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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Le voyage se poursuivit sans histoire. Il y eut, comme à l'aller, la pénible traversée de la Champagne dévastée avec ses villages morts, ses visages faméliques et les troupes de réfugiés qui, avec le peu d'objets ou d'animaux sauvés du désastre, s'acheminaient le long des routes dans l'espoir de se réfugier sur les terres de Bourgogne, à l'abri des ravages. Sur leur chemin, Catherine et Ermengarde firent la charité autant qu'elles le pouvaient, mais, parfois, le capitaine de Roussay dut intervenir pour dégager un peu rudement la litière des hordes affamées qui l'assiégeaient. Le visage si nu, si effrayant de cette misère ravageait le cœur de Catherine.

Un soir comme la petite troupe, après avoir quitté Troyes, approchait des frontières de Bourgogne, et s'apprêtait à s'arrêter pour la nuit, elle rejoignit un groupe étrange. C'était un long cortège d'hommes et de femmes au teint basané qui, de loin, pouvaient ressembler à l'exode d'un village. Mais, en approchant, on s'apercevait que ces gens avaient un aspect insolite. Les femmes avaient toutes un turban de toile dont un pan passait sous le menton, des vêtements de laine bariolée sur une chemise de lin grossier, largement échancrée. Elles portaient de petits enfants bruns, à demi nus, dans des bandes d'étoffe accrochées à leurs épaules, ou d'autres encore dans des !

paniers qui battaient les flancs de leurs mules. Elles avaient des colliers de piécettes, des yeux de braise et des dents éclatantes. Leurs compagnons portaient d'épaisses barbes noires qui leur mangeaient tout le visage, des chapeaux de feutre délavés, des vêtements criards et souvent troués, mais ils avaient la dague et l'épée au côté. Des chevaux, des chiens, des volailles les suivaient et ils parlaient un langage étrange. Tout en marchant, ils chantaient en chœur une bizarre mélopée lente que Catherine eut l'impression immédiate d'avoir déjà entendue... Or, tandis que, relevant d'une main les rideaux de sa litière, elle se penchait pour mieux entendre, elle vit soudain la mule de Sara passer comme une flèche auprès d'elle. Sa cavalière, cheveux au vent, les yeux étincelants, galopait vers les étranges voyageurs en poussant des cris à rompre les oreilles.

– Qu'est-ce qui lui prend ? fit Ermengarde réveillée en sursaut. Elle est folle ? Elle connaît ces gens ?

En effet, parvenue à la hauteur de celui qui semblait le chef, Sara avait retenu sa mule et s'était mise à parler avec volubilité à cet homme, un garçon jeune, sec comme un sarment, mais dont l'allure, sous ses guenilles, était celle d'un roi. Jamais encore Catherine n'avait vu à Sara cette expression de joie. À l'ordinaire, la tzigane riait peu, parlait moins encore.

Elle était active, silencieuse, efficace surtout. Elle n'aimait perdre ni son temps, ni ses paroles. Une première fois, dans la taverne de Jacquot de la Mer, Catherine avait ouvert fugitivement une fenêtre sur l'âme secrète de Sara. Cette fois, en la voyant discourir avec volubilité, le visage éclairé d'un feu intérieur intense, en face de cet homme basané, elle sentit un petit pincement au cœur.

– Peut-être connaît-elle ces gens, répondit-elle à Ermengarde. Mais je croirais plutôt que ce sont là ses frères de sang et qu'elle les a reconnus.

– Quoi ? Vous voulez dire que ces gens dépenaillés, avec leurs couteaux et leurs yeux de charbon...

– ... sont, comme Sara elle-même, des tzingaras.

Je vous ai raconté, je crois, l'histoire de ma bonne et fidèle « nourrice ».

Roussay, sur un signe de Catherine, avait arrêté le ; cortège et chacun contemplait Sara. La tristesse montait de plus en plus dans l'âme de Catherine. Sara semblait avoir tout oublié. Elle était entièrement absorbée par ce garçon à la peau sombre. Soudain, elle se retourna, vit Catherine qui, à demi étendue dans sa litière, appuyée sur un coude, la regardait ; elle courut à elle.

