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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Sortez tous ! cria-t-il.

Apeurés, ils obéirent, sans oser ramasser les plats et les assiettes d'or qui se vidaient de leur contenu sur le dallage. Les yeux gris du duc étaient devenus presque noirs et une sorte de fureur crispait tous ses traits.

– Philippe ! cria Catherine.

– N'aie pas peur, je ne te veux aucun mal...

Il vint à elle et, aussi aisément que si elle n'avait rien pesé, l'enleva dans ses bras, l'emportant en courant vers la chambre. Catherine vit que des larmes inondaient son visage... Il la déposa sur le lit mais ne la lâcha pas. Au contraire, il l'emprisonna étroitement contre sa poitrine.

– Écoute... murmura-t-il haletant... et n'oublie jamais ce que je vais te dire : je t'aime plus que tout, plus que ma vie, plus que le salut de mon âme...

et plus que mes États. Si tu l'exigeais, j'abdiquerais demain pour te garder, toi ! Que m'importe après tout un héritier ! Je vais ordonner à Van Eyck de demeurer... je ne me marierai pas. Je ne veux pas te perdre, tu m'entends... je n'accepterai jamais de te perdre ! Si tu veux que je te laisse partir, demain matin, tu vas me jurer de revenir...

– Philippe, gémit Catherine, il s'agit de mon enfant, de notre enfant.

– Qu'importe ! Jure que tu me reviendras, quoi qu'il advienne, dès que tu seras rassurée. Jure-le, sinon je te donne ma parole de chevalier que tu ne quitteras pas cette ville. Je t'enfermerai plutôt...

Il ne se possédait plus. Ses doigts minces et durs meurtrissaient la jeune femme qu'il écrasait sous son poids. Son souffle brûlait les lèvres de sa prisonnière éperdue et ses larmes roulaient de ses joues à celles de Catherine.

Jamais elle ne l'avait vu dans un pareil état. Il tremblait de tous ses membres et, brusquement, il lui rappela Garin à la seule minute où le désir avait eu raison de lui. Garin aussi avait eu cette expression de faim douloureuse, cette intense imploration de tout l'être.

– Jure, Catherine, jure sur ta vie que tu reviendras, souffla-t-il, mi-implorant mi-impérieux. Ou alors dis-moi que tu ne m'as jamais aimé...

Contre sa poitrine, Catherine sentait le cœur de Philippe battre à un rythme affolé. Elle se sentait à la fois lasse et pleine de pitié. Et puis, à son insu, elle était encore sensible à la passion de ce prince qui, auprès d'elle, n'était plus qu'un homme follement épris. Elle capitula.

– Je te jure, murmura-t-elle enfin... je reviendrai dès que le petit sera guéri...

L'effet fut immédiat. Elle le sentit se détendre peu à peu. Sa gratitude lui fit mal. Il s'agenouilla devant elle, baisa ses mains, ses pieds.

– Non, Philippe, pria-t-elle. Je t'en supplie, lève– toi.

Il obéit, la reprit dans ses bras et s'empara de ses lèvres. Peu à peu, sous la chaleur du baiser, Catherine sentit fondre sa volonté, les quelques velléités de résistance qui lui restaient encore. Philippe semblait, tout à coup, avoir retrouvé le pouvoir magique qui, si longtemps, avait enchaîné Catherine à lui.

Tard dans la nuit, tandis que Philippe, harassé, s'endormait enfin, la tête sur la poitrine de la jeune femme qu'il tenait toujours étroitement embrassée, elle demeura les yeux grands ouverts dans l'obscurité de la chambre où le feu se mourait. Elle était dans cet état de semi-conscience qui permet à l'esprit de s'échapper et de percer, par intuition, le voile de l'avenir. Jamais encore Philippe ne l'avait aimée comme cette nuit. Il semblait ne pouvoir se rassasier d'elle. De toutes les heures d'amour vécues auprès de lui, celles-ci avaient été les plus belles et les plus ardentes. Pourquoi fallait-il que Catherine eût le sentiment instinctif qu'elles étaient les dernières, alors même qu'elle avait juré de revenir ?

