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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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1. Le berger ne dura pas longtemps. Talbot fit Xaintrailles prisonnier et se hâta de jeter le berger à l'Oise, dûment cousu en un sac de cuir.

pas voir que ce berger est un imposteur du même genre que cette fille de La Rochelle à qui Jehanne conseillait d'aller « faire son ménage et soigner ses enfants ». Il faut croire que Xaintrailles a perdu le sens, conclut Arnaud d'un ton rogue.

Un jour de la fin mars, peu après l'heure de none, un groupe misérable franchissait la porte du Grand– Pont et entrait dans Rouen : un homme, une femme, un moine. Le tout suffisamment poussiéreux et crotté pour ne s'attirer, de la part des archers anglais qui gardaient la porte, qu'un regard superficiel et dédaigneux. Ils jouaient aux dés sur un tonneau et ne se dérangèrent même pas pour visiter le baluchon que l'homme portait à l'épaule et qui devait contenir toute la fortune du ménage. Quant au moine, il n'avait visiblement pour toute richesse que son froc brun effrangé et son chapelet de buis. Il est probable qu'il en eût été tout autrement si les soldats de garde avaient pu deviner que la robe salie de la femme portait dans ses coutures une fortune de pierreries et surtout un gros diamant noir. Le reste de cette fortune se logeait dans les boules de buis du chapelet noué à la taille du moine.

Non rasé depuis trois jours, vêtu d'une souquenille crasseuse et de chausses trop larges qui tire– bouchonnaient autour de ses jambes nerveuses de cavalier, un bonnet informe drapé sur sa tête et se tenant aussi voûté que possible pour masquer sa haute taille, Arnaud était méconnaissable.

Catherine, habillée d'une robe bleue délavée, d'une cape brune trouée et les cheveux tirés impitoyablement sous une cornette qui n'avait pas été blanche depuis longtemps, ne lui cédait en rien.

– Jean Son et sa femme habitent dans la rue aux Ours, leur dit frère Etienne une fois franchi le dangereux passage du corps de garde, tout près du Beffroi. Ce n'est pas loin. Mais, pour l'amour de Dieu, mon cher ami, tâchez de baisser les yeux quand vous rencontrez un Anglais et ne le mitraillez pas de ce regard fulgurant qui sent son guerrier d'une lieue !

Arnaud, confus, grimaça un sourire et rougit.

– Je ferai de mon mieux. Mais c'est dur, frère Etienne ; la vue de leurs chapeaux de fer et de leurs hoquetons verts à croix rouge se prélassant à l'aise dans une ville française me fait voir rouge !

– Vous vous y ferez... du moins momentanément.

L'ancienne capitale des ducs de Normandie offrait

un visage d'une profonde tristesse qui ressortait étrangement sur la splendeur de son décor. Les hautes maisons à pignons, si belles avec leurs boisages apparents, leurs enseignes savamment découpées et l'élancement aérien des flèches d'église, les tours normandes magnifiées de gothique flamboyant, portant couronnes ciselées comme autant de reines, faisaient un cadre étrange aux silhouettes pressées, aux yeux baissés, aux visages mornes des habitants. Point de joyeux vacarme aux carrefours et, dans les échoppes à moitié vides, on sentait les restrictions. Des femmes silencieuses faisaient queue aux boulangeries, aux étals des bouchers et des tripiers, les pieds dans la neige avec l'espoir d'obtenir quelque chose. Par contre on voyait partout des soldats à casaque verte. Deux par deux ou trois par trois, ils déambulaient dans les ruelles, surveillant visiblement. Les consignes les plus sévères avaient été données depuis l'ouverture du procès qui tenait ses assises dans la chapelle du château, tant on craignait un coup de main soit dans le but de délivrer la prisonnière, soit pour attenter à la vie des hauts personnages que la forteresse abritait derrière son enceinte à sept tours.