Ce sont des gens de ma race, fit-elle joyeuse, volubile, jamais je n'avais espéré en revoir et voilà que l'événement prédit autrefois arrive : les tribus se sont mises en marche pour venir jusqu'ici. Celle-ci vient, comme moi, de la Grande mer bleue. Ils ont vu le jour dans l'île de Modon, au pied du mont Gype, et moi je viens de Chypre, l'île d'Aphrodite... Est-ce que ce n'est pas merveilleux ?

Tout à fait merveilleux, coupa Ermengarde, mais devons-nous rester là encore longtemps ?

Sara négligea de lui répondre et s'adressa à Catherine sur un ton de prière : Je t'en prie, accorde-moi de passer cette nuit avec eux. Ils vont camper au prochain village, là où nous devions, nous aussi, nous arrêter.

Cela te ferait tellement plaisir ?

Tu ne peux pas savoir... Je voudrais t'expliquer...

Catherine, d'un geste doux, lui imposa silence et sourit.

N'essaie pas. Je crois que je comprends. Va avec tes frères... mais ne m'oublie pas tout à fait.

Avec une vivacité de jeune fille, Sara se pencha, , effleura de ses lèvres la main de la jeune femme et s'en alla en courant rejoindre les siens. Elle avait laissé sa mule aux mains d'un soldat d'escorte. Catherine la vit marcher aux côtés du garçon

Basané qui réglait son pas sur le sien. On aurait dit que Sara venait de retrouver un amoureux tant ses yeux brillaient et tant son sourire était joyeux. Ermengarde, la contemplant, hocha la tête.

– Je me demande si, demain matin, elle vous reviendra.

Catherine sursauta, regarda son amie avec effarement.

– Pourquoi ne reviendrait-elle pas ? Sa vie est ' avec moi, auprès de moi...

– Était ! Jusqu'ici cette femme était une déracinée, coupée des siens, sans espoir de les retrouver jamais. Vous étiez son havre de grâce. Mais elle a retrouvé ceux de sa race... Allons, ne pleurez pas, se hâta-t-elle d'ajouter en voyant s'embuer les yeux de son amie, elle vous aime... elle vous reviendra peut-être. En attendant, allons nous mettre à l'abri. J'ai faim et il commence à pleuvoir.

La petite caravane se remit en route vers le village dont on apercevait au bout du chemin la tour j carrée et la flèche de l'église.

Les Bohémiens avaient établi leur campement dans un champ qui ouvrait derrière l'auberge où étaient descendues Ermengarde et Catherine.

De la fenêtre de leur chambre commune, on dominait l'installation des errants et, après le souper, la jeune femme prit plaisir à les observer. Ils avaient allumé de grands feux sur lesquels des chaudrons avaient été posés. Les femmes, laissant les enfants gambader où bon leur semblait, s'étaient occupées à plumer les volailles et à éplucher les quelques légumes qu'on avait pu se procurer. Tous ces gens pieds nus et dépenaillés avaient une allure étrangement noble et la plupart des filles brunes étaient belles.

Catherine aperçut Sara, assise sur un tronc d'arbre abattu auprès du jeune chef. On paraissait faire grand cas de la nouvelle venue qui fut servie la première après le chef. Dans le crépuscule de printemps, les cris joyeux des enfants montaient, clairs, avec des notes aiguës qui vrillaient les oreilles, mais les adultes ne faisaient que peu de bruit. Ils parlaient calmement entre eux, mangeant avec lenteur, en gens pour qui chaque bouchée est une chose sérieuse ; parfois un rire fusait jusqu'à la fenêtre de Catherine qui, en l'entendant, se sentait de brusques envies de se joindre à ce cercle enchanté. À l'angle du champ, entre trois gros arbres, une grande toile avait été tendue pour servir d'abri, pendant la nuit, aux femmes et aux enfants. Mais ceux-ci ne manifestaient aucune envie de dormir. A demi vêtus et, certains, complètement nus avec de drôles de petits ventres ronds, ils se poursuivaient entre les feux ou bien se groupaient auprès des arbres, se tenant par la main, autour d'un grand garçon qui avait sorti un luth et l'accordait. Auprès du garçon, quelques filles aux cheveux noués en nattes agitaient impatiemment des tambourins, pressées, sans doute, de se jeter dans la danse.

