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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Lorsqu'il fut sorti, Sara aida Catherine à se lever, lui ôta sa chemise plus qu'à moitié déchirée et l'aida à s'accroupir au fond du baquet. Au contact de l'eau tiède, la jeune femme poussa un profond soupir de volupté. Après le repos dans un bon lit, la douceur de l'eau était ce qu'elle désirait le plus.

Jamais elle ne s'était sentie aussi sale, et, quand elle regardait sa peau ou ses cheveux, elle éprouvait à la fois de la honte et du dégoût. Certes, si elle avait dû rester plusieurs mois dans cette abominable prison, elle en fût sortie irrémédiablement flétrie !... Elle se laissa aller dans l'eau et, tandis que Sara nettoyait avec précaution son cou blessé avant de l'enduire de baume, elle regarda, à travers la fenêtre, Landry qui s'éloignait, le chien sur les talons.

Pâquerette était sortie avec lui pour l'accompagner et Catherine pouvait la voir s'appuyer tendrement sur l'épaule du jeune homme.

– Cette Pâquerette, demanda-t-elle à Sara, tu crois que c'est la bonne amie de Landry ?

– Elle est sa maîtresse et j'ai bien l'impression qu'elle est folle de lui.

Mais je ne saurais te dire ce que Landry en pense. L'aime-t-il ? C'est difficile à dire.

– Tu crois qu'elle est réellement sorcière ? Elle en a si peu l'air...

C'est une maladie qui se transmet de mère en fille, paraît-il. Même si elle ne l'est pas, personne ne voudrait le croire parce que c'est dans l'ordre des choses.

– Mais toi, tu le crois ?

Sara haussa les épaules et enduisit copieusement de savon un morceau de toile pour en frotter le corps de Catherine. Peu à peu, il retrouvait sa couleur normale, malgré les bleus et les ecchymoses qui le marbraient.

– Je ne sais pas ! Mais je le croirais volontiers. C'est une drôle de fille, tu sais ! Je l'ai vue plusieurs fois chez Jacquot-de-la-Mer. Les hommes la craignaient à cause de son regard.

Se rappelant les yeux étranges de Pâquerette, de couleurs différentes, l'un bleu et l'autre brun, Catherine songea qu'il y avait peut-être un peu de quoi, mais, toute au plaisir de redevenir propre, elle oublia bientôt son hôtesse.

Sara la sortit de l'eau et l'assit devant le feu pour la sécher. Puis elle reprit de l'eau pour lui laver la tête. Catherine se laissait faire comme un petit enfant.

C'était délicieux de s'abandonner aux mains habiles de Sara, comme autrefois, quand elle n'était qu'une gamine poussée trop vite. La crasse et la fatigue s'en allaient en même temps. La jeune femme se sentait renaître.

Lorsque Pâquerette rentra, un peu plus tard, elle resta un instant au seuil de la porte, un fagot dans les bras, figée de surprise par le spectacle qu'elle découvrait. Assise sur un escabeau auprès du feu qui rosissait sa peau, enveloppée d'une pièce d'étoffe qui laissait à nu ses jambes fines et ses belles épaules, Catherine, les yeux mi-clos, avait l'air de sommeiller. Debout derrière elle, Sara peignait et repeignait une masse d'or encore humide qui était sa chevelure, la plus belle, la plus longue que la jeune fille ait jamais vue. Était-ce vraiment la triste épave de la nuit précédente, cette chose grise et maculée de sang qui s'était transformée soudain en une ravissante créature.

– Soyez gentille de fermer la porte, fit Sara en se détournant à demi, il fait si froid...

Machinalement, Pâquerette claqua le battant. Mais ses étranges yeux bicolores s'étaient curieusement rétrécis et Sara surprit le regard dont elle enveloppait Catherine. La beauté soudain découverte de la fugitive avait frappé Pâquerette comme un soufflet et Sara sentit comme si elle l'eût touchée du bout du doigt l'envie se glisser dans l'âme de la sorcière ; elle se promit de ne pas trop lui faire confiance et de la surveiller sans en avoir l'air.

