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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Passée la porte de la ville, Catherine trouva Xaintrailles qui l'attendait avec une troupe tout armée. Les garçons qui la composaient ouvrirent des yeux ronds sous leurs chapeaux de fer en constatant que le messager de tout à l'heure était une femme comme l'attestaient les longs cheveux flottant sur son dos mais le capitaine leur imposa silence d'un geste sec. Saisissant le cheval au mors, il aida Catherine à descendre, nota sa rougeur.

– L'affaire a dû être chaude, marmotta-t-il. Vous avez l'air de sortir d'une dure bataille.

– Plus chaude encore que vous ne croyez. J'admets que vous aviez raison, messire Xaintrailles... mais j'ai échoué.

– Sans espoir ?

– Sans le moindre espoir. Il a peur...

Tenant toujours le cheval par la bride, Xaintrailles passa sa main libre sous le bras de Catherine et l'entraîna. Ils marchèrent un moment, en silence, puis le capitaine dit entre ses dents.

– J'aurais dû m'en douter ! Pour rien au monde il ne nous la rendrait. Le

Te Deumque Bedford a fait chanter à Paris donne la mesure de la peur qu'ils ont eue, tous tant qu'ils sont ! Il faudra trouver autre chose...

Mais Catherine, constatant qu'il lui faisait tourner le dos à l'abbaye Saint-Corneille et se dirigeait plutôt vers le vieux château de Charles V dont la masse triangulaire se découpait dans la nuit, s'arrêta net.

– Où me conduisez-vous ? Je veux retourner auprès d'Arnaud...

– C'est inutile. Il est inconscient. Et vous ne pouvez demeurer dans un couvent de bénédictins. Je vous ai fait préparer une chambre dans la maison d'une riche veuve où votre servante vous attend déjà. Demain matin vous pourrez venir aux nouvelles avant de repartir pour Bourges...

– Repartir pour Bourges ? Est-ce que vous êtes fou ? Pourquoi croyez-vous que je suis venue jusqu'ici ? Pour le plaisir contestable de me brouiller à mort avec Philippe de Bourgogne ? Tant qu'Arnaud y sera, j'y serai et aucune force humaine ne pourra m'en arracher, vous m'entendez ? Ni vous, ni personne...

– C'est bon ! fit-il conciliant avec un demi-sourire, ne criez pas si fort, vous allez ameuter tout le quartier ! Vous resterez, puisque vous y tenez, mais promettez-moi de n'aller au couvent qu'avec moi, sous ma garde. Je n'ai aucune envie que vous y fassiez du scandale. Au surplus, le siège va se durcir et je n'ai pas trop de tous mes hommes. Vous donner une escorte m'eût gêné. Allons, Catherine, cessez donc de me regarder avec cette mine furieuse. Vous n'avez pas encore compris, depuis le temps, que je suis votre allié ? Tenez, voici votre maison. Entrez et allez vous reposer, vous en avez le plus grand besoin.

– Mais... Arnaud ?

– Arnaud ne mourra pas cette nuit ! Le père prieur qui le soigne commence à reprendre espoir. Il dit qu'il devrait être mort depuis longtemps et que cette survie obstinée est bon signe. Il va essayer un nouveau traitement sur la nature duquel il reste muet comme une carpe...

Mal convaincue, Catherine enveloppa Xaintrailles d'un regard soupçonneux mais l'Auvergnat roux semblait curieusement détendu, ce soir. Il n'avait plus entre ses épais sourcils la barre soucieuse qu'il avait traînée tout le long de la route. Docile, déjà un peu rassurée, Catherine entra dans la maison dont il lui ouvrait la porte. Dans l'escalier, elle trouva Sara souriante.

– Viens, fit la tzingara, on t'a préparé un bon lit. Rien de comparable avec ces affreuses couchettes de moine ! Là-dedans, tu dormiras bien...

Il est certain que, le lendemain, Arnaud sans être encore vraiment mieux, avait perdu cet aspect cadavérique si terrifiant. Il était toujours pâle mais sa peau n'avait plus son reflet verdâtre et ses mains avaient enfin cessé leur tragique va-et-vient. Il écouta sans broncher le récit que lui fit Catherine de son entrevue avec Philippe de Bourgogne, indifférent en apparence, si lointain que la jeune femme se crut, une fois de plus, condamnée par lui.