Sa joue reposait contre les courts cheveux blonds de Philippe. Elle tourna légèrement la tête pour le regarder. Il dormait comme un enfant, avec une expression boudeuse de gamin puni qui l'attendrit plus que les traces visibles laissées sur ses traits durs par la violence de sa passion. Tout doucement, pour ne pas l'éveiller, elle posa ses lèvres sur sa tempe, là où la peau plus fine laisse voir le battement du sang. Puis, sans pouvoir s'en empêcher, elle se mit à pleurer parce qu'elle avait l'impression qu'à cette minute elle l'aimait comme jamais encore elle ne l'avait fait.

La sentant remuer, Philippe resserra inconsciemment son étreinte.

Craignant qu'il ne s'éveillât, Catherine ne bougea plus. L'aube viendrait bien assez vite où il faudrait le chasser, se séparer. Pour combien de temps ?

Confusément, Catherine sentait qu'elle n'appartenait plus à cet homme, à cette demeure. Elle était déjà sur le chemin au bout duquel l'attendaient son enfant et sa vieille amie...

Lorsqu'au terme d'une route épuisante Catherine et son escorte arrivèrent en vue des tours de Châteauvillain, elle fut prise d'un sombre pressentiment.

Dans le village blotti dans une boucle de l'Aujon au pied de la motte seigneuriale, la cloche de l'église sonnait le glas et les notes lugubres s'égrenaient dans l'air froid. Là-haut, sur sa butte, le château surgissait de lourdes plaques de brume avec ses hourds de bois noir couronnant les tours formidables et les poivrières d'ardoise, vernies d'humidité, qui les coiffaient.

Par habitude, Catherine chercha, au faîte du donjon, la bannière écarlate des Châteauvillain. Mais seule, dressée entre les créneaux, une bannière noire, flasque, pendait à sa hampe.

Elle pressa son cheval sur le sentier en pente. Bien que l'on fût au plein du jour, la forteresse était étrangement silencieuse. Le pont-levis était relevé, aucun homme n'apparaissait aux créneaux... Se tournant vers le chef de l'escorte que lui avait donnée Philippe de Bourgogne, un jeune lieutenant à la barbe naissante que le moindre de ses regards faisait rougir, elle lui ordonna de faire sonner du cor pour annoncer leur approche. Elle se sentait fébrile, inquiète. L'atmosphère sinistre qui enveloppait ce village des hauts plateaux de la Marne agissait sur elle.

Le jeune chef d'escorte s'exécuta. Un homme d'armes se détacha, emboucha le cor pendu à sa ceinture. Un son prolongé, mugissant, perça la brume, monta jusqu'au chemin de ronde où, au troisième appel, une tête casquée apparut. Dans son épaisse cape trempée d'eau, Catherine frissonna, chercha instinctivement le regard de Sara qui se tenait un peu en arrière. Ce voyage lui avait paru interminable. Plusieurs fois, il avait fallu en découdre contre les bandes de routiers errants ou, simplement, contre des troupes de paysans affamés, chassés de leurs villages détruits et qui avaient pris le maquis pour survivre, se transformant peu à peu en brigands d'autant plus cruels que la faim les poussait plus que l'appât du gain. En ces circonstances, Catherine avait regretté que Jacques de Roussay, son escorteur habituel, fût immobilisé par une jambe brisée dans un tournoi. Le jeune soldat chargé de le remplacer n'était visiblement pas à la hauteur de sa tâche. Sa responsabilité l'écrasait et il s'affolait trop aisément. Mais ce fut d'une voix assez vigoureuse qu'il réclama l'ouverture des portes pour la comtesse de Brazey.

– On vient ! cria quelqu'un du haut d'une tour.

L'attente parut interminable à Catherine. Campée sur son cheval blanc qui, aussi impatient qu'elle– même, grattait la terre humide de son sabot, elle gardait les yeux rivés sur le gigantesque panneau de bois du pont-levis.

Enfin, il s'abaissa lentement dans un affreux grincement, révélant l'ogive haute de la porte sommée de l'écusson de pierre des seigneurs du domaine.

