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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Je ne suis pas noble dame mais simple fille des champs et j'ai une petite sœur qui se nomme, elle aussi, Catherine, comme l'une de mes chères saintes. Puisque c'est de moi que dépend ton sort, tu es libre, Catherine.

J'espère qu'il se trouvera ici quelque bonne âme pour prendre soin de toi car c'est à moi que cela fera plaisir. Nous nous reverrons...

Du coup, ce fut à qui s'emparerait de la prisonnière. Elle fut déliée, enlevée de l'infect tombereau, posée à terre et même un manteau, venu d'on ne savait où, tomba sur ses épaules. On se la disputait, et ceux-là mêmes qui hurlaient à la mort sur son passage, un mois auparavant, étaient prêts à se battre pour lui offrir l'hospitalité. Pendant ce temps, Jehanne et son escorte descendaient de cheval devant la cathédrale où la jeune fille voulait prier comme elle avait coutume de le faire chaque soir, au coucher du soleil. Une grande et forte femme, bien vêtue de beau velours frappé et portant des bijoux d'or, s'approcha d'elle.

– Confiez-moi votre prisonnière, Jehanne, dit– elle. Je suis la mère de Jacques Boucher le trésorier chez qui vous devez prendre logis. J'aurai bien soin d'elle.

Jehanne la remercia d'un sourire.

– Faites, dit-elle simplement. Et que Messire Dieu vous bénisse !

Puis elle entra dans la grande église, toujours portant sa haute bannière blanche, avec tous ses chevaliers après elle comme une grande traîne d'acier.

Cependant, dame Mathilde Boucher avait posé sa main sur le bras de Catherine et l'entraînait à sa suite, fendant la foule qui s'écartait devant elle avec un murmure amical.

– Venez, pauvrette. Vous êtes si pâle que vous avez grand besoin de vous réconforter.

Mais Catherine ne se laissait emmener qu'à regret. Elle se retournait sans cesse pour essayer de voir encore l'armure blanche de Jehanne qui s'estompait sous l'ombre du portail. Alors Mathilde sourit.

– Venez donc, dit-elle. Vous la reverrez bientôt puisqu'elle va loger chez nous.

Docilement, alors, la jeune femme suivit sa protectrice. Comme elles passaient devant l'Hôtel-Dieu, voisin de la cathédrale, elle avisa, sculpté au-dessus de la porte, une silhouette agenouillée portant d'immenses ailes.

– Un jour, fit-elle sourdement, il y a bien longtemps, alors que j'étais toute petite, une femme de Bohême m'a prédit qu'au cours de ma vie, je rencontrerais un ange ! Croyez-vous, dame Mathilde, que Jehanne soit cet ange ?

Mathilde s'arrêta un instant et regarda son invitée avec une brusque sympathie. Elle n'avait obéi, tout à l'heure, qu'à un mouvement charitable et au désir d'être agréable à la libératrice. Mais elle commençait à s'intéresser à la rescapée.

– N'en doutez pas ! fit-elle gravement.

La maison de Jacques Boucher, trésorier pour le roi en la ville d'Orléans, était située auprès de la porte Regnard qui regardait vers l'occident. C'était une haute et belle demeure dont les pignons fleuronnés, les belles fenêtres à meneaux et à vitraux coloriés, et les minces poivrières proclamaient la richesse. De ses fenêtres hautes, la vue enjambait le rempart et s'étendait à l'aise sur la plus grande partie du camp anglais. Par-delà le fossé, entre la Loire et la porte Bannière, au nord, les hommes de Salisbury, tué dans le début du siège, puis de Talbot et de Suffolk avaient bâti cinq bastilles de bois, avec tours et défenses, dont la principale, une énorme fortification qui gardait le fleuve, portait le nom de bastille Saint-Laurent. Le pennon de John Talbot, comte de Shrewsbury, y flottait ainsi que Mathilde Boucher le montra à Catherine depuis la chambre qu'elle lui donna. Malgré la nuit, on pouvait distinguer nettement toute l'étendue du camp anglais et les chaînes de tentes multicolores qui reliaient l'une à l'autre les bastilles. Au-delà, tout le pays, rasé, brûlé, semblait aussi pelé qu'un crâne chauve.

