355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 » Текст книги (страница 7)
Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 7 (всего у книги 31 страниц)

Lorsque, tôt le matin, alors que le jour n'était pas encore levé, Perrine avait habillé sa maîtresse en vue de la longue journée de cérémonies, elle avait été effrayée par la pâleur de Catherine.

– Madame devrait rester ici, se faire excuser...

C'est impossible ! Dans une semblable occasion, il faut être à la mort pour se dispenser d'assis ter aux funérailles. Ce serait offenser le duc dans sa douleur, répondit Catherine.

– Même Madame... dans son état ?

Catherine avait souri tristement.

– Oui, Perrine. Même moi !

Deux personnes seulement, dans l'entourage de Catherine, savaient qu'elle était enceinte : sa petite servante et Abou-al-Khayr qui, le premier, avait diagnostiqué la raison profonde d'un brusque évanouissement de la jeune femme aux environs de Noël. Depuis, la santé de Catherine était très chancelante, malgré les efforts qu'elle faisait pour le cacher. Elle supportait très mal son état et de fréquentes nausées, depuis cette première perte de conscience, la torturaient. Elle ne pouvait plus endurer les odeurs de cuisine et, quand elle traversait le bourg, les relents des chaudières des tripiers la révulsaient. Mais elle luttait courageusement pour tenter de cacher la vérité, le plus longtemps possible, à son mari.

C'est que, depuis les fêtes du mariage, ses relations avec Garin s'étaient singulièrement détériorées. Le Grand Argentier ne se départissait plus, envers elle, d'une glaciale politesse en public et, dans le privé, du moins quand il était là, il ne lui adressait presque jamais la parole, sinon sur un ton blessant auquel Catherine ne comprenait rien. Évidemment, il savait, comme tout Dijon, la nature exacte de ses nouvelles relations avec le duc, mais qu'il songeât à s'en montrer offensé, voilà qui dépassait l'entendement de la jeune femme. N'avait-il pas tout fait, tout mis en œuvre pour qu'il en fût ainsi ?

Alors, pourquoi cette attitude méprisante que Catherine supportait mal ?

D'autant plus mal que, depuis un mois et demi, elle n'avait pratiquement pas revu Philippe, occupé aux soins de ses états et toujours par les chemins. La tendresse passionnée qu'il lui montrait, la vigilante protection qu'il étendait sur elle lui devenaient peu à peu indispensables. En outre, il avait éveillé son corps à l'amour et la jeune femme était bien obligée de s'avouer qu'elle avait vécu auprès de lui des heures de délire difficiles à oublier... difficiles à ne pas souhaiter voir renouveler !

Perrine achevait d'habiller Catherine aussi chaudement que possible.

Obligée, comme toute la Cour au deuil intégral, elle était vêtue de noir de la tête aux pieds, mais une fortune en zibeline réchauffait le velours épais de ses vêtements. Un lourd voile noir tombait de l'atour à bourrelets de fourrure qui la coiffait. De courtes bottes fourrées, dissimulées par la robe et la cape, et des gants de velours de même couleur complétaient cet équipement dont aucun bijou ne relevait l'austérité. En principe Catherine était bien protégée, mais il faisait si froid ! La jeune camériste, peu rassurée, avait hoché la tête en regardant par la fenêtre l'épaisse couche de neige qui couvrait les toits et se transformait peu à peu dans les rues, sous les pas des citadins, en boue glaciale ou en plaques dangereusement glissantes. Or, Catherine aurait à parcourir, à pied, un long trajet.

La messe solennelle, célébrée à la Sainte-Chapelle tendue de noir, avait été mortellement longue. Malgré la forêt de cierges disposés autour de l'autel et du catafalque, il y régnait un froid intense. Toutes les haleines fumaient.

Mais le pire avait été l'interminable cortège qui, au pas, avait serpenté à travers la ville. Catherine avait gravi là un vrai calvaire !