À travers la herse que l'on levait en même temps, on pouvait apercevoir les archers qui accouraient, traînant leurs armes, ajustant leurs casques. Le pont s'immobilisa et, bientôt, ses planches énormes résonnèrent sous les sabots des chevaux. Catherine, la première, franchit la porterie, déboucha dans la cour au centre de laquelle fusait la masse formidable du donjon, dédaigna l'entrée de la tour féodale et se dirigea vers le corps de logis aux élégantes fenêtres flamboyantes. Au seuil une femme vêtue de noir de la tête aux pieds venait d'apparaître et attendait. C'était peut-être parce que cette femme se tenait courbée et s'appuyait sur une canne que Catherine ne reconnut pas tout de suite Ermengarde...

Tout en se laissant glisser de son cheval devant les quelques marches du seuil, la jeune femme ne pouvait détacher son regard de cette silhouette noire, qui, lentement, s'avançait vers elle. La plantureuse Ermengarde avait tellement maigri qu'elle flottait dans sa robe de velours noir. Sous des cheveux devenus tout blancs, elle montrait un visage décoloré, des yeux rougis aux paupières gonflées. Catherine courut vers son amie, la saisit aux épaules, épouvantée de ce qu'elle voyait, et plus encore de ce qu'elle devinait.

– Ermengarde ! Mon Dieu... Mais qu'y a-t-il ? Philippe ?

Avec un sourd gémissement, la vieille dame s'abattit dans les bras de Catherine et se mit à sangloter douloureusement sur son épaule. Le désespoir de cette femme si forte assomma la jeune femme qui comprit, en un éclair, que ses pires craintes informulées s'étaient réalisées.

– Ah ! fit-elle seulement, il est...

Elle n'acheva pas. Le mot, trop affreux, refusait de franchir ses lèvres.

Ermengarde secoua seulement la tête, affirmativement... Au bas des marches, Sara et les soldats, pétrifiés, regardaient ces deux femmes qui pleuraient dans les bras l'une de l'autre. Car le cœur gonflé de Catherine venait de crever en sanglots convulsifs qui la secouaient tout entière. Sara, figée d'abord par la brutalité de l'événement, se hâta de descendre de son cheval, courut vers les deux femmes et les sépara doucement. Puis, les entourant chacune d'un bras, elle les entraîna à l'intérieur du logis.

– Venez... Ne restez pas là. Il fait froid et humide...

Dans le château un profond silence régnait. Les serviteurs vêtus de noir glissaient comme des ombres, sans oser relever la tête. Depuis que, la veille, le petit Philippe avait cessé de vivre, la douleur d'Ermengarde avait empli la vieille demeure d'accablement et de crainte. Le matin même, le chapelain avait dû arracher la comtesse du lit de l'enfant pour pouvoir procéder à la toilette funèbre... Cette douleur faisait un peu honte à Catherine. La jeune femme, assommée par la nouvelle, éprouvait une sorte d'engourdissement proche de l'hébétude. Elle avait la sensation de se mouvoir au milieu d'une épaisse couche d'ouate qui amortissait sa conscience et que la douleur ne perçait pas encore.

– Que s'est-il passé ? demanda-t-elle d'une voix blanche, si étrangère qu'elle ne la reconnut pas.

Ermengarde, que Sara avait obligée à s'asseoir dans un fauteuil, leva sur elle un pauvre visage défait, des yeux ourlés d'écarlate à force d'avoir pleuré.

Une mauvaise fièvre..., balbutia-t-elle. Dans le village, des paysans sont morts pour avoir bu l'eau d'un puits empoisonné. L'enfant en a bu aussi, en revenant d'une promenade avec son précepteur. Il avait soif et s'est arrêté au moulin et a demandé à boire... Le lendemain il délirait. C'est alors que je vous ai appelée. Le mire du château a fait ce qu'il a pu... et moi, je n'ai même pas eu la consolation de faire pendre le meunier, ajouta Ermengarde avec une si brusque explosion de sauvagerie que Catherine frissonna... Il est mort le soir même, de sa maudite eau, avec sa famille... Me pardonnerez-vous jamais ? Vous me l'aviez confié... et il est mort... mort mon petit Philippe, si beau !...