– Ils ne sont pas mieux lotis que nous, fit la nouvelle amie de Catherine en désignant la grosse bastille, et ne mangent guère à leur faim. Depuis le fameux convoi de harengs que le duc de Bourbon n'a pas réussi à arrêter malgré toutes les vies qu'il a coûtées, ils n'ont rien reçu. Ils ont les dents longues. Mais, ce soir, grâce à Dieu et à Jehanne, nous souperons à notre aise, nous autres les assiégés !

Catherine avait l'impression de s'éveiller d'un mauvais rêve. La cordialité de la dame était réconfortante. Par bien des côtés, elle rappelait à la jeune femme son amie Ermengarde et Catherine ne résista pas au plaisir de le lui dire. Dame Mathilde en fut immensément flattée, les Châteauvillain étant de trop grande race pour n'être pas connus de toute la France. D'ailleurs la qualité de son invitée agissait également sur elle et, oubliant qu'une heure plus tôt, la noble dame avait la corde au cou, elle prit un évident plaisir à l'appeler « ma chère comtesse ».

Grâce à elle, Catherine retrouva d'un seul coup toutes les joies du confort.

Dans les grandes salles de réception, les nombreux serviteurs préparaient le banquet fastueux que le trésorier voulait offrir à la Pucelle, mais Mathilde parvint à récupérer deux chambrières qui, sur son ordre, se hâtèrent de chauffer un bain et de préparer une chambre.

Une fois plongée dans l'eau, Catherine songea qu'elle n'avait jamais goûté plaisir comparable à celui-là. Des masses d'eau chaude, du savon parfumé, des eaux de senteur, tout cela se trouva d'un seul coup à sa disposition comme par miracle. La cruche d'eau froide que lui apportait chaque matin le brave Pitoul était bien loin ! Quand elle se fut vigoureusement frictionné le corps, lavé les cheveux, Catherine se sentit une autre femme. Une chemise de fine batiste plissée, une robe de soie de couleur feuille morte, un peu trop grande pour elle, mais solidement resserrée avec des épingles, et elle se trouva transformée. Tandis qu'une servante peignait ses longs cheveux, sans lui ménager les exclamations admiratives, elle songea que toutes ses angoisses, toutes ses terreurs et même les souvenirs de ses souffrances, tout cela gisait maintenant au fond de l'eau polluée que les servantes s'activaient à vider. Quand Mathilde, qui était allée aider sa belle-fille à mettre la dernière main aux préparatifs, entra dans la chambre, elle resta sur le seuil, médusée par la transformation qui s'était opérée. En une heure à peine, l'épave destinée au gibet s'était muée en une jeune femme très belle et très élégante.

Elle ne put se retenir de venir l'embrasser.

– Ma chère comtesse, vous êtes tout bonnement éblouissante et je commence à comprendre mieux les choses ! En vérité, je me demandais quel fou avait bien pu imaginer que vous étiez la douce amie du duc Philippe, si difficile !

– Je ne le suis plus, fit Catherine en souriant. Je vous raconterai pourquoi. Vous avez été si bonne avec moi !

Laissez donc. Vous êtes ici chez vous. Votre aventure, je l'ai compris presque en même temps que la Pucelle, venait d'une affreuse méprise. Et vous êtes la bienvenue. Venez, maintenant, que je vous présente. J'entends le cortège qui arrive.

En effet, le vacarme de la ville en délire paraissait se porter de ce côté.

Jehanne, sans doute, avait quitté la cathédrale et gagnait son logis. Mais Catherine résista à Mathilde qui voulait l'entraîner.

– Non, pas ce soir ! J'aurais honte !... Demain, je me jetterai aux genoux de Jehanne pour la remercier.

A ce moment, la tête rouge et essoufflée de Marguerite Boucher parut dans l'entrebâillement de la porte. Elle sourit à Catherine, qu'elle avait accueillie chaleureusement puisque Jehanne l'envoyait, mais elle s'adressa à sa belle-mère :

– La voilà ! Je vous en conjure, venez ! Je meurs de peur et jamais je n'oserai l'aborder seule.

