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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Celle que l'on appelait la reine des Quatre Royaumes venait d'avoir cinquante ans, mais personne ne s'en serait douté. Longue et mince, droite comme une lame d'épée, elle portait fièrement sa petite tête énergique au fin profil méditatif, à la peau d'ivoire pâle tendue sur une parfaite ossature qui assurait sa beauté contre les atteintes du temps. Royale, Yolande l'était dans l'attitude de son corps élégant, dans l'expression de ses longs yeux sombres, dans la splendeur nerveuse de ses mains et dans le pli décidé de sa bouche.

De la petite Violanta d'Aragon, de la fille des montagnes élevée à la dure dans la rude Saragosse qui, un matin de décembre 1400, s'était agenouillée, éblouie, auprès du beau duc Louis d'Anjou dans l'église Saint-Trophime d'Arles, la duchesse Yolande n'avait gardé que l'indomptable énergie, le courage sans défaut et une intelligence aiguë. Pour tout le reste, elle était devenue Française de la tête aux pieds, la meilleure et la plus sage des Françaises. Veuve à trente-sept ans et le cœur à jamais brisé par ce veuvage, elle avait tourné résolument le dos à l'amour et à la vie de femme pour n'être plus que l'ange du pauvre royaume, déchiré et vendu à l'encan par sa propre souveraine. Ysabeau la Bavaroise haïssait Yolande, moins parce qu'elle était, comme le soupirait Juvénal des Ursins, la « plus jolie femme du royaume »

que parce que cette jolie femme lui faisait échec. C'était Yolande qui avait décidé le mariage du petit prince Charles avec sa propre fille, Marie, Yolande qui, enlevant l'enfant, l'avait fait élever chez elle, à Angers, Yolande toujours qui, lorsque le petit prince renié par sa mère était devenu Dauphin de France avait refusé de le renvoyer à l'indigne reine. Ysabeau ne devait jamais digérer l'épître qu'en la circonstance lui avait adressée Yolande.

«A femme pourvue d'amant, point n'est besoin d'enfant. N'ai point nourri et élevé icelui jusqu'ici pour que le laissiez trépasser comme ses frères, ou le rendiez fol comme son père, à moins que le fassiez Anglais comme vous. Le garde mien ! Venez le prendre si l'osez ! »

Ysabeau n'avait jamais osé et, pendant des années, luttant contre l'impossible, Yolande avait maintenu le royaume meurtri au bout de ses seules mains. Et c'était elle encore qui, avertie par son fils, le duc René de Bar, de la visite qu'il avait reçue d'une étrange paysanne de Domrémy, avait aplani le chemin devant Jehanne et fait venir la Pucelle à la Cour....

Tout cela, Catherine le savait de frère Etienne, depuis si longtemps l'agent secret de la reine aux quatre couronnes.

Et si, au moment de paraître devant elle, le respect écrasait Catherine au point de lui ôter l'usage de la parole, c'était justement parce qu'elle avait pu mesurer quelle haute et noble dame était Yolande.

Les jambes lui tremblaient si fort que la révérence profonde se termina en agenouillement et que Catherine demeura là, les deux genoux sur le dallage chatoyant de la pièce, osant à peine respirer. Cette profonde humilité ne parut pas déplaire à Yolande car elle sourit et, quittant la grande tapisserie à laquelle, solitaire pour le moment, elle travaillait, elle vint relever elle-même la jeune femme.

– Voici bien longtemps que frère Etienne m'a parlé de vous pour la première fois, Madame de Brazey ! Je sais quelle amie fidèle et sûre vous avez été pour la pauvre Odette de Champdivers. Je sais qu'elle et frère Etienne vous ont dû leur vie et que, si Odette est morte dans la misère, c'est que vous étiez, vous-même, plus misérable encore à ce moment ! Je sais enfin que, malgré le sort qui était vôtre, votre cœur nous était tout acquis et aussi quelles souffrances vous avez endurées pour vous joindre à nous.

Soyez la bienvenue.