Quand les trois compagnons atteignirent la boutique de lingerie, atours et colifichets en tous genres, que tenait dame Nicole Son, ils virent que la lingère était très occupée à servir deux dames richement vêtues dont l'accent anglais prononcé désignait des dames de l'entourage de la duchesse de Bedford. Elles maniaient des dentelles de Flandres et des pièces de fine toile de lin avec une avidité qui fit sourire Catherine. Sur le comptoir, coiffant une tête de bois, un grand hennin à triple voile vaporeux, tout couvert de dentelle de Malines, accrocha un instant son regard. La mode bourguignonne semblait l'emporter en Normandie !

Mais dame Nicole, une grande femme sèche et noiraude qui portait sans aucune grâce une robe de beau drap d'Elbeuf gris ourlé d'agneau noir et une grande croix d'or sur une gorgerette de lin finement plissé, leur adressa un regard tellement offusqué que frère Etienne jugea bon de prendre la direction des opérations :

– La paix soit avec vous, dame Nicole ! ânonna– t-il d'un air confit, voilà vos pauvres cousins de Louviers que je vous amène... en bien triste état.

Vous aurez, je pense, du mal à les reconnaître. Ils ont tout perdu. Ce bandit écorcheur, cet Etienne de Vignolles que Dieu damne, a brûlé leur maison, leur a tout pris. Je les ai trouvés sur la route à demi morts...

– Comme c'est triste ! fit Nicole en considérant le couple avec un parfait dégoût. Menez-les à la cuisine, mon père. J'ai à faire !

Les deux dames anglaises avaient abandonné leurs dentelles et regardaient, elles aussi, les nouveaux arrivants. Elles hochaient la tête et chuchotaient entre elles avec une si visible compassion que Catherine retint une brusque envie de rire. Jugeant tout de même qu'il fallait faire quelque chose, elle plongea dans une maladroite révérence, balbutia avec une timidité fort bien jouée :

– Bonjour, ma cousine !

Le geste de dame Nicole fut celui que l'on emploie d'ordinaire pour chasser les mouches.

– Plus tard, plus tard !... Allez à la cuisine ! Vous voyez bien que vous gênez !

A la suite du frère, ils se dirigèrent vers une porte qui ouvrait dans le fond du magasin mais, en passant près de l'une des deux dames, celle-ci fouilla vivement dans son escarcelle et fourra une pièce d'or dans la main de Catherine, trop éberluée pour réagir.

– Poor woman ! s'écria la dame chaleureusement... C'était pour avoir une nouveau robe !

Un si bon sourire accompagnait ces mots que Catherine ne put se défendre d'une sympathie réelle pour cette femme charitable qui savait compatir à la misère d'une autre femme. Elle la remercia d'une révérence et d'un :

– Merci, gracieuse dame... Que Dieu vous bénisse !

Mais dame Nicole avait l'air proprement scandalisée.

– Madame la comtesse est trop bonne... une telle générosité ! Allons, vous autres, filez !

Quand ils arrivèrent dans la grande cuisine, bien chauffée par un grand feu flambant dans la vaste cheminée, la pièce était vide mais la porte qui donnait sur la cour de derrière était entrouverte. La servante devait être au puits ou à la basse-cour. Arnaud, qui, depuis l'entrée dans la maison, avait gardé le silence à grand-peine, grogna entre haut et bas.

– S'il faut vivre avec cette Nicole, je crois que j'aimerais mieux coucher sur le port avec les débardeurs.

Chut ! coupa frère Étienne. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences.

Vous changerez peut-être d'avis sur le compte de votre hôtesse. Ah, voici la servante ! Une forte fille armée de deux seaux pleins entrait à cet instant dans la cuisine et, la trouvant envahie, faillit tout lâcher.

– Vous voulez quoi, vous autres ? s'écria-t-elle d'un ton rogue.

Frère Étienne allait répondre mais, juste à cet instant, dame Nicole sortit de son magasin.

– Ce sont des cousins de mon époux qui nous viennent de Louviers et qui ont tout perdu, fit-elle sans rien perdre de son aspect revêche. Il faut bien que nous les accueillions. Tu leur donneras à manger, Margot, et puis tu les conduiras dans la soupente. Quand le maître rentrera, il décidera de ce qu'on en fera !

– Grand merci de votre charité, bonne dame, commença frère Étienne, mais Nicole lui coupa la parole en haussant les épaules.