Sous le jour livide, on avait défilé entre les maisons drapées de noir, au son des trompettes funèbres tandis que toutes les cloches de la ville sonnaient un glas qui ne finissait pas. La seule tache de couleur, dans ce cortège nocturne, était le char funèbre que Philippe avait voulu tout semblable à celui de son père : six chevaux le traînaient et le corps embaumé de la duchesse défunte reposait sous un drap de brocart d'or barré d'une grande croix de velours rouge. Aux quatre coins du char flottaient des bouquets de bannières de soie bleue brodée d'or. Soixante porteurs de torches et une véritable armée de moines, pleurant et psalmodiant, l'entouraient. Philippe venait derrière, tête nue malgré le gel, très pâle et les yeux fixes. Toute la Cour, puis toute la ville avec les bannières des corporations suivaient.

L'aspect du duc avait achevé de glacer le cœur de Catherine. Il avait l'air d'un automate. Brusquement, sous l'empire du chagrin, Philippe était redevenu pour elle le souverain inquiétant... à qui, cependant, il allait falloir demander une difficile grâce, et le plus vite possible ! La veille au soir, Colette, la vieille camériste de Marie de Champdivers, était venue trouver Catherine, en toute hâte, et lui avait appris la terrible nouvelle : quelques heures plus tôt, Odette et frère Étienne avaient été arrêtés au couvent des Cordeliers tandis qu'un ordre d'exil immédiat frappait les parents de la jeune femme. Seule, Colette était restée en arrière pour avertir Catherine en qui Marie voyait son unique et dernier recours.

Le cas était grave. Le duc de Savoie avait obtenu une nouvelle trêve entre les princes ennemis. Or, sur l'instigation d'Odette, un turbulent chef de routiers que l'on appelait le bâtard de La Baume avait rompu cette trêve en attaquant un village de Bourgogne. Pris et peu soucieux de laisser sa peau dans si mince affaire, le bâtard avait tout confessé. La riposte n'avait pas tardé : Odette, Étienne Chariot et un marchand de Genève qui était leur complice avaient été jetés en prison où la torture, puis la mort les attendaient.

Catherine ne parvenait pas à comprendre ce qui avait pu pousser Odette à une telle folie. On disait même que le complot ambitionnait jusqu'à l'assassinat du duc Philippe ! Était-ce l'annexion de sa ville ou bien la hâte de voir triompher plus tôt la cause du roi Charles VII à qui Dieu avait accordé un fils le 3 juillet 1423'? De toute façon, Catherine se refusait à laisser son amie sous pareille menace, dût-elle y risquer sa propre vie.

La Chartreuse de Champmol s'élevait hors des murs de la ville, entre la route de l'ouest et le cours de l'Ouche. Encore neuve, elle avait été bâtie par le grand-père de Philippe, le duc Philippe le Hardi, sur les plans de l'architecte Drouet de Dammartin. Bien souvent, Catherine avait entendu vanter les merveilles de ce couvent, l'une des plus grandes réussites de l'époque, mais n'avait encore jamais eu l'occasion d'y entrer. Seuls les hommes pouvaient pénétrer chez les Chartreux et les femmes n'étaient admises à la chapelle qu'en des occasions comme celle-ci. Cette chapelle avait remplacé celle de Cîteaux en tant que sépulture des ducs de Bourgogne.

Quand on eut traversé la porte d'Ouche, la saussaie aux arbres noircis et tordus par le gel, le grand enclos des Pères chartreux et le jardin, il faisait presque nuit et Catherine ne se soutenait plus qu'à grand-peine.

Continuellement, elle puisait dans les pilules ou bien respirait le flacon de vulnéraire que lui avait remis Abou-al-Khayr. Car, malgré ses lourds vêtements, un froid mortel se glissait en elle. La fumée des torches la faisait tousser. En franchissant le seuil de la chapelle, elle buta, faillit tomber. La main d'Ermengarde la retint juste à temps sous l'effigie de pierre de Philippe le Hardi qui priait orgueilleusement au fronton de la chapelle, en face de son épouse. Catherine lui adressa un regard reconnaissant. Elle n'avait pas osé appeler son amie à son secours. Comme Philippe lui-même, Ermengarde paraissait un fantastique fantôme noir aux yeux figés.