Landry rentra tard dans la soirée, couvert de sang et courbé sous le poids d'un jeune sanglier qu'il avait tué au couteau. Il était éreinté et ravi. Mais, en découvrant Catherine, redevenue fraîche et charmante dans une simple robe de laine bleue appartenant à Pâquerette, sa joie éclata avec exubérance. Il la saisit par la taille à deux mains et l'enleva en l'air.

– Enfin, te revoilà semblable à ton image ! Comme tu es jolie, ma Cathy ! La plus jolie fille que j'aie jamais vue... ! Tu es un peu trop maigre, mais ça ne durera pas...

Plantant un baiser sur chacune des joues de la jeune femme, il la reposa à terre puis se tourna vers Pâquerette :

– J'ai faim, dit-il.

– Tout de suite ! La soupe est prête !

La voix de la jeune fille était unie et calme comme une eau tranquille, mais Sara avait vu l'éclair de colère qui avait traversé son regard quand Landry avait embrassé Catherine. Décidément, la fille était jalouse et Sara n'en augurait rien de bon !

Après le souper, on tint un conseil de guerre. Rien n'avait bougé au château où nul n'avait dû encore découvrir les cadavres. Mais Garin reviendrait peut-

être bientôt et l'on ne pouvait laisser Catherine à la merci d'une dénonciation toujours possible, si quelqu'un remarquait sa présence dans la maison de Pâquerette.

– Le mieux, fit Landry, est de prévenir Monseigneur Philippe.

Seulement ça va demander quelque temps. Il est à Paris en ce moment.

– Et messire de Roussay ? dit Catherine, est-il à Dijon ?

– Je crois que oui ! Mais il ne pourra pas grand– chose pour toi. Que tu le veuilles ou non, Garin est ton mari. Il a tous les droits sur toi et nul homme ne peut l'empêcher de te reprendre, pas même le capitaine des gardes. Il n'y a guère que le duc dont Garin n'osera pas braver la puissance.

Je partirai demain pour Paris...

C'était évidemment la seule solution pratique, mais Catherine ne put se défendre d'une appréhension à la pensée de voir Landry s'éloigner. Auprès du jeune homme, elle ne craignait rien. Il était fort, courageux et si gai !... Le Landry d'autrefois lui était revenu tout entier.

– Pourquoi ne pas attendre tranquillement ici que le duc revienne ? Il ne sera peut-être pas longtemps absent.

– Avec lui, on ne sait jamais ! fit Landry. De plus, j'ai mon service que je ne peux abandonner longtemps. Il faut que j'aille le trouver à Paris. Il donnera les ordres nécessaires pour te mettre à l'abri et empêcher ton mari de nuire. Si tu n'étais pas... dans cet état, je t'aurais emmenée avec moi, mais le chemin est trop long d'ici à Paris, les routes trop dangereuses. Moi, je passerai sans peine et je reviendrai bien vite. Allons, souris-moi ! Tu sais bien que ton salut m'importe plus que tout au monde.

Il avait mis tant de chaleur dans ces quelques mots que Sara chercha instinctivement le regard de Pâquerette. Mais celle-ci tenait ses paupières obstinément baissées. Elle ramassait les écuelles pour les laver. Son visage était aussi immobile qu'une pierre.

– Je te préparerai quelque chose pour la route, dit-elle seulement sans regarder Landry.

Dans la nuit, Sara, qui partageait avec Catherine le lit abandonné généreusement par Pâquerette, se réveilla soudainement, avertie par ce sixième sens que les races nomades possèdent à si haut degré. Le feu était éteint, la maison obscure, mais la tzingara sentait une présence auprès du lit.