– On est chrétien ou on ne l'est pas. Nous sommes déjà à l'étroit et les vivres sont rares mais je ne peux pas laisser à la rue des parents de mon époux. A propos, suivez-moi, mon père, j'aimerais bien vous parler...

Il la suivit sans empressement, laissant Arnaud et Catherine en compagnie de la servante qui les regardait par en dessous. Elle ne trouva sans doute rien d'extraordinaire car elle se mit en devoir d'emplir deux écuelles de soupe, coupa un gros quignon de pain bis et poussa le tout devant les nouveaux venus.

– Comme ça, vous venez de Louviers ?

– Oui, fit Catherine en plongeant une cuiller dans l'épaisse soupe qui sentait bon. De Louviers...

– J'ai des cousins là-bas, des tanneurs... Guillaume Lerouge, vous connaissez ?

Cette fois, ce fut Arnaud qui se lança dans la bataille. Il s'arrêta de laper sa soupe à grand bruit, dans le meilleur style croquant, leva les yeux vers la grosse fille.

– Sûr ! Guillaume Le rouge ? J'pense bien que j'le connais... Pauvre gars ! L'a été pendu l'autre jour par c'bandit d'Vignolles ! Ah ! on vit d'drôles de jours. C'est dur pour l'pauvre monde.

Catherine, sidérée, n'en croyait pas ses oreilles. Depuis leur arrivée à Rouen, elle craignait à chaque instant qu'Arnaud ne trahît son origine seigneuriale par ses manières mais, tout à coup, il se montrait plus fort qu'elle à ce jeu. Il avait gagné d'ailleurs car Margot soupirait avec conviction :

– J'pense bien qu'c'est dur ! Mais ici, vous s'rez point trop malheureux.

Oh la maîtresse n'est point commode ! Pour être dure, l'est dure ! Mais on mange bien. V's'avez l'air solide, vous. Maître Jean vous trouvera de l'ouvrage et vot'femme trouv'ra à faire ici. L'aut'servante est morte. Alors, c'est pas l'travail qui manque.

– Et comme j'le crains pas, l'travail ! assura Catherine tandis qu'Arnaud, apparemment satisfait, achevait d'engloutir sa soupe.

Quand ce fut fini, il torchonna l'écuelle avec un morceau de pain, vida son gobelet d'un trait et s'essuya la bouche avec sa manche.

– Ça va mieux ! fit-il d'un air enchanté. Fameuse, la soupe !

Et, pour mieux montrer tout le bien qu'il en pensait, il lâcha un rot retentissant.

– V'nez alors, fit la servante, j'vais vous montrer vot' chambre. Dame, c'est point luxueux, ni même chauffé. Mais à deux, ajouta-t-elle avec un clin d'œil complice, on s'réchauffe, pas vrai ?

La soupente, nichée tout en haut de la maison, sous le pignon du grand toit à double pente, offrait l'aspect d'une boîte en forme de pyramide tronquée. Un certain nombre d'objets hors d'usage s'y entassaient et il y régnait un froid de loup. Mais Margot apporta deux paillasses qu'elle entassa l'une sur l'autre et un nombre suffisant de bonnes couvertures de laine.

– Demain, fit-elle, on f'ra un peu d'ménage là-d'dans. Mais, pour ce soir, l'important c'est qu'vous ayez point froid. R'posez-vous un brin.

Quand elle fut sortie, Catherine et Arnaud se retrouvèrent seuls et restèrent un moment, face à face, à se contempler. Puis, brusquement, Catherine éclata de rire. Il y avait trop longtemps qu'elle en avait envie.

– J'ignorais que vous possédiez de tels talents ! fit-elle moqueuse en prenant soin, toutefois, de voiler sa voix. Vrai, dans votre rôle de croquant, vous êtes parfait ! D'une vérité ! Et moi qui craignais votre trop grande hauteur.