I. Le futur Louis XI.

La mort de sa duchesse avait cruellement frappé la Grande Maîtresse. Sous ses voiles noirs, elle était une autre femme... Mais sa main demeurait chaude et vigoureuse. Catherine en tira un regain de courage. Elle en avait grand besoin.

Elle ne vit à peu près rien de la chapelle, merveille de l'imagier flamand Claus Sluter, ni les vitraux en grisaille armoriée, ni, dans le chœur, le joyau de pierre qu'était le tombeau de Philippe le Hardi, ni les anges autour de l'autel, portant des candélabres et les instruments de la passion, ni, à la pointe de l'abside, l'archange d'or qui tenait déployée la bannière ducale.

Elle ne voyait que Philippe, son visage immobile qui ne la regardait pas, ses yeux gris qui ne cillaient pas. Autour d'elle, il n'y avait plus que des visages de pierre, des statues noires qui se mirent à tourbillonner... Planant au-dessus, les voix profondes des moines invisibles se mirent à psalmodier un chant funèbre, œuvre de Jacques Vide, un jeune valet de chambre de Philippe. Les paroles s'enflèrent dans les oreilles bourdonnantes de Catherine avec un bruit d'orage et de menace.

« Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace.

Quia viderunt oculi mei salutare tuum... » « Maintenant, Seigneur, vous pouvez, selon votre parole, laisser votre serviteur s'en aller en paix, car mes yeux ont vu votre salut... »

Catherine sentit, à cet instant précis, qu'elle aussi s'en allait... Elle chancela. Le bras d'Ermengarde vivement passé autour de sa taille l'empêcha de choir au milieu de la cérémonie et la maintint fermement.

– Petite sotte ! lui chuchota-t-elle avec une rude affection. Vous ne pouviez pas le dire ?

– Quoi ? balbutia Catherine défaillante.

Que vous attendiez un enfant ! C'est inscrit en toute lettre sur votre figure.

Et moi qui ne voyais rien !... Courage, c'est bientôt fini, je ne vous lâche pas.

Ermengarde avait subitement retrouvé toute son humanité et Catherine pensa que, sans elle, elle fût morte sur place... En effet, la cérémonie s'achevait. Le duc Philippe, qui s'était tenu tout ce temps dans la chapelle privée de la famille du côté de l'Evangile, remettait la dépouille de sa mère au prieur de l'abbaye. Bientôt, Marguerite de Bavière s'en irait rejoindre son époux, sous la dalle de marbre noir qui marquait leur tombeau provisoire...

Mais, une seconde, Catherine avait senti son regard sur elle... un regard inquiet et tendre qui l'avait rassérénée. Son malaise se dissipait. La force d'Ermengarde paraissait s'insinuer en elle. Sa poitrine était moins oppressée... Pourquoi fallut-il qu'à cet instant, elle croisât l'œil de Garin. La haine y brûlait et lui communiqua un long frisson. Le visage contracté de l'Argentier était celui d'un fou. Catherine aurait juré l'entendre grincer des dents... Heureusement, cette impression de terreur fut très fugitive...

Quelques secondes plus tard, toujours soutenue par Ermengarde, elle se retrouvait à l'air libre. La nuit était complète et sibérienne mais du moins la jeune femme était-elle débarrassée des odeurs de cire brûlante et des lourdes volutes d'encens stagnant dans la chapelle.

– Cela va mieux ? demanda Ermengarde.

Elle la remercia d'un sourire confiant.

– Bien mieux ! Comment vous remercier ? Sans vous, je me couvrais de ridicule.

– Bah ! laissez donc ! Mais vous auriez dû me dire ce qu'il en était. Est-ce que... le duc sait ?

– Pas encore !

Toutes deux avaient fait quelques pas vers les bâtiments conventuels déployés au sud et à l'ouest de la chapelle. Des torches brûlaient en se tordant dans leurs griffes de fer devant le logis du prieur, mais tout le reste de l'immense monastère était noir et silencieux.