La voix de contralto de la reine avait gardé, de l'Espagne, un léger roulement qui ajoutait à son charme. Catherine baisa respectueusement la main qui se tendait vers elle. Elle remercia Yolande pour son accueil et protesta qu'elle n'avait désormais d'autre ambition que servir de son mieux si l'on voulait bien d'elle. – Une reine a toujours besoin d'une dame d'honneur fidèle, fit Yolande et une cour royale a toujours besoin d'une jolie femme.

Vous serez de mes dames, ma chère, et je vais faire établir votre brevet par le chancelier. En attendant, je vous confierai à Madame de Gaucourt qui s'occupera de votre installation. Je garde frère Etienne avec qui j'ai à parler.

Pour une grande dame, Mme de Gaucourt était d'une timidité quasi maladive. Elle semblait perpétuellement terrifiée par toutes sortes de choses dont la plus redoutable était très certainement son mari. Elle ne respirait à peu près à l'aise que lorsqu'elle était loin du gouverneur d'Orléans. Du même âge que la reine Yolande, ou peu s'en fallait, elle était menue, silencieuse et d'une prestesse qui la faisait ressembler irrésistiblement à une souris. Mais, quand la timidité ne lui nouait pas la langue, elle était de bon conseil, connaissait la Cour comme personne et s'entendait parfaitement à s'occuper d'une maison, même royale.

En un rien de temps, Catherine et Sara furent pourvues d'un logement dans l'enceinte de la cité royale, d'un personnel adéquat et même de vêtements dont l'une comme l'autre avaient le plus grand besoin. Mme de Gaucourt poussa l'amabilité jusqu'à faire remettre, le soir même, par le trésorier du palais, une bourse d'or à la nouvelle dame d'honneur. En même temps, dépêché par ses soins, un coureur sautait en selle et prenait la route à destination de Châteauvillain, muni d'une lettre de Catherine pour Ermengarde. La jeune femme mandait à son amie, aux soins de qui elle avait confié la plus grande partie de ses bijoux et de sa fortune liquide, de vouloir bien lui adresser le tout sous bonne escorte, à moins qu'elle ne préférât les lui apporter elle-même.

La maison que l'on avait attribuée à Catherine était plutôt petite et ne comportait que quatre pièces, mais elle était décorée de neuf et aussi agréable que possible. Elle appartenait à un ancien gouverneur du château qui ne l'habitait plus depuis que sa femme y était morte folle. On y logeait ordinairement les hôtes de passage. Deux valets en assuraient le service et, quand elle en prit possession, Catherine pensa qu'elle lui convenait parfaitement. Située à mi-chemin entre le collégiale Saint-Ours et le formidable donjon rectangulaire qui gardait l'éperon sud de la cité royale, elle ouvrait ses fenêtres étroites sur la vallée de l'Indre et les vergers étendus au soleil. » Tandis que Sara descendait à la cuisine pour s'occuper du dîner, Catherine procéda à une soigneuse toilette et changea de robe pour recevoir Mme de Gaucourt qui devait revenir dans la soirée.

Elle vint, en effet, après l'Angélus, toujours pressée, toujours affolée mais elle n'était pas seule. Une splendide créature, vêtue avec la plus grande richesse, l'accompagnait et Catherine, en les voyant entrer, pensa qu'elle n'avait jamais vu plus belle rousse. Le teint éclatant, la bouche rouge et sensuelle, la nouvelle venue portait une lourde robe de brocart de Venise vert et or dont la nuance s'assortissait à ses yeux pers et dont le décolleté généreux dévoilait audacieusement sa gorge parfaite. Ses cheveux de flamme sombre étaient presque entièrement cachés par un fantastique hennin de même tissu que la robe, si haut qu'il mettait le visage de la dame à mi-chemin de ses pieds et l'obligeait à se courber pour franchir les portes. Son visage, abondamment maquillé, se serait aisément passé de cette surcharge car il était lisse et plein mais sa forme triangulaire l'apparentait vaguement à une belle chatte et Catherine, amusée, songea qu'elle faisait avec Mme de Gaucourt une curieuse paire : la chatte et la souris.