– Je vous ai dit que j'ai été élevé comme un petit paysan... En fait, ajouta-t-il avec un sourire soudain qui illumina son visage, je crois bien que j'ai toujours été un paysan déguisé. Et je ne suis pas sûr de ne pas en être fier. Je ne suis pas du tout fait pour la vie mondaine... mais je dois reconnaître que vous vous tirez parfaitement de votre rôle, vous aussi !

Et, tout d'un coup, lui aussi se mit à rire, rejoignant Catherine dans cette gaieté franche qui les détendait et balayait pour un temps les rancœurs, les mauvais souvenirs. Ils riaient comme deux enfants qui ont fait une bonne farce, complices et accordés comme jamais peut-être ils ne l'avaient encore été, même au plus ardent des heures naguère partagées. Ils riaient encore quand dame Nicole pénétra dans la soupente, un paquet sous le bras.

– Chut ! fit-elle un doigt sur la bouche. On pourrait vous entendre et pour des réfugiés dépouillés de tout, vous me semblez un peu gais...

Elle souriait cette fois et Catherine constata que ce sourire conférait un charme extraordinaire à son long visage sans grâce. Elle jeta le paquet de vêtements sur les couvertures puis, tout naturellement, plongea dans une révérence.

– Messire et vous Madame, pardonnez l'accueil que j'ai dû vous faire...

et, par la même occasion, pardonnez-moi aussi mes rebuffades futures et ma mauvaise humeur à venir ! Je ne suis pas sûre de la servante, loin de là, ni d'ailleurs de personne !

Soulagée d'un grand poids car elle se sentait mal à l'aise depuis son arrivée chez les Son, Catherine alla spontanément embrasser Nicole tandis qu'Arnaud l'assurait qu'ils lui étaient, au contraire, grandement reconnaissants. Il valait bien mieux qu'il en fût ainsi. Ceci mis au point, Nicole ne s'attarda point pour que Margot ne se posât pas de questions. On leur apporta des ustensiles de toilette et de l'eau. Quand rentra maître Jean Son, ils étaient propres et présentables quoi que fort modestement vêtus comme il convient à des parents pauvres.

À première vue, le maître maçon n'était pas plus sympathique que son épouse. Gros et rougeaud, bouffi de graisse et d'orgueil, il promenait sur toutes choses un regard endormi, content de soi et vaguement condescendant qui ne plaidait pas en faveur de son intelligence. Mais ses « cousins » ne tardèrent pas à comprendre que cet aspect sottement inoffensif cachait un esprit clair et lucide, un réel courage et une profonde astuce normande.

– Reposez-vous ce soir, leur dit-il tout bas quand la servante eut fini de servir le souper. Demain, je vous montrerai notre cave. C'est là que nous tenons nos réunions sans crainte d'être entendus.

Quand le couvre-feu sonna, on dit la prière en commun puis chacun se retira chez soi. Arnaud et Catherine retrouvèrent leur mansarde et le cœur de la jeune femme se mit à battre sur un rythme plus rapide. Cette cohabitation la gênait et la remplissait de joie tout à la fois car, enfin... Margot n'avait pré paré qu'un seul lit. Elle ne savait pas bien si elle devait se réjouir ou craindre de nouvelles rebuffades. Mais, une fois entré, Arnaud ôta calmement l'une des deux paillasses du lit, l'entassa dans un coin et prit une couverture. Dans les objets de rebut, il avait trouvé une vieille tenture déchirée en grosse toile, qu'il tendit soigneusement entre Catherine et lui grâce au solivage du toit.

Elle le regardait faire, interdite, un peu déçue, il faut le dire. Quand il eut terminé, il se tourna vers elle, sourit et s'inclina aussi courtoisement que s'ils eussent été dans un château au lieu d'occuper un galetas sordide.

– Bonne nuit ! fit-il aimablement, bonne nuit... ma chère femme !

Quelques minutes plus tard, un ronflement sonore apprit à Catherine qu'il dormait bel et bien. La journée avait été dure et la jeune femme eût aimé en faire autant mais elle était trop énervée pour trouver le sommeil. Longtemps, elle se tourna et se retourna sur sa paillasse sans parvenir à s'endormir. Elle en voulait à Arnaud, à elle-même, au monde entier. Et si seulement cet imbécile avait bien voulu ronfler moins fort !