– Quand donc cesserez-vous d'avoir peur de la moindre armure, Margot

? fit Mathilde en haussant les épaules. Ce n'est pas un chef de routiers qui nous arrive, mais une belle jeune fille souriante et pleine de douceur...

– ... et qui nous vient tout droit du ciel ! Si vous trouvez que ce n'est pas plus impressionnant que tous les chefs de routiers du monde, vous !

Les deux femmes sortirent en hâte, laissant Catherine seule. Le cortège de Jehanne, en effet, arrivait et la jeune femme s'approcha de la fenêtre pour la voir arriver. La Pucelle était toujours à cheval, mais elle avait remis sa bannière à son écuyer, Jehan d'Aulon, qui la suivait comme son ombre, afin de pouvoir mieux toucher toutes les mains qui se tendaient vers elle ou embrasser les petits enfants qu'on lui tendait.

Derrière elle, les capitaines marchaient toujours en bon ordre, patients et souriants pour une fois. Un seul montrait une mine sombre et chevauchait distraitement, les yeux sur les oreilles de son cheval. Catherine, le cœur battant, le sang aux joues, reconnut Arnaud. Jamais encore elle ne lui avait vu ce visage altéré, cette attitude accablée. Il avait l'air d'un vaincu traîné au char du vainqueur et Catherine se demanda s'il savait que Jehanne l'avait arrachée à la mort. Cette mine lugubre qu'il affichait, venait– elle du fait qu'il la savait vivante ou bien le remords faisait-il déjà son effet ? Les souvenirs de la nuit précédente devaient le tourmenter comme autant de reproches et la jeune femme se prit à sourire. C'était tellement bon de se sentir vivante, jeune, libre... libre surtout de reprendre l'étrange bataille qui, depuis si longtemps, l'opposait au capitaine de Montsalvy.

– Je ne te laisserai ni trêve ni repos, murmura– t-elle entre ses dents quand le chevalier passa sous sa fenêtre sans la voir. Un désir intense de revanche, de vengeance la possédait. La vue d'Arnaud lui avait produit un étrange effet. Il était, à la fois, tout ce qu'elle aimait et tout ce qu'elle détestait, cet homme qui si froidement, sans la moindre hésitation, l'avait envoyée à la mort et qui, cependant, avait déliré de passion entre ses bras.

Son air morne, la tristesse répandue sur ses traits avaient soulevé chez Catherine une vague de joie mauvaise. Il était temps qu'à son tour il apprît ce qu'était la souffrance et aussi que l'orgueil ne résolvait pas tout, ne protégeait pas de tout.

Quand ils furent tous entrés et que la maison s'emplit de bruit comme une coquille creuse, Catherine alla s'étendre sur son lit, un lit si doux qu'elle faillit en pleurer de joie. A refaire ainsi l'apprentissage de la vie, sa colère envers Arnaud s'en trouvait gonflée, son inquiétude aussi. Ce soir, ou demain, ils se retrouveraient face à face et la jeune femme ne se dissimulait pas qu'elle craignait cette minute plus que tout. Comment réagirait-il quand il la reverrait, quand il serait bien sûr qu'elle était toujours vivante ? Arnaud, pour Catherine, représentait une insoluble énigme. Par deux fois elle s'était abandonnée à lui, si éprise et si consentante qu'il n'avait pu s'y tromper.

Pourquoi, dès lors, cette haine dont il la poursuivait au point de l'avoir livrée à la torture, jetée au bourreau ? Il avait peur d'elle, voilà qui était sûr, peur du désir irrépressible qu'elle éveillait en lui et, parce qu'il croyait au maléfice de cette attirance, il avait essayé de s'en débarrasser par le plus brutal des moyens.

Loyalement, Catherine essaya de se mettre à la place du jeune homme.