Cependant, la belle rousse se jetait à son cou avec toutes les marques d'une joie désordonnée et l'embrassait chaleureusement

– Ma chère ! Quelle joie de vous voir ici ! Depuis de si longs mois où nul ne savait plus ce que vous étiez devenue ! Mon époux et moi-même nous tourmentions fort de vous ! On dit le duc Philippe inconsolable !...

Catherine fit la grimace. Entendre parler de Philippe à Loches était certainement la dernière chose qu'elle souhaitât. Mais Mme de Gaucourt, rouge jusqu'aux oreilles, toussota et vint à son secours.

– Il est vrai, dit-elle, que Madame de La Trémoille et notre Grand Chambellan ont bien souvent parlé de vous !

– Voyons, c'était tout normal : la rose de Bourgogne, la reine de Bruges la Fastueuse avait disparu. Il n'était pas une cour policée en Europe qui ne s'interrogeât sur ce qu'elle était devenue !

La belle Mme de La Trémoille se jeta sur un haut fauteuil garni de coussins rouges et se mit à bavarder à tort et à travers tandis que Catherine, un peu remise de sa surprise, l'examinait entre ses yeux mi-clos, un sourire de commande sur les lèvres. Elle avait déjà rencontré, à la Cour de Philippe, le gros Georges de La Trémoille, mais c'était la première fois qu'elle voyait son épouse. Ce n'était pourtant pas faute d'en avoir entendu parler car la dame avait eu l'existence la plus orageuse qui fût ! Ainsi, c'était là cette fameuse Catherine de l'Isle-Bouchard ? Son histoire valait un roman, en vérité !

Veuve en premières noces d'un grand seigneur bourguignon, Hughes de Châlon, elle avait attiré et pris au filet de sa voluptueuse beauté l'inquiétant Pierre de Giac, alors favori de Charles VII, un seigneur forban qui avait, à ce qu'il avoua lui-même au moment de mourir, vendu sa main droite au Diable.

Pour l'amour de la belle Catherine, Giac assassina sa première femme, Jeanne de Naillac, dans d'abominables conditions : après lui avoir fait boire, par force, du poison, il avait jeté la malheureuse, enceinte et presque à terme, sur son cheval qu'il avait lancé au galop à travers la campagne et ne s'était arrêté que lorsque sa victime eut rendu l'âme. Il l'avait enterrée sur place, puis, tranquillement, était revenu épouser sa belle. Mais La Trémoille convoitait aussi l'opulente veuve et n'eut de cesse qu'il se fût débarrassé de Giac. Convaincu de trahison, celui– ci fut arrêté en pleine nuit, par ordre de la reine Yolande, jugé, cousu dans un sac de cuir et jeté à l'Auron. Trois semaines plus tard, Catherine de Giac épousait La Trémoille.

Depuis, le couple menait la vie la plus somptueuse et la plus dissolue qui fût. Le mari, d'une insatiable ambition, avait des goûts de satrape et l'épouse un tempérament de feu. Ils constituaient à eux deux une sorte de curiosité qui n'en était pas moins redoutable pour autant.

Tout le temps que dura la visite de la dame de La Trémoille, Catherine resta sur une souriante réserve. Elle commençait à deviner qu'il pouvait être aussi difficile de naviguer à la Cour de Charles VII qu'à celle de Philippe de Bourgogne. Davantage peut-être car elle n'aurait ici ni l'amour du maître, ni l'amitié à poigne solide d'une Ermengarde de Châteauvillain. La prudence, elle le sentait instinctivement, allait s'imposer. Mais elle n'en accepta pas moins les offres de service que lui fit sa visiteuse.

– Dès demain, fit celle-ci, je vous présenterai moi-même au roi. Si, si, j'y tiens ! Je vous prêterai une robe convenable car, d'ici là, vous n'aurez pas le temps de remonter votre garde-robe.

Catherine remercia poliment et les deux visiteuses se retirèrent peu après, en conseillant à la jeune femme de prendre un repos nécessaire. Mme de Gaucourt, d'ailleurs, semblait avoir hâte de partir et Catherine ne les retint pas.