– Il fait sinistre ici ! fit Ermengarde avec un frisson. Partons !... Je me félicite d'avoir ordonné à mes gens de venir me prendre avec une litière.

Refaire tout ce chemin dans la neige est au-dessus de mes forces. Voulez-vous que je prévienne votre mari que je vous emmène ?

– C'est inutile ! répondit Catherine en hochant la tête. Mes faits et gestes n'intéressent pas mon époux.

– C'est qu'il est stupide ou sans cœur ! Mais il y a longtemps que j'ai renoncé à comprendre quelque chose à messire Garin ! Venez, ma chère !

Les deux femmes, en distribuant force saluts, avaient atteint le grand portail ouvert de l'abbaye. Elles allaient monter dans le lourd véhicule quand un page s'approcha d'elles. Il tenait un papier à la main et le tendit à Catherine :

– De la part de Monseigneur ! chuchota-t-il.

La jeune femme reconnut le petit Jean de Lannoy. L'adolescent lui sourit, salua profondément et s'éloigna pour rejoindre les équipages de son maître.

Les deux femmes montèrent en voiture et s'ensevelirent dans les coussins.

Ermengarde glissa un chaude-doux sous les pieds de son amie qui, déjà, dépliait le petit billet et le lisait à la lumière incertaine d'une chandelle plantée dans un anneau doré contre la paroi de la litière. Les rideaux de cuir protégeaient bien de l'aigre bise du dehors. Catherine, glacée jusqu'aux os, claqua des dents encore quelques instants. Mais le billet de Philippe l'enchanta.

«Je t'en supplie,écrivait le duc, viens! Viens ce soir!... J'ai un terrible besoin de te voir et je ne reste que trois jours. Pardonne-moi de te presser.

Je t'aime trop, vois-tu ! Lannoy t'attendra jusqu'à minuit à la porte du jardin... »

Ce n'était pas signé mais Catherine n'avait aucun besoin "de signature.

Elle froissa le papier en boule dans sa main et le fourra dans son aumônière.

Tout à coup, elle respirait mieux. Le poids d'angoisse qui l'étreignait depuis la veille s'allégeait. Une lueur d'espoir lui venait de sauver bientôt son amie.

Quand elle songeait à la frêle et délicate Odette, jetée au fond d'un cachot par ce froid, chargée de chaînes, pleurant de peur et de désespoir, elle s'affolait. Mais, grâce au ciel, cette nuit même, elle pourrait implorer la pitié de Philippe, arracher la liberté de son amie ! Les nausées qui l'avaient torturée toute la journée, la sensation de glace infiltrée dans ses veines, tout cela s'estompa en songeant à cette perspective. Et puis, cette nuit, il y aurait Philippe... l'amour de Philippe, ses mains douces, ses mots tendres !

Aussi Catherine était-elle presque gaie quand la litière d'Ermengarde la déposa rue de la Parcheminerie.

Le jeune Lannoy était bien à son poste quand Catherine frappa trois coups à la petite porte prise dans le haut mur du pourpris ducal. Le crève-feu était sonné depuis longtemps, mais la nuit était moins froide que ne l'avait été le jour, grâce à une abondante chute de neige tombée après complies. Depuis son séjour à Marsannay, Catherine avait pris l'habitude de ces promenades nocturnes, qui non seulement ne l'effrayaient pas, mais l'amusaient, un peu comme une partie d'école buissonnière. Elle ne craignait rien du danger sournois des ruelles, des soldats ivres ou des coupe-bourses de Jacquot-de-

la– Mer. Une fois pour toutes, Abou-al-Khayr avait mis à sa disposition ses deux esclaves nubiens dont la gigantesque présence et les visages, plus noirs que la nuit elle-même, mettaient en fuite les téméraires qui eussent tenté de s'attaquer à une femme ainsi escortée. Bien nourris, chaudement vêtus, les deux noirs muets valaient à eux seuls toute une troupe armée. Catherine le savait et pouvait ainsi se rendre, libre de toute crainte, aux rendez-vous de Philippe. C'était de beaucoup la solution la plus pratique.