La comtesse enfouit sa tête dans ses mains tremblantes et se remit à sangloter si désespérément que Catherine, émue de pitié, se pencha sur elle, entourant de ses bras les épaules de sa vieille amie.

– Ermengarde !... Je vous en supplie, cessez de vous torturer ! Vous n'avez aucun reproche à vous faire... Vous étiez pour lui la meilleure des mères, bien meilleure que moi ! Certes, oui... bien meilleure que moi.

Les larmes montaient à nouveau à ses yeux. Elle allait se remettre à pleurer, elle aussi, quand le chapelain entra sur la pointe des pieds et murmura que tout était prêt, que l'enfant était exposé à la chapelle. Comme mue par un soudain ressort qui restituait pour un instant l'ancienne Ermengarde, la comtesse se leva, saisit la main de Catherine.

– Venez... dit-elle. Venez le voir !

A grands pas, entraînant Catherine et Sara, elle quitta la salle d'honneur, s'engagea dans la vis de pierre d'un escalier, suivit une large et courte galerie voûtée dont l'un des côtés, découpé en ogives flamboyantes, était garni de vitraux aux armes de Châteauvillain. Une porte en plein cintre, au bout de la galerie, s'ouvrait sur la chapelle. L'aspect de celle– ci arracha à Catherine une exclamation. Le sanctuaire était assez exigu : une nef voûtée d'arêtes reposant sur d'énormes piliers romans en pierre grise. Au centre, l'enfant en costume d'apparat de velours bleu reposait sur un catafalque de velours noir et or. À ses pieds, jointes, les armes de sa mère et le blason ducal de Bourgogne barré à sénestre de rouge1.

1. La barre de bâtardise

Quatre hommes d'armes aux cuirasses étincelantes veillaient aux quatre coins de la couche funèbre, appuyés sur leurs guisarmes, immobiles comme des statues..Une forêt de gros cierges de cire jaune mettaient une lumière de fête dans la petite chapelle aux fenêtres basses. Les vieux murs disparaissaient sous les tentures de velours noir et les bannières.

La somptuosité de l'apparat déployé saisit Catherine qui tourna vers son amie un regard interrogateur. Ermengarde rougit brusquement, releva la tête dans un geste d'instinctif orgueil.

– En cet instant suprême, seul compte le sang princier, Catherine !

fit-elle d'une voix enrouée.

Sans rien ajouter, Catherine alla s'agenouiller auprès du corps. Saisie d'une sorte de respect, elle osait à peine lever les yeux vers l'enfant, troublée de constater son extrême ressemblance avec son père. Il y avait tant de mois qu'elle ne l'avait vu qu'elle le reconnaissait à peine. Il paraissait si grand, dans son immobilité éternelle, ses petites mains jointes sur J sa poitrine ! Les traits fiers déjà, et les cheveux blonds coupés court étaient ceux mêmes de Philippe... Il était bien son fils et le chagrin de Catherine s'en trouvait aggravé d'une jalousie vague. C'était comme si le petit Philippe avait délibérément tourné le dos à sa mère, se détachait d'elle pour se tourner instinctivement vers celui dont il avait tenu la vie... Un affreux regret tordit le cœur de la jeune femme pour tout ce temps où l'enfant lui avait échappé.

Folle qu'elle avait été de se priver de lui et de le priver d'elle ! Maintenant, la mort le lui prenait à tout jamais... Avec amertume, elle se reprocha son éloignement, son indifférence... Les liens de chair sur le point de se déchirer lui faisaient mal, si mal tout à coup ! Elle eût voulu prendre dans ses bras le petit corps inerte, le réchauffer de sa propre vie... À cet instant, elle eût donné sa vie pour que le petit Philippe ouvrît les yeux, lui sourît. Mais c'était à Ermengarde qu'il avait dû sourire pour la dernière fois.

Courbée sous le poids d'un chagrin dont elle prenait une conscience aiguë, Catherine enfouit son visage dans ses mains et pleura longtemps aux pieds de son enfant mort. Sur sa couche somptueuse et dérisoire, le petit garçon semblait déjà appartenir à un autre monde.