– A ta place, fit Sara qui était réapparue peu après la sortie des deux dames de la Cour, je me méfierais de cette belle rouquine ! Ses lèvres sourient et ses paroles sont de miel mais ses yeux sont froids, appréciateurs.

Sois assurée que, si cette belle dame ne tire pas de toi ce qu'elle espère en tirer, elle sera pour toi une ennemie sérieuse.

– Et que crois-tu qu'elle veuille tirer de moi ?

– Comment veux-tu que je le sache ? Nous arrivons seulement. Mais je tâcherai d'en apprendre le plus que je pourrai sur les La Trémoille.

Tout en commençant à se dévêtir pour se mettre au lit, Catherine se tourna vers sa fidèle compagne.

– Il y a quelque chose de bien plus important à apprendre pour moi, fit-elle. Arrange-toi pour savoir où loge le capitaine de Montsalvy quand il est à Loches.

Sara n'hésita même pas une seconde.

– Quand il n'est pas de service auprès du roi, il loge en ville, auprès de la porte des Cordeliers, dans une maison qui appartient à un riche tanneur et qui porte une image de saint Crépin au-dessus de la porte.

Puis, comme Catherine, les yeux arrondis de stupeur, la considérait avec un respect nouveau, elle ajouta en riant :

– C'est la première chose dont je me suis inquiétée auprès de nos valets parce que je savais aussi que ce serait la première chose que tu voudrais connaître.

Un peu de rose aux pommettes, Catherine renouait déjà, hâtivement, les lacets de sa robe. Sara s'empara avec autorité desdits lacets et les ôta.

Tu n'as rien à y faire ce soir ! Il ne rentrera que demain avec le roi. Tu ne vas pas te mettre à courir les rues, dès cette nuit, pour le seul plaisir de contempler une porte close, même ornée de la figure de saint Crépin. Va donc te coucher. Je vais te porter un souper léger et ensuite tu dormiras.

Demain, il faut être belle et fraîche.

Joignant le geste à la parole, Sara dévêtit sa maîtresse en un tournemain, l'affubla d'une longue chemise plissée et la fourra au lit sans plus de cérémonie que si elle était encore une gamine de quinze ans. Après quoi, satisfaite, elle se planta devant elle les poings sur les hanches, goguenarde.

– Va falloir perdre ces habitudes de bohémienne que tu as prises depuis quelque temps, ma belle. Nous sommes maintenant redevenue une dame, une vraie. Et il faudra aussi compter avec Madame la Reine qui ne doit pas aimer beaucoup que ses dames d'honneur courent le guilledou après la nuit tombée.

La robe que la dame de La Trémoille fit porter, dès le matin, chez Catherine était réellement très belle et la jeune femme, à toucher le magnifique tissu, ne put retenir un frisson sensuel. Il y avait bien longtemps que ses doigts n'avaient palpé un véritable , brocart milanais, encore que la couleur ne l'enthousiasmât pas tellement. C'était un somptueux assemblage d'oiseaux fantastiques, des aigles surtout, d'azur et de pourpre sur un fond d'or tissé. Catherine, pour son goût, en trouvait les nuances un peu trop vives mais l'ensemble était gai et fastueux.

– Comment me trouves-tu ? demanda-t-elle à Sara une fois vêtue. Est-ce que je n'ai pas un peu l'air d'une enseigne de teinturier ?

Sourcils froncés, bouche serrée, Sara hocha la tête.

– À toi, tout va. C'est un peu vif mais joli tout de même.

Malgré cet avis favorable, Catherine ajouta à sa toilette une gorgerette de fine mousseline plissée dont le décolleté de la robe, réellement excessif, menaçait à tout moment de libérer complètement ses seins et une voix intérieure soufflait à Catherine que la reine Yolande n'apprécierait peut-être pas un aussi spectaculaire étalage de chair. Le son lointain d'une trompe l'arracha à la contemplation de son miroir. Elle se hâta d'enfoncer sur sa tête le hennin assorti à la robe, piqua les épingles un peu au hasard et se rua vers la porte.