Elle retint son souffle. Pâquerette devait dormir dans la soupente, au-dessus de leur tête et Landry dans l'étable, avec son cheval et les chèvres. Mais un léger frôlement se faisait entendre du côté de Catherine qui dormait profondément comme l'attestait sa respiration régulière. Il y avait là quelqu'un, Sara en aurait juré. Elle allait sauter hors du lit pour courir allumer une chandelle quand des pas, prudents mais très perceptibles, s'éloignèrent vivement. La porte de la maison s'ouvrit sans un bruit et, sur le fond plus clair du dehors, Sara distingua une silhouette de femme. Mais la porte fut vivement refermée. La bohémienne n'hésita pas. Enfilant hâtivement ses bas, ses souliers, elle jeta une couverture sur ses épaules et, prenant bien soin de ne pas éveiller Catherine, sortit à son tour. Juste à cet instant, Pâquerette sortait du poulailler, cachant quelque chose sous la mante noire qui l'enveloppait, et Sara n'eut que le temps de se rejeter dans l'ombre de la porte pour n'être pas surprise.

La sorcière s'éloigna rapidement sous le couvert du bois auquel était adossée sa maison. Là, elle s'arrêta et Sara put la voir allumer une lanterne qu'elle tenait cachée sous sa mante avant de s'enfoncer plus avant sous les arbres.

Ce manège parut si étrange à Sara qu'elle décida de la suivre. Où donc allait Pâquerette par une nuit si noire ? La température, vers la fin du jour, s'était considérablement radoucie et la neige fondait, sur la terre et dans les arbres, d'où tombaient de temps en temps de froids paquets blancs déjà à demi liquides. Pâquerette marchait vite et Sara dut presser le pas pour la suivre, mais la lumière dansante de la lanterne la guidait à travers les arbres. Le chemin suivi par la fille, à peine tracé mais visible cependant, grimpait à flanc de colline, contournant de gros rochers glissants d'eau et se dirigeant droit vers le sommet de l'épaulement boisé. Soudain, la lumière disparut, comme engloutie par la terre, et Sara hésita, livrée tout à coup à l'obscurité.

Elle reprit néanmoins sa marche en avant, dans la direction où elle avait vu la lumière s'effacer. Ses yeux s'habituaient à l'obscurité et elle pouvait se diriger sans trop de peine. Bientôt Sara comprit pourquoi la lumière avait disparu. Le sentier longeait une gigantesque roche dans laquelle s'ouvrait une faille assez large pour livrer passage à un corps humain. Persuadée que Pâquerette s'était glissée dans ce trou, Sara s'arrêta, tendit l'oreille, croyant bien distinguer un bruit de voix étouffées. Elle regretta de n'avoir pas songé à se munir d'une arme, mais s'engagea tout de même, courageusement, dans l'étroit passage, tâtant le rocher de ses mains. Bientôt, elle dut étendre les bras car le boyau s'élargissait mais le reflet d'une lumière vive lui apparut en même temps que s'enflait le bruit des voix. Dans les profondeurs de la terre, quelque part au bout de l'étroite galerie, un chant bizarre se faisait entendre.

Sara pressa le pas, encouragée par la lumière plus efficace. Le chemin plongeait résolument en profondeur, rendu glissant et malaisé par les infiltrations d'eau. Mais une sensation de chaleur par venait maintenant à Sara. Le couloir lit un coude, puis montra une grande déchirure claire, à moitié bouchée par un éboulement de roches derrière lesquelles la tzingara alla se tapir pour regarder au-delà.

Ce qu'elle vit la fit se signer précipitamment. L'éboulement ouvrait sur une caverne assez spacieuse au milieu de laquelle un feu était allumé.

Derrière ce feu, érigée sur une sorte d'autel taillé dans le roc, il y avait une grossière statue de bois qui avait le corps d'un homme et la tête d'un bouc entre les cornes duquel brûlaient trois chandelles de cire noire. Une douzaine d'hommes et de femmes, de tous âges, vêtus comme des paysans, étaient assis à terre en demi-cercle de chaque côté de la statue. Ils étaient rigoureusement immobiles et Sara les eût pris pour des statues si un chant monotone aux paroles à peine distinctes n'avait jailli de leurs lèvres. Seul, un grand vieillard à cheveux blancs aussi longs que ceux d'une femme était debout devant la grimaçante idole. Les mains au fond des manches de la longue robe noire, peinte de signes cabalistiques rouges, qui l'habillait du cou aux talons, il se penchait vers Pâquerette. La jeune fille avait rejeté le capuchon de sa mante sombre. Elle se tenait à genoux devant le vieillard, tête nue. Elle lui parlait et il lui répondait, mais Sara était trop loin pour entendre ce qu'ils disaient. La bohémienne avait compris qu'elle se trouvait là en face de l'assemblée des sorciers de Mâlain, dans le temple secret où ils célébraient le culte de Satan, leur maître...