Celle-ci débuta bientôt, sur un accord sauvage du musicien. Avec fougue, une douzaine de filles se lancèrent en avant, formant autour du plus grand des feux une ronde éperdue. La terre volait sous leurs agiles pieds bruns, leurs robes bariolées dansaient, tourbillonnaient autour de leurs longues jambes nues qu'elles découvraient de plus en plus haut, à mesure que le rythme se faisait plus ardent...

Le musicien pressait la cadence, les tambourins ronflaient sous les petits poings durs. Les nattes s'échevelaient sur les épaules brunes que les robes, dérangées par l'ardeur de la danse, découvraient. Quand la lune jaillit des nuages, joignant sa lumière pâle aux rougeoiements du brasier, les danseuses se déchaînèrent littéralement. Leurs pieds volaient si vite que nul ne pouvait saisir leurs mouvements. Elles ajoutaient d'autres flammes, vivantes et couronnées de nuit, à celles du bûcher. Elles se cambraient, se courbaient et se tordaient au milieu d'un cercle de regards scintillants qu'elles semblaient fasciner. Quant à Catherine, la splendeur sauvage du spectacle la captivait. Ces filles brunes, dansant dans le rayon de lune, n'étaient-elles pas les prêtresses d'un culte mystérieux ? Leurs visages aux yeux clos se levaient, offerts à la lumière argentée qui les inondait... La fièvre montait dans le cercle bohémien, le claquement des mains scandait la danse frénétique. Quelques villageois s'étaient approchés, assez craintivement, pour regarder. Ils se tenaient à l'ombre des murs de l'auberge et Catherine pouvait voir leurs visages à la fois avides et méfiants, juste sous sa fenêtre. Soudain, dominant le tintamarre enragé des tambourins et des claquements de mains, surmontant même la mélodie bizarre du luth, une voix s'éleva, chaude, ardente. Les paroles inconnues lui conféraient une puissance envoûtante que Catherine connaissait bien.

– Qu'est-ce que cela ? souffla Ermengarde qui s'était approchée derrière son amie.

– Sara ! Elle chante !

– J'entends bien... mais quelle voix extraordinaire ! C'est étrange... et magnifique !

Jamais Sara n'avait chanté comme ce soir. Dans la taverne enfumée de Jacquot de la Mer, elle chantait sa nostalgie, ses regrets. Cette fois, toute la joie violente de la vie libre, des espaces infinis, des folles chevauchées passait dans son chant. De son observatoire, Catherine pouvait la voir, assise, les mains nouées autour de ses genoux, lançant vers le ciel étoilé une mélodie échevelée, ponctuée de cris rauques et d'un refrain que toute la tribu reprenait en chœur. Elle se leva soudain, tendit les bras vers la grosse lune ronde, maintenant bien dégagée, comme pour la saisir. Le chant et la danse se conjuguaient, de plus en plus rapides, de plus en plus sauvages. Toute la tribu chantait maintenant et le chant déferlait sur la campagne endormie comme un roulement de tonnerre... Sur un cri aigu les danseuses, toutes en même temps, firent le même geste. Les robes tombèrent à terre, libérant les minces corps bruns luisants de sueur... Il y eut de l'agitation sous la fenêtre de Catherine. Les paysannes bousculaient énergiquement leurs époux qui résistaient pour les faire rentrer à la maison...

– Oh ! avait fait Ermengarde, mi-scandalisée, mi-admirative.