Une étrange existence commença, de ce moment, pour les deux compagnons d'aventure. Tout le jour, sous la surveillance de Nicole, Catherine travaillait d'arrache-pied dans la maison, aidant Margot à la cuisine, au lavage, au ménage et au repassage, essuyant de fréquentes rebuffades, surtout quand des étrangers étaient au magasin, bref jouant parfaitement son rôle de parente pauvre recueillie par charité. De son côté, Arnaud était entré pleinement dans sa peau de maçon. Le fait qu'il savait écrire lui avait valu d'échapper à de redoutables acrobaties sur les échafaudages et Jean Son, en lui confiant des fonctions de secrétaire, lui avait évité bien des curiosités et des étonnements de la part des autres ouvriers. Comme il était le cousin du patron, nul ne voyait d'inconvénient à ce qu'il fût traité un peu mieux que les autres...

Mais, la nuit venue et Margot endormie, il se tenait dans la cave des Son des conciliabules où la maçonnerie n'avait que fort peu de place. C'était là que l'on recevait des nouvelles sûres du procès grâce à certains Frère Prêcheurs de l'ordre de Saint Dominique, appartenant au couvent Saint-Jacques, qui suivaient régulièrement les séances, devenues privées au début du mois de mars. Ces moines, frère Isambert de La Pierre et frère Martin Ladvenu, aidaient Jehanne de tout leur pouvoir et la conseillaient de leur mieux quand ils pouvaient l'approcher. Mais Cauchon et Warwick faisaient bonne garde autour de leur proie et frère Isambert, qui avait conseillé à Jehanne d'en appeler au Pape et au Concile de Bâle, se vit menacer d'être mis dans un sac et jeté à la Seine par le terrible évêque de Beauvais. Tous deux plaignaient la Pucelle et l'admiraient profondément. Ils retraçaient pour Jean Son et ses amis son calvaire de chaque instant, rapportaient ses réponses, toujours si simples, si claires et si pleines de foi, aux pires pièges tendus par les docteurs, partiaux et avides de plaire au vainqueur, qui l'interrogeaient. Jehanne se défendait avec une intelligence, une maîtrise et une précision, dans sa mémoire des réponses déjà faites, qui tenaient du prodige, surtout lorsque l'on considérait que cette enfant de dix-huit ans ne savait ni lire ni écrire. Tout juste signer son nom.

– Tout, dans ce procès, est illégal, faux, pourri, disait frère Isambert de sa belle voix grave. Cauchon a promis de la tuer mais il désire surtout jeter le discrédit sur le roi de France. Et, pour en arriver là, il ne reculera devant rien !

On sut, par lui, que Jehanne avait été conduite dans la salle de tortures du donjon mais qu'elle était demeurée ferme et droite devant les fouets armés de plomb dont on la menaçait, que rien ne parvenait à abattre son extraordinaire courage. Mais, plus les jours passaient et plus elle était difficile à atteindre.

Jean Son, accompagné d'Arnaud qui, pour être mieux déguisé, avait laissé pousser sa barbe, s'était rendu à la tour de Bouvreuil sous prétexte d'examiner la maçonnerie et de s'assurer qu'aucune galerie n'avait été creusée pour faire évader la prisonnière. Tous deux étaient revenus désespérés.

– Nul ne peut lui parler. Elle est gardée à vue, plus que sévèrement. Et le château regorge de soldats. Nous avons été fouillés au moins dix fois à l'aller et au retour. Il faudrait une armée solide pour attaquer pareille forteresse, dit Arnaud en se laissant tomber sur un escabeau. Nous n'y arriverons jamais... Jamais !

Un moment, les conjurés avaient songé à tenter d'acheter certains juges au moyen des bijoux de Catherine. Mais frère Isambert les en avait dissuadés.

– Ce serait inutile. Il me répugne de porter pareil jugement sur des hommes d'Église mais ils accepteraient la fortune offerte... et vous livreraient aussitôt. Aucun d'eux n'hésiterait, même un instant, à manger à plusieurs râteliers. Ceux qui étaient de bonne foi, comme l'évêque d'Avranches, se sont récusés depuis longtemps.