– J'entends le cortège ! cria-t-elle à Sara. Il faut que j'aille au château.

En effet, le son se rapprochait, annonçant le roi, Jehanne et leur nombreuse escorte. Catherine, un peu hors d'haleine, rejoignit le cercle des dames de la reine juste comme les trompettes d'avant-garde franchissaient la porte Royale. Elle alla se placer auprès de Mme de Gaucourt. Consciente de l'effet qu'elle produisait, elle nota le sourire un peu amusé de la reine, les chuchotements des autres dames et le sourire éclatant de la dame de La Trémoille, toute vêtue de satin fauve et blanc. La longue habitude qu'elle avait des cours et de leurs curiosités lui fut d'un grand secours pour faire bonne contenance. Puis, comme la brillante cavalcade mettait pied à terre sur la terrasse du logis royal, elle oublia tout. Elle vit le roi et Jehanne qui chevauchaient côte à côte mais surtout, derrière l'armure blanche de la Pucelle, une autre armure, noire celle-là, et certain casque surmonté d'un épervier qui fit battre son cœur très vite. Arnaud semblait bien intégré à la suite de Jehanne, désormais. Il la suivait de près et, à côté de lui, Catherine reconnut Xaintrailles, La Hire et Jean d'Aulon.

Le roi, bien que son regard se fût attardé pensivement sur elle, n'intéressa Catherine que très peu. Elle fut même déçue de lui trouver si petite mine.

Mince, pâle et grêle avec un visage morose aux lignes tout en longueur, un nez tombant et des yeux globuleux, sans éclat et quasi sans vie, il semblait porter sur ses épaules étroites le poids d'une éternelle inquiétude. Ses robes de velours paraissaient trop grandes pour lui et le grand chapeau de feutre aux bords retroussés qu'il portait l'écrasait quelque peu. Derrière lui venait un énorme seigneur, incroyablement cousu d'or et de pourpre, sous un fantastique chaperon plus compliqué qu'un turban et que Catherine prit pour un musulman. Avec sa barbe brune, son large visage et ses gestes onctueux, avec surtout le luxe étourdissant qu'il affichait, celui-là ressemblait à un sultan. En voyant la dame de La Trémoille se jeter dans ses bras courts, Catherine comprit que c'était là son seigneur et maître, Georges de La Trémoille. Mais il avait tellement grossi, depuis qu'elle l'avait vu à la Cour de Philippe, qu'elle ne l'aurait pas reconnu ! Il semblait d'ailleurs plus vaniteux et plus inquiétant que jamais : le digne matou soyeux de la belle chatte rousse !

Tandis que la société entrait au château pour la collation, Catherine sentit une main la tirer en arrière, se retourna et se trouva en face d'Arnaud qui la regardait sévèrement.

– D'où tenez-vous cette robe ? fit-il brutalement sans même prendre la peine de la saluer tandis que son doigt, accusateur, désignait la toilette de la jeune femme.

– J'aimerais savoir en quoi cela peut vous intéresser ! répliqua-t-elle vivement. Est-ce parce que vous servez une femme que vous vous intéressez à la toilette ?

Puis, avec un sourire moqueur, elle ajouta :

– Vous ne me ferez pas croire que l'on parle tellement chiffons dans l'entourage de Jehanne !

Arnaud haussa les épaules, rougit légèrement.

– Je n'ai que faire de vos appréciations. Répondez ! D'où vient cette robe?

Catherine avait bonne envie de l'envoyer promener. Pourtant, il y avait dans le ton agressif du capitaine quelque chose d'inhabituel qu'elle ne put définir mais qui la poussa à lui obéir.

– Madame de La Trémoille me l'a fait porter ce matin pour me permettre de figurer convenablement à l'entrée du roi. Tout ce que je possède actuellement ne dépasse guère la toilette bourgeoise...