Catherine s'était contentée de sourire. Elle en avait trop vu à la Cour des Miracles et dans la taverne de Jacquot de la Mer pour s'offusquer du spectacle. Elle ne trouvait rien de choquant dans la nudité de ces filles, toutes jeunes, toutes belles. Leurs formes harmonieuses avaient une grâce sauvage, une beauté de statues animées par magie. Mais les yeux des gitans brillaient comme des charbons ardents. De gros nuages s'apprêtaient à engloutir la lune, le feu n'était plus que braises rougeoyantes... L'ombre, peu à peu, allait envahir le campement. Un homme accroupi au bord du feu bondit sur l'une des filles, l'enleva dans ses bras et l'emporta derrière le bouquet d'arbres. Un autre fit de même, puis un autre... Sara chantait toujours mais la nuit se peuplait de soupirs. Avec décision, Ermengarde tira Catherine en arrière et ferma la fenêtre. Catherine vit qu'elle était très rouge et se mit à rire.

– Oh, Ermengarde ! Vous êtes scandalisée ?

– Scandalisée, non !... mais j'aime autant ne pas avoir de cauchemars cette nuit. Un tel spectacle n'est bon ni pour une femme de mon âge... ni pour une femme du vôtre quand son mari est au loin.

Catherine ne répliqua pas. Elle sentait que la comtesse avait raison, qu'il était plus sage de se détourner de la bacchanale nocturne. Mais, une fois au lit, elle demeura longtemps les yeux ouverts, l'oreille au guet. De temps en temps, la voix de Sara se faisait entendre, fredonnant plus qu'elle ne chantait, accompagnée par les accords légers du luth. Puis, peu à peu, tout s'éteignit.

Le premier soin de Catherine, en s'éveillant le lendemain matin, fut de courir à la fenêtre. Repoussant le volet de bois, elle se pencha au-dehors dans l'air frais. Mais une exclamation déçue lui échappa. Il n'y avait plus trace du campement des bohémiens... à part peut-être des cercles noircis dans l'herbe, là où les feux avaient flambé. Ils avaient dû partir tôt, à l'aube même, évanouis dans la lumière rose du matin comme un rêve. La campagne était paisible, sereine. La bacchanale de la nuit s'était dissipée aussi aisément que la fumée des feux. Quelqu'un sifflait sous la fenêtre de Catherine qui ouvrait sur une porte de l'écurie. Elle vit que c'était l'un des soldats d'escorte et l'appela.

– Dites à messire de Roussay que je désire lui parler.

L'homme sourit, salua et disparut en courant à l'angle de la maison.

Quelques minutes plus tard, Jacques de Roussay frappait à la porte des deux dames et, sur la permission qui lui fut accordée, entrait. Drapée dans une robe du matin, Catherine l'attendait, debout auprès de la fenêtre. Quant à Ermengarde, elle était encore couchée. Les couvertures remontées jusqu'au nez, elle regardait la scène d'un œil farouche et nettement réprobateur. Mais le jeune capitaine ne s'en inquiéta pas. L'expression tendue de Catherine le tourmentait bien davantage.

– Avez-vous vu Sara, ce matin ? demanda-t-elle

sans même prendre la peine de répondre au profond salut du jeune homme.

– Je ne l'ai pas vue, mais l'un de mes hommes l'a aperçue. Il était très tôt, peu après le lever du jour. Elle est partie avec les tziganes, en croupe derrière le chef.

– Partie ?...

Une peine profonde bouleversa soudainement la jeune femme. Une brusque envie de pleurer comme une petite fille abandonnée. Ermengarde avait eu raison. Rien n'avait plus compté pour Sara des vieux liens de tendresse en face de l'appel de la vie d'autrefois, de la tentation d'une vie errante et libre... Catherine était bien obligée d'admettre ce qu'elle avait tellement refusé de croire la veille au soir. Elle baissa la tête et Jacques put voir une larme rouler sur sa joue.

– Oh ! Vous pleurez ? s'écria-t-il bouleversé.

– Oui... mais cela passera. Je vous remercie, mon ami. Nous partirons dans l'heure. Veillez à ce que tout soit prêt.