– Que faire, alors ? demanda Catherine.

Maître Jean Son haussa ses grasses épaules et

avala d'un trait un plein pot de vin pour se donner du courage.

– Attendre le jour de la condamnation... puisqu'elle doit immanquablement venir et tenter quelque chose à ce moment-là. C'est notre seule chance... la seule chance de Jehanne, que Dieu ait pitié d'elle, dit-il.

Quand ils quittaient le profond caveau voûté, ancien cellier roman, qui servait de cave à Jean Son et se retrouvaient dans leur soupente, Arnaud et Catherine ne trouvaient plus rien à se dire. Entre eux se dressait l'ombre tragique et pitoyable de la prisonnière. Elle les unissait dans le même effort, la même volonté de l'arracher à un sort injuste mais, en même temps, elle les séparait de toute la hauteur de son martyre. Comment s'abandonner à l'amour quand on savait tout ce que, si près, endurait la jeune fille?

Mais, un soir, comme on allait se mettre à table pour le souper, quelqu'un frappa au volet de la rue. Margot alla ouvrir. Un homme de haute taille, tout vêtu de noir, entra.

– Le bonsoir à tous ! fit-il, et pardon si je dérange. Il faut que je voie maître Son.

L'homme portait un capuchon qui cachait une partie de son visage mais Catherine vit clairement qu'à son aspect Nicole avait pâli et frissonné. Elle se pencha vers sa pseudo-cousine, demanda tout bas :

– Qui est-ce ?

– Geoffroy Terrage... le bourreau ! fit l'autre d'une voix blanche. Sans même prendre la peine de dissimuler son expression de dégoût, Jean Son s'était levé de table et avait interposé sa massive personne entre les femmes frissonnantes et la silhouette noire de l'exécuteur.

– Que veux-tu ? demanda-t-il rudement.

– J'ai besoin de vous, maître Son, et dès demain. J'ai reçu ordre de faire dresser pour après-demain, jeudi 24 mai, une haute maçonnerie de plâtre dans le cimetière Saint-Ouen.

– Pourquoi faire cette maçonnerie ?

Terrage détourna les yeux, pris d'une gêne subite devant tous ces regards fixés sur lui et dont aucun ne songeait à dissimuler son angoisse.

– Un bûcher ! fit-il courtement.

Puis, comme nul ne soufflait mot dans les assistants glacés d'horreur, il ajouta :

– Un bûcher assez haut pour que, de partout, on puisse voir la condamnée... trop haut pour qu'une fois allumé, je puisse l'atteindre par-derrière et l'étrangler discrètement.

Malgré le sentiment du danger couru, Catherine ne put se taire.

– Jehanne n'est pas condamnée, que je sache !

Le bourreau haussa les épaules, indifférent.

– Que voulez-vous que je vous dise ? On m'a donné des ordres, je les exécute. Je peux compter sur vous, maître Son ?

– Ça sera fait ! répondit le maître maçon sans parvenir à dissimuler tout à fait le tremblement de sa voix. Bonsoir !

– Bonsoir !

Quand il fut sorti, tous restèrent figés sur place, même Margot qui, sa marmite dans les mains, regardait d'un air stupide la porte par laquelle le bourreau était sorti. Au bout d'un instant seulement, elle vint poser sa charge sur la table, se signa vivement.

– Pauvre fille ! fit-elle. Le bûcher... c't'une mort affreuse !

Tard dans la soirée, longtemps après que se fut terminé le plus silencieux de leurs soupers communs, les habitants de la maison de la rue aux Ours retrouvèrent dans le cellier frère Isambert et frère Étienne, revenu le soir même d'une mission à Louviers. Le dominicain et le cordelier étaient d'une gravité de mauvais augure. Leurs visages creusés de rides montraient une profonde tristesse.