Lorsqu'il l'avait rencontrée, sur la route de Flandres, il n'avait même pas cherché à lutter contre l'attrait violent qu'elle exerçait sur lui. Il ne s'était pas posé de questions et, simplement parce qu'elle était belle et qu'il en avait envie, il l'avait prise dans ses bras, il avait voulu la faire sienne sans chercher à en savoir davantage. Mais, de cette minute, où l'amour à l'état pur les avait jetés l'un vers l'autre, le sort avait paru prendre un malin plaisir à les séparer. Pourquoi avait-il fallu que, de la mort de son frère, il n'eût retenu que le nom de Legoix ? Des Legoix, il y en avait beaucoup à Paris et un seul, le cousin Thomas, avait manié le couperet qui avait tranché la vie de Michel. S'il avait été si bien renseigné, comment Arnaud n'avait-il pas appris le rôle qu'avait joué une petite fille de Paris ? Personne n'avait donc parlé devant lui de cet orfèvre pendu pour avoir donné asile à son frère, de l'enfant éperdue qui, opposant ses mains nues à la fureur populaire, avait imploré qu'on épargnât le jeune homme ? Arnaud englobait Catherine dans tous les Legoix de la terre, sans même chercher à savoir qui était coupable et qui était innocent.

Pourtant, à mesure que les pensées de la jeune femme allaient leur chemin, elle découvrait au fond de sa conscience des raisons de l'excuser. Tout compte fait, quelles raisons Arnaud pouvait-il avoir de lui faire confiance ?

Elle portait un nom dont il s'était juré de tirer vengeance et, pourtant, quand il l'avait retrouvée, sous les murs d'Arras, emporté par l'amour qu'elle lui inspirait, il avait oublié sa légitime vengeance.

Que s'était-il passé alors ? On les avait arrachés l'un à l'autre et, au mépris des lois mêmes de la chevalerie, Arnaud avait été jeté en prison. Il n'en était sorti que pour trouver Catherine installée dans le lit même du duc Philippe, et si même il avait cru que la jeune femme avait plaidé pour sa libération, cela n'avait dû lui causer aucun plaisir. Enfin, lorsqu'aux murailles d'Orléans, il avait vu venir à lui cette Catherine en haillons, à demi morte, comment aurait– il pu deviner qu'elle venait d'endurer pour le rejoindre un martyre de plusieurs jours ? Pour cet homme, enfermé depuis six mois dans une ville assiégée, réduite à la famine, tout ce qui venait de Bourgogne ne pouvait être que dangereux, et, comme tel, à supprimer...

A mesure que le temps s'écoulait, les pensées de Catherine suivaient une courbe toujours plus favorable à Arnaud. Elle le comprenait maintenant.

Mieux, elle excusait la haine implacable dont il la poursuivait. Peut-être qu'à sa place, elle en eût fait tout autant... Et peut-être que le mieux serait pour Catherine, elle-même, d'abandonner. Elle se rendait compte qu'elle avait rêvé, et seulement rêvé, un avenir qui aurait pu l'unir à Arnaud de Montsalvy. Il y avait entre eux trop de choses, trop d'amertume et trop d'obstacles. Jamais il ne pourrait croire à l'amour sincère d'une femme dont il avait une telle méfiance. Une profonde lassitude se glissait en elle, pesante et dissolvante...

Ayant perdu l'habitude de se dévêtir pour dormir, elle commençait à sombrer dans le sommeil quand dame Mathilde reparut tout agitée.

– Croiriez-vous que Jehanne refuse le festin que nous lui avons préparé ?

s'écria-t-elle. Les capitaines et Monseigneur Jean y font grand honneur mais, pour elle, il a fallu lui servir seulement quelques tranches de pain qu'elle a trempées dans un peu de vin coupé d'eau. En voilà un régime ! Son chapelain, frère Jean Pasquerel, m'a dit qu'elle ne mangeait à peu près rien d'autre.

Le ton de l'excellente femme était si désolé que Catherine se mit à rire. Il y avait longtemps qu'elle n'avait ri de si bon cœur et ce simple plaisir oublié chassa un peu ses idées noires.

– Ni vous ni moi ne savons rien des envoyés de Dieu et de leurs habitudes, dame Mathilde, fit-elle doucement. C'est toute une étude à faire...

Peu convaincue, Mathilde Boucher hocha gravement sa tête imposante surmontée d'une vaste coiffure en cornes doubles.

– Croyez-vous vraiment qu'elle soit seulement fille des champs comme on le dit ? Avez-vous vu comme elle se tient à cheval ? Quelle assurance et quelle noblesse ! Messire d'Aulon, son écuyer, m'a assuré qu'à Tours, dernièrement, elle avait couru une lance avec Monseigneur le duc d'Alençon et que celui-ci était tout ébaubi de son adresse. N'est-ce pas étrange ?