Toute la nuit suivante, oubliant les fatigues de sa longue route, Catherine demeura en prières dans la chapelle. Ni les douces remontrances de Sara et d'Ermengarde, ni les conseils du chapelain que sa pâleur inquiétait ne purent l'arracher de l'enfant.

– Je veux rester avec lui aussi longtemps que je pourrai, répondait-elle.

J'ai tant de regrets de ces années où je m'en suis trop peu souciée !...

Comprenant ce qui se passait dans le cœur de Catherine, Ermengarde n'insista pas. Elle aussi demeura toute la nuit. Quand revint le jour, les funérailles de l'enfant furent célébrées en grande pompe, devant tout le village assemblé en habits de deuil. Puis, quand le caveau des seigneurs de Châteauvillain eut laissé retomber sa pierre sur le corps léger du petit bâtard ducal, Catherine et Ermengarde se retrouvèrent face à face... deux femmes en deuil qui partageaient la même blessure. Elles avaient, d'un accord tacite, refusé de souper et s'étaient retirées dans la chambre de la comtesse. Assises chacune clans un haut siège de chêne sculpté, dans leurs voiles noirs qui les appareillaient étrangement, elles restèrent un long moment sans parler, immobiles de chaque côté de la cheminée, les yeux fixés sur les flammes.

On eût dit la mère et la fille unies dans la même douleur mais aucune n'osait troubler le silence, craignant que la moindre parole fît mal à sa compagne...

Ce fut Ermengarde, pourtant, qui se ressaisit la première. Elle tourna les yeux vers Catherine.

– Et maintenant ? dit-elle tout bas.

Comme si ces deux petits mots avaient brisé le charme malfaisant qui l'emmurait de silence, Catherine se leva soudain, puis, avec un gémissement, vint s'écrouler auprès de sa vieille amie, enfouissant son visage dans les plis noirs de sa robe sur laquelle ses mains se crispèrent.

– Je n'ai plus rien, Ermengarde, sanglota-t-elle, plus de mari, plus d'enfant, plus d'amour !... Je n'ai plus que vous ! Gardez-moi... laissez-moi rester auprès de vous. Il n'y a plus rien dans ma vie... rien ! Je veux demeurer désormais entre vous et le tombeau de mon enfant. Laissez-moi rester ici...

Ermengarde ôta la haute coiffure de mousseline noire qui s'écrasait contre son giron et se mit à caresser les nattes blondes de la jeune femme éperdue.

Un très léger et très doux sourire vint détendre son visage ravagé par le chagrin.

– Bien sûr vous pouvez rester, Catherine... et même je ne demanderais qu'à vous garder pour toujours. Vous savez bien que je vous aime comme si vous étiez ma fille. Mais c'est vous qui, un jour, partirez. Car vous n'en êtes pas encore, et de loin, au point où j'en suis : mûre pour la claustration au fond d'une vieille forteresse.

La neige fit son apparition trois jours après les funérailles du petit Philippe, tombant en telle abondance que la vie active du gros bourg de Châteauvillain s'en trouva gênée. Quant au château, sur le donjon duquel la bannière rouge avait rejoint la bannière noire, il parut s'endormir dans sa solitude hautaine, autour de la vie ralentie, quasi végétative, des deux femmes en deuil. Chaque matin, elles entendaient la messe dans la chapelle puis se retiraient dans l'une des chambres et, tout le jour, s'y occupaient à des travaux d'aiguille. Un jour par semaine seulement, le mardi, quelques paysans escaladaient la butte seigneuriale pour venir se confier à la justice du suzerain. Ermengarde, alors, gagnait le banc seigneurial, dans la grande salle et, durant de longues heures, débattait avec ses gens leurs querelles d'intérêts pour un mur mal construit ou un sentier tracé en dommage d'un champ, parfois pour régler une succession embrouillée, autoriser un mariage ou châtier une épouse adultère.

La justice d'Ermengarde était impartiale, expéditive et vigoureuse mais empreinte d'une profonde sagesse qui faisait l'admiration de Catherine admise à assister aux plaids. Peu à peu, ces séances furent pour elle une véritable distraction.