Elle se détournait vers la fenêtre pour lui dérober ses larmes et, intimidé, il n'osa pas risquer une consolation. Du fond de son lit, Ermengarde haussa les épaules, fit signe à Jacques de s'éloigner. Quand il eut refermé la porte derrière lui, elle sortit de son lit et, sur ses pieds nus, trotta jusqu'auprès de Catherine qu'elle enveloppa tendrement de ses deux bras.

– Venez pleurer avec votre vieille amie, mon petit... Je ne pensais pas, hier au soir, avoir vu si juste ! Il ne faut pas croire que cette Sara ne vous aimait pas. Mais, voyez-vous, elle est de la race des oiseaux migrateurs. Ils ne savent pas résister à certains signes. Ils s'en vont... mais ils reviennent.

Catherine secoua la tête, réprimant un sanglot.

Elle ne reviendra pas ! Elle a retrouvé les siens, son élément... mais ce qui me fait le plus mal, c'est qu'elle soit partie ainsi... sans même un adieu.

– Elle a peut-être eu peur qu'un adieu lui rendît le départ impossible...

Habillez-vous, Catherine, et allons-nous-en ! Il fait trop triste ici !...

Une heure plus tard, la litière emportant les deux femmes s'ébranlait. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Jacques de Roussay caracolait à la portière sans oser même regarder Catherine. Elle portait si souvent à ses yeux son mouchoir de dentelle ! Le jeune homme se sentait malheureux d'être tellement impuissant devant ce chagrin. On poursuivit la route en silence.

Vers le milieu du jour, les frontières de Bourgogne furent franchies sans que l'on ait trouvé trace de Sara et de la troupe de Bohême. Il semblait qu'ils se fussent tous dissous dans les brouillards matinaux.

Catherine éprouva une vraie satisfaction à retrouver sa maison de la rue de la Parcheminerie et Abou– al-Khayr, toujours aussi affairé mais toujours aussi amical. Le petit médecin ne quittait guère son laboratoire où, grâce à la générosité de Garin, il avait tout ce dont il pouvait avoir besoin pour ses expériences. Continuellement, des courriers de Bruges ou de Venise lui apportaient des plantes, des herbes, des métaux et des épices dont il composait baumes et médicaments. Le retour de Catherine sous un voile et des bandages l'offusqua comme une atteinte à une œuvre d'art. Il entra dans une telle colère qu'elle n'osa pas lui avouer que Garin était l'auteur du chef-d'œuvre. Elle ne voulait pas entamer la reconnaissance et l'estime sincères que le médecin maure portait à son hôte. Elle lui raconta une fumeuse histoire de chute de cheval dans un fourré particulièrement épineux, dont Abou-al-Khayr ne fut aucunement dupe, mais qu'il fit semblant de croire par courtoisie.

Il exigea pourtant de se rendre compte de l'étendue des dégâts malgré la résistance choquée de Catherine et l'examina soigneusement, sur toutes les coutures, mais sans se livrer à aucun commentaire, ce qui soulagea grandement la jeune femme. Pourtant en passant un doigt soigneux le long du dos meurtri, il se permit une remarque :

– Curieux, l'effet de ces épines... ! Il faudra que je me rende tout exprès dans le Nord pour les examiner de près... fit-il avec un brin d'ironie et tant de bonhomie que Catherine se contenta de sourire sans répondre.

Par contre, il loua grandement l'emploi qu'avait fait Sara de son baume de Matarea, souverain pour toutes les blessures, se contentant seulement de préconiser, pour le visage, une pâte composée d'amandes douces, de bulbe d'iris du Levant, d'eau de rose, de myrrhe, de camphre et de graisse fine de porc, dont il lui remit un plein pot avec ordre de s'en servir matin et soir.

Il essaya, de même, d'adoucir la cuisante blessure laissée par le départ de Sara. Catherine ne parvenait pas à s'y faire. Elle souffrait de cet abandon brutal comme d'une injure et, peu à peu, la colère l'emportait sur le chagrin.