Mais la bonne dame aurait pu discourir longtemps encore sur les singularités de Jehanne, Catherine ne l'écoutait qu'à peine. Toute son attention était tendue vers une voix masculine, montant de l'étage inférieur : une voix à la fois rude et chaude qui faisait passer des frissons sous sa peau. Lorsque son hôtesse se retira, la laissant seule à nouveau, Catherine sentit retomber sur elle la lourde chape de peine et de désespoir qu'elle traînait depuis sa libération. Il était bien difficile de prendre une décision saine. Aurait– elle jamais le courage de s'arracher d'Arnaud, de s'éloigner de lui définitivement?

Au matin, Catherine qui, écrasée de fatigue, avait dormi de longues heures sans même s'en apercevoir, fut réveillée en sursaut par une voix qui, dans la rue, jurait et sacrait effroyablement. Croyant bien reconnaître cette voix, elle sauta à bas de son lit et, pieds nus, courut à la fenêtre, se pencha. C'était bien Arnaud. Planté devant la maison, en armure, son casque sous le bras, il se disputait avec le trésorier Jacques Boucher. Tous deux criaient si fort que, tout d'abord, Catherine ne comprit rien à ce qu'ils se disaient, mais on faisait cercle autour d'eux. Boucher, les bras écartés, avait l'air de barrer le chemin au capitaine.

– Par les tripes du Pape et par la mordieu, hurla enfin Arnaud déchaîné, je te jure bien que tu me laisseras passer ! Je croyais cette ribaude morte depuis hier et, ce matin, j'apprends qu'elle est chez toi, reçue et considérée ?

Voilà un scandale qui ne durera pas longtemps, même si je dois moi-même accrocher la damnée sorcière à la potence !

Boucher allait répliquer mais une autre voix, au moins aussi vigoureuse que celle du jeune homme, éclata dans la rue. Catherine vit Jehanne bondir hors de la maison, se précipiter sur Arnaud qu'elle empoigna par l'épaule et se mettre à le secouer d'importance.

– Messire ! s'écria-t-elle. Comment osez-vous jurer ici le nom de notre Seigneur ? Je vous assure que vous vous en dédirez avant que je ne parte d'ici.

La foudre lui tombant sur la tête aurait sans doute moins surpris Arnaud que la brutale sortie de la Pucelle. Le ton impérieux et la poigne vigoureuse de la jeune fille avaient de quoi laisser pantois le plus irascible capitaine et, apparemment, l'ange du Seigneur avait de l'abattage ! Mais Arnaud n'était pas homme à se laisser intimider facilement.

– Je suis le capitaine de Montsalvy et je veux entrer ici pour que justice soit faite, cria-t-il.

– Seriez-vous le roi notre maître que vous n'y entreriez pas contre le gré de maître Boucher. Au surplus, c'est affaire entre vous deux. Mais, ce qui m'importe, à moi, c'est que vous demandiez pardon à Dieu que vous avez offensé avec vos jurons. Je ne vous tiendrai pas quitte avant. Allons, à genoux !

À genoux ? La Pucelle avait osé intimer à Montsalvy l'ordre de s'agenouiller ? Catherine, mi-inquiète, mi-scandalisée, n'en croyait pas ses oreilles. Elle n'en crut pas davantage ses yeux en voyant Arnaud passer du rouge ponceau au blanc verdâtre, mais s'agenouiller sur le pavé et dire une courte prière. Avec quelque mélancolie, elle songea qu'il ajouterait sans doute cette humiliation que Jehanne venait de lui infliger, au compte déjà très lourd de Catherine. Elle était triste aussi de constater que sa haine ne désarmait pas et que, sans la protection de la Pucelle, rien n'eût empêché Arnaud de la faire mourir. Ne parlait-il pas de la pendre de ses propres mains ? En vérité, même si elle devait en mourir de chagrin, Catherine se devait de tout tenter pour arracher de son cœur cet amour stupide.