Quand vint la Noël, un chevaucheur ducal apporta une lettre de Philippe accompagnant un admirable livre d'heures superbement enluminé sous une couverture d'ivoire et d'or, cadeau de Noël du prince à Catherine. Ce n'était pas la première lettre qui arrivait à Châteauvillain. Peu après la mort de l'enfant, Philippe de Bourgogne avait exprimé à sa maîtresse toute l'affliction qu'il éprouvait de cette fin stupide et cruelle. Pour adoucir la douleur de la mère, il avait trouvé des mots d'une infinie tendresse qui avaient remué profondément Catherine. S'il n'y avait eu la perspective du prochain mariage, elle fût retournée vers lui sans une hésitation. Mais elle ne se sentait pas le courage, dans l'état d'accablement où elle se trouvait, d'affronter les regards curieux des courtisans guettant ses réactions sur son visage, se réjouissant de la voir réduite au second rang, les méchancetés des femmes acharnées sur elle depuis si longtemps.

La nouvelle lettre était aussi tendre que la première mais, sous les mots d'amour, se glissait le désir impérieux de Philippe de la voir revenir vers lui.

Catherine ne s'y trompa pas. En lui rappelant la promesse faite au cours de leur dernière nuit, c'était un ordre que Philippe lui adressait.

– C'en est un, en effet, dit Ermengarde lorsque Catherine lui montra la missive Qu'allez-vous faire ? Obéir, j'imagine ?

Catherine secoua la tête.

– Je ne crois pas. Je n'en ai aucune envie. Dans quelques mois, l'infante arrivera et il me faudra repartir. Alors, à quoi bon ?

– Il vous aime, vous le savez bien. 11 ne peut se passer de vous... et même il l'écrit... fit la comtesse soulignant une ligne de son ongle.

– Il l'écrit... oui ! Mais il peut se passer de moi. Connaissez-vous si mal Philippe pour croire que j'aie pu, seule depuis trois ans, suffire à son exigeante sensualité ? De nombreuses femmes ont eu et auront encore ses faveurs. Il m'aime, je sais, et je peux dire qu'il n'a jamais cessé de me désirer, plus encore maintenant qu'autrefois, je crois. Mais il y en a d'autres.

D'ailleurs, l'infante a une réputation de beauté, elle le distraira de moi.

Ermengarde prit les deux mains de Catherine et les enferma dans les siennes.

– Sincèrement, ma mie, comment envisagez– vous l'existence pour vous

? Que désirez-vous ? Que souhaitez-vous ? Je ne peux croire que, jeune comme vous l'êtes... et si belle, vous n'ayez d'autre désir que d'user vos jours auprès d'une vieille femme, au fond d'un château sinistre. Que vous refusiez le rôle humiliant de maîtresse en titre auprès d'une duchesse régnante, je le conçois. Mais pourquoi ne pas refaire votre vie ? Ils sont nombreux, je le sais, ceux qui souhaiteraient vous mener à l'autel.

– En effet ! dit Catherine avec un mélancolique sourire. Seulement moi, je n'en ai nulle envie.

– Qu'allez-vous répondre au duc ?

– Rien !... pour la simple raison que je ne sais que lui dire. Si mon vieil ami Abou-al-Khayr était là, il trouverait sans doute une superbe pensée de poète ou de philosophe pour dépeindre mon actuel état d'esprit. Je crois bien qu'il en a pour chacune des circonstances de la vie d'une âme... Mais il est loin...

Le petit médecin arabe, en effet, était reparti pour le royaume de Grenade peu après la mort de Garin, malgré l'offre d'hospitalité d'Ermengarde. Son maître, le sultan Mohammed VIII, aux prises avec d'incessantes luttes intérieures, avait réclamé le retour de son principal conseiller et ami. Et ce n'était pas sans regrets qu'Abou-al-Khayr avait quitté Catherine pour laquelle il s'était pris d'une véritable affection.

– Si, un jour, tu ne sais plus ni que faire ni où aller, viens me rejoindre.