– J'ai fait tout ce que j'ai pu, s'écria-t-elle alarmée. Je vous le jure ; mais il y a en lui certaines choses que nul ne peut vaincre...

– Appelez-les par leur nom, Catherine, intervint Xaintrailles. Le duc a peur de Jehanne, tellement peur que cela domine même son amour pour vous !

– Je m'en doutais un peu, fit enfin Arnaud, mais je n'aurais pas cru que ce fût à ce point. Vous n'avez rien à vous reprocher, Catherine, je suis sûr que vous avez fait de votre mieux. Maintenant... Jean va vous faire reconduire à Bourges.

Xaintrailles fit la grimace et vint se pencher au-dessus du lit de son ami pour être sûr que nul ne ; l'entendrait de l'extérieur.

– C'est ce que je comptais faire, mais elle ne veut pas. Elle veut rester.

– Pourquoi faire ? fit le blessé tout de suite mécontent.

Il était déjà tout prêt à se mettre en colère et Catherine préféra plaider elle-même sa cause.

– Pour vous aider ! Je devine que vous n'allez pas laisser les choses dans l'état où elles sont. Vous allez tout tenter, n'est-ce pas, pour délivrer Jehanne ? Alors, gardez-moi, laissez-moi vous aider... laissez– moi au moins cela...

Les yeux noyés de larmes, elle prit entre les siennes les mains d'Arnaud et s'y accrocha.

– Comprenez que j'ai échoué ! J'ai du mal à l'admettre et je peux beaucoup pour vous : j'ai de l'or, des joyaux qui valent une fortune.

– D'où sortez-vous tout cela ? demanda Xaintrailles moqueur.

– Vous allez voir...

Pressentant vaguement ce qui allait se passer, Catherine s'était munie en venant au couvent de la cassette emportée depuis Bourges et dont, jusque-là, elle avait négligé de parler à Xaintrailles. Elle alla la prendre sur la table où elle l'avait posée en entrant, l'apporta sur le pied du lit, l'ouvrit... La lumière pauvre de la cellule se concentra sur le fabuleux mélange de pierres et d'or, arrachant aux deux hommes une exclamation de surprise admirative.

– Bon sang ! grogna Xaintrailles. Quand je pense que nous avons traîné tout ça depuis Bourges. Il y avait de quoi nous faire étriper par n'importe quel parti rencontré... ennemi ou ami !

Avec un effort pénible, Arnaud était arrivé à se soulever. Sa main amaigrie fouillait les bijoux entassés en vrac, en tirait le grand collier d'améthystes que Garin, jadis, avait offert à Catherine pour leurs fiançailles.

– Je connais ce bijou..., fit-il lentement. Vous le portiez... à Arras, n'est-ce pas ?

Elle fut heureuse qu'il s'en souvînt, fouilla dans un coin du coffret et sortit une pochette de peau serrée par un cordon. L'instant suivant, l'énorme diamant noir étincelait au creux de sa main.

– Et celui-là, je le portais à Amiens quand vous avez défié le duc Philippe, fit-elle doucement.

Un fugitif sourire détendit les traits du blessé.

– Est-ce que vous croyez que je ne m'en souviens pas ? Ou bien que je ne vous avais pas vue ? Morbleu... vous écrasiez toutes les autres sous votre splendeur insolente dans votre robe noire ! Et vous voulez sacrifier tout cela pour une cause qui n'est même pas la vôtre ?

– Pour que vous compreniez que je veux vous aider, rectifia Catherine et pour que vous me rendiez au moins un peu d'estime. J'ai compris, depuis longtemps, que rien n'est possible entre nous, que rien ne peut nous être commun si ce n'est, peut-être, la mort. Laissez-moi au moins cela.

