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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2
  • Текст добавлен: 24 сентября 2016, 06:35

Текст книги "Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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En effet, les soldats approchaient mais dans leur position, au centre d'un amas rocheux, les deux fugitives ne pouvaient pas déterminer avec certitude l'endroit où ils se trouvaient. Ils semblaient très près puis tout à coup plus éloignés. Serrées l'une contre l'autre, Sara et Catherine retenaient leur souffle. Les battements désordonnés de son cœur emplissaient les oreilles de la jeune femme d'un bruit d'orage.

– S'il me reprend, je me tuerai, Sara... je jure que je me tuerai, murmura-t-elle avec un désespoir si farouche que Sara lui serra le bras pour la calmer.

La bohémienne devinait la terrible tension éprouvée par son amie. S'il fallait encore longtemps guetter ces bruits du dehors, Catherine était capable de se mettre à hurler comme un animal acculé dans un trou. Mais Sara, malgré tout son empire sur elle– même, fut à deux doigts d'en faire autant en voyant une forme noire sortir de derrière la statue de bois.

– Ne restez pas là, dit calmement l'homme qui venait d'apparaître et dont on ne pouvait distinguer le visage dans cette ombre. Venez avec moi...

Les deux femmes étaient trop terrifiées pour pouvoir articuler un seul mot. Quand l'homme s'approcha d'elle et qu'elle put mieux le voir, Sara eut un mouvement de recul instinctif parce qu'elle venait de reconnaître la barbe blanche et le nez busqué de Gervais, le chef des sorciers. Il dut sentir l'effet qu'il produisait, car il hocha la tête, saisit avec une irrésistible autorité la main de la gitane.

N'ayez donc pas peur ! Suivez-moi en confiance. Gervais n'a jamais livré quiconque se réfugiait sous son toit.

– C'est possible, fit Sara froidement, récupérant d'un coup tout son aplomb. Mais, pour m'en convaincre mieux, dites-moi ce que vous avez fait des cheveux que Pâquerette vous a confiés l'autre nuit... ceux que vous avez cachés sous votre robe.

– Mon neveu les a emportés à Dijon. Ils ont été remis au seigneur de Brazey comme preuve que sa femme était bien cachée au village, fit-il calmement.

– Et vous osez me le dire ? s'indigna Sara. Et vous croyez que je vais vous suivre maintenant, vous confier mon sort et celui de ma maîtresse ?

– Vous n'avez pas le choix ! Et d'ailleurs, les choses sont différentes.

Libre à Pâquerette de trahir les lois sacrées de l'hospitalité, de livrer l'hôte venu sous son toit chercher refuge. Elle est venue me demander secours contre une ennemie, je lui ai accordé ce secours. Aujourd'hui, c'est vous qui prenez asile dans ma demeure. Car c'est ici que j'habite. Vous m'êtes sacrées et je vous sauverai si je le puis. Venez-vous ? La haine de Pâquerette est si forte qu'elle ira peut-être jusqu'à conduire les soldats dans cette salle.

Catherine avait écouté sans comprendre la courte conversation de Sara et du vieillard. Mais comme elle voyait Sara hésiter encore, elle s'écria :

– Il faut le suivre ! Rien ne peut être pire que ce qui nous attend si nous sommes reprises.

– Et s'il te livre ?

Le regard de Catherine croisa celui de Gervais. Ce qu'elle y lut dut la satisfaire car elle affirma :

– Il ne me livrera pas. Je crois en lui. Ma vie ni ma mort n'importent à un homme de cet âge qui a choisi de vivre ici, au cœur de la nature.

– Je te remercie, jeune femme ! Tu as raison, fit gravement Gervais.

Il guida les deux femmes derrière la statue où un passage s'ouvrait, un long boyau étroit qui communiquait avec une autre salle où il avait, de toute évidence, son logis. Un logis bien étrange et meublé plus que sommairement d'une paillasse et de quelques escabeaux autour d'une table où s'entassaient des objets hétéroclites. De gros livres poussiéreux occupaient un coin, auprès d'un fourneau allumé. Une bizarre odeur de soufre et de fumée emplissait cet antre éclairé par des trous dans le rocher et par le feu flambant dans le fourneau. Gervais fit asseoir ses visiteuses puis versa dans deux écuelles des portions d'une soupe épaisse qui cuisait dans une marmite sur le fourneau.

– Mangez, dit-il. Ensuite vous vous reposerez jusqu'à la nuit. Quand l'obscurité reviendra, je vous conduirai par un chemin connu de moi assez loin de Mâlain pour que les archers ne vous retrouvent pas.

Catherine, au passage, saisit la main qui lui offrait la nourriture et la serra un instant dans les siennes.

– Comment pourrais-je vous remercier de ce que vous faites ?

Un mince sourire éclaira le visage sévère du vieillard.

– En venant éteindre mon bûcher le jour où il plaira au prévôt ducal de me faire griller. Mais j'ai bon espoir de finir ma vie ici, au sein de la terre mère... Mange, petite, et dors ensuite. Tu en as grand besoin.

Catherine était si lasse qu'elle ne demandait pas autre chose. Sa soupe expédiée, elle s'étendit