Jean de Lannoy sautait d'un pied sur l'autre dans la neige du jardin en se battant les flancs de ses bras pour se réchauffer. Il ouvrit avec enthousiasme à la visiteuse.

– C'est gentil à vous d'être venue si vite, dame Catherine ! chuchota-t-il malicieusement. Il fait un froid de loup...

– C'est pour toi que je me suis hâtée. J'ai craint que tu ne prennes froid...

– Autrement dit, Monseigneur me doit des remerciements, conclut le page en riant. D'autant plus qu'il vous attend avec impatience.

– Comment est-il ?

Lannoy eut une grimace qui signifiait « ni bien, ni mal », et prit la main de Catherine pour la guider à travers le jardin. La neige était si épaisse qu'il fallait bien connaître les lieux pour ne pas tomber dans les massifs. Sous la voûte du palais, la jeune femme confia au page, comme d'habitude, Omar et Ali, ses gardes du corps, et s'élança dans le petit escalier en spirale, pris dans une tourelle aveugle, qui menait droit chez le duc. Des chandelles de cire parfumée éclairaient ce colimaçon tapissé de velours. Quelques instants plus tard, Catherine tombait dans les bras de Philippe. Il l'étreignit avec passion, sans prononcer une parole, couvrant de baisers fous son visage froid. Au bout d'un long moment, il la lâcha, rabattit le capuchon de fourrure sur les épaules de la jeune femme, puis reprit son visage entre ses deux mains pour l'embrasser encore.

– Comme tu es belle ! chuchota-t-il d'une voix étranglée par l'émotion...

et comme tu m'as manqué ! Quarante-cinq jours sans toi, sans ton sourire, sans tes lèvres. Mon amour... quelle éternité !

– Puisque je suis là, dit Catherine souriante en lui rendant son baiser, il faut oublier tout cela.

– Tu oublies si vite les mauvaises heures ? Pas moi... Et, malgré l'envie violente que j'avais de te retrouver, j'ai hésité, tantôt, à t'imposer cette sortie nocturne. Tu étais si pâle à la chapelle ! J'ai bien vu que tu avais failli te trouver mal...

– Le froid ! Toi aussi, tu étais pâle...

Il l'était encore. Contre elle, Catherine sentait trembler le grand corps maigre. Elle ne voulait pas lui annoncer tout de suite l'enfant à naître parce qu'il n'eût peut-être pas osé la toucher. Et elle sentait qu'il avait besoin d'elle, impérieusement. Un besoin physique... Sa figure était creusée par les larmes récentes. Sur le corps de sa mère, il avait répandu un torrent de pleurs qui l'avaient épuisé. Mais son air malheureux ne le rendait que plus cher à Catherine. Elle n'était pas encore parvenue à démêler le sentiment bizarre qui la liait à Philippe. L'aimait-elle ? Si l'amour était cette torture mentale, cette faim douloureuse qu'elle éprouvait chaque fois qu'elle évoquait le visage d'Arnaud, alors non, elle n'aimait pas Philippe. Mais s'il était seulement tendresse, douceur, puissant attrait physique, peut-être Philippe avait-il réellement pris un peu de son cœur.

Il l'avait soulevée de terre, après l'avoir débarrassée de son ample manteau et l'emportait vers le grand lit sur lequel il l'assit. Puis, il s'agenouilla devant elle pour la déchausser, il ôta doucement les petites bottes de cuir noir, les bas de soie fine qui montaient jusqu'aux genoux. Un moment, il garda entre ses mains les minces pieds nus, posant un baiser sur chacun des ongles roses.

– Tu as froid, fit-il tendrement, je vais aviver le feu.

Trois troncs d'arbres empilés flambaient dans la cheminée, mais pour que les flammes fussent plus hautes et plus ardentes, le duc alla lui-même chercher une brassée de branchages dans un débarras voisin et les empila sur les rondins. Le feu bondit... Philippe revint alors à Catherine et commença à la dévêtir. Il apportait toujours un soin et une délicatesse extrêmes à lui ôter ses vêtements. Ses gestes, doux et caressants, étaient tout pleins d'une dévotieuse adoration. C'était une espèce de rituel lent, un peu solennel, auquel tous deux se complaisaient parce qu'il exaspérait le désir et rendait plus violente la tempête des sens qui suivait. Philippe ne se prosternait que pour mieux dominer ensuite...

