tenez-vous tranquille ! fit-il de mauvaise grâce. J'y vais ! Mais n'en prenez qu'à vous de ce qui se passera...

Tandis que Catherine, lentement, reposait ses pieds à terre, Tranchemer sortit, non sans refermer soigneusement la porte. Restée seule, la jeune femme essuya la sueur qui perlait à son front. Elle avait eu un instant de vraie folie. A la pensée de sa fidèle Sara livrée à ces soudards ignobles, elle avait oublié tout ce qui n'était pas sa plus vieille amie. Elle se fût jetée au bas de la tour sans la moindre hésitation, pour le seul et bien mince plaisir de mettre Tranchemer dans une situation impossible. Mais, maintenant, il fallait qu'elle récupérât son sang-froid pour affronter Fortépice dont elle ne doutait pas de la prochaine venue.

Il arriva, en effet, quelques minutes plus tard, avec la mine hargneuse d'un chien à qui l'on vient de retirer son os, seulement vêtu de ses chausses et d'une chemise ouverte sur la poitrine et déchirée en plusieurs endroits.

– Qu'est-ce que vous voulez ? aboya-t-il du seuil. Est-ce que vous ne pouvez pas vous tenir tranquille ou bien faut-il vous mettre aux fers ?

Dans cet appareil sommaire, sa jeunesse frappait bien davantage que sous son harnais guerrier. Catherine s'aperçut qu'elle n'en avait plus peur du tout.

Elle se sentait tout à fait calme et parfaitement maîtresse d'elle-même.

– Les fers ne changeraient rien à ce que j'ai à vous dire, fit-elle froidement. Je vous ai fait venir pour vous prier de laisser Sara tranquille !

Que vous mettiez sur elle vos pattes sales me déplaît presque autant que si vous vous attaquiez à moi. Et la générosité de Monseigneur Philippe pourrait s'en ressentir...


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