– Qui eût cent fois mieux valu en l'occurrence ! Toute la Cour connaît cette robe que Madame de La Trémoille a portée plusieurs fois et qui est faite à ses couleurs. Vous obliger à vous en affubler, c'est vous enrôler, aux yeux de tous, parmi les clients des La Trémoille. Ma parole, c'est presque une livrée dont on vous a accoutrée ! Et je me demande ce qu'en pense la reine Yolande. Ignorez-vous que La Trémoille est son pire ennemi et qu'il n'est pas un seul parmi les vrais amis du roi qui ne souhaiterait l'étouffer dans sa graisse pour les mauvais conseils qu'il donne à notre Sire ? Il est, en outre, l'ennemi mortel du connétable de Richemont1 et j'ajoute qu'il est, bien entendu, celui de Jehanne par-dessus le marché. Vous voilà fixée.

Catherine se sentit rougir, furieuse d'être tombée sans le savoir dans ce panneau stupide qui, une fois de plus, la rendait suspecte aux yeux d'Arnaud.

– J'ignorais tout cela ! fit-elle sincèrement. Comment aurais-je su ? Je ne suis arrivée qu'hier et ne connais rien de cette Cour...

– Alors, vous constaterez vite qu'elle est exactement semblable à celle de votre grand ami, le duc

1. Bien que beau-frère de Philippe le Bon, Arthur de Richemont, par loyalisme, était devenu connétable de France en 1425 et servait Charles VII.

Philippe. Mêmes intrigues, mêmes mensonges, même rapacité et mêmes coups de griffes cachés sous les sourires. Allez ôter cette robe si vous tenez à l'estime de la reine Yolande.

Il tournait déjà les talons pour rejoindre Xaintrailles quand Catherine le retint d'une main timidement posée sur son bras.

– Arnaud, murmura-t-elle en levant sur lui son beau regard lumineux de tendresse. C'est votre estime seule qui compte à mes yeux. Êtes-vous donc décidé à me haïr toute votre vie... ?

Pour la toute première fois dans l'histoire tumultueuse de leurs relations, il ne se fâcha pas mais détourna la tête, peut-être pour échapper à la trop douce magie des yeux qui l'imploraient. Sans brutalité, il détacha la main posée sur son bras.

– Je ne suis même pas capable de savoir si je vous hais ou si je vous aime, Catherine, fit-il d'une voix rauque où vibrait déjà l'irritation. Que venez– vous me parler d'estime ?

Catherine le suivit des yeux un moment, tandis qu'il s'éloignait vers les appartements royaux. Sa démarche, si ferme habituellement, semblait s'être étrangement alourdie, se faisait hésitante comme s'il s'éloignait à regret et ses larges épaules se courbaient curieusement... Décidée à tout pour lui plaire, Catherine se hâta de rentrer chez elle, arracha plus qu'elle ne l'ôta la robe compromettante tout en racontant l'incident à Sara.

– Je me doutais bien, fit celle-ci, que la rouquine était trop polie pour être honnête. Pour ce soir, tu te contenteras d'une robe de velours noir. C'est ce que nous possédons de plus somptueux pour le moment.

Une robe de bure suffirait et vaudrait encore mieux que ce plumage tapageur, s'écria Catherine avec rage en jetant la robe loin d'elle. Tu feras rap porter tout cela à sa légitime propriétaire. Et tu te dispenseras de remercier...

Une fois prête, Catherine retourna au château. Comme elle regagnait le cercle des dames de la reine, celle-ci l'enveloppa d'un long regard appréciateur.

– Vous avez changé de toilette, Madame de Brazey ? demanda-t-elle doucement.

– En effet, Madame, répondit Catherine plongée dans sa révérence, et je demande pardon à Votre Majesté d'avoir pris la liberté de m'éloigner un moment sans sa permission. Mais... je n'aimais pas la robe que je portais et l'ai fait rendre à sa propriétaire.

Pour toute réponse, Yolande tendit la main à la jeune femme puis, très vite, elle ajouta :

– Moi non plus, je ne l'aimais pas. Merci d'avoir changé ! Venez, maintenant, nous allons ouïr le salut à l'église où Jehanne se trouve déjà.

Comme les dames se formaient en cortège pour escorter la reine jusqu'à la collégiale Saint-Ours, Catherine reçut en plein visage le regard chargé de colère de la dame de La Trémoille. Mais, si Arnaud était content d'elle, il lui était bien égal de s'être fait une ennemie.

Le soir même, un grand banquet avait lieu chez le roi. Toute la Cour y était conviée, mais Catherine obtint la permission de demeurer chez elle. La reine Yolande ne devait faire qu'une brève apparition et n'encourageait guère ses dames à s'y montrer car c'était, en fait, La Trémoille, organisateur ordinaire des plaisirs royaux, qui en avait réglé l'ordonnancement. Sa qualité de nouvelle venue, et aussi le besoin où elle était de monter convenablement sa maison et sa garde-robe, dispensaient momentanément la jeune femme de suivre la vie de Cour. Mais la raison profonde qui lui avait fait dédaigner la fête c'était-qu'Arnaud, pour un motif connu de lui seul, ne devait pas non plus s'y rendre. Quant à la Pucelle, elle avait pris logis, comme elle avait coutume de le faire, chez le notable de la ville dont la femme passait pour la plus vertueuse et, depuis le coucher du soleil, elle était retirée chez elle. Sans doute Arnaud voulait-il imiter celle qu'il considérait maintenant comme son chef direct.

Mais, revenue dans sa maison, Catherine ne put retrouver le calme. Les bruits du château perçaient la nuit. Les éclats de voix, le son des violes et les rires des femmes, tout le joyeux tintamarre d'une fête qui ne trouvait aucun écho dans le cœur de la jeune femme. Elle était restée un long moment à sa fenêtre, regardant la lune se lever sur les toits vernis de Loches. La ville endormie offrait une image de calme et de paix qui contrastait avec les flots de lumière ruisselant du logis royal. Sur la cité, tout était tranquillité. Seul, le cri d'un oiseau nocturne s'élevait, parfois, des rives embrumées de l'Indre...

Le regard de Catherine tourna, chercha les tours qui gardaient la porte des Cordeliers. Quelque chose l'attirait irrésistiblement de ce côté. La nuit était si douce ! Jamais elle ne pourrait dormir... Elle n'ignorait pas les discussions âpres qui s'étaient tenues au château entre Jehanne et Yolande, d'une part, le Roi, La Trémoille et le chancelier Regnault de Chartres, archevêque de Reims, d'autre part, au sujet du sacre de Charles. Jehanne et la reine voulaient que l'on courût droit sur la cité du sacre. L'entourage du roi alléguait le danger représenté par les campagnes encore occupées qu'il faudrait traverser. Si Jehanne l'emportait, ce que Catherine souhaitait, Arnaud, une fois de plus, s'éloignerait. Dans ces conditions, pourquoi perdre le temps précieux où elle l'avait encore à portée de la main ?

Sans même appeler Sara qui s'était endormie dans un coin de la chambre, épuisée par une journée entière d'installation et de grand ménage, elle alla tirer une cape sombre d'un coffre, s'en enveloppa et sortit. Tandis qu'elle s'engageait dans les ruelles menant à la porte Royale puis, de là, aux artères de la cité marchande, Catherine ne cherchait même pas à préparer ce qu'elle dirait une fois en présence d'Arnaud. A quoi bon chercher ? Son cœur saurait bien, le moment venu, lui dicter les mots nécessaires. Elle était habitée tout entière par le désir, presque douloureux, de l'avoir en face d'elle.

Les ruelles de Loches et, singulièrement, la rampe qui joignait la porte Royale à celle des Cordeliers étaient rigoureusement désertes. On y entendait encore les échos du festin avec, en surimpression, le pas pesant des archers veillant aux murailles de l'enceinte royale. Catherine vola plus qu'elle ne descendit la rue en pente, aimantée par la maison à l'effigie de saint Crépin dont, dans la journée, elle avait appris longuement à reconnaître le toit en fer de lance. Le logis du tanneur chez qui Arnaud habitait se blottissait dans l'ombre de l'épaisse tour quadrangulaire sous laquelle s'ouvrait la porte. Une faible lueur apparaissait sous l'arche ronde : la lanterne du corps de garde. Au-delà le murmure de l'eau courante indiquait la rivière.