Sara vit soudain Pâquerette tendre quelque chose de brillant à son interlocuteur : une mèche de cheveux dorés, et réalisa que c'étaient là des cheveux de Catherine. La sorcière avait dû les couper tout à l'heure, au moment où Sara s'était éveillée et avait senti une présence. Le vieil homme partagea la mèche en deux, en fit disparaître la moitié sous sa robe et fit brûler l'autre moitié, conservant les cendres soigneusement. Pâquerette toujours à genoux lui tendit alors une poule noire qui expliqua à Sara sa visite au poulailler. Le sorcier posa la poule sur l'autel, lui trancha la tête d'un coup de couteau. Un jet de sang jaillit et le sacrificateur en recueillit dans un bol de bois. Il en mêla une partie aux cendres des cheveux, en forma une sorte de pâte à laquelle il ajouta un peu de farine puis, se tournant vers le bouc, il éleva jusqu'à sa bouche grimaçante l'espèce de galette ainsi formée. Pâquerette s'était prosternée, face contre terre, tandis qu'à la ronde les sorciers chantaient plus fort, se balançant en cadence sur leurs hanches.

Sara fut obligée de se secouer pour échapper à l'envoûtement maléfique de la scène. Elle comprenait que Pâquerette, doutant sans doute de ses propres sortilèges, était venue demander, contre l'ennemie qu'elle s'était découverte, le secours de quelqu'un de plus fort qu'elle.

Ses invocations terminées, le vieillard revint à Pâquerette, la releva et marqua son visage, en croix, avec le sang de la poule noire. Se penchant davantage, il l'embrassa sur la bouche puis, tirant de sa robe un sachet qui devait contenir une poudre, il le lui tendit en murmurant quelque chose à son oreille, avant de se détourner d'elle en désignant la sortie du doigt.

Le geste alerta Sara. Pâquerette allait partir. Il fallait fuir avant d'être découverte ! A toutes jambes, courant presque, sans prendre garde aux angles vifs où elle se heurtait dans sa précipitation, Sara regagna la sortie.

L'air vif du dehors lui fit du bien. Elle eut l'impression de remonter des enfers. Son instinct de fille des champs et des bois lui fit retrouver le sentier avec la sûreté d'un chien de chasse sur la trace du gibier, talonnée qu'elle était par le désir d'être rentrée bien avant Pâquerette. Elle atteignit enfin la lisière du bois, puis la maison. Aucun bruit ne s'y faisait entendre. Catherine dormait toujours paisiblement. Sara arracha ses vêtements plutôt qu'elle ne les ôta, se glissa sous les couvertures. Le froid de ce corps qui arrivait contre elle réveilla légèrement Catherine. Elle murmura quelques mots indistincts, se tourna de l'autre côté et se rendormit. Quelques secondes plus tard, Pâquerette rentrait à son tour. Bien réveillée, cette fois, les yeux grands ouverts dans le noir, Sara entendit craquer l'échelle au moyen de laquelle la sorcière grimpait dans sa soupente. Un moment plus tard, il n'y eut plus aucun bruit dans la maisonnette. Mais Sara ne parvint pas à se rendormir. Ce qu'elle avait vu l'avait confirmée dans l'idée que Pâquerette, jalouse de Catherine, ferait tout au monde pour lui nuire. Elle ne croyait guère aux enchantements de ces sorciers de campagne et ne s'inquiétait pas des effets qu'ils pouvaient avoir sur Catherine. Il suffirait de veiller au grain ! Mais le sachet remis par le vieillard l'inquiétait. Elle craignait que ce ne fût un poison.

Elle fut, sur ce point, assez vite rassurée. Quand le jour commença à grisailler à la fenêtre de la petite maison, Sara vit redescendre Pâquerette. Sans s'occuper des deux dormeuses, la jeune fille prit une écuelle, y versa de la farine blanche et se mit à pétrir des galettes qu'elle fit cuire au feu dans une grande poêle noire à longue queue. Entre ses paupières mi-closes, Sara qui l'observait avait fort bien remarqué qu'en pétrissant la pâte, la jeune sorcière y avait ajouté le contenu du sachet qu'elle portait dans son corsage. Quand les galettes furent prêtes, Pâquerette coupa de larges tranches d'un jambon pendu dans l'âtre, empaqueta le tout dans un linge blanc et glissa ce colis dans la sacoche que Landry, tout à l'heure, pendrait à l'arçon de sa selle. Sous ses couvertures, Sara sourit ironiquement : la poudre était destinée à l'en-cas que le jeune homme devait emporter pour se restaurer en route. Elle ne pouvait donc être qu'un philtre d'amour. Les regards un peu trop tendres que le chevaucheur avait adressés, la veille, à son amie d'enfance avaient dû persuader son inquiétante maîtresse qu'il en avait le plus grand besoin!

Deux heures plus tard, Landry, avec un étrange ravitaillement, embrassait les trois femmes et sautait en selle sur un joyeux « au revoir».

La boue que la neige fondue avait formée avec la terre du chemin vola sous les sabots de son cheval. Catherine, un peu mélancolique, le vit diminuer sur le sentier, passer au pied de la butte où le château érigeait sa masse menaçante et noire, puis disparaître derrière la colline. Il emportait son espoir, et, tout à coup, Catherine retrouva au fond de son cœur un désir profond de revoir Philippe. Il était le seul être auprès de qui la vie fût facile et douce...

La neige fit place à une pluie diluvienne qui transforma la terre en cloaque, les chemins en bourbiers et la lumière en une grisaille humide ; un incessant, un déprimant rideau tendu devant les petites fenêtres. Le ciel suait l'ennui et le désespoir et les trois femmes, enfermées dans les limites restreintes de la maisonnette, maintenues à l'intérieur par ce temps affreux, supportaient mal cette claustration. Landry s'était à peine éloigné que la pluie s'abattait sur le pays comme si elle voulait retrancher Catherine et ses compagnes du reste des vivants. Au bout de quelques jours, ce fut intolérable.

Sara était nerveuse, Pâquerette taciturne et Catherine inquiète sans trop savoir pourquoi. Chaque fois qu'elle jetait les yeux par la fenêtre, son regard se heurtait au château installé au milieu de son horizon, silencieux, hostile, gardant le secret de ses deux corps. Aucun mouvement ne s'y était fait depuis la nuit de la fuite. Sara, discrètement, avait surveillé, guettant le retour de Garin. Mais le Grand Argentier ne s'était pas montré. Rien n'avait bougé au château.

Catherine avait repris des forces. Son état la fatiguait toujours, mais les nausées avaient cessé avec la fin du troisième mois d'attente. Elle se portait mieux qu'elle ne l'avait fait depuis longtemps et tuait le temps comme elle pouvait en s'occupant aux soins du ménage. Elle trouvait une sorte de plaisir à pétrir la pâte pour le pain, filer le chanvre ou la laine, ou bien s'initier à la fabrication des fromages de chèvre, humbles tâches dont elle avait perdu l'habitude dans l'hôtel de la rue de la Parcheminerie.

Les habitants de Mâlain ne se montraient guère. Personne ne vint chez Pâquerette dans les quatre premiers jours qui suivirent le départ de Landry.

Les maisons basses du village tassaient leurs murs faits de blocs de granit sous le chaume pisseux ou la lauze luisante de leurs toits. On devinait, à l'intérieur, les paysans frileusement tapis, guettant le ciel derrière les petits carreaux de gros verre ou de parchemin huilé des fenêtres.

Le cinquième jour, pourtant, un homme franchit le seuil de Pâquerette, tandis que la jeune fille, profitant d'une éclaircie, était allée en forêt ramasser du bois mort. Sara, occupée à faire une lessive à la cendre, reconnut avec une certaine inquiétude le grand vieillard qu'elle avait vu dans la grotte de la forêt. Instinctivement, elle s'interposa entre l'arrivant et Catherine qui, assise sur la pierre de l'âtre, filait une quenouille de chanvre.

– Que voulez-vous, brave homme ? demanda la tzigane.

– Je suis un ami de Pâquerette. Elle n'est pas là?

Sara étendit le bras en direction du bois.

– Elle est dans la forêt à ramasser du bois. Mais vous pouvez l'attendre...

Un peu d'énervement se trahissait dans la voix de la tzingara en constatant que les yeux clairs, d'un bleu délavé du sorcier, s'attachaient à Catherine avec insistance. Le vieillard haussa les épaules sous sa houppelande de grosse toile brune doublée de peau de mouton.

– Non, je reviendrai. Mais...

Il allait sortir, se ravisa au moment d'ouvrir la porte :

– ... Vous pouvez lui dire que Gervais est venu et que j'ai fait faire la commission dont elle m'avait chargé.

– Quelle commission ? demanda hardiment Sara dont la méfiance s'était éveillée.

L'homme eut un geste évasif.

– Rien d'important ! Elle comprendra. Le bonsoir à toutes deux...

– Le bonsoir !

Lorsque Pâquerette rentra, Sara imperturbable lui transmit les paroles du visiteur. Elle constata que, malgré son empire sur elle-même, la fille rougissait. Les soupçons qu'elle traînait avec elle depuis la réunion des sorciers se confirmèrent. Elle se souvenait du geste du bonhomme, enfouissant sous sa longue robe noire une partie des cheveux blonds que Pâquerette lui avait remis. Dans quel but ce geste ? Un acte secret de sorcellerie, une nouvelle incantation ? Sara n'y croyait guère. Gervais, comme d'ailleurs Pâquerette elle-même, devaient se fier, en fait de maléfice, à l'immonde galette placée dans la bouche de l'idole. Les cheveux, très certainement, avaient une autre destination. Mais laquelle ? Irritée de ne pas trouver de réponse plausible à cette question, Sara ne ferma pas l'œil de la nuit. Vers le matin, pourtant, elle s'endormit d'un lourd sommeil qui la fit plonger au fond d'un puits insondable où ne parvenaient ni les bruits ni la lumière. Cette perte de connaissance ne dura pas longtemps, mais assez tout de même pour qu'il fît grand jour quand elle ouvrit les yeux. Catherine, déjà levée, épluchait les choux pour la soupe. Pâquerette était invisible.

– Où est-elle ? demanda Sara de but en blanc.

– Qui ? Pâquerette ? Elle est sortie il y a un moment. Elle n'a pas dit où elle allait. Je l'ai vue se diriger vers le bout du village.

Sara l'intriguait. Elle n'avait pas l'air à son aise. Catherine la trouvait nerveuse, agitée. Elle la vit se lever, s'habiller tout de travers, en pensant visiblement à autre chose, puis coller son nez aux carreaux en refusant du geste la tasse de lait que Catherine lui offrait.

– Enfin, qu'est-ce que tu as ? s'impatienta la jeune femme. Tu ne tiens pas en place. On dirait que tu as peur de quelque chose.

Sara ne répondit pas. Elle inspectait le ciel, dégagé à demi. Des nuages y couraient mais ils étaient moins sombres que ces jours derniers ; quelques-uns même portaient encore la trace rose de l'aurore. Il ne pleuvait plus, mais de grandes flaques d'eau émaillaient la campagne, reflétant les teintes incertaines du jour. Mue par une impulsion qu'elle eût été bien incapable d'expliquer, Sara s'enveloppa dans sa grande cape noire, saisit la claie sur laquelle on avait disposé, la veille, les pains prêts à cuire.

– Je vais au four banal, expliqua-t-elle à Catherine. Pâquerette aurait dû y aller ; je ne comprends pas qu'elle n'ait pas emporté les miches puisqu'elle se rendait au village !

Avant que Catherine ait pu lui demander une explication, Sara avait franchi la porte et s'éloignait à grands pas dans le chemin détrempé. Le four banal se trouvait au milieu du village, entre l'église croulante et la vieille croix de pierre aux marches verdies. De là, on pouvait voir le chemin qui passait sous la butte du château et rejoignait la route de l'ouest, creusée le long du lit de l'Ouche. Quelques femmes attendaient déjà leur tour, les corbillons sous le bras, emmitouflées sous leurs mantes et leurs coiffes, parlant peu à cause du vent encore aigre. Elles se tassaient contre le mur du four comme de noirs oiseaux frileux. Mais Sara ne les regardait pas. Ses yeux perçants lui avaient permis de voir, arrêtée à l'entrée du chemin qui montait au château, une robe bleue et une coiffe blanche qu'elle croyait bien reconnaître. Que faisait Pâquerette, assise sur la vieille borne romaine ? Elle avait l'air d'attendre.

Mais quoi ?

Brusquement, Sara poussa une exclamation étouffée. Une troupe de cavaliers venait d'apparaître à l'épaulement du chemin. Ils étaient une vingtaine, portant des justaucorps de cuir couverts de plaques de métal qui luisaient faiblement sous la lumière pauvre. En tête chevauchait une silhouette noire qui fit battre le cœur de la bohémienne sur un rythme accéléré. Cet homme, tout de noir vêtu, si grand, si maigre !... Sara hésitait encore mais, quand elle vit que le cavalier s'arrêtait pour parler à Pâquerette, que celle-ci faisait un geste en direction de sa maison, qu'elle paraissait donner des explications, Sara n'hésita plus. L'homme noir, c'était Garin...

Garin que la maudite sorcière avait dû faire prévenir ! Le sang de Sara ne fit qu'un tour. Malgré la bonne envie qu'elle avait de foncer sur Pâquerette pour lui administrer la raclée méritée par si noire trahison, la bohémienne ne perdit pas une seconde, s'en remettant à Landry de punir plus tard la mauvaise hôtesse. Posant la claie et les pains sur la margelle du puits voisin, elle fit demi-tour et prit sa course vers la mai son, laissant voler derrière elle les grandes ailes noires de sa cape.

Chez Pâquerette, Catherine s'apprêtait à écumer la soupe quand elle vit Sara entrer en trombe et nota sa pâleur.

– Que se passe-t-il donc encore ?

Sans répondre, Sara bondit sur une mante accrochée à un clou, en enveloppa Catherine et l'entraîna au-dehors par la petite porte qui donnait directement sur l'étable.

– Il faut fuir ! fit-elle haletante. Garin !... Il arrive ! Pâquerette a dû le prévenir ! Elle le ramène ici...

Tout de suite l'affolement saisit Catherine, lui coupant les jambes.

– Fuir, mais où ? s'écria-t-elle les larmes aux yeux, épouvantée à la pensée de ce qui l'attendait si Garin remettait la main sur elle. En un kaléidoscope effrayant repassèrent devant ses yeux la chambre du donjon, la litière de paille, la chaîne, le carcan, les cadavres des deux brutes qui la gardaient.

– Ce n'est pas le moment de faiblir ! gronda Sara. Il faut fuir, tu m'entends, il y a la forêt... Courons !...

Saisissant fermement par la main la jeune femme défaillante, elle l'entraîna sans même oser regarder derrière elle. La peur rendit brusquement à Catherine toute sa vaillance. En quelques secondes, elles eurent atteint la lisière du bois, s'y enfoncèrent. Instinctivement, Sara reprenait le sentier qu'elle avait suivi l'autre nuit, sur les talons de Pâquerette. Elle espérait retrouver la caverne secrète où, elle en avait la ferme conviction, Pâquerette n'oserait pas entraîner Garin et ses hommes d'armes par crainte du bûcher que lui vaudrait immanquablement la découverte de la statue à tête de bouc.

Il fallait, à tout prix, atteindre cet asile. Cela permettrait, du moins, de parer au plus pressé. Se retournant, tandis que Sara l'entraînait, Catherine vit que le danger était encore plus grand qu'elle ne le croyait. A travers les rayures sombres des arbres, elle distinguait des silhouettes d'hommes qui mettaient pied à terre devant la maisonnette de Pâquerette. Elle entendait les hennissements des chevaux...

– Plus vite ! souffla Sara. Plus vite !...

C'était malaisé. Le chemin montait et les pluies récentes l'avaient rendu extrêmement glissant. Et puis la vue de ces soldats glaçait Catherine de terreur. Un ressaut de rochers derrière lequel tournait le sentier à peine tracé lui déroba cette perspective inquiétante. Elle redoubla d'efforts. Le danger était encore si proche que l'on pouvait entendre les voix fortes des hommes d'armes. Un cri de Pâquerette les domina :

– Dans le bois... elles ont dû s'y cacher !

Une autre voix vint et c'était celle de Garin :

– Allez-y !... Séparez-vous en plusieurs groupes !

– Le jour où je rattraperai cette Pâquerette, grogna Sara, elle s'en souviendra ! Quittons le sentier. Je crois que j'ai trouvé...

En effet, elle apercevait en haut de la montée un amoncellement de roches grises qui, selon elle, devaient receler la caverne souterraine. Rester sur le sentier était dangereux. Elle obligea Catherine à passer à travers les arbres sur le tapis de feuilles pourries qui ne garderait pas de traces. Mais cet itinéraire les obligeait à escalader quelques rochers et Catherine n'en pouvait déjà plus. Elle glissa sur une roche humide couverte de mousse, se heurta douloureusement le genou et serra les dents pour ne pas crier. Sara était déjà à côté d'elle et l'empoignait sous les aisselles pour l'aider à se relever.

Ecoute ! fit la bohémienne pour galvaniser son courage. Ils sont déjà sous le couvert. Le salut est là-haut, mais il faut l'atteindre !

La farouche volonté de Sara jointe à la terreur qu'éprouvait Catherine en entendant les pas des soldats écraser les feuilles du sous-bois l'obligèrent à fournir un ultime effort. Un dernier obstacle se dressait devant elles, un rocher au-dessus duquel apparaissait la faille salvatrice. Elle s'arc-bouta sur la pierre mouillée, s'accrocha des deux mains à un roncier qui lui déchira les doigts et se retrouva en haut. Il était temps : entre les branches à peine bourgeonnantes, on pouvait voir luire les casques des soldats. Sara jeta Catherine plutôt qu'elle ne la fit entrer dans le couloir rocheux, mais en prenant bien soin d'effacer la trace de leurs pas dans la boue de l'entrée avec une branche d'arbre. Il faisait moins noir que la bohémienne ne l'avait craint dans le boyau de terre et de pierre. De petites anfractuosités laissaient filtrer la lumière du jour et les deux femmes purent s'enfoncer profondément. Elles parvinrent sans encombre à la grande caverne où un peu de jour tombait d'un trou garni de ronces, foré dans la voûte. Il y régnait une obscurité relative à laquelle les yeux s'habituaient aisément. Et, quand Catherine découvrit la statue à tête de bouc, Sara eut tout juste le temps de lui appliquer la main sur la bouche pour l'empêcher de crier.

– Tais-toi ! Ils ne sont pas loin, chuchota-t-elle. Ici, je ne pense pas que Pâquerette osera les conduire. Elle risquerait trop gros...

Les yeux dilatés de Catherine contemplaient l'ignoble dieu du mal comme elle eût regardé un fantôme. Jamais encore elle n'avait vu chose semblable et elle n'était pas loin de craindre l'asile découvert par Sara autant que ses poursuivants.

– Qu'est-ce que cela ? fit-elle en dirigeant vers l'idole un doigt tremblant.

– Satan ! fit Sara brutalement. Et cette caverne est le lieu ou se rassemblent les sorciers de Mâlain. L'autre nuit, j'ai suivi notre amie Pâquerette jusqu'ici. Mais, tais-toi... j'entends des voix, ils ne sont pas loin.


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