Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– Arrêtez cette femme immédiatement !
Interdite, Catherine s'arrêta, levant vers Arnaud un
visage incrédule. Brutalement coupée de son enchantement, elle vacilla. Ses mains retombèrent inertes le long de son corps, son regard s'éteignit. Elle gémit douloureusement :
– Arnaud !... Non !...
Mais, déjà saisi d'une rage aveugle, il l'empoignait par un bras, la jetait presque aux mains des hommes d'armes qui, stupides d'étonnement, n'avaient pas osé bouger. La voix emportée du jeune homme rugit :
– Vous êtes sourds ou idiots ? Je vous ai dit d'arrêter cette femme !
– Mais... messire, commença un sergent.
Aussitôt Arnaud fut sur lui, le dominant de toute
sa haute taille. Les poings serrés, prêt à cogner, il était tendu comme une corde d'arc. Son visage était pourpre.
– Pas de mais, l'ami ! J'ordonne ! Sais-tu seulement qui elle est ? Une Bourguignonne... la pire de toutes ! Ce n'est pas une pitoyable réfugiée comme elle cherchait à nous le faire accroire. C'est la propre maîtresse de Philippe le Bon, la belle Catherine de Brazey ! Il ne faut pas être très malin pour deviner ce qu'elle vient faire ici !
Au nom de Philippe, le soldat avait pris peur visi blement. Il s'était hâté de saisir Catherine au poignet quand une voix lente, incrédule, se fit entendre :
– La belle Catherine ici ? La dame aux cheveux d'or ? Qui a dit une chose pareille ?
Crinière rouge au vent et armure d'acier bleu, c'était Xaintrailles qui débouchait d'une ruelle. Il était au moins aussi cabossé que son ami, mais son visage joyeux n'en avait pas perdu sa bonne humeur pour autant.
– C'est moi qui le dis ! lança sèchement Arnaud. Regarde, si tu ne me crois pas !
Le grand chevalier roux s'avança vers le groupe de soldats qui s'était refermé autour de Catherine et l'examina avec une stupeur non feinte puis éclata de rire.
– C'est ma foi vrai ! Tudieu, belle dame, que faites-vous ici... et dans cet appareil ?
– Elle est venue nous espionner pour son amant, c'est facile à comprendre, gronda Arnaud. Quant à ce qu'elle va faire maintenant, c'est moi qui vais te le dire : avant une heure elle sera bouclée au fond d'un cachot où elle attendra son jugement. Allez, vous autres, en avant. Emmenez-la...
Mais Xaintrailles avait cessé de rire. Il regardait toujours Catherine. Puis il arrêta son ami d'une main posée sur son bras.
– Tu ne trouves pas que c'est un peu étonnant ? fit-il en secouant la tête.
Pourquoi Philippe de Bourgogne, qui a retiré ses troupes du siège à la suite de son altercation avec Bedford, l'enverrait-il ici... et dans cet état ? Regarde ses vêtements en lambeaux, ses pieds en sang... elle se soutient à peine...
La lueur de pitié qu'elle lisait dans les yeux du capitaine rendit un peu de courage à Catherine effondrée. Mais l'entêtement d'Arnaud ne voulait rien entendre. Il haussa les épaules avec emportement.
Cela prouve seulement qu'elle est meilleure comédienne que tu ne crois !
Quant aux intentions profondes de Philippe le Tortueux, sois bien sûr que je ne tarderai pas à les connaître. La nouvelle de l'arrivée prochaine de la Pucelle a dû changer bien des choses à la Cour de Bruges. En prison, l'espionne... et tout de suite ! Là, je saurai bien lui délier la langue.
Xaintrailles n'insista pas. Il connaissait trop Arnaud pour ignorer que, dût sa vie en dépendre, il ne se déjugerait pas pour un empire, surtout en public.
D'ailleurs, la foule s'était attroupée autour d'eux et grondait, tout de suite prête à la menace.
– A mort la Bourguignonne !