Le quartier était très tranquille mais, de l'autre côté de la porte, sur le même alignement et doublant le rempart, une auberge rougeoyait dans la nuit de tous ses feux. On paraissait y mener aussi joyeuse vie qu'au château et Catherine prit bien garde de ne point passer dans les flaques de lumière que ses fenêtres basses répandaient sur les pavés inégaux. Elle se tapit dans l'ombre d'un contrefort de la tour, cherchant à deviner ce qui se passait derrière les fenêtres closes de la maison d'Arnaud. Un peu de lumière se montrait à l'étage et cette lumière attirait la jeune femme, irrésistiblement.

Lentement, elle s'approcha de la porte où brillait un gros anneau de bronze qui servait de heurtoir. Mais, comme elle tendait la main pour le saisir, elle se rejeta aussitôt en arrière, s'aplatit contre le mur... On parlait derrière cette porte qui, aussitôt, s'ouvrit. Il y eut un froufrou de soie, puis, une voix de femme.

– Je reviendrai demain, ne te tourmente pas..., chuchota une voix féminine que Catherine crut bien reconnaître.

Une autre voix, masculine celle-là, murmura quelque chose que la jeune femme ne comprit pas. Mais le reflet d'une chandelle éclaira la forme d'une femme grande et élégante dans une mante de soie couleur prune. La curiosité chez Catherine fut plus forte que la prudence. Avançant la tête avec précaution, elle put apercevoir le visage de la femme. Un masque de même couleur que sa mante le couvrait à demi mais le capuchon, glissant un peu en arrière, avait découvert une partie des cheveux roux de la visiteuse. Et ses lèvres rouges, au dessin sensuel, que le masque laissait à découvert, étaient bien celles de Catherine de La Trémoille.

Retenant une exclamation de colère et de dépit, Catherine se rejeta en arrière, comprimant sous sa main les battements désordonnés de son cœur.

Une douleur aiguë, insupportable, la traversait, si cruellement que jamais elle n'en avait connu de semblable. Pour la première fois elle découvrait en elle cette amère jalousie qui lui donnait envie de hurler et de mordre, tout en même temps !

La silhouette nonchalante de la dame de La Trémoille avait disparu depuis longtemps dans l'ombre de la rue montante que Catherine n'avait pas encore fait un geste. Tout s'éclairait d'une lumière brutale et combien décevante.

Voilà donc pourquoi Arnaud s'était dispensé d'assister au festin du roi.

C'était pour recevoir plus commodément cette femme, sa maîtresse sans doute. Et, pour elle, quel meilleur alibi que la fête ? Elle retenait son époux auprès de Charles VII. Il n'y avait pas jusqu'à la colère d'Arnaud en découvrant Catherine sous une robe de sa maîtresse qui ne prît une autre couleur. Que lui importait, en effet, que la femme si longtemps méprisée portât les couleurs de tel ou tel camp. Tout ce qui comptait, c'était qu'il ne voulait pas voir les atours de la belle La Trémoille sur les épaules d'une autre...

La maison, devant elle, était redevenue silencieuse et la lumière s'était éteinte à la fenêtre. Il ne restait plus, dans la rue, que le mince ruban blafard de la lune accroché au pignon d'un toit avant de se déverser sur le pavé, et les reflets de l'auberge où le vacarme allait augmentant. Des hurlements, des chants bacchiques prouvaient surabondamment qu'un certain nombre de soldats y fêtaient avec des filles le récent succès d'Orléans. Mais tout était devenu indifférent à Catherine. Sans plus songer à dissimuler sa présence, la tête vide et les tempes bourdonnantes, maîtrisant à grand-peine une violente envie de pleurer, elle quitta sa cachette, mue par le désir de regagner sa maison au plus vite et d'y retrouver le giron de Sara pour y pleurer tout son saoul. De vagues projets naissaient déjà en elle : demain, elle quitterait la Cour, demanderait congé à Yolande et s'en irait rejoindre Ermengarde. Cette vie, décidément, n'avait plus rien à lui offrir...


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