Non, elle n'est pas condamnée, expliqua frère Isambert à la question d'Arnaud, mais peu s'en faut. Jeudi, elle doit être conduite au cimetière de l'abbaye Saint-Ouen pour y être publiquement admonestée et pressée d'abjurer ses fautes, de se soumettre à l'Église... telle qu'elle est si misérablement représentée ici, c'est-à-dire à maître Cauchon. Si elle refuse, on la jette au feu ; si elle accepte...

– Si elle accepte ? répéta Nicole.

Le moine haussa ses maigres épaules sous le froc blanc et le manteau noir qui le vêtaient. Son visage émacié se tendit :

– On devrait, normalement, la remettre à un couvent pour y être gardée et y subir la pénitence qu'il plaira au tribunal de lui infliger. Mais je sens qu'il y a là un piège, que Cauchon prépare quelque chose. Il a trop souvent promis à Warwick que Jehanne mourrait.

Tandis que chacun pesait, au fond de son esprit, les paroles du moine, maître Son avait tiré de sa poche un rouleau de parchemin qu'il étalait sur un tonneau. Pour l'empêcher de se rouler à nouveau, il posa dessus un chandelier de fer puis lissa de la main la peau craquante et brunie par le temps. Alors que tous les autres affichaient une mine sombre, lui– même avait l'air curieusement satisfait. Sa femme le remarqua.

– On dirait que ce que vient de dire frère Isambert te fait plaisir ?

– Beaucoup plus que tu ne crois car j'entrevois une possibilité sérieuse de sauver Jehanne. Ceci, ajouta-t-il en désignant son parchemin, est un plan très ancien de l'abbaye Saint-Ouen, dont, entre parenthèses, j'ai aussi l'entretien. Et ce plan est, selon moi, d'un intérêt capital. Venez plutôt voir...

Ils se massèrent autour de lui, penchant au-dessus de ses épaules leurs visages avides. Longtemps, Jean Son parla, à voix contenue.

Afin d'être sûre de pouvoir se placer où Jean Son et Arnaud le lui avaient prescrit, Catherine avait gagné, tôt dans la matinée, le cimetière de l'abbaye Saint-Ouen. Elle devait se tenir sur les marches d'un calvaire à demi écroulé, face aux tribunes préparées pour les juges et au petit échafaud sur lequel Jehanne allait prendre place. Non loin de là, entre les tribunes et le portail sud de l'église Saint-Ouen, se dressait sinistrement le bûcher édifié la veille par le maître maçon, croulant sous les piles de fagots. Nicole, peu après, s'installa avec une bande de commères endimanchées sous l'une des galeries de bois qui entouraient l'enclos des morts et dans les toitures desquelles s'entassaient les vieux ossements des corps déjà relevés. On appelait cela un charnier. Le cimetière s'emplissait rapidement, la douceur du temps et la curiosité ayant fait sortir presque tous les Rouennais de chez eux. La plupart devaient voir Jehanne pour la première fois en cette occasion.

Bientôt, Catherine reconnut Arnaud. Vêtu de son costume noir, étriqué et râpé, le dos rond, la tête cachée par un vaste chaperon vert sombre, il s'installa aussi près que possible de l'échafaud préparé pour Jehanne, juste derrière les cordons d'archers anglais. Ceux-ci formaient, avec leurs piques tenues en travers, une barrière solide, mais tout de même possible à renverser pour un homme aussi vigoureux que le capitaine. Les autres conjurés devaient être à leur place : Jean Son dans le beffroi de la ville et frère Étienne à l'intérieur de l'église Saint-Ouen.

Le plan conçu par le maçon était d'une grande simplicité. Dans les vieux plans de l'église, il avait découvert, plusieurs années auparavant, l'existence d'un souterrain joignant la campagne qui aboutissait sous une dalle de la vieille crypte romane. Sans trop savoir pourquoi, il n'en avait jamais soufflé mot à personne et s'en félicitait maintenant. Il savait exactement sous quelle dalle ouvrait l'antique escalier et, tandis que ses ouvriers élevaient le soubassement de plâtre commandé par le tribunal, il avait, sous couleur d'examiner les piliers de la crypte, descellé la dalle et indiqué à frère Étienne le moyen de la lever sans peine. Le costume de cordelier du moine lui permettait d'entrer de jour comme de nuit dans n'importe quelle église sans que personne s'en étonnât. Pour le moment, il devait être en prières dans la crypte, attendant qu'Arnaud lui amenât la fugitive.