Dans ma petite maison au bord du Génil, les citronniers et les amandiers poussent tout seuls et les rosiers embaument une grande partie de l'année. Tu seras ma sœur et je t'apprendrai la sagesse de l'Islam...

A cette heure où son destin lui semblait se diriger vers une impasse, Catherine se souvenait de ces paroles amicales et ce souvenir lui arracha un sourire.

– Ce serait peut-être cela la solution : aller rejoindre Abou-al-Khayr, connaître une autre vie...

– Pour le coup, vous êtes folle ! s'indigna Ermengarde. Avant d'arriver à Grenade, il vous faudrait traverser des pays et encore des pays : vous n'arriveriez qu'après avoir été vingt fois violée et sans doute tuée autant de fois.

Une seule suffit, répondit Catherine. Vous avez raison : restons ici et attendons. Peut-être le destin prendra-t-il la peine de me faire signe.

Mais, malgré le cadeau de Philippe, malgré sa lettre d'amour, ce Noël fut infiniment triste pour les deux femmes. Côte à côte, elles distribuèrent des présents aux paysans et aux gens du bourg, reçurent leurs vœux ; côte à côte, elles passèrent de longues heures à la chapelle, entre la crèche qu'à l'exemple de saint François d'Assise, Ermengarde installait tous les ans et le tombeau du petit Philippe. La neige ensevelissait tout le paysage. Jour après jour, en se levant et en jetant un regard par sa fenêtre, Catherine se prenait à désespérer. Il semblait que le soleil ne reviendrait jamais. Tout était froid, noir et la jeune femme sentait son cœur se glacer peu à peu.

Pourtant, sous la neige, la terre était en travail, l'hiver s'apprêtait à céder la place au printemps... et, un jour de mars, un moine monté sur une mule grise escalada le raidillon qui menait au pont-levis de Châteauvillain. Ce jour-là, les premières pousses tendres de l'herbe pointaient sur les mottes de terre brune et grasse, les premiers bourgeons éclataient aux branches nues des arbres.

À l'archer de garde qui se portait à sa rencontre, le nouveau venu demanda si Mme de Brazey résidait bien au château et, sur sa réponse affirmative, il demanda à être mené vers elle.

– Madame de Brazey me connaît bien... Annoncez le frère Étienne Chariot.

Prévenue, Catherine le fit monter aussitôt dans sa chambre. Elle était seule, Ermengarde s'étant rendue aux écuries pour une jument qui allait mettre bas.

Cette visite, qui rappelait le passé, lui faisait plaisir. Elle n'avait pas revu le moine du mont Beuvray depuis l'arrêt de bannissement qui l'avait frappé en même temps qu'Odette de Champdivers. L'ancienne favorite de Charles VI, Catherine l'avait appris peu après la naissance de son enfant, était morte à peine arrivée en Dauphiné. Les privations et les mauvais traitements endurés dans sa prison avaient eu raison de sa constitution délicate. Sa mère, Marie de Champdivers, l'avait suivie peu après dans la tombe, tuée par le chagrin.

Catherine avait ressenti une peine profonde de ces deux morts successives et, dans son esprit, le frère Étienne ne devait plus, lui non plus, appartenir à ce monde. Mais, quand il franchit le seuil de sa chambre, elle constata qu'il n'avait que très peu changé. Sa couronne de cheveux gris était presque blanche mais son visage était toujours aussi rond, ses yeux toujours aussi vifs.

– Mon frère ! s'écria la jeune femme en s'avançant vers lui les mains tendues, je n'espérais plus vous revoir en ce monde !

– J'ai bien failli le quitter, Madame, ayant été fort malade après mon séjour en prison. Mais les soins de mes frères et le bon air du Morvan m'ont rendu la santé, grâce à Dieu !

Catherine fit asseoir son visiteur auprès d'elle sur le long banc de bois surmonté d'un dais qui tenait tout un coin de la cheminée, ordonna que l'on apporte des rafraîchissements et de quoi nourrir le voyageur et aussi que l'on prépare une chambre.