Lorsque, longtemps après, Catherine s'éveilla de la délicieuse torpeur où s'était noyé son corps, sa joue reposait sur la poitrine de Philippe. Mais lui ne dormait pas. Légèrement redressé sur un coude, il jouait avec la masse soyeuse des cheveux de sa maîtresse étalés sur la soie blanche des oreillers comme une nappe d'or pur dans laquelle jouaient les flammes. Voyant qu'elle avait les yeux ouverts, il lui sourit avec ce charme que prenait, dans le sourire, son long visage hautain, un peu sévère.

– Pourquoi est-ce que je t'aime autant ? Tu mets du feu liquide dans mes veines comme aucune autre ne l'a jamais fait. Dis-moi ton secret ? Es-tu sorcière ?

– Je suis seulement moi, fit Catherine en riant.

Mais Philippe était redevenu grave. Pensivement,

il la considérait avec une espèce de respect.

C'est vrai. Cela dit tout. Tu es toi... un être d'exception, moitié femme, moitié déesse... une entité rare et précieuse pour la conquête de laquelle des armées pourraient s'affronter. Il y a eu, jadis, une femme comme cela.

Pendant dix ans deux peuples se sont entr'égorgés parce qu'elle avait abandonné l'un pour l'autre. Une grande capitale a brûlé, des hommes ont péri par milliers pour que l'époux délaissé retrouvât son bien. Elle s'appelait Hélène... Elle était blonde, comme toi, moins que toi sans doute... Quelle autre femme, même notre mère Eve, a jamais eu plus belle chevelure que la tienne... ma Toison d'Or !

– Quel joli nom ! s'écria Catherine. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Philippe la reprenait dans ses bras, la ramenait contre lui et la faisait taire d'un baiser.

– C'est encore une histoire de l'Antiquité. Je te la raconterai un autre jour...

– Pourquoi pas maintenant ?

– Devine..., fit-il en riant.

Le craquement des bûches reprit pleinement possession de la chambre tandis que Philippe et Catherine oubliaient une nouvelle fois le monde extérieur.

Quand elle lui apprit qu'elle attendait un enfant, il resta d'abord muet de surprise puis manifesta aussitôt une joie exubérante, la remerciant comme d'un rare présent.

– Tu m'enlèves tout remords ! s'écria-t-il. J'étais honteux de t'avoir appelée ici le soir même où ma mère... mais cette vie que tu m'annonces absout la faute. Un enfant... un fils, n'est-ce pas ?

– Je ferai ce que je pourrai, fit Catherine en riant. Tu es heureux ?

– Tu le demandes ?

Il sautait du lit et allait remplir, sur un dressoir, deux coupes d'or, dont il tendit l'une à Catherine.

– Du vin de Malvoisie ! Buvons à notre enfant !

Il leva sa coupe, la vida d'un trait puis se recoucha pour regarder Catherine boire son vin à petits coups.

– Tu as l'air d'une chatte devant un bol de crème, fit-il en se penchant pour recueillir, des lèvres, une goutte de vin qui roulait sur la gorge nue de Catherine. Maintenant, dis-moi comment je peux te rendre un peu de la joie que tu m'as donnée.

Il l'avait installée à nouveau contre sa poitrine. Près de son oreille, Catherine entendait battre le cœur de son amant. Mais ce fut le sien, à elle, qui battit un peu plus vite. Le moment était venu... elle se reprochait déjà d'avoir trop tardé. Dans les délices de cette nuit d'amour, elle avait failli oublier la détresse d'Odette. Collant sa tête plus étroitement contre Philippe, elle murmura :

– J'ai... j'ai quelque chose à te demander.

– Dis vite, c'est accordé d'avance.

Elle se redressa, posa sa main sur la bouche du duc, hochant tristement la tête.