Depuis la fuite de Sara, une transformation s'opérait dans l'esprit de la jeune femme, une transformation en forme de révolte. Elle en avait plus qu'assez d'être le jouet que ballottent les événements. Il semblait que chacun prît à tâche de se servir d'elle, d'en user à son bon plaisir sans même lui demander si cela lui convenait. Philippe d'abord, qui s'arrogeait le droit de la marier contre sa volonté afin de pouvoir plus aisément se l'approprier. Garin, ensuite, qui l'épousait sans en faire sa femme et sans même se donner la peine d'expliquer les raisons de son attitude. Auprès de lui, Catherine en arrivait à ne plus bien savoir si elle était un objet d'art que l'on pare et que l'on expose ou une sorte d'esclave sur qui l'on a plein droit de vie et de mort.

Et, depuis la terrible correction qu'il lui avait infligée, elle penchait sérieusement pour cette dernière hypothèse car, sans l'arrivée opportune d'Ermengarde, il la tuait ou l'estropiait à jamais sans la moindre hésitation.

Que dire d'Arnaud qui l'attirait et la repoussait suivant son humeur changeante ? Celui-là abusait de l'amour immense de Catherine pour l'accabler de son mépris, se permettre de juger sa vie, sa conduite et même ses relations, tout en affectant de la traiter en créature inférieure. Et maintenant Sara, Sara qui avait toute sa confiance, qui était son amie et qui, sans un mot, sans un adieu, la quittait pour suivre une troupe errante qu'elle n'avait jamais vue, mais qui était de son sang !

La fuite de Sara était la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Catherine décida que le temps des concessions et des têtes courbées était terminé et que, désormais, elle conduirait elle-même son destin, comme bon lui semblerait, sans s'inquiéter de plaire ou de déplaire à qui que ce soit.

Puisque tous les autres considéraient qu'ils avaient droit, vis-à-vis d'elle, à une pleine liberté d'action, il n'y avait aucune raison pour qu'elle n'agît pas de la même façon...

Abou-al-Khayr avait suivi sur le visage mobile de Catherine le cheminement de sa pensée depuis le moment où il avait prononcé le nom de Sara. Tout en refaisant le pansement de sa main droite, il lui sourit et dit :

– Ton grand malheur est de trop croire aux choses et aux gens. La vie est une bataille où toutes les armes sont bonnes, une profonde forêt où le plus fort égorge le plus faible afin de se nourrir de sa chair.

– Je gage, fit Catherine avec un sourire en coin, qu'il y a dans votre pays un poète ou un philosophe qui a dit quelque chose là-dessus ?

– Il y en a beaucoup, c'est le fond de la philosophie la plus amère. Mais nous avons, en effet, un poète qui a dit :

Dans cette parade de foire, un ami ne le cherche pas, Ecoute ma parole, un refuge ne le cherche pas, Accepte la douleur, un remède ne le cherche pas, Vis joyeux dans les malheurs sans attendre qui te plaigne...

– C'est beau ! fit Catherine songeuse. De qui est– ce ? Hafiz encore ?

– Non. Omar Khayyâm... un ivrogne qui savait de quoi il parlait... la défection de ta servante te fait mal, mais puisque tu n'y peux rien, pourquoi te tourmenter ? La vie continue...

En effet, la vie continuait. Catherine reprit la sienne, partagée entre son service auprès de la duchesse-douairière, dont la santé déclinait de plus en plus, la tenue de sa maison et de nombreuses visites à sa mère et à son oncle Mathieu.

En juin, Catherine était complètement remise et ne portait plus trace de ses blessures, hormis une étroite et mince cicatrice rose sur le côté gauche du dos, assez bas, heureusement, pour ne pas déparer la splendeur de ses épaules. Mais elle n'avait aucune envie de se retrouver entre Philippe et Garin. Us assistaient, à Troyes, au mariage de la princesse Anne et du duc de Bedford, et, cette fois, sans le secours d'Ermengarde qui, pour rien au monde, n'aurait voulu quitter la duchesse-douairière gravement malade.

Après le mariage d'Anne, Marguerite de Guyenne revint auprès de sa mère tandis que Philippe accompagnait la nouvelle duchesse de Bedford à Paris où elle allait habiter le magnifique hôtel des Tournelles. Le mariage de Marguerite et de Richemont devait avoir lieu en octobre, à Dijon même.