Lorsque le capitaine fautif eut terminé son oraison, Jehanne était déjà rentrée dans la maison avec Jacques Boucher. Par contre Xaintrailles était apparu débouchant de la rue voisine en compagnie d'un autre capitaine, plus âgé que lui mais dont l'aspect était aussi rude que redoutable. Au spectacle d'Arnaud priant au milieu de la rue, tous deux s'étaient arrêtés et se tordaient de rire sans la moindre vergogne. La colère d'Arnaud se tourna contre eux.

– Je voudrais savoir ce que vous faites là à rire comme des idiots, s'écria-t-il, hargneux.

L'agressivité du ton ne troubla pas les deux hommes et le plus âgé cessa de rire un moment pour remarquer, goguenard :

– J'ai idée que la Pucelle est en train de te dresser de belle façon, mon fils. On dirait que tu as trouvé ton maître !

– Gageons que tu trouveras le même, La Hire. Personne ne jure aussi abominablement que toi dans toute l'armée et nous verrons ce que dira Jehanne lorsqu'elle entendra ton répertoire. Tiens, je suis prêt à parier avec toi.

– A quel sujet ? fit le Gascon méfiant.

– A ton sujet. Je te parie cent écus d'or qu'elle te fera aller à confesse !

Le rire de La Hire ébranla les murs. Il pleurait de joie et se tapait sur les cuisses à grandes claques sonores. Célèbre dans l'armée tout entière par son mauvais caractère, Etienne de Vignolles, rebaptisé La Hire1 par acclamation, avait des éclats de gaieté aussi fulgurants que ses fameuses colères.

– Tenu ! s'écria-t-il. Tu peux déjà compter tes cent écus ? Moi à confesse ? Mais le Pape lui-même n'oserait pas me le demander...

– Jehanne, elle, osera. Et tu lui obéiras, mon garçon... parce qu'on ne peut pas ne pas lui obéir, tu verras !

Tout en parlant, Arnaud avait levé les yeux, aperçu Catherine, debout à la fenêtre, avec sa longue chemise blanche et les nattes dorées qui retombaient 1. La colère.

dessus. Il pâlit, détourna les yeux. Puis, glissant son bras sous celui de Xaintrailles :

– Allons-nous-en, fit-il assez haut pour que Catherine l'entendît. Que Jehanne fasse de cette femme ce que bon lui semblera après tout. Le mieux serait encore qu'elle l'envoie au Diable...

– Jehanne ? Envoyer quelqu'un au Diable ? Cela m'étonnerait, fit La Hire, avec une surprise sincère.

N'étant au courant de rien, il n'avait rien compris, mais Xaintrailles, lui, avait souri. Et, comme les deux autres lui tournaient le dos, il avait envoyé la fin de ce sourire jusqu'à Catherine avec l'ébauche d'un salut. Ce sourire, ce salut, avaient atténué un peu l'impression pénible laissée par les paroles

; d'Arnaud. Xaintrailles semblait avoir gardé un petit faible pour elle et la jeune femme songea qu'étant le meilleur ami d'Arnaud, il avait peut-être sur lui quelque influence. De toute façon, il saurait à quoi s'en tenir sur les pensées profondes du jeune homme. Elle se promit, en conséquence, de guetter Xaintrailles et d'avoir avec lui un entretien sérieux.

Toute la journée, mêlée aux femmes de la maison, Catherine regarda vivre Jehanne d'Arc. La Pucelle la fascinait, l'attirait avec une force de séduction qu'aucune femme n'avait jamais exercée sur elle, si puissante que, par moments, le souvenir même d'Arnaud s'estompait. Quand il lui venait à la pensée, elle l'écartait avec une sorte de gêne à cause des images trop précises et trop brûlantes qu'il évoquait. En face de la grande Lorraine si simple et si pure, de tels souvenirs faisaient à Catherine l'effet d'un sacrilège. Pourtant Jehanne, bien que toute la ville la proclamât déjà sainte et bienheureuse, n'avait rien d'un personnage de vitrail. Elle éclatait de joie, ! de joie profonde et communicative mais, quand il le fallait, elle savait se mettre en colère aussi vigoureusement que n'importe lequel de ses capitaines, ainsi qu'Arnaud de Montsalvy l'avait expérimenté à ses dépens. Ce matin-là, après avoir entendu la messe dite pour elle par frère Jean Pasquerel dans l'oratoire de Mathilde Boucher, Jehanne ne tenait pas en place. Elle brûlait de se lancer à l'attaque et enrageait visiblement de se voir retardée par les conseils de Dunois. Il valait mieux, disait le Bâtard, attendre le gros de l'armée qui était encore à Blois. Pour la constituer, on avait fait venir une partie de toutes les garnisons environnantes et il fallait le temps de grouper de manière cohérente tous ces éléments disparates.