– Ne promets pas trop vite ! Tu n'aimeras sans doute pas ce que je vais te dire. Il se peut... que tu te fâches.

Elle attendit l'effet de ses paroles et son inquiétude grandit en voyant que Philippe se mettait à rire.

– II n'y a pas de quoi rire, je t'assure, fit-elle, offusquée vaguement.

– Oh si ! car je pourrais te dire moi-même ce que tu vas me demander.

Gageons... tiens, un baiser !... que je sais ce que tu veux !

– C'est impossible !

– Mais non ! Il suffit seulement de te bien connaître. Tu as toujours dans ta manche une grâce « impossible » à me demander... même quand tu n'as pas de manches. Crois-tu que j'ignore ton amitié pour cette sotte d'Odette de Champdivers ? Ma police est mieux faite que cela, belle dame.

– Alors ? fit Catherine, la gorge soudain serrée.

Qu'est-ce que le duc de Bourgogne va faire des conspirateurs ?

– Le duc de Bourgogne n'en fera rien du tout, pour ne pas faire pleurer les beaux yeux que voilà. La fille, le moine et le trafiquant iront se faire pendre ailleurs. On les libérera... mais je ne peux faire moins que les expulser. Ton Odette devra quitter la Bourgogne. Elle ira en Savoie où on la casera quelque part. Le moine retournera à son mont Beuvray avec interdiction de franchir nos frontières et le marchand regagnera Genève. Tu es contente ?

– Oh ! s'écria Catherine débordante de reconnaissance, les yeux brillants comme des étoiles. Oh oui !

– Alors, je te rappelle que tu me dois un gage. J'ai deviné juste. Paie, maintenant !

Catherine paya avec enthousiasme et tant d'ardeur que Philippe fut bientôt comblé.

Matines devaient être chantées depuis longtemps au couvent Saint-Etienne, voisin du palais, quand Catherine, ses muets sur les talons, regagna sa demeure. La nuit était d'un noir d'encre et le froid cinglait son visage sous le capuchon baissé, mais la joie qu'elle emportait lui tenait chaud. Elle savait que, dans la matinée, Odette serait libérée, qu'elle pourrait la garder chez elle vingt-quatre heures puis la remettre à l'escorte chargée de la mener aux frontières de Bourgogne. L'exil n'aurait rien d'affreux car la jeune femme se promettait de bien munir son amie et le moine de manière à ce qu'ils ne manquassent de rien...

Elle était très fatiguée. Une journée de cérémonies écrasantes ajoutée à une nuit de plaisir, il y avait là de quoi abattre quelqu'un de plus solide. Mais, en se hâtant vers sa maison chaude, Catherine songeait avec plaisir à son lit douillet, bien clos, à la douceur de ses draps. Elle se sentait extraordinairement bien, malgré son état... détendue comme cela ne lui était pas arrivé depuis la Noël. Elle était sûre de dormir comme un ange.

Rentrée dans sa chambre, elle se hâta de se dévêtir et de se glisser dans le lit que Perrine, réveillée en sursaut, s'était précipitée pour lui bassiner pendant qu'elle se déshabillait. Tout était tranquille dans la maison. On n'entendait aucun bruit.

– Ne me laisse pas dormir trop longtemps demain matin, recommanda Catherine à la jeune fille. Il faut que j'aille à la prison vers le milieu de la matinée pour y chercher dame Odette. Et je suis si lasse que je pourrais dormir jusqu'au soir.

Perrine promit, se retira sur une révérence. Catherine, bien protégée derrière ses rideaux de soie, ne tarda pas à tomber dans un profond sommeil.

Elle fut tirée de sa bienheureuse inconscience par un fait étrange et brutal.

Des mains s'étaient saisies d'elle, l'empoignaient aux épaules et aux cuisses, la soulevaient dans les airs, l'emportaient. Ses yeux gros de sommeil devinèrent, dans une pénombre grisâtre, qui était peut-être le tout petit jour, des formes sombres et confuses qui s'agitaient. Sa chambre, qu'elle avait peine à reconnaître, semblait pleine de fantômes. Ces ombres ne faisaient pas le moindre bruit et ce silence ajoutait à l'impression de cauchemar.

