Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– Attends, fit Landry.
Vivement, il déboucla sa ceinture, ôta la veste de cuir épais qu'il portait sur son pourpoint, la jeta, toute chaude encore, sur les épaules tremblantes de Catherine qui s'y blottit avec délices.
– Avec ça, tu auras moins froid ! Il te suffira de la cacher dans la paille quand tu entendras entrer ton geôlier.
– Mais toi... tu vas geler ?
Le sourire de Landry rendit d'un seul coup à Catherine le bon compagnon d'autrefois, celui qui n'était jamais à court d'inventions et avec qui il faisait si bon courir les rues de Paris !
– Moi, je suis en parfait état, je ne suis pas une pauvre petite fille affamée, gelée...
– ... et enceinte, compléta Catherine.
Le mot pétrifia Landry. Catherine ne pouvait le voir dans cette obscurité qui les enveloppait tous deux, mais à son souffle plus court, elle sentit ce qui se passait en lui.
– De qui ? demanda-t-il la voix brève.
– De qui veux-tu que ce soit ? De Philippe, bien sûr !... Garin n'est qu'un mari postiche. Il ne m'a jamais touchée.
Le soupir que poussa Landry fit un bruit de soufflet de forge.
– J'aime mieux ça ! Et je commence à comprendre. C'est parce que tu attends cet enfant, n'est– ce pas, qu'il t'a conduite ici ? Son orgueil n'a pas pu en supporter davantage ? Alors, raison de plus pour t'arracher à lui. Demain, à la nuit tombée, je reviendrai avec ce qu'il faut pour te délivrer. La seule chose que je te demande, c'est d'éteindre ton feu, si ton gardien t'en allume un. J'ai cru étouffer dans la fumée en descendant.
– Entendu. A la tombée du jour j'éteindrai le feu.
– Parfait. Maintenant, prends ça... Au moins, tu auras quelque chose pour te défendre.
Catherine sentit qu'il lui glissait dans la main quelque chose de froid... une dague. Se souvenant que c'était la seule arme de Landry, elle voulut refuser.
– Mais toi ? Si tu rencontres Fagot ?
Le rire de Landry était décidément très réconfortant.
– J'ai mes poings... et je ne peux supporter l'idée de te savoir sans défense aux mains de cette brute. Va te coucher, maintenant. Je repars. Dors le plus que tu pourras pour être aussi forte que possible. D'ailleurs, je t'apporterai quelque chose à manger...
Catherine sentit les mains de Landry tâtonner sur ses épaules. Elles s'y appuyèrent un instant. Un baiser se posa sur son front.
– Courage ! souffla Landry... À demain !
Elle l'entendit marcher vers la cheminée, piétiner les brindilles craquantes et jurer sourdement tandis qu'il cherchait le bout de la corde qu'il avait laissée pendre dans le conduit de fumée. Ensuite, il y eut l'espèce de gémissement qu'il poussa dans son effort pour s'enlever à la force des poignets, la chute molle de la suie arrachée par son passage, puis plus rien... Une fois encore Catherine se retrouvait livrée à la nuit, au froid... à la solitude. Elle se pelotonna de son mieux dans l'épaisse casaque du jeune homme ramenant la paille tout autour d'elle, et voulut essayer de dormir. Mais le lourd sommeil qui l'avait envahie au moment de l'arrivée de son ami paraissait enfui bien loin. Catherine ne pouvait même pas clore les paupières. L'espoir, en revenant à elle, avait causé en même temps un invincible énervement. Les heures qui la séparaient du retour de Landry lui semblaient monstrueusement longues... une éternité de minutes, de secondes. Et, chose encore plus étrange, la peur revint du même coup.
L'imagination en mouvement de Catherine se mit à trotter comme une folle. La somme de périls courus par le jeune homme lui parut énorme et son cerveau surchauffé s'en exagéra la gravité. Il pouvait tomber dans sa périlleuse descente, rencontrer l'énorme Fagot, d'autres hommes peut-être...
Toute sa vie à elle, tout son espoir étaient suspendus à cette unique existence d'un homme jeune et courageux, mais qui pouvait trouver plus fort que lui.
Si Landry périssait, soit en sortant, soit en revenant le lendemain, nul ne saurait ce qu'il était advenu d'elle. Catherine serait livrée, sans défense, à l'abominable Fagot, aux caprices sadiques de Garin sans que personne d'autre pût venir à son secours...
Comme pour augmenter ses angoisses, un long hurlement éclata au-dehors dans les profondeurs de la nuit et la prisonnière retint un cri de terreur...
Il lui fallut un moment pour se rendre compte qu'il s'agissait seulement de l'appel d'un loup et non pas d'un râle d'agonie. Et les battements affolés de son cœur ne se calmèrent qu'après de longues minutes. En se serrant peureusement contre la muraille, elle sentit sous sa main le poignard que Landry lui avait laissé, s'en empara et le glissa dans son corsage. Le froid de la gaine de cuir lui fit du bien. Cette arme, c'était une présence rassurante...
c'était surtout, s'il arrivait malheur à Landry, le moyen d'en finir une bonne fois avec la souffrance, la peur, la faim... L'idée d'avoir maintenant une porte de sortie, désespérée mais définitive, raffermit son courage. Ses muscles douloureux et crispés se détendirent, un peu de chaleur revint à ses doigts glacés. La main sur son corsage, comme pour mieux protéger la dague salvatrice, elle s'étendit en arrangeant le collier de fer de la manière la moins gênante et ferma les yeux. Un sommeil léger, nerveux s'empara d'elle, coupé de sursauts et de brefs cauchemars.
Un rai de lumière sous la porte et le grincement des verrous précautionneusement tirés l'arrachèrent brusquement à ce mauvais sommeil et la jetèrent contre le mur, hagarde, le cœur fou et la sueur à l'échiné. La nuit était toujours aussi noire et Catherine n'avait aucun moyen de savoir à quel point de son cours elle en était. La jeune femme ne devinait que trop ce qui allait suivre. Les précautions mêmes prises par Fagot pour entrer chez elle disaient assez qu'il espérait la trouver endormie... Le grincement continuait, léger, léger... Si Catherine n'avait dormi d'un sommeil aussi inquiet, elle eût pu ne rien entendre.
La porte s'entrebâilla peu à peu. La repoussante figure de Fagot se glissa dans la fente, à contrejour. Il avait dû accrocher quelque part au-dehors la torche dont les flammes dansantes dessinaient des ombres fantastiques sur la porte... Une fois entré, il repoussa le battant derrière lui. La nuit devint opaque mais Catherine, terrifiée, pouvait entendre le souffle court de la brute. Elle chercha fébrilement dans son sein la dague de Landry, la tira de sa gaine et la tint serrée dans sa main. L'odeur affreuse de Fagot emplit ses narines au moment où les grosses mains moites s'abattaient sur elle avec une effrayante décision.
L'une la saisit à la gorge, l'autre cherchait à se glisser autour de sa taille...
Prise de panique, le cœur soulevé de dégoût, Catherine cessa de raisonner.
Son bras s'éleva, s'abattit... Fagot poussa un hurlement de douleur et la lâcha.
– Va-t'en..., souffla Catherine entre ses dents, va-t'en ou je te tue si tu oses encore me toucher...
Sans doute la douleur avait-elle déclenché la crainte dans le cerveau épais du geôlier, car il se mit à gémir comme un animal, à petits halètements courts... Mais il s'éloignait. La porte se rouvrit, Catherine le vit s'enfuir en tenant sa main sur son épaule... Ses plaintes lui parvinrent encore quelque temps et elle constata que, dans son affolement, il n'avait pas refermé la porte complètement, car les verrous n'avaient pas fait de bruit... L'alerte passée, Catherine décida d'attendre le jour. Elle avait eu trop peur pour pouvoir encore dormir.
L'aube grisâtre vint après un temps qui lui parut interminable. Elle poussa un soupir de soulagement en voyant l'ogive de la fenêtre devenir de plus en plus claire. Enfin, le jour revenait et chassait les terreurs de la nuit !
Catherine reprit confiance. Si tout allait bien, la nuit qui se terminait serait la dernière vécue par elle dans cette prison... Elle se sentait affreusement lasse et malade. A nouveau la faim la torturait mais l'espoir qui soulève les montagnes la soutenait. Elle savait qu'il la soutiendrait ainsi jusqu'au soir mais que, si Landry manquait au rendez-vous, la déception serait si cruelle qu'elle entraînerait avec elle tout ce qui restait en Catherine du goût de vivre.
Cette nuit, elle serait libre, ou elle serait morte...
La journée se traîna, d'autant plus longue que Fagot, peureux ou assoiffé de vengeance, oublia une fois de plus de porter à manger à la prisonnière.
Catherine dut se contenter d'un peu d'eau et songea avec tristesse qu'elle n'aurait aucun mal à éteindre le feu dans la cheminée. Le froid semblait plus vif que la veille, mais la casaque de cuir de Landry la protégeait assez bien contre ses morsures. Quand le bref jour encore hivernal commença à décroître, Catherine se sentit devenir fébrile. Dans combien de temps Landry viendrait-il ? Attendrait-il que la nuit fût bien installée, qu'il n'y eût plus à craindre d'être vu de qui que ce soit dans la campagne ? Catherine ne pouvait répondre à cette question, mais elle penchait pour une arrivée tardive.
Landry, sans doute, voudrait mettre toutes les chances de son côté. De même que, le matin, elle avait regardé avec joie s'éclairer sa fenêtre, elle la regarda se dissoudre dans l'ombre sans pouvoir se défendre d'une vague appréhension. La nuit n'avait pas perdu pour la prisonnière son pouvoir maléfique de ramener l'angoisse...
Un bruit de pas dans l'escalier du donjon la fit sursauter. Quelqu'un montait... deux personnes au moins, car elle pouvait distinguer deux voix dont l'une était celle, à peine distincte, de Fagot. Catherine n'en pouvait plus d'avoir peur et, à la crainte de ce qui s'approchait d'elle à cet instant se joignait une atroce déception. C'était peut-être Garin qui revenait... qui avait trouvé un autre moyen de la torturer... Qui pouvait savoir quelle nouvelle invention aurait germé dans ce cerveau malade ? S'il avait décidé tout à coup de la changer de prison, de l'enfoncer dans quelque cachot souterrain sans air et sans lumière où nul, pas même Landry, ne pourrait plus l'atteindre ? Le cœur de Catherine lui faisait mal à force de cogner dans sa poitrine. Quand la porte s'ouvrit, elle faillit crier.
Deux hommes entrèrent dont l'un portait une torche et l'autre une corde.
Les yeux agrandis de terreur, Catherine reconnut Fagot dans l'homme à la torche. L'autre n'était pas Garin, mais le deuxième complice de son enlèvement, celui qu'elle avait vu dans la charrette auprès de Fagot. Il lui ressemblait, d'ailleurs, curieusement. Mais il était peut-être encore plus repoussant, car ce qui chez le geôlier n'était qu'hébétude, visible abrutissement, revêtait chez l'autre tous les aspects d'une méchanceté sans mesure. Certes, celui-là n'avait pas l'air d'un idiot, mais la lueur qui brillait dans ses petits yeux annonçait une astuce dangereuse.
Goguenard, balançant sa corde d'une main, il s'approcha de Catherine, se courba vers elle.
– Voilà la mignonne ! Alors, on fait la méchante ? On ne veut pas essayer de distraire un peu le pauvre Fagot, un si brave garçon ?...
Fagot, qui se tenait à distance respectueuse, la torche haute, désigna la jeune femme avec rancune.
– Couteau !... dit-il seulement.
Catherine vit qu'en effet un pansement entourait son épaule gauche. Mais elle n'en eut aucun remords, regrettant seulement de n'avoir pas frappé plus fort.
– Un couteau, hein ? fit le nouveau venu avec une ignoble douceur... eh bien, on va le lui prendre !
Avant que Catherine ait pu deviner son geste, il avait empoigné la chaîne reliée au collier de fer et la tirait vers lui brutalement. Catherine crut que sa tête sautait. Elle hurla de douleur mais cela ne parut pas impressionner le misérable qui n'en tira que plus fort pour jeter la jeune femme hors de sa couche de paille. Elle roula à terre et, dans sa chute, la dague qu'elle tenait à la main lui échappa.
Ramasse, Fagot ! fit l'autre. Voilà le couteau en question ! Tu n'as plus rien à craindre. Bon sang ! Quel dommage que j'aie dû te laisser seul avec cette coquine ! Messire Garin devait pourtant bien savoir que, sans ton petit frère, tu ne valais pas cher. Mais maintenant, il est là, le bon Pochard... et on va bien voir qui c'est qui va faire la loi ici. Et d'abord, s'agirait de savoir comment cette mignonne s'est procuré son joli petit couteau... et aussi cette belle casaque de cuir. Ce n'est pas venu tout seul ici, tout ça... et quelque chose me dit qu'elle va nous le raconter bien gentiment. Pas, ma belle ?
Et une nouvelle fois, il donna une secousse au collier de fer, étranglant à demi la malheureuse Catherine.
– Tu vois, ricana le misérable, comme elle est déjà douce et gentille ?
On va s'entendre très bien nous deux. Mais d'abord, Fagot, allume-nous du feu, ça pourra toujours servir... ne serait-ce qu'à lui mettre les pieds dedans si elle ne veut pas parler. Et puis, il fait vraiment un peu frais ici, pour moi tout au moins parce que Madame est un peu rouge. Elle doit avoir chaud.
En effet, le sang à la tête, Catherine étouffait à demi car Pochard la tenait soulevée par le collier de fer. Brutalement, il la laissa retomber à terre, mais ce fut pour s'emparer de ses deux mains qu'il ligota derrière son dos.
– Comme ça, commenta-t-il goguenard, on ne craindra pas ses griffes !
Maintenant, on va la faire respirer un peu. Viens çà, Fagot, et laisse ton feu un moment, ça peut attendre. Puisqu'elle te plaît tellement, cette donzelle, je vais te faire plaisir. Je vais te la tenir pendant que tu en useras à ton gré. Et si elle est aussi gironde que tu le dis, je passerai après toi si ça me chante.
Attends... je vais te la dépouiller.
Il commençait à déchirer la misérable robe de Catherine quand un râle d'agonie le fit sursauter et ranima Catherine effondrée. Comme Fagot allait sortir de la cheminée, Landry était tombé sur son dos et, sans autre forme de procès, lui avait planté une dague entre les deux épaules. L'idiot s'affala dans les cendres, face contre terre, crachant un flot de sang...
Landry enjamba le corps d'un bond souple après avoir arraché son arme de la blessure. Maintenant, penché en avant, bras écartés, ses yeux noirs brillants de haine dans son visage barbouillé de suie, il faisait face à Pochard.
– À nous deux, crapule !... siffla-t-il entre ses dents. Je te jure que tu ne sortiras pas vivant d'ici.
– Voire ! ricana Pochard en tirant un long couteau de sa ceinture. On va être deux, à ce jeu-là, mon joli ramoneur. Et j'ai d'autant plus envie d'avoir ta peau que j'aimais beaucoup mon petit frère...
Catherine, oubliée par lui, se hâta de se traîner dans son coin pour dégager ses mains. Heureusement Pochard n'avait pas beaucoup serré la corde. Elle était si faible et si endolorie qu'elle ne savait plus si elle devait remercier le ciel d'avoir envoyé Landry à temps ou trembler pour lui. Il était jeune, souple et sans doute entraîné aux armes comme tous les hommes de la Grande Ecurie, mais Pochard avait la tête en plus que lui et une force dangereuse se dégageait de toute sa massive personne. Landry, pourtant, ne paraissait pas inquiet. A la lumière de la torche que Fagot avait plantée dans un anneau de fer du mur, Catherine put voir briller ses dents au milieu de sa figure noire ; il souriait... Les deux hommes s'observaient, tournant sur place en une bizarre figure de danse. Puis, brusquement, ils s'empoignèrent.
Catherine cria en se rendant compte que Landry était tombé sous la masse de son adversaire. Les deux hommes avaient roulé sur les dalles poussiéreuses et s'y enchevêtraient en un corps à corps furieux. Leurs grognements de rage étaient ceux de deux fauves aux prises et leurs mouvements si violents que Catherine les distinguait mal. Ils étaient inextricablement emmêlés l'un à l'autre...
Cela dura un temps qui parut interminable à la prisonnière épouvantée.
Mais, soudain, Pochard réussit à terrasser son adversaire. Catherine le vit avec horreur agenouillé sur le ventre de Landry. Il le tenait à la gorge, il serrait, il allait l'étrangler...
Alors, rassemblant tout ce qui pouvait lui rester de forces, Catherine saisit une boucle de sa chaîne, la leva et, avec autant de violence qu'elle put, la laissa retomber sur le crâne de Pochard qui s'écroula... Aussitôt Landry fut debout ; d'une bourrade, il renversa le frère de Fagot puis, se penchant sur lui, froidement, il lui trancha la gorge. Le sang gicla jusque sur la robe de Catherine qui, à demi morte, s'était laissée tomber à terre.
– Voilà qui est fait, fit Landry avec satisfaction. Maintenant, à nous deux, Cathy... je te dois la vie. Sans toi, ce pourceau m'étranglait...
Debout, il respirait fort, reprenant peu à peu son souffle que la violence de la bataille avait écourté. Du pied, il repoussa loin de Catherine le cadavre sanglant de Pochard, puis s'agenouilla auprès de son amie dont il caressa les cheveux emmêlés et poisseux.
– Pauvrette ! Tu n'en peux plus. Attends que je te délivre de ce carcan...
mais dans quel état il t'a mise. Tu as le cou en sang...
En effet, le cou mince saignait à plusieurs endroits, écorché par les brutales tractions exercées par Pochard sur le collier de fer. Landry déchira un morceau de la chemise de Catherine ou de ce qu'il en restait pour en faire un gros tampon qu'il interposa entre le collier et le cou blessé, puis, à l'aide d'une grosse lime qu'il avait apportée avec lui, se mit en devoir de scier le collier. Car la fouille du cadavre de Fagot n'avait rien donné. Il n'avait pas trouvé la clef. L'opération fut longue et pénible pour Catherine malgré les précautions prises par Landry. Le bruit irritant de la lime mordant l'acier crispait les nerfs de la jeune femme surexcitée par l'impatience. Enfin, le moment vint où le carcan tomba et où Catherine, libre, put se relever. Elle voulut se jeter au cou de Landry pour le remercier mais il la repoussa doucement.
– Tu me remercieras plus tard. Maintenant, il faut filer d'ici et vite... Je ne crois pas qu'il y ait d'autres gardiens...
Soutenant par la taille son amie chancelante, il l'entraîna vers la porte, mais au moment de franchir le seuil de sa chambre de torture, la jeune femme eut une défaillance. Elle était arrivée au dernier degré de l'épuisement.
– Quel idiot je suis ! s'écria Landry. As-tu mangé quelque chose aujourd'hui ?
– Non... rien, juste un peu d'eau.
Landry tira de sa poche un flacon plat dont il mit le goulot à la bouche de la jeune femme.
– Bois un peu de ça ! C'est du vin de Beaune, ça te donnera un coup de fouet. Et, tiens, mange cette galette. Je l'avais apportée pour toi mais dans l'affolement de te trouver aux prises avec ces vilains oiseaux, j'ai complètement oublié de te la donner
Le vin emplit l'estomac de Catherine d'une chaleur instantanée mais lui donna également mal au cœur. Elle grignota quelques bribes de galette, se sentit tout de même un peu plus forte et voulut faire quelques pas. C'était impossible. Elle retomba à terre en vomissant ce qu'elle venait d'avaler, secouée par une terrible nausée.
– Tu n'en peux plus ! constata Landry sans s'émouvoir. Alors aux grands maux, les grands remèdes !
Il se baissa et, enlevant la jeune femme dans ses bras aussi aisément que si elle n'avait rien pesé, il s'élança dans l'escalier. La vis de pierre, prise dans l'épaisseur de la muraille, était éclairée de loin en loin par des brûlots de poix dans des cages de fer. En quelques instants, Landry et son fardeau furent dans la cour du château.
– Le plus difficile est fait, chuchota Landry avec un petit rire. L'enceinte de ce palais est en ruine. Il y a une brèche là, tout près.
A peine consciente, Catherine vit des pans de murs noircis qui se détachaient vigoureusement sur la neige. Des plaques blanches ouataient les pierres croulantes sur lesquelles Landry grimpait avec la sûreté d'un chamois. Bientôt, l'enceinte fut franchie et la campagne libre s'étendit, à perte de vue, blafarde sous le ciel noir, devant les yeux de la fugitive. On était maintenant sur la pente de la colline au bas de laquelle quelques masures se tassaient frileusement. Sans lâcher Catherine qu'il tenait étroitement serrée contre sa poitrine, Landry siffla trois fois. Une ombre sortit de derrière un enchevêtrement de ronces et de cailloux.
– Dieu soit loué ! fit une voix tremblante d'émotion. Tu as réussi !
Comment est-elle ?
– Pas brillante ! Il faut la coucher tout de suite.
– Tout est prêt. Viens...
Si faible qu'elle fût, Catherine avait tout de même soulevé ses paupières au son de la voix. Elle était trop épuisée pour éprouver encore de la surprise et les derniers jours vécus en enfer avaient émoussé quelque peu ses sensations mentales, mais elle voulait s'assurer qu'elle n'était pas le jouet d'une illusion.
Non, elle ne se trompait pas. C'était bien Sara qui venait de réapparaître aussi inopinément, sortant de la nuit comme si c'eût été la chose du monde la plus naturelle. Mais n'osant encore y croire, Catherine étendit la main pour toucher le visage penché sur elle.
– C'est bien toi ? Tu es revenue ?...
Sara saisit cette main et la couvrit de baisers et de larmes.
– Si tu savais comme j'ai honte de moi, Catherine... _
Mais Landry coupa court aux retrouvailles et aux explications.
– Plus tard, je t'expliquerai comment nous nous sommes retrouvés, fit-il en assurant mieux son fardeau dans ses bras. Pour le moment, il faut filer. Il a beau faire nuit, on peut nous voir, sur cette pente blanche. Je vais te déposer, Catherine, puis je reviendrai effacer les traces de mes pas dans la neige.
– Où allons-nous ? demanda Catherine.
– Pas loin, rassure-toi... à Mâlain même. Garin n'aura pas l'idée de te chercher si près de ta prison...
– Il sera inutile de revenir, fit Sara, je vais effacer les traces et d'ailleurs... (Elle s'interrompit, tendant un doigt vers le ciel...) la neige recommence à tomber. Elle aura tôt fait de combler nos pas...
En effet, de grosses mouches blanches voletaient doucement autour des trois personnages, lentes et rares d'abord, puis de plus en plus serrées...
– Le ciel est pour nous, fit Landry joyeusement. Dépêchons !
Il se hâta de dégringoler la butte que couronnait la silhouette sinistre du vieux château. Le silence enveloppait tout. Il n'y avait, en effet, plus d'autres gardiens, au donjon, que les deux cadavres déjà froids dont le sang figeait sur les dalles de la prison.
Courant presque, Landry traversa le maigre village, Sara sur les talons, dirigeant ses pas vers une chaumière où brillait une faible lumière et qui s'élevait en lisière d'un bois à flanc de colline. Sous la neige qui l'ensevelissait à moitié, la maisonnette formait une grosse boursouflure blanche, mais il y avait quelque chose d'amical et de rassurant dans la petite fenêtre barbouillée d'or par la lumière intérieure. Confiante, rassurée, Catherine se laissait emporter. Les bras de Landry avaient une vigueur, une chaleur auxquelles il faisait bon se confier... Un chien aboya près de la maison. La porte s'ouvrit aussitôt, découpant la silhouette noire d'une femme sur le fond éclairé.
– C'est nous ! fit Landry. Tout a bien marché...
– Vous l'avez délivrée ?
La voix était agréable, bien timbrée avec des inflexions graves. Elle roulait légèrement les « r », mais l'accent bourguignon en était léger.
– Entrez vite, fit la femme en s'effaçant pour les laisser passer.
La femme qui avait ouvert, devant Catherine, la porte de sa maison se nommait Pâquerette et passait pour sorcière. Mais c'était une bien étrange sorcière qui n'avait aucun point commun avec l'affreuse vieille, sordide et édentée, des légendes. Sa modeste maison au sol de terre battue était d'une propreté flamande, le chaudron de fer, pendu à la crémaillère au-dessus des flammes de l'âtre, brillait comme de l'argent. Quant à Pâquerette, elle ne devait pas avoir beaucoup plus d'une vingtaine d'années. C'était une de ces belles Bourguignonnes blondes, saines et drues comme de jeunes arbres avec un teint de fleur sauvage et un chaume épais et doré en guise de chevelure, si vigoureux que le bonnet de toile blanche n'y tenait qu'en instable équilibre.
Le corps était à l'avenant : des formes pleines sans lourdeur sous une peau au grain serré. En s'écartant pour le sourire, les lèvres rondes de Pâquerette montraient l'ivoire solide et blanc d'une dentition sans défaut.
Mais, tous ces détails, Catherine ne les avait pas notés en entrant dans la maisonnette. Elle n'avait vu que deux choses : le beau feu qui dansait sur la pierre jaune de l'âtre et le lit, si blanc sous ses rideaux de serge rouge, que l'on ouvrait devant elle. Après avoir absorbé la tasse de bouillon de poule offerte par son hôtesse, Catherine y avait dormi d'un sommeil de plomb, oubliant d'un seul coup ses souffrances et l'abjecte terreur qui, pendant des jours, l'avait mordue aux entrailles. Elle fut tout étonnée, le matin revenu, de s'éveiller dans ce décor simple et rassurant au lieu de la grisaille sinistre du donjon. Il lui fallut faire un effort pour se souvenir de ce qui s'était passé durant cette nuit terrible, si fertile en événements prodigieux : la mort des deux gardiens, sa fuite, la miraculeuse réapparition de Sara... Mais, penché sur le lit, Landry guettait son réveil et lui sourit tendrement en remarquant l'instinctif mouvement de recul qu'elle avait eu en ouvrant les yeux :
– Allons, fit-il doucement, n'aie donc pas peur ! Tu n'as plus rien à craindre ! Tu es en sûreté ici !...
Catherine n'avait pas l'air d'y croire. Ses yeux erraient autour d'elle, se posant sur chaque objet familier mais revenant toujours au feu... ce feu dont le manque l'avait tant fait souffrir ! Au-dehors, la neige avait cessé de tomber et même un timide rayon de soleil se montrait. Sa réverbération sur l'épaisse couche immaculée illuminait l'intérieur de la petite maison.
– Du soleil... du feu ! soupira Catherine avec un léger sourire.
Sara et Pâquerette, revenant de l'étable où elles étaient allées traire les chèvres, rentrèrent à cet instant, l'une avec un seau à demi plein de lait, l'autre avec des fromages. Voyant que Catherine était éveillée, Sara courut l'embrasser en pleurant, se lamentant sur sa maigreur et son aspect misérable.
Pâquerette, elle, regardait avec curiosité en pleine lumière la rescapée du château. Landry lui avait dit qu'elle était la femme du Grand Argentier, la maîtresse du tout-puissant duc de Bourgogne mais, à contempler cette créature amaigrie, au teint terreux, aux cheveux ternes et emmêlés, sale à faire peur, elle se prenait à en douter. Sara, d'ailleurs, la première émotion passée, contemplait la jeune femme avec désespoir. Ce visage ravagé, ce cou saignant... comment reconnaître l'éblouissante dame de Brazey ?
– Comme te voilà faite ! gémit-elle. Dans quel état, doux Jésus !
– Elle est surtout sale comme un peigne ! fit Landry goguenard. Si j'étais vous, je lui donnerais un peu de lait pour la remettre et puis je la récurerais consciencieusement.
– Je vais faire chauffer une marmite d'eau, approuva Pâquerette en décrochant un chaudron pour aller le remplir au puits du jardin.
Tandis que Catherine buvait son lait à petits coups et que Sara préparait tout pour la nettoyer, on en vint aux explications. Landry raconta comment, le surlendemain de l'enlèvement de Catherine, il avait rencontré Sara chez Jacquot-de-la-Mer où parfois le chevaucheur ducal allait passer la soirée.
Elle y était arrivée dans la journée, ayant laissé dans la forêt de Pasques la tribu de Stanko, le gitan qu'elle avait suivi et pour qui elle avait abandonné Catherine.
– Elle n'osait pas aller chez toi, ajouta le jeune homme.
– J'avais honte, fit Sara franchement, et regrets aussi ! J'avais besoin de te revoir et pourtant je craignais de rencontrer ton regard. Mais Dijon m'attirait irrésistiblement. Alors, j'étais allée d'abord chez Jacquot, pour voir venir. Quand j'ai su que tu avais disparu, j'ai cru que je devenais folle... et aussi que Dieu me punissait d'avoir manqué à mes devoirs. J'ai supplié Landry de me laisser l'aider à te chercher.
Nous avons fait le guet ensemble, conclut Landry, l'un relayant l'autre. Tu connais la suite. Dans la nuit, après t'avoir quittée au château, je suis revenu à Dijon la chercher. Quant à Pâquerette...
Il attirait la jeune fille à lui, entourant familièrement sa taille de son bras, et posait sur son cou un baiser claquant.
– ... c'est aussi à la taverne de Jacquot que je l'ai connue, voici plus d'un an. Elle habitait Fontaine, avec sa mère, mais la vieille a été prise et brûlée comme sorcière. Pâquerette a dû se sauver. Elle s'est réfugiée chez Jacquot.
Seulement, à Dijon, elle ne pouvait pas respirer. Il lui fallait les champs, la campagne. Jacquot avait justement un cousin qui venait de mourir ici ; il a donné sa cabane à Pâquerette et voilà ! Elle n'a rien à craindre à Mâlain, sauf si le duc décidait d'envoyer une troupe pour détruire tout le village, et encore.
– Pourquoi donc ? demanda Catherine. Est-ce que cette terre est lieu d'asile ? Domaine d'église, peut-être ? Ne m'as-tu pas dit que le château appartenait à l'abbé de Saint-Seine ?
– Le château, oui, encore que le saint homme s'en désintéresse vertueusement, fit Landry en riant. Quant à être un lieu d'asile, c'en est un, en effet, mais pas comme tu l'entends. Ce serait même tout le contraire.
Mâlain est un village que l'on ne fréquente guère parce que presque tous ses habitants sont sorciers. La chose est bien connue... Aussi, une de plus une de moins ! Pâquerette y vit tranquille et ton époux savait ce qu'il faisait en t'enfermant dans ce vieux château. Les bons paysans des alentours ne s'approchent pas volontiers de ce coin-là. Le château passe pour hanté et le village est plus ou moins maudit...
Pendant ce temps, Sara avait rempli d'eau un grand baquet de bois qu'elle avait traîné devant le feu.
Assez parlé, maintenant, fit-elle en empoignant Landry par les épaules pour le mettre dehors. Va faire un tour ! Nous n'avons pas besoin d'un garçon pour baigner Catherine !
Avec, un soupir, Landry enfila la casaque de cuir qu'il avait récupérée, glissa une dague à sa ceinture et siffla le chien de Pâquerette.
– C'est bon, je vais faire un tour dans le bois ! J'y rencontrerai peut-être un gibier quelconque. La viande est rare, en hiver...