Ainsi l'avait désiré la jeune femme pour être sûre de voir sa mère y assister, même de son lit. Catherine s'en réjouissait personnellement, car elle était à peu près certaine de ne pas revoir Garin avant cette date. Philippe avait à faire à Paris et en Flandres. Il ne reviendrait que pour le mariage. Garin resterait avec lui, comme d'habitude, vraisemblablement.

Au fond, Garin et ses agissements ne tourmentaient pas tellement Catherine parce qu'elle avait autre chose à faire. Il lui laissait une paix totale et c'était tout ce qu'elle lui demandait. Par contre, Philippe, lui ne se laissait pas oublier. Deux fois par semaine, environ, un messager couvert de poussière descendait, ou plutôt tombait de cheval, dans la cour de l'hôtel de Brazey. Il arrivait parfois que le cheval, exténué, s'abattît en même temps que son cavalier... Et, invariablement, la même cérémonie recommençait : l'envoyé mettait genou en terre, offrait d'une main une lettre, de l'autre un paquet.

Les lettres, en général, étaient courtes. Philippe le Bon n'était pas un grand épistolier. Quelques lignes tendres ou, le plus souvent, quelques vers empruntés à un poète. Mais les cadeaux étaient toujours d'une rare beauté...

Les chevaucheurs du duc n'apportèrent pourtant jamais de bijoux, Philippe considérant que c'eût été offenser Catherine. Seul un mari ou un amant pouvait offrir des joyaux. Ce qu'il envoyait, c'étaient de ravissants objets d'art, statuettes d'ambre, de jade, de cristal ou d'ivoire, reliquaires d'or aux émaux merveilleux, œuvres patientes des artisans limousins dont les couleurs concurrençaient les pierreries, ou encore des dentelles, des fourrures, des parfums, et même un automate : un jongleur vêtu de satin rouge qui lançait et rattrapait des balles dorées. En résumé, tout ce qui pouvait flatter la coquetterie d'une jolie femme ou attirer sa curiosité.

Catherine acceptait tout, remerciait d'un mot gracieux... et pensait à autre chose.

Depuis quelque temps elle avait, en effet, remarqué autour d'elle une agitation insolite. Des flâneurs faisaient les cent pas dans sa rue et, chaque fois qu'elle sortait, elle était à peu près sûre de retrouver l'un de ces flâneurs sur ses talons. Ils variaient. Parfois, c'était un soldat de la garde ducale, parfois un bourgeois d'apparence innocente, parfois encore une sorte d'étudiant, ou même l'un des jeunes copistes de ses voisins parcheminiers, ou encore un moine.

Ce manège ne tarda pas à agacer, puis à irriter la jeune femme, encore qu'elle ne sût à qui attribuer cette surveillance. L'auteur le plus vraisemblable en pouvait être Garin. Qui d'autre, en effet, qu'un mari soupçonneux aurait l'idée de la faire espionner ? Supposait-il donc qu'à Dijon, dans une ville où tout le monde la connaissait, Catherine pouvait se mal conduire ? Ou bien voulait-il s'assurer qu'elle ne recevait aucun messager de Montsalvy ? De toute façon la chose était fort désagréable et Catherine regrettait de ne savoir au juste où toucher son mari pour lui dire, une bonne fois, ce qu'elle pensait de sa conduite. De même, elle hésitait à interpeller l'un de ses suiveurs pour lui demander des explications, craignant de donner dans le ridicule. Mais, à mesure que les jours passaient, l'énervement de Catherine grandissait.