– Ne vous mettez pas en peine pour moi, Madame, protesta le frère confus de cet accueil. Quand vous saurez pourquoi je viens, vous aurez peut-

être moins envie de me garder. C'est... en suppliant que j'arrive.

– Je ne vois pas bien ce que je peux faire pour vous, mon frère. Mais vous n'en êtes pas moins le très bien venu. Mangez, puis dites-moi ce que vous désirez...

Tout en faisant honneur au sanglier froid et au vin de Beaune qu'un valet lui servait, le frère Étienne s'expliqua. Depuis le 12 octobre de l'année précédente, les Anglais assiégeaient Orléans et c'était de la tragique situation de la grande ville que le moine venait parler. Bien que les effectifs anglais et bourguignons ne permissent pas un blocus total de la ville, qu'il fût encore possible d'y entrer par le nord– est, la situation des Orléanais devenait si critique qu'ils avaient envoyé Xaintrailles au duc de Bourgogne pour lui demander de prendre la ville en dépôt... mais ses troupes n'en continuaient pas moins à bloquer Orléans.

– Le duc oublie par trop qu'il est prince français, Madame, ajouta sévèrement le moine. On dit qu'il songe à fonder un ordre de chevalerie...

pourtant, il sait fort bien que le siège d'Orléans viole l'une des principales lois de chevalerie. On n'assiège pas une ville dont on tient le prince prisonnier sans manquer au droit féodal1 et le duc de Bourgogne le sait d'autant mieux que la ville payait tribut pour n'être point attaquée.

– Je sais tout cela ! fit Catherine qui se souvenait avoir déjà reproché à Philippe son attitude par trop anglaise.

Depuis le début du siège d'Orléans d'ailleurs, Ermengarde ne décolérait plus. Pour la comtesse, Philippe de Bourgogne n'était même plus digne de porter les éperons d'or de chevalier.

– Mais que puis-je faire ? ajouta la jeune femme.

Le visage de frère Etienne se chargea d'une

ardente prière. Il se pencha vers Catherine, saisit ses mains et les serra à les briser.

– Madame... il n'est pas un homme ou une femme en ce pays qui ne sache le grand amour que vous porte Monseigneur Philippe. Il vous faut aller vers lui, le supplier de retirer ses troupes d'Orléans. Vous ne savez pas ce que représente cette ville pour

1. Le duc Charles d'Orléans, le délicat poète, était prisonnier à Londres depuis Azincourt, c'est-à-dire depuis treize ans.

le roi Charles. Si Orléans tombe, c'en est fait de la France, c'en est fait du roi. L'Anglais qui règne à Paris l'emportera à tout jamais. Il ne restera rien de tout ce qui a fait la raison de vivre de ceux qui ont juré fidélité au roi, des efforts de Yolande d'Aragon, du sang versé en si grande abondance...

Le frère prit un temps puis ajouta, très doucement, à voix presque basse :

– Tant de chevaliers se sont dévoués corps et âme à la défense de la noble cité ! Orléans a rasé ses magnifiques faubourgs, Orléans se bat avec une foi désespérée mais admirable, ne songeant plus qu'à mourir si un miracle ne la délivre. Soyez ce miracle, Madame ! Des voix prophétiques disent partout qu'une femme, seule, pourra délivrer Orléans. Songez... que depuis cinq mois, enfermé dans la ville avec une poignée d'autres braves, le capitaine de Montsalvy se bat !

Le nom d'Arnaud, lancé à bout portant et sans que Catherine fût préparée à le recevoir, frappa la jeune femme comme un soufflet. Elle en perdit la respiration, rougit jusqu'à la racine de ses cheveux puis, le sang refluant vers son cœur, la laissa pâle et tremblante.

– Frère Etienne, fit-elle d'une voix blanche, il n'est pas digne de vous ni de la robe que vous portez de réveiller un rêve impossible au fond d'un cœur qui souhaite seulement oublier. Je suis veuve, mon frère, j'ai perdu mon enfant et, si un jour, je vous ai prié de venir en aide au capitaine de Montsalvy prisonnier, je ne peux plus rien pour lui ! Puisque les prières de sa femme sont impuissantes à veiller sur lui, que pourrait une étrangère ?


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