Le cri s'amplifiait déjà. Depuis des mois que le siège durait, les gens d'Orléans étaient exaspérés, avides de laisser éclater leur fureur et leur angoisse. Sentant qu'ils risquaient d'être emportés, quelques soldats enfermèrent Catherine au milieu d'eux, tandis que d'autres écartaient les plus enragés à coups de bois de lance. Une poignée de boue, lancée d'une main sûre, vint frapper la jeune femme à l'emplacement du cœur. Elle ne broncha pas. Elle se tenait très droite, rigide... comme insensible. Elle regardait Arnaud de toute son âme. La boue nauséabonde coula le long de sa robe, laissant une traînée noire. Alors brusquement, la jeune femme éclata de rire... Un rire terrible, strident, qui ne lui appartenait pas et qui fit taire d'un seul coup tous les cris de mort. Elle riait, riait, comme si jamais plus elle ne s'arrêterait.
– Emmenez-la ! hurla Arnaud hors de lui... Emmenez-la ou je la tue !...
Le rire se brisa dans un sanglot. Le sergent poussa Catherine aux épaules tandis qu'un soldat lui liait vivement les mains derrière le dos. Elle détourna la tête, mais ne la baissa pas. Tout se brouillait devant ses yeux. D'un geste plein d'une lassitude infinie, elle haussa les épaules, se laissa emmener, indifférente désormais... ne voyant rien des rues qu'on lui faisait traverser.
Elle ne remarqua même pas, comme on traversait une petite place, la haute silhouette de Xaintrailles qui surgissait de derrière une fontaine et arrêtait discrètement le chef d'escorte.
– Mets-la dans un cachot, murmura le capitaine, mais pas dans une fosse et ne la ferre pas. Et puis, dis au geôlier qu'il tâche de lui trouver quelque chose à manger. Elle ne tient debout que par miracle. J'ai rarement vu une coupable qui ressemble autant à une victime.
L'homme fit signe qu'il avait compris, empocha la pièce d'or que lui glissait Xaintrailles et rejoignit le peloton des gardes de Catherine.
Le Chastelet, où les hommes d'armes conduisirent la jeune femme, était la forteresse d'Orléans. Elle commandait l'entrée du grand pont qui, enjambant une île sablonneuse dominée par la petite bastille Saint-Antoine, s'en allait rejoindre sur la rive gauche la grosse place forte des Tourelles, l'un des principaux points d'appui des Anglais. William Gladsdale, bailli d'Alençon, y commandait.
Quand le jour parut, Catherine, en se haussant jusqu'au soupirail qui éclairait chichement sa prison, put voir couler la Loire et en éprouva une vague joie.
Depuis qu'elle l'avait atteint, au bout d'une marche épuisante, elle en était venue à humaniser le grand fleuve et voyait en lui un ami. La veille, quand les gardes l'avaient jetée dans ce cachot, elle n'avait pas eu la moindre réaction. Hébétée de fatigue et assommée par son immense déception, elle s'était jetée sur le tas de paille qui devait lui servir de couche et y avait dormi d'un sommeil de bête harassée. Elle n'avait même pas entendu le geôlier lui apporter une cruche d'eau et un morceau de pain...
Au réveil, il lui avait fallu un moment pour se rendre compte qu'elle n'était pas le jouet d'un mauvais rêve. Mais à mesure que ses souvenirs se dégageaient des brouillards du sommeil, les événements de la veille se précisaient avec tous leurs détails. La tête dans les mains, assise sur son grabat, elle avait essayé de faire le point de sa situation et n'en avait tiré qu'amertume. Tous ces jours derniers, durant le terrible voyage et même avant, elle avait vécu une sorte d'état hypnotique, exactement depuis l'instant où, à Châteauvillain, frère Étienne lui avait appris qu'Arnaud n'était pas marié. La reprise de contact avec la réalité était brutale et le réveil avait un goût saumâtre.
Quand elle évoquait Arnaud de Montsalvy, le rouge de la colère et de la honte lui montait au front. Mais elle lui en voulait moins qu'à elle-même.
Folle qu'elle était de croire qu'il allait lui ouvrir les bras simplement parce qu'elle venait à lui dépouillée de tout, sans plus rien d'autre que son amour !