Les consignes distribuées portaient que l'on ne devait pas bouger avant la sentence. À ce moment, deux éventualités pouvaient se présenter : ou bien Jehanne s'en remettait au jugement de l'Église et serait confiée à des nonnes, ou bien elle refusait et serait donnée au bourreau. Dans l'un et l'autre cas, Catherine devait à ce moment précis entrer en convulsions, jouant la femme hystérique, et Nicole, sous couleur de lui porter secours, devait accroître la confusion dans le cimetière. D'autre part, Jean Son, posté dans le beffroi de la ville d'où il pouvait voir et surtout entendre les hurlements stridents que les deux femmes avaient mission de pousser, mettrait en branle, au même moment, les deux cloches d'alarme, Rouvel et Cache-Ribaud dont la voix formidable avait toujours, au cours des siècles, appelé les gens de Rouen à la défense ou à la révolte. Ce tocsin inattendu achèverait de créer un tumulte et une agitation suffisants pour permettre à Arnaud, avec l'aide de frère Isambert qui n'était jamais loin de Jehanne, d'arracher la prisonnière à ses gardes et de la jeter dans l'église. Avec un homme comme Cauchon, le droit d'asile ne jouerait sans doute guère mais il suffirait de gagner deux ou trois minutes sur les poursuivants pour que la dalle se fût refermée sur Jehanne.

Avant que les Anglais aient trouvé le point de la fuite, la Pucelle et ses sauveteurs seraient dans la campagne et rejoindraient, après la chute du jour, La Hire qui s'avancerait avec un détachement aussi près que possible de la ville. Revenue de son malaise apparent, il serait facile à Catherine de rejoindre peu après les fugitifs...

Le public emplissait maintenant le cimetière, et le calvaire auquel s'appuyait Catherine était battu par une mer humaine qu'heureusement elle dominait sans peine. Là-bas, près des tribunes, une vague d'acier hérissée de piques signala un détachement de soldats, puis la tribune des juges s'emplit de robes noires et blanches sur lesquelles tranchait le violet pourpre de l'évêque. De loin, il parut énorme à Catherine, ses grasses épaules réchauffées, malgré la douceur du temps, d'un camail d'hermine sur lequel tranchait grotesquement l'écarlate de son visage. Haut dans le ciel, traversé du vol noir et blanc des hirondelles, le tintement du glas tomba lourdement de la tour ciselée de l'église. Catherine, le cœur étreint d'une soudaine angoisse, vit arriver le bourreau et ses aides puis, encadrée de soldats, une mince silhouette vêtue de noir.

Quand Jehanne apparut sur l'échafaud qui lui était réservé, un long murmure traversa la foule, murmure où entrait beaucoup de pitié.

–Qu'elle est jeunette et maigre ! chuchotait une femme.

– Pauvrette, reprenait un vieillard à barbe blanche, ils ont dû lui en faire voir dans sa prison, ces maudits Godons que Dieu damne !

– Chut !... faisait à son tour une jeune fille. Si l'on vous entendait...

Bientôt, d'ailleurs, tout le monde se tut. Un homme en robe noire s'était placé debout auprès de Jehanne agenouillée, un parchemin ceinturé de rouge entre les doigts. Quelqu'un, derrière Catherine, chuchota avec un respect craintif.

– C'est maître Guillaume Erard, de la Sorbonne. Il va prêcher.

De fait, le docteur en robe noire commençait d'une voix à la fois sonore et onctueuse un long et emphatique sermon qui avait pour thème : « Le rameau ne peut produire du fruit s'il n'est demeuré à la vigne... » Mais Catherine n'écoutait pas. Elle regardait Jehanne, effrayée de la trouver si pâle, et si maigre. La Pucelle flottait littéralement dans son costume d'homme en serge noire. Ses cheveux allongés encadraient un visage si creusé que les limpides ; yeux bleus semblaient en avoir dévoré toute la substance. Mais son courage paraissait entier.


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