Elle avait parlé avec tant de passion que l'ironie s'effaça des yeux d'Arnaud. Un moment, ils demeurèrent fixés sur elle sans que la jeune femme pût déchiffrer leur expression. Enfin, il soupira :

– Vous êtes vraiment une étrange fille, Catherine ! Je crois bien... que je ne vous comprendrai jamais. Restez, si vous le voulez. A pareil prix, je serais ingrat et injuste de vous l'interdire.

Il avait trop parlé pour sa faiblesse et se laissait aller sur ses oreillers, tandis que les ailes de son nez se pinçaient. Mais Catherine était trop heureuse pour s'en inquiéter. D'un geste vif, elle rassembla les pierreries, les fourra dans le coffret et mit ce dernier dans les bras de Xaintrailles stupéfait.

– Gardez ça, messire Jean !... et cherchez par la ville un usurier qui vous l'achète. Il doit bien s'en trouver encore.

– Il s'en trouve encore mais nous sommes assiégés, vous l'oubliez. Ils ne se montreraient pas assez généreux. L'or liquide peut servir, dès maintenant, mais avec des pierres de cette valeur on rachèterait la vie d'un roi. Il serait fou de les lâcher à vil prix !

Le père prieur rentrait dans la cellule à cet instant, portant sur un plateau des bandes, de la charpie et divers pots et boîtes pour changer le pansement du blessé. Catherine et Xaintrailles, après un dernier regard sur Arnaud, sortirent et regagnèrent la rue. Au seuil, ils se séparèrent. Le capitaine devait aller vers les remparts où l'appelait son devoir de soldat. Catherine allait rentrer chez elle.

– Jusqu'à nouvel ordre, fit Xaintrailles, il vaut mieux que vous gardiez le trésor de guerre. Je ne me vois pas repousser l'assaut des Bourguignons avec une fortune sous le bras. Cachez-le bien !

– Soyez sans crainte. Bonne chance, messire !

Elle allait s'éloigner, quand il la rappela :

– Catherine ?

– Oui ?

Il grimaça un sourire et l'assaisonna d'une contrition comique :

– Nous ne valons pas cher, Montsalvy et moi. Je crois bien qu'aucun de nous n'a songé à vous dire merci !

Elle lui rendit son sourire, contente de lire tant d'amitié vraie dans le regard brun du compagnon d'Arnaud. Désormais, elle le sentait, elle pourrait compter entièrement sur Xaintrailles qui la soutiendrait de tout son pouvoir.

Une amitié sans prix, en vérité.

– C'est inutile, fit-elle gentiment. Moi, je vous dois bien plus !

Un charroi qui passait les sépara. Des hommes de la milice bourgeoise traînaient, dans des charrettes, des boulets de pierre destinés aux bombardes, des fagots et des jarres d'huile qu'ils allaient monter sur le rempart. Déjà du côté de la rivière on entendait tonner les canons anglais et bourguignons. La mati née arrivait en son milieu et l'ennemi décidait, sans doute, de passer à l'attaque. Mais, tandis que les hommes couraient aux murailles, les femmes continuaient tranquillement à s'occuper de leur ménage comme si de rien n'était, habituées au tintamarre et à l'agitation de la guêtre. Tout à l'heure, elles iraient rejoindre leurs hommes avec ce qu'il fallait pour panser les blessés : le vin et l'huile pour laver les plaies, le linge déchiré pour les bandes et les linceuls pour ensevelir les morts. Catherine décida de se joindre à elles puisqu'elle n'avait rien de mieux à faire. Elle rentra chez elle, mettre la cassette en lieu sûr, et changer ses vêtements d'homme pour une robe de futaine bleue que Sara lui avait procurée, puis, comme les autres, prit le chemin du rempart.

Une fois engagée, la guérison d'Arnaud fit des progrès extraordinairement rapides, due en grande partie à la constitution vigoureuse du capitaine.

Quand vint l'été, il put quitter enfin son lit au couvent Saint-Corneille et, dans les premiers jours d'août, reprendre sa place parmi les défenseurs de la ville. Car Compiègne tenait toujours, avec tant d'opiniâtreté que Philippe de Bourgogne, découragé et rappelé de surcroît à Liège par de graves perturbations, était parti, laissant l'armée à Jean de Luxembourg.

Contrairement à ce qu'avait craint Xaintrailles au moment de la capture plus que suspecte de Jehanne, Guillaume de Flavy poursuivait la défense de la ville avec un courage et une opiniâtreté remarquables. Le bruit courait parmi les capitaines qu'en relevant trop vite le pont-levis, le gros Flavy avait seulement assouvi la haine que portait à la Pucelle le chancelier archevêque de Reims Regnault de Chartres, son parent. Un service rendu entre cousins en quelque sorte...

Malheureusement, la situation empirait. L'investissement de Compiègne, malgré la forêt, était désormais total. Luxembourg tenait Royal-Lieu et la route de Verberie tandis qu'une grosse bastille, confiée aux sires de Créqui et de Brimeu, avait été bâtie sur le chemin de Pierrefonds, à l'orée de la forêt.

Les vivres devenaient rares, les convois ne pouvaient plus passer. Les communications avec le reste du pays n'étaient plus établies que par quelques hommes courageux qui, à la faveur de la nuit, parvenaient à quitter subrepticement la ville ou à y rentrer.

Catherine passait toutes ses journées auprès des murailles, à une sorte de poste de secours pour les blessés qui avait été établi par les dames de la ville.

Elle et Sara s'y rendaient chaque fois qu'une attaque s'annonçait et y travaillaient jusqu'aux extrêmes limites de leurs forces. La nuit, éreintées, elles s'écroulaient sur leurs lits et dormaient comme des souches malgré la faim qui venait et la chaleur.

L'été arrivait à son point le plus chaud et ajoutait aux souffrances des défenseurs de la ville. Les mouches, par épais nuages noirs, harcelaient les soldats et martyrisaient les blessés. Certains cas de peste s'étaient déclarés et, pour éviter la propagation du fléau, on murait les maisons contaminées, on brûlait les cadavres. Le peu de vivres que l'on pouvait se procurer encore ne se conservaient pas. Seule l'eau, grâce à la rivière, ne manquait pas mais il fallait aller la puiser de nuit pour ne pas tomber sous le feu de l'ennemi. Mais ce n'étaient pas les peines physiques qui atteignaient le plus cruellement Catherine. Chaque jour, habillée en garçon et sous la conduite de Xaintrailles, elle s'était rendue au couvent Saint– Corneille et, chaque jour, elle en sortait un peu plus triste, un peu plus découragée. Non qu'Arnaud fût réellement désagréable pour elle, mais il demeurait dans les limites étroites d'une stricte courtoisie, d'une simple politesse qui désolaient la jeune femme.

Elle eût aimé, faute de pouvoir le soigner, qu'il lui permît de demeurer longuement auprès de lui, qu'il lui parlât d'autre chose que du siège ou de la captivité de Jehanne... de lui, par exemple, de toutes ces années écoulées où il avait vécu sans qu'elle sût rien de lui, de son enfance aussi. Michel, durant les quelques instants passés avec elle dans la cave du Pont-au-Change, lui en avait parlé spontanément et avec des couleurs si chaudes que Catherine souhaitait d'Arnaud d'autres confidences. Mais, elle le sentait bien, il ne désarmait pas. Ses préoccupations passaient au-dessus d'elle, s'adressant toutes à la Libératrice, négligeant la femme qui souffrait à ses côtés. Quand elle revenait vers sa maison où l'attendait Sara, Catherine songeait bien souvent, et avec quelle tristesse, que le cadavre de Michel resterait sans doute un éternel obstacle entre eux puisqu'elle n'avait aucun moyen de faire comprendre à Arnaud qu'elle n'était pas coupable. Rien que sa parole ! Et il ne la croirait pas ; il ne l'avait jamais crue... Son actuelle façon d'être envers Catherine venait, visiblement, du fait que l'on ne peut rabrouer une femme qui est prête à sacrifier et sa vie et une fortune pour vous aider, sinon, et Catherine en avait le sentiment profond, il l'eût écartée de lui impitoyablement.

Par un espion espagnol, on eut des nouvelles de Jehanne. Elle avait tenté de s'échapper de Beaulieu et avait été conduite à Beaurevoir chez Jean de Luxembourg. Une nouvelle tentative avait failli lui être fatale. Jehanne avait manqué se tuer en sautant d'une tour. On l'avait ramassée à demi morte dans le fossé.

Mais les rigueurs du siège ne permettaient aucune tentative vers elle.

L'ennemi resserrait son étreinte, il devenait de plus en plus difficile de sortir.

Tout au plus parvint-on à faire passer un messager au maréchal de Boussac qui tenait la campagne en Normandie. La ville était à bout de souffle. La faim et la maladie fauchaient impitoyablement dans les rangs des vaillants défenseurs. Si les secours n'arrivaient pas très vite, la reddition viendrait à brève échéance.

– Être immobilisés ici, affamés comme des rats dans un trou, rageait Arnaud, tandis que les Bourguignons tiennent Jehanne et que le roi ne fait rien pour la sauver !...

– Tu penses bien que La Trémoille est là pour veiller au grain, ricanait Xaintrailles. Celui-là a juré la perte de Jehanne.

Enfin, comme octobre finissait, les secours arrivèrent. Un convoi de vivres parvint à passer, ranimant les courages, tandis que l'armée du maréchal de Boussac prenait les Anglo Bourguignons à revers. Malgré la défense que lui opposèrent Luxembourg et le comte de Huntington, les bastilles tombèrent les unes après les autres. Boussac, forçant le passage, entra dans la ville.

Une seule sortie, mais massive, eut raison de l'opiniâtreté des assiégeants.

On s'attendait pour le lendemain à une grande bataille rangée, il n'en fut rien. Quand le jour se leva, il éclaira le désert qui avait été le camp de l'ennemi : il avait disparu sans tambour ni trompettes. Compiègne était sauvée... et, juste au même moment, Arnaud se trouva complètement guéri.

Mais il ne tenait plus en place, piaffant d'impatience, avide de se lancer sur la trace de Jehanne pour essayer de l'arracher à ses ennemis. Lui, Xaintrailles et Catherine établissaient déjà un plan de campagne quand une terrible nouvelle les anéantit, réduisant en poussière leurs beaux projets : Jean de Luxembourg avait accepté les offres des Anglais. Il leur avait vendu sa prisonnière pour dix mille écus d'or1. Jehanne d'Arc était aux mains de ses ennemis mais nul ne savait encore ce qu'il allait advenir d'elle ni où elle se trouvait au. juste.

Le soir où la nouvelle leur parvint, les trois compagnons étaient réunis dans la maison de Catherine. Après un long moment de silence, Xaintrailles dit :

– Il faut nous séparer !

– Nous séparer ? s'écria Catherine tout de suite alarmée. Mais c'est impossible ! Vous m'aviez promis...

– Que vous nous aideriez à la délivrer ? Je vous le promets toujours mais pour le moment nous ne savons même plus où elle est ni vers quelle destination on la conduit. Tant que nous ne le saurons pas, nous ne pourrons rien faire.

– En Angleterre, sans doute, fit Arnaud !

– C'est possible et, dans ce cas, Catherine nous sera très utile en tant que bourguignonne. On ne doit guère connaître là-bas les potins de Bruges.

Nous passerons pour ses serviteurs. Mais, en attendant, il faut chercher.

Catherine, je vais vous faire accompagner au couvent des Bernardines de Louviers dont ma cousine est abbesse. La Hire tient la ville, elle n'est pas éloignée de Rouen, l'un des quartiers principaux des Anglais, ni de la mer.

Quand nous aurons une certitude, nous vous reprendrons. Voyons... vous n'allez pas pleurer. C'est la meilleure solution. Jusque-là vous nous gêneriez et...

La voix coupante d'Arnaud trancha le débat.

– Inutile de faire tant d'histoires ! Elle doit comprendre que des hommes de guerre ne peuvent la traîner partout avec eux. Nous irons la chercher quand nous aurons besoin d'elle, voilà tout !

Malgré les objurgations de Xaintrailles, Catherine

1. Environ 1 200 euros.

eut bien du mal à ne pas éclater en sanglots. Avec quelle hâte il saisissait le premier prétexte de se débarrasser d'elle ! Il n'y avait rien à faire ! Il la détestait réellement et la détesterait sans doute toute sa vie. Elle baissa la tête pour qu'il ne vît pas les larmes dans ses yeux.

– C'est bien, fit-elle tristement. J'irai dans ce couvent.

L'hiver enfermait dans sa gangue de glace et de neige la petite ville de Louviers, réduisant à rien son activité, aussi bien artisanale que militaire.

Les bras de l'Eure, prisonniers d'une couche glauque et blanche, immobilisaient les tanneries, les corroieries et les moulins, ceux tout au moins que la guerre n'avait pas détruits. Quant aux soldats, ils étaient : entrés dans l'habituelle période de vie végétative que ramenait chaque année la mauvaise saison. La neige, épaisse, feutrait les champs et les chemins. On ne pouvait franchir les murs de la ville sans enfoncer j jusqu'aux genoux. Pourtant, le printemps n'était pas bien loin. Février se terminait.

Depuis plus de trois mois qu'elle vivait chez les Bernardines, Catherine s'était pliée, sans effort apparent, aux règles rigides de la vie conventuelle.

La mère Marie-Béatrice, cousine de Xaintrailles, l'avait accueillie avec bonté. Elle ressemblait curieusement au grand capitaine rouquin et cette ressemblance avait été agréable à Catherine. Elle et Sara occupaient, dans le couvent, une grande chambre un peu mieux meublée que les cellules des nonnes mais elles mettaient un point d'honneur à participer autant que possible à la vie de la communauté.

Les longues stations à la chapelle, jadis si pénibles à la jeune Catherine lorsqu'elle accompagnait Loyse, lui étaient devenues agréables et même nécessaires. Elle avait l'impression qu'en parlant d'Arnaud à Dieu, elle se rapprochait un peu de lui. En vérité, elle n'avait plus guère d'espoir qu'en la Divine Puissance pour le lui ramener. Songerait-il vraiment à tenir sa promesse de la laisser les accompagner au secours de Jehanne ? Elle n'y croyait plus. Trois mois de silence absolu étaient passés et les bruits du monde s'éteignaient à la porte du couvent, même ceux de la guerre...

Pourtant, de cette guerre, Louviers avait eu sa large part. Prise et reprise, elle était depuis quelques mois aux mains de La Hire qui s'en était emparé après une fulgurante campagne normande au cours de laquelle il avait eu la gloire de reprendre Château-Gaillard aux Anglais. Maintenant, il tenait Louviers et le tenait bien. La terreur qu'inspirait son nom l'aidait à maintenir dans l'obédience l'arrière-pays et là où flottait son étendard noir à la vigne d'argent1 régnait une relative tranquillité bien que l'Anglais ne fût pas loin.

Chaque soir, avant de se coucher, Catherine passait un long moment sur une tourelle du couvent, regardant la campagne blanche où les chemins disparaissaient. Parfois, des cavaliers approchaient de la ville et, à ces moments-là, son cœur battait plus vite mais la déception venait aussitôt. Ce n'étaient jamais ceux qu'elle espérait voir venir. Jusques à quand lui faudrait-il demeurer ici, attendant vainement ? Devrait-elle encore partir par les chemins,

1. Armes parlantes : il s'appelait Etienne de Vignolles.

dans les dangers et la peur, à la recherche de celui qu'elle aimait et qui la repoussait si obstinément ?

– Tu devrais être plus calme, lui disait Sara. Les hommes oublient facilement les femmes quand le démon de la guerre les tient.

– Arnaud fait tout ce qu'il peut pour m'écarter de lui... Il ne viendra jamais me chercher.

– L'autre capitaine, celui qui a des cheveux rouges, tiendra la promesse qu'il t'a faite. J'en suis sûre, car, au moins, celui-là a de l'amitié pour toi.

Quant à l'autre, s'il est si dur, c'est peut-être qu'il a peur de toi et ne se sent pas sûr... Sois patiente, attends...

– Attendre, attendre, répondit Catherine avec un sourire amer. Je ne fais que cela ! Attendre et prier...

– Quand on prie, on ne perd jamais son temps. Continue !

Un matin, pourtant, comme Catherine sortait de la messe, une religieuse vint lui annoncer qu'on la demandait au parloir.

– Qui peut venir ? s'étonna Catherine en s'efforçant de faire taire en elle l'espoir brusquement surgi.

– Messire de Vignolles avec un moine et un autre personnage que je n'ai jamais vu.

Allons, ce n'étaient pas encore eux ! Tirant sur ses cheveux le voile de soie bleue qui allait glisser sur ses épaules, Catherine confia son livre d'heures à Sara et gagna le parloir. Mais, quand la porte s'ouvrit devant elle, elle reçut un si violent coup au cœur qu'elle dut se retenir pour ne pas crier. Arnaud était en face d'elle, avec frère Étienne Chariot et La Hire.

Vous ! souffla-t-elle, vous êtes venu... Gravement, sans sourire, il inclina brièvement sa haute taille.

– Je suis venu vous chercher. Frère Étienne que voici arrive de Rouen où Jehanne est captive depuis la Noël. Il nous apporte un moyen d'entrer dans la ville, ce qui n'est pas aisé car de nombreuses troupes anglaises la tiennent.

Catherine était heureuse de revoir frère Étienne. Il y avait beau temps qu'elle ne s'étonnait plus de le voir paraître ou disparaître sans prévenir. Elle savait que l'agent secret de Yolande d'Aragon ne pouvait avoir la vie de tout le monde. Mais elle serra chaleureusement les mains du petit cordelier.

– Ainsi, vous savez où est Jehanne ? demanda-t-elle sans regarder Arnaud car elle ne se sentait pas sûre d'elle et craignait de paraître trop émue.

– Elle est au château de Rouen1, gardée dans un cachot du premier étage de la tour de Bouvreuil qui donne sur les champs. Cinq soldats anglais la surveillent jour et nuit : trois dans le cachot même et deux à la porte. De plus, elle est enchaînée par les pieds à une énorme pièce de bois. Bien entendu, la tour et le château regorgent de soldats car le jeune roi Henry VI et le cardinal de Winchester2, son oncle, logent au château.

A mesure qu'il parlait, le cœur de Catherine se serrait, le visage d'Arnaud et de La Hire se rembrunissaient.

– Autrement dit, fit le Gascon, on ne peut l'atteindre ! Tuer cinq hommes n'est rien mais il semble qu'il y en ait beaucoup d'autres !

Frère Étienne haussa les épaules. Son visage jovial avait perdu sa gaieté.

Des plis nombreux se creusaient sur son front.

– Dans un cas semblable, la ruse a souvent plus de chances que la force.

Jehanne sort chaque jour pour se rendre aux séances du procès.

– Construit jadis par Philippe-Auguste.

– Henry Beaufort. On l'appelait aussi le cardinal d'Angleterre.

Un même cri sortit de la poitrine des trois auditeurs du moine.

– Un procès ? Qui le lui fait ?

– Qui voulez-vous que ce soit ? Les Anglais, bien sûr. Mais sous les couleurs d'un procès religieux. C'est devant un tribunal ecclésiastique qu'elle comparaît, composé exclusivement de prêtres dévoués aux Anglais. La plupart viennent de l'Université de Paris qui leur est tout acquise. L'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, le préside avec l'aide de son ami Jean d'Estivet, promoteur du procès. On dit qu'il a promis à Warwick la mort de Jehanne et je le crois capable d'y parvenir.

Le nom avait frappé Catherine. Elle revoyait l'universitaire aigri et besogneux du temps de la Caboche, le prélat bouffi d'orgueil et de suffisance rencontré à Dijon. Certes, le juge de Jehanne devait être à la hauteur des deux autres personnages. En se rappelant la dureté des petits yeux jaunes de l'évêque, la jeune femme frissonna. En de telles mains, Jehanne n'avait à attendre ni pitié ni merci.

– Le but de ce procès ? demanda La Hire avec hauteur.

– Déshonorer le roi de France en démontrant que sa couronne lui a été gagnée par une sorcière et une hérétique, apaiser la rancune des Anglais en livrant Jehanne au bûcher, répliqua tranquillement frère Étienne.

Un moment de silence suivit les terribles paroles dont chacun écoutait l'écho résonner au fond de sa conscience et de son cœur. Enfin, Arnaud soupira :

– C'est bon. Dites à Catherine ce que vous nous offrez...

Voici ! J'ai de la famille à Rouen. Une bien intéressante famille : mon cousin Jean Son est maître maçon... et il est chargé de l'entretien du château. Ce sont des gens très bien, jouissant d'une belle aisance et... de l'entière sympathie de l'occupant avec lequel ils entretiennent d'assez bonnes relations d'affaires et même un peu plus.

– Des amis des Anglais ? fit Catherine ahurie.

– Mais oui ! fit frère Étienne imperturbable. Je vous ai dit que mon cousin jouissait de la sympathie des Anglais mais je ne vous ai rien dit de ses sympathies à lui. C'est, au fond, un fidèle sujet du roi de France comme tous ceux de cette malheureuse cité de Rouen. Ses relations peuvent être fort utiles car, en plus, sa femme Nicole est lingère. Elle travaille pour le jeune roi et aussi pour la duchesse de Bedford qui est à Rouen en ce moment. C'est une femme fort revêche que dame Nicole... mais, grâce à elle, la duchesse a su que les gardes de Jehanne avaient tenté de la violer et ils ont été remplacés par d'autres qui ont reçu une sévère consigne. Mes cousins recevraient volontiers un ou deux membres de leur famille, réfugiés de Louviers par exemple. Personnellement, je verrais assez un ménage modeste... un maçon et son épouse, peut-être.

Ses yeux vifs allaient d'Arnaud à Catherine et revenaient au capitaine.

L'intention était claire mais le mot « ménage » empourpra les joues de la jeune femme. Arnaud ne disait rien. La Hire se frottait le menton en faisant une affreuse grimace tant il réfléchissait profondément.

– Une bonne idée ! fit-il enfin. Ça en ferait toujours deux dans la place !

– Trois, si vous voulez bien, dit frère Étienne. Vous pensez bien que j'y retourne ! Je suis venu seulement vous mettre au courant et voir avec vous ce que l'on pouvait faire. Quand j'ai appris que Madame de Brazey était ici, cela m'a donné des idées.

La Hire se tourna vers Arnaud qui ne soufflait toujours mot et lui appliqua sur l'épaule une claque retentissante.

– Qu'en dis-tu ? Te sens-tu des dispositions pour le métier de maçon et celui, bien plus pénible, d'homme marié, fictivement tout au moins ?

Les yeux sur Catherine, Arnaud répondit brièvement :

– Je suis d'accord !

– Et je suppose que dame Catherine l'est aussi. C'est bon. Vous partirez demain. Que Dieu et Notre– Dame vous viennent en aide car vous en aurez besoin.

La Hire avait raison de supposer que Catherine était d'accord. Elle était même presque folle de joie. Passer quelque temps, même sous un déguisement, pour la femme d'Arnaud, c'était un rêve comme jamais encore elle n'avait osé en caresser. L'aventure dangereuse allait-elle se changer en un rapprochement plus doux ? Qui pouvait savoir si, durant les heures d'intimité obligatoires que ce subterfuge leur vaudrait, elle ne trouverait pas le moyen de le rapprocher d'elle, de rallumer en lui le feu de la chair auquel, par deux fois, il avait succombé. Pour cacher sa joie, elle demanda :

– Qu'est devenu messire Xaintrailles ?

Ce fut Arnaud qui répondit, avec un haussement d'épaules agacé.

– Il a rencontré une espèce d'illuminé, un berger du Gévaudan nommé Guillaume qui prophétise et se dit envoyé de Dieu. Xaintrailles est en extase devant lui et le traîne partout à l'armée. Il compte sur lui pour l'aider à délivrer Jehanne1. Il espère nous rejoindre plus tard... mais je n'y compte pas.

– Pourquoi donc ?

– Parce qu'il faut être complètement fou pour ne


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