Or, un après-midi où elle rentrait chez elle après avoir déjeuné avec les Champdivers, elle reconnut, sous un habit de bourgeois, l'un des soldats de la garde ducale qui l'avaient escortée depuis Arras. Malgré le vaste chapeau à bords baissés qui couvrait sa tête d'une sorte d'entonnoir, l'homme avait une figure trop caractéristique pour que la jeune femme ne l'eût pas remarquée. Il avait le nez bourgeonnant d'un grand buveur, et, surtout, sous l'œil gauche, une large tache de vin violette qui lui mangeait presque toute la joue. Il arpentait le bourg à pas négligents lorsque Catherine, sur sa haquenée, était sortie de la rue Tâtepoire. Et, quand après avoir jeté la bride de sa monture aux mains de Tiercelin le majordome, Catherine était remontée dans sa chambre, elle avait pu voir, par la petite fenêtre de la tourelle donnant sur la rue, l'homme au chapeau en éteignoir qui arpentait ladite rue, toujours sur le même trajet. Il allait du coin de l'hôtel de Brazey jusqu'à la boutique de maître Aubin, le grand parcheminier chez qui Garin se fournissait, examinait d'un air innocent les belles peaux blanches, soigneusement préparées et ornées qui décoraient la devanture, puis repartait, pour revenir quelques instants plus tard. Songeuse, Catherine rentra chez elle, hésitant sur le parti qu'elle devait prendre. Si Sara ne l'avait pas quittée, elle l'eût envoyée directement trouver le bonhomme et, en un rien de temps, eût été renseignée. Nul ne s'entendait comme la tzingara à tirer les vers du nez des gens. Mais elle n'avait plus Sara et, une fois de plus, son absence se faisait cruellement sentir. Abou– al-Khayr était trop voyant et d'aspect trop pittoresque pour qu'on le chargeât d'une mission de ce genre et Catherine ne se voyait pas descendre dans la rue pour interroger l'espion.

L'aspect de l'homme dirigea ses soupçons vers le jeune et charmant capitaine des gardes qui se troublait si visiblement en sa présence. Elle pensa : il faut que j'en aie le cœur net !

Vers l'heure de sexte1, elle se rendit au Palais Ducal pour prendre son service auprès de la duchesse Marguerite. Cette fois, un mendiant sale et déguenillé était attaché à ses pas et la suivit presque jusqu'au corps de garde, mais elle n'y prêta pas autrement attention, entra au palais sans faire mine de l'avoir vu et monta chez la duchesse. Celle-ci venait de s'endormir, après un léger repas, engourdie par la chaleur de ce jour d'été, et Catherine ne trouva qu'Ermengarde qui, d'ailleurs, s'apprêtait visiblement à en faire autant. La Grande Maîtresse avait du mal à tenir les yeux ouverts.

– Si vous voulez faire un somme en notre auguste compagnie, dit-elle à Catherine, en étouffant un bâillement derrière sa belle main blanche, je n'y vois aucun inconvénient. Mais dans le cas contraire, allez donc profiter du soleil et revenez plus tard. Son Altesse dormira bien jusqu'après none2.

Enchantée de l'occasion qui lui permettait de mettre tout de suite à exécution le plan préparé à l'avance et qu'elle avait espéré réaliser en sortant de son service, Catherine la remercia et la quitta en disant qu'elle irait, dans ce cas, s'installer au jardin pour s'y reposer à l'air. Elle descendit, erra un moment dans les allées pavées qui entouraient le bassin où nageaient des poissons et les arabesques de petit buis formant massif, respira, aux arceaux fleuris, les roses rouges qu'affectionnait la duchesse Marguerite, puis obliqua résolument vers les dépendances du palais où étaient logés les soldats et où le capitaine des gardes avait sa chambre.

– Midi.

– Trois heures.

La chaleur était intense. Des mouches et des guêpes bourdonnaient un peu partout. Appuyés sur leur lance, le casque de travers, les gardes du palais dormaient debout. Catherine parvint sans difficulté à l'escalier qui menait chez Jacques de Roussay. Il y régnait Une température de four, parce que les garnitures de plomb des toitures chauffaient comme l'enfer. La jeune femme sentit la sueur couler le long de son corps, cependant à l'aise dans une légère robe de candal vert pomme rayé d'argent, d'une couleur acide et fraîche comme l'eau d'une fontaine. Ses cheveux étaient simplement roulés sur les oreilles et emprisonnés dans deux résilles d'argent retenues par un fil mince d'où pendait, au milieu du front, une perle en poire.


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