Mais, en bonne Lorraine, Jehanne était douée d'un solide entêtement.

Catherine, ébaubie, assista de loin, cachée avec Mathilde derrière une porte, à l'orageux conseil de guerre qui se tint dans la grande salle. D'un côté Jehanne, appuyée par La Hire, Xaintrailles, Illiers et Montsalvy, défendait son point de vue d'attaque immédiate. De l'autre le Bâtard, Gaucourt et le sire de Gamaches entendaient attendre l'armée. D'un mot en vint un autre et une violente querelle opposa bientôt Gamaches à la Pucelle qui, se considérant comme chef d'armée, n'admettait pas que l'on discutât ses ordres. Gamaches, hors de lui, traita Jehanne de « péronnelle de bas lieu », annonça qu'il se retirait et faillit se faire étriper sur place par Arnaud, qui, l'épée à la main, prétendait lui faire rentrer dans la gorge ses injures à l'adresse de Jehanne. Non sans peine, Dunois parvint à empêcher l'Auvergnat d'égorger l'irascible Picard. Il chapitra vigoureusement Gamaches, puis Jehanne, plus doucement et, finalement, obtint que l'insulteur et l'insultée s'embrassassent. Ce qu'ils firent en rechignant.

Mais, tandis que l'on décidait d'envoyer le Bâtard et l'écuyer de Jehanne à Blois pour faire hâter le départ, que Jehanne dictait à Jean Pasquerel une lettre pour les Anglais, Xaintrailles quitta la salle de réunion pour demander que l'on servît du vin. Comme il franchissait la porte, il se trouva soudain en face de Catherine.

– Messire, dit-elle doucement, je voudrais vous parler. Pouvez-vous m'accorder un instant ?

Pour toute réponse, il lui prit le bras et l'entraîna à l'écart, dans l'embrasure d'une fenêtre, après s'être assuré d'un coup d'œil que nul ne bougeait dans la grande salle.

– Que puis-je pour vous, belle dame ? fit-il gracieusement avec, cette fois, un large sourire.

– Je veux d'abord vous remercier, fit Catherine. J'ai su par mon geôlier, à la prison, que, grâce à vous, le régime avait été considérablement adouci.

On m'a donné à manger, je n'ai point été enchaînée et...

– Laissez donc ! Vous ne me devez aucun remerciement. J'ai seulement agi suivant ma conscience. Ne vous souvenez-vous pas de nous avoir, jadis, tirés de prison à Arras ?

Catherine ne put retenir un soupir de déception.

– Ah ? C'était pour cela ? Moi qui espérais que vous croyiez à mon innocence. Je pensais que vous vouliez réparer un peu l'injustice de messire Arnaud...

– Peut-être aussi est-ce pour cela. Je n'ai jamais cru à une mission qui vous eût envoyée ici. Vous étiez en si pitoyable état ! Il fallait toute l'aveugle fureur d'Arnaud pour s'y tromper. Et, comme il ne voulait rien entendre, j'ai fait de mon mieux...

– Vous ne savez pas combien je vous en suis reconnaissante. Sans vous, il me faisait déchirer par le bourreau, sans pitié. Il me hait, n'est-ce pas ?

Le large visage de Xaintrailles prit une expression méditative qui lui était tout à fait inhabituelle. On sentait qu'il hésitait à répondre, se trouvant peut-

être en terrain peu sûr.

– Honnêtement, je n'en sais rien. Il donne l'impression de vous détester et pourtant...

– Pourtant ? murmura Catherine soulevée d'espoir.

– Pourtant, il agit de manière étrange. Savez– vous pourquoi il n'a su que ce matin votre sauvetage ? Uniquement parce que, hier soir, il s'est saoulé comme un Polonais. Et jamais je ne lui ai vu ivresse plus triste. Il vidait coupe sur gobelet et, chaque fois, il portait un toast à une invisible présence. Au petit jour, on l'a emporté à moitié assommé et pleurant comme un enfant. Il bredouillait des mots incompréhensibles, mais j'ai bien cru reconnaître votre nom. Peut-être qu'en effet il vous hait. Mais je croirais plutôt, moi, qu'il vous aime encore plus !

De la grande salle, une voix leur parvint, celle d'Uliers qui criait :

– Alors, Xaintrailles, ce vin ?

– Je viens ! répondit le chevalier.

Puis, comme Catherine tentait de le retenir encore, il se pencha vers elle et demanda, très bas et très vite :

– Vous l'aimez, n'est-ce pas ?

– Plus que tout au monde, plus que ma vie ! s'écria la jeune femme avec une sincérité qui fit sourire Xaintrailles.

– Il a de la chance, plus qu'il ne croit. Alors, écoutez-moi, belle Catherine. Arnaud est obstiné, têtu comme toutes les mules du royaume réunies, mais il cache sous son affreux caractère un cœur étrangement sensible. Si vous l'aimez assez pour avoir toutes les patiences, tous les courages, pour savoir accepter tout et ne vivre que pour l'amener à vous, alors vous avez une chance. Si obstiné soit-il, un jour viendra où il n'en pourra plus de lutter contre lui– même et contre vous.

– Ce matin, il voulait encore me faire pendre !

– En arrivant ici, peut-être. Mais, avant, j'aurais voulu que vous voyiez son regard quand il vous a su vivante, sauvée par Jehanne. Arnaud ne sait pas se méfier de son regard. Je l'ai vu flamber et j'aurais bien juré que c'était de la joie...

Xaintrailles n'en ajouta pas davantage. Il s'éloigna, laissant Catherine livrée à ses pensées. Les quelques mots qu'il lui avait dits avaient ranimé la petite flamme d'espoir qu'elle avait crue éteinte, cet espoir qui meurt si difficilement au fond d'un cœur vraiment donné...

Tandis que les hommes buvaient dans la grande salle, Jehanne revint vers les femmes pour qu'elles l'aidassent à s'armer. Mathilde, Marguerite et Catherine qui les avait rejointes s'empressèrent autour d'elle, lui passant l'une après l'autre les pièces de l'armure blanche. Catherine, agenouillée à ses pieds, l'aidait à chausser les solerets d'acier. Elle releva soudain la tête et demanda :

– Pourquoi revêtez-vous l'armure, Jehanne, puisque vous n'attaquerez pas aujourd'hui ? Vous n'allez pas monter seule à l'assaut, je pense ?

Jehanne se mit à rire :

– Ce n'est pas l'envie qui m'en ferait défaut, ma mie. Mais pour lors, je veux seulement accompagner mes messagers jusqu'au grand pont... Et voir un peu où en sont les choses.

En effet, les deux hérauts de Jehanne, Guyenne et Ambleville, étaient chargés de porter sa lettre au camp de Talbot avec tout le cérémonial chevaleresque d'usage.

– Jehanne, chuchota Catherine en gardant entre ses mains l'un des gantelets de la jeune fille, j'aimerais vous suivre. Faites-moi donner un habit de garçon. Je serai votre écuyer.

... et mes capitaines auront des distractions à cause de ce trop joli écuyer, sourit Jehanne. Ils ont grand besoin de leur sang-froid et la ville a grand besoin d'eux. Allez sur le rempart, Catherine, vous en verrez tout autant.

Catherine soupira, n'insista pas. Elle vit Jehanne monter à cheval suivie de quelques capitaines parmi lesquels l'armure noire d'Arnaud brillait d'un éclat sinistre. Il semblait des plus empressés à suivre et à servir la Pucelle mais, chose étrange, Catherine n'en éprouva aucune jalousie. Jehanne possédait l'étrange pouvoir d'imposer silence aux voix mauvaises qui pouvaient se lever au fond de l'âme. Bien plus, Catherine avait l'impression qu'il ne pouvait rien advenir de mauvais au jeune capitaine quand il était dans le sillage de la Lorraine. Jehanne forçait la confiance...


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