Elle se rendait compte qu'inconsciemment peut-être, elle avait pensé qu'il l'attendait depuis toujours, uniquement parce que, par deux fois, il avait perdu la tête entre ses bras. Elle avait oublié volontairement la scène pénible de leur dernier revoir, le lit de Philippe où il l'avait trouvée, son ultime regard d'écrasant mépris. Pour un homme aussi dur, aussi intransigeant qu'Arnaud, il y avait des choses sur lesquelles il devait être impossible de revenir, et, à ses yeux, Catherine était deux fois coupable, deux fois maudite
: elle était l'une de ces Legoix qui, jadis, avaient massacré son frère Michel et elle était la maîtresse bien-aimée de Philippe de Bourgogne qu'il haïssait et considérait comme traître. Non, si dans cette affaire quelqu'un était à blâmer, c'était bien elle d'avoir tout sacrifié à un rêve impossible. Elle avait tout perdu, tout... Elle gisait au fond d'une geôle sous une inculpation qui pouvait la mener à la mort, elle avait couru mille dangers et tout cela pour rien...
Catherine se leva et se mit à examiner sa prison. C'était une geôle étroite et basse qui prenait jour par un soupirail à gros barreaux en croix, ouvert au fond d'une sorte d'entonnoir de pierre qui limitait la vue. Pour tout mobilier, il y avait la couche de paille, un escabeau sur lequel le geôlier avait posé le pain et la cruche et, au mur, scellé dans la pierre, un assortiment de chaînes et de carcans. Les murs de grossiers parpaings suintaient l'humidité. C'était la troisième fois qu'on l'enfermait, sa troisième prison, mais, de celle-là, comme des deux autres, Catherine espérait bien sortir. Tout ne pouvait pas s'arrêter là...
Afin de retrouver un peu d'énergie, elle s'assit pour manger, rompit, non sans peine, un morceau de pain qui était dur et devait sortir d'une réserve quelconque où il avait été précieusement caché, puisque la disette régnait dans la ville où n'arrivaient plus les convois de vivres. Afin de le rendre mangeable, elle le trempa dans l'eau bribe par bribe, but quelques gorgées pour finir et se trouva mieux. Elle eut même le courage de sourire intérieurement en songeant aux festins merveilleux auxquels Philippe de Bourgogne se plaisait, avec leurs nombreux services, leurs plats fantastiques et raffinés, et auxquels elle s'ennuyait tant jadis. Le plus petit des pantagruéliques pâtés de ce temps-là eût été le bienvenu !
Ensuite, elle s'efforça de dormir encore, pour éviter de penser. Son cœur bouillait de rage contre elle– même, de rancune contre le monde entier et, cette ville qu'elle avait tant désirée, elle la maudissait maintenant de tout son cœur...
Mais, à la tombée de la nuit, la porte basse s'ouvrit et le geôlier parut. Dans le couloir, au-dehors, quatre soldats, pique en main, attendaient immobiles.
– Faut venir ! fit l'homme, un gros père à la mine réjouie qui avait aussi peu l'air d'un gardien de prison que possible. Catherine qui le voyait pour la première fois s'étonna de lui voir des yeux bleus, candides.
– Où me mène-t-on ? demanda-t-elle.
Il haussa les épaules pour marquer son ignorance, désigna le piquet de gardes :
– Eux le savent. Ça doit suffire...
Sans autre commentaire, la jeune femme se plaça au milieu des soldats, monta un colimaçon de pierre aux marches profondément creusées en leur milieu par le frottement de milliers de pieds et se trouva dans un rond-point voûté d'où partaient plusieurs galeries fermées par d'épaisses grilles de fer.
L'une des grilles s'ouvrit en grinçant. On s'engagea dans le couloir où aboutissait un petit escalier d'une dizaine de marches en haut desquelles il y avait une porte de chêne armée d'épaisses pentures de fer et percée d'un guichet. Quand la porte s'ouvrit, Catherine se trouva au seuil d'une salle longue et basse dont les voûtes étaient soutenues par quatre énormes piliers.
Au bout, contre le mur du fond percé d'une étroite fenêtre en fer de lance, une longue table tenait toute la largeur. Cinq hommes étaient assis à cette table. Un autre, assis à une table plus petite, sur le côté, écrivait, éclairé par une chandelle. Des torches brûlaient contre les murs de pierre, nus à l'exception d'un crucifix.
Les gardes menèrent Catherine au centre de la salle, face à la table, et restèrent là, autour d'elle, l'arme au pied, impassibles. La jeune femme comprit qu'elle se trouvait là en face d'un tribunal, mais elle ne put retenir un tressaillement en reconnaissant Arnaud parmi ses juges. Il était assis auprès de celui qui présidait, un seigneur d'une soixantaine d'années au visage épais et sévère sous une couronne de cheveux gris. Il n'avait pas d'armes, cette fois, et portait un pourpoint de daim vert sans aucun ornement. Les autres juges portaient les longues robes rouges ourlées de fourrure des échevins de la ville et étaient j des hommes d'âge mûr. Tous avaient des visages creusés par les privations et figés dans une totale absence d'expression. Arnaud se leva. Son regard noir tomba d'aplomb sur Catherine.
– Vous êtes ici devant messire Raoul de Gaucourt, gouverneur de cette ville, et devant messires les échevins pour y répondre de l'accusation de connivence avec l'ennemi.
– Quel ennemi ? fit Catherine doucement. Je n'ai jamais adressé la parole de ma vie à aucun Anglais... ;
Le poing d'Arnaud s'abattit sur la table qui résonna sous le coup.
– Ne jouez pas sur les mots ! Les gens de Bourgogne sont nos ennemis tout autant que ceux de Suffolk... davantage même ! Car, tout compte fait, l'envahisseur anglais ne fait là que son métier d'envahisseur, tandis que votre maître égorge son propre pays au bénéfice de l'étranger. Voilà pourquoi, vous qu'il a envoyée ici dans un but que nous ne comprenons que trop bien, vous vous trouvez maintenant devant ce tribunal...
– Messire, coupa Catherine avec un soupir de lassitude, ce n'est pas d'hier que nous nous connaissons, vous et moi, et vous savez parfaitement que je ne suis pas née bourguignonne, que je ne le suis devenue que par force. Pourquoi donc me refusez– vous le droit d'avoir, librement, délibérément, tourné le dos à un parti qui ne me semblait pas avoir le bon droit pour lui ? Je suis arrivée ici démunie de tout, après un pénible voyage qui a laissé ses marques sur mes membres et...
À nouveau le poing d'Arnaud tomba. Mais, loin de s'en épouvanter, Catherine eut l'impression bizarre qu'il forçait sa colère et ne faisait autant de bruit que pour masquer une certaine faiblesse intérieure.
– Taisez-vous ! s'écria-t-il. Mieux que quiconque je sais ce que valent vos discours et ce qu'il en faut penser. Je connais votre langue dorée et le grand art de persuasion qui est le vôtre...
Le gouverneur d'Orléans toussota.
– Messire de Montsalvy, dit-il courtoisement, je crains que vous ne vous laissiez emporter par un ressentiment tout personnel. Mieux vaudrait, je crois, que vous laissiez instrumenter ces messieurs et moi– même.
Lorsque nous aurons appris de l'accusée ce que nous désirons en apprendre, vous pourrez requérir autant qu'il vous plaira. Et, tout d'abord, il apparaît que nous avons négligé de munir la prisonnière d'un défenseur...
– Avec votre permission, Sire gouverneur, coupa doucement Catherine, je n'ai que faire d'un défenseur. Ma parole et ma bonne foi devraient suffire à vous convaincre. On m'accuse ici de méfaits que je n'ai point commis et n'avais aucunement l'intention de commettre.
– C'est ce qu'il faudra établir. Mais commençons comme il convient et répondez d'abord à mes questions. Vous êtes bien Catherine de Brazey, maîtresse favorite du duc Philippe ?
Le ton de Gaucourt était grave, mais sans rudesse. Catherine comprit que cet homme n'était pas son ennemi et en prit un peu plus d'assurance.
– Je suis Catherine de Brazey, veuve du Grand Argentier de Bourgogne exécuté pour haute trahison. Et je ne suis plus rien pour Monseigneur Philippe.
A cet instant, Arnaud ricana et elle dut faire effort sur elle-même pour ne pas s'emporter contre lui. Elle parvint même à ne pas le regarder.
– Depuis quand ? demanda-t-il goguenard.
Les– yeux toujours fixés sur le gouverneur, elle répondit calmement :
– Depuis que je sais le prochain mariage du duc. Tous les liens qui pouvaient exister entre lui et moi sont rompus. J'ai désobéi à l'ordre qui me faisait un devoir de retourner à sa Cour. Comprenez-moi, messire : voici bientôt cinq mois l'enfant que nous avions eu est mort. Il a emporté avec lui le dernier lien. Je suis partie...
– Pour venir ici ? fit Gaucourt, étrange choix !... et encore plus étrange équipage pour une femme riche et puissante, car vous étiez l'une et l'autre.
– J'ai été dépouillée en chemin par un brigand du nom de Fortépice. J'ai fui son château quand j'ai su qu'il avait envoyé à Bruges demander rançon pour moi. J'ai dû continuer comme j'ai pu... c'est-à-dire à pied.
– Mais pourquoi venir ici ? Qu'y cherchiez-vous donc ?
Catherine ne répondit pas tout de suite. Un flot de sang monta lentement à son visage tandis qu'une brusque émotion serrait sa gorge.
Elle baissa la tête et murmura d'une voix sourde :
– J'ai voulu suivre... un vieux rêve né voici bien longtemps ! Mais j'étais folle, je crois...
Elle releva la tête et, comme des larmes brûlantes montaient à ses yeux, elle cria, prise d'une fureur subite :
– Folle à lier, folle comme ces enfants que l'on voit se pencher sur les puits, les nuits de pleine lune, pour essayer de prendre son reflet entre leurs petites mains et qui meurent de leur illusion...
Sa voix s'enroua. Le gouverneur l'examinait avec une curiosité qui n'était pas dénuée d'intérêt et qui n'échappa pas à Arnaud. Le capitaine eut un rire féroce.
– Quand je vous l'avais dit ? Nous voilà en plein songe ! Cette femme veut nous faire croire qu'elle courait après un rêve. En vérité, messieurs, elle nous prend pour des sots. Si vous voulez qu'elle avoue, faites-lui donner la question. Je serais fort étonné qu'elle nous parle encore de rêves sur le chevalet.
– Je vous ai déjà pris pour beaucoup de choses, Arnaud de Montsalvy, s'écria Catherine, mais jamais pour un sot et je le regrette !
Ses dernières paroles furent couvertes par la discussion qui s'élevait entre les juges pour savoir si, oui ou non, la prisonnière serait remise au bourreau pour être questionnée. Une peur insidieuse se glissa dans les veines de Catherine à l'idée de la torture. Elle était déjà si affaiblie, si épuisée ! Dieu savait quels aveux insensés la souffrance pourrait lui arracher. Avec angoisse, elle suivait la rapide discussion à mi-voix des cinq hommes et se rendait compte que les trois échevins étaient pour Arnaud. Un seul était contre : le gouverneur. Elle l'entendait dire :
– Tout cela n'a guère de sens, selon moi. Oubliez-vous que vous autres, gens d'Orléans, aviez envoyé messire Xaintrailles auprès de Philippe de Bourgogne pour lui demander de prendre la ville en charge et qu'il avait accepté ?
Il avait accepté, en effet, mais n'avait pas pour autant retiré ses troupes. Il a fallu une mésentente entre lui et son beau-frère le régent Bedfort, pour qu'il le fît. C'est donc à un mouvement de mauvaise humeur que Philippe a obéi, non à un geste de solidarité française. De plus, il n'ignore pas que le ciel envoie à notre secours et qu'il n'a plus rien à attendre de nous. Je pense, moi, que cette femme est venue ici avec une mission bien précise et j'entends qu'on lui en arrache le secret. Le sort de notre ville en dépend peut-être, fit l'un des échevins.
Les deux autres notables approuvèrent vigoureusement leur collègue.
Arnaud eut un sourire oblique à l'adresse de Gaucourt.
– Voyez, messire, nous sommes quatre contre vous. Nous l'emportons!
Puis élevant la voix :
– Bourreau ! Fais ton office !
Derrière l'un des piliers, Catherine terrifiée vit surgir un homme court et trapu, tout vêtu de rouge et de brun. Un autre homme, pareillement équipé mais plus grand, le suivait. Les soldats s'écartèrent pour les laisser atteindre la prisonnière sur laquelle leurs mains rudes s'abattirent. En tournant la tête vers eux, Catherine avait aperçu tout un côté de la salle qu'en entrant elle n'avait pas vu. Un appareillage terrifiant s'y étalait autour d'une sorte de lit en bois grossier dont deux treuils formaient le chevet et le pied. De longues tiges de fer sortaient d'un brasier où elles rougissaient et, dans l'ombre, tout au fond, se dessinait vaguement la forme effrayante d'une grande roue armée de pointes de fer.
Effarée, Catherine ne pouvait détacher ses yeux de la sinistre installation quand un cri lui échappa. Le bourreau, brutalement, avait arraché sa robe déjà si mal en point et sa chemise. A se trouver ainsi, nue en face de ces hommes dont les yeux, brusquement, la dévoraient, une profonde rougeur lui monta au visage et elle voulut se cacher de ses bras.
Mais les tourmenteurs lui saisirent les poignets pour les lier ensemble. Un ordre, un cri plutôt les arrêta. C'était Arnaud.
– Qui vous a ordonné de dénuder cette femme ? ;
– Mais, Monseigneur... la coutume, protesta le bourreau.
– Je me moque de la coutume et je ne suis pas votre seigneur. Remettez-lui au moins sa chemise !
Si elle n'avait eu si peur, Catherine se fût rendu compte qu'Arnaud était devenu blême, que les ailes de son nez s'étaient pincées, mais elle se retenait pour ne pas hurler de terreur tandis qu'on l'entraînait vers le lit de torture. Le bourreau tant bien que mal avait drapé sur elle ce qui restait de la chemise.
Sans douceur, on la coucha sur le lit de bois. Ses poignets furent ramenés brutalement au-dessus de sa tête et on les enchaîna au treuil, tandis que l'aide– bourreau faisait de même avec ses chevilles. L'échevin Lhuillier se pencha sur elle :
– Femme, avant que la douleur ne s'empare de vous, je vous adjure de nous dire, de bon gré, ce que vous êtes venue faire en cette ville. Épargnez-vous, épargnez-nous ce qui va suivre. Pourquoi êtes– vous venue ?...
Les yeux de Catherine cherchaient Arnaud, éperdument. Mais il se tenait hors de son champ de vision. Elle ne pouvait même pas deviner s'il était encore là. Alors, elle regarda Lhuillier.
– Pour retrouver l'homme que j'aimais, murmura-t-elle. Mais je ne vous dirai pas son nom.
– Pourquoi ?
– Parce que vous ne me croiriez pas !
Un hurlement de douleur lui échappa. Sur un signe discret de l'échevin, le tourmenteur avait donné un tour au treuil. Le corps de Catherine fut envahi par une marée de souffrance. Elle crut que ses bras et ses jambes s'arrachaient d'elle.
– Soyons sérieux, fit doucement Lhuillier. Si vous voulez que nous vous accordions crédit, il faut, au moins nous dire le nom de cet homme. Qui est-ce ? Quelque Bourguignon qui vit secrètement ici ? Allons... montrez-vous raisonnable et votre souffrance cessera.
Des larmes brûlantes coulaient sur les joues de Catherine. Elle avait si mal que parler lui était déjà pénible.
– Demandez... à messire de Montsalvy. II... devrait... pouvoir vous le dire !
L'échevin hésita. Mais, juste à cet instant, deux hommes, deux chevaliers entrèrent dans la salle et s'approchèrent vivement du lit de torture. Malgré les larmes qui emplissaient ses yeux, Catherine reconnut Xaintrailles, mais elle n'avait jamais vu l'autre. C'était Jean de Dunois, Bâtard d'Orléans, le maître de la ville assiégée. Devant lui, chacun s'écarta avec respect car, à la noblesse de sa naissance1, il joignait une grande bravoure, une indéfectible loyauté et une infinie gentillesse. Il jeta sur la suppliciée un rapide coup d'œil, fit un geste.
– Délivre cette femme, bourreau...
– Monseigneur, commença Lhuillier, ne vous semble-t-il pas...
D'un geste calme mais ferme, Dunois le fit taire.
– Non, mon ami ! Nous avons mieux à faire céans que torturer une femme peut-être innocente. J'apporte de merveilleuses nouvelles.
De derrière le pilier, Arnaud surgit, pâle de colère.
– C'est moi, Monseigneur, qui ai fait arrêter cette femme. C'est moi qui ai dit qu'elle était dangereuse et c'est moi que vous offensez en désavouant mes actes !
Cette fois, le bâtard sourit, avec une nuance de tendresse, et Catherine, que le bourreau aidait à s'asseoir, remarqua l'extraordinaire séduction de ce sourire. Dunois posa ses deux mains sur les épaules du capitaine.
1. Il était né en 1402 des amours du duc Louis d'Orléans avec Mariette d'Enghien.
« Je ne désavoue pas tes actes, Arnaud ! Comment le pourrais-je ? Tu es mon frère d'armes et je t'aime
comme si nous étions du même sang. Si tu as jugé cette femme dangereuse, tu as bien fait de t'en assurer, mais pourquoi la mettre à mal ? Bientôt l'envoyée de Dieu sera ici. Elle va quitter Poitiers où les docteurs l'ont reconnue pure et sainte, où les dames l'ont reconnue vierge et où le roi lui a donné une armure pour mener les troupes à l'assaut. Et la Pucelle marchera vers Tours. Bientôt elle rejoindra l'armée à Blois, bientôt elle sera ici. C'est elle qui décidera du sort de la prisonnière quand Orléans sera libre. Jusque-là, cette femme demeurera en prison. Gardes, emmenez la prisonnière !
Vaincu, Arnaud baissa la tête. Tandis que le bourreau assistait Catherine pour passer sa robe et se mettre debout, celle-ci, malgré la souffrance qui courait encore le long de ses membres, se surprit à penser que l'intraitable capitaine devait aimer chèrement le Bâtard pour s'être soumis à lui si aisément. Mais la jeune femme était trop faible pour pouvoir marcher. Sous les regards chargés de rancune des échevins, deux soldats durent l'emporter jusqu'à sa cellule.
Dans les jours qui suivirent, on s'occupa si peu de Catherine qu'elle en vint parfois à se croire oubliée. Personne ne chercha plus à l'interroger, nul ne vint la voir. On se contenta de la laisser dans sa prison et elle en arriva bientôt à considérer comme une bénédiction du ciel d'avoir un geôlier comme le sien. Pitoul correspondait bien à son physique. Ce n'était pas un mauvais homme, tout au contraire, et s'il faisait ce métier peu en rapport avec son caractère, c'était uniquement parce qu'il avait repris la charge de son défunt beau-père. Dans la vie, Pitoul avait trois passions : sa femme Alison, plantureuse commère forte en gueule qui le battait au moins une fois par semaine pour s'entretenir la main, la bonne chère et, singulièrement, les andouillettes qui avaient fait la. gloire de maître Godin, traiteur dont la boutique à l'enseigne de « L'Andouillette d'Or» s'étalait au plein de la rue des Hostelleries, enfin les potins de tous genres. Le siège ayant mis un terme aux succulences culinaires de maître Godin, il ne restait à Pitoul que son Alison et les potins. Et si, sur les débuts, il avait regardé sa nouvelle pensionnaire avec quelque méfiance à cause de ses relations suspectes avec les Bourguignons, le fait que Monseigneur le Bâtard se fût personnellement intéressé à Catherine avait beaucoup soulagé Pitoul. Il n'avait plus vu d'inconvénients à venir bavarder de temps en temps avec elle. D'autant plus qu'elle était la seule et unique prisonnière qu'il eût à garder pour le moment.