Comme pour sortir d'un rêve, Catherine voulut crier. Mais, si sa voix s'arrêta sur ses lèvres, ce ne fut pas à cause de l'étrange impuissance née d'un songe pénible, mais bien parce qu'une main s'était abattue sur sa bouche. Elle comprit, alors, qu'elle ne rêvait pas, qu'on l'enlevait bel et bien. Mais qui ?

Toutes ces ombres portaient des masques... D'autres mains, sans douceur, la roulaient dans une couver ture qu'on rabattit sur sa tête. Une obscurité totale, étouffante, engloutit la jeune femme terrorisée.

Elle perçut un vague chuchotement puis on l'emporta. En pensée, elle suivait le chemin parcouru, la galerie, l'escalier... marche à marche. Les deux hommes qui la portaient, sans précautions, la secouaient comme un panier. Elle ne pouvait crier car on l'avait bâillonnée... Une brusque bouffée d'air glacial lui apprit qu'elle était dans la cour. Tout cela n'était que trop réel et pourtant la sensation de rêve absurde demeurait. Comment pouvait-on l'enlever dans cette maison pleine de monde ? Il y avait Perrine, Garin, Abou et ses muets... Il y avait Tiercelin... et cependant on l'emportait comme un sac sans qu'aucune voix se fît entendre...

On la jeta dans quelque chose qui devait être une litière car cela se mit à bouger. Catherine se débattait avec une énergie si farouche que, malgré les liens serrés autour de la couverture, elle parvint à dégager un bras.

– Faites vite, chuchota une voix étouffée...

Catherine prit pour elle le conseil, redoubla d'énergie, découvrit sa tête à demi. Elle était dans une charrette bâchée et pleine de paille. Le jour se levait... Elle put voir un coin de la rue, très peu. Un homme occupait tout son champ de vision... et cet homme était Landry Pigasse. Un ultime effort et elle put libérer sa bouche, hurla :

– À moi... Landry !

Le cri s'étrangla dans sa gorge, étrangement faible. Ses ravisseurs avaient dû s'apercevoir qu'elle s'était quelque peu libérée. Un coup violent s'abattit sur sa tête et Catherine s'effondra dans la paille, sans connaissance cette fois.

Elle ne sut pas que la charrette franchissait la porte d'Ouche et s'engageait sur la route de l'ouest.

Une sensation de froid réveilla Catherine en même temps qu'une violente douleur à la tête. Étroitement ligotée, elle était incapable de bouger mais du moins son visage était-il découvert. Cela ne l'avançait pas beaucoup car le bâillon avait été replacé sur sa bouche et, profondément enfoncée dans la paille qui garnissait la charrette, elle ne voyait rien que le ciel et les deux hommes assis près d'elle. Mais sa tête était à peu près à la hauteur de leurs pieds.

Jamais, encore, elle ne les avait vus. Avec leurs houppelandes en peau de mouton, leurs chapeaux de feutre enfoncés sur les yeux, leurs mains rouges aux doigts carrés appuyées sur leurs gros genoux, ils avaient l'air de paysans... et semblaient totalement insensibles. Ils se laissaient aller au roulement de la charrette et, quand Catherine gémit pour attirer leur attention, ne tournèrent même pas les yeux vers elle. Si leur respiration n'avait fait fumer leur haleine, on aurait pu les prendre pour des statues de bois. Mais bientôt, Catherine se désintéressa d'eux car elle se sentait de plus en plus mal. Les cahots de la carriole se répercutaient douloureusement dans tout son corps. Ses mains et ses pieds étaient glacés et son estomac vide se tordait, aux prises avec d'atroces nausées. Le bâillon l'étouffait. Les cordes qui la liaient étaient serrées si fort qu'elles meurtrissaient sa chair malgré l'épaisseur de la couverture...

Tout près de là, une voix cria :

– Au galop !... Plus vite, Rustaud ! Fouette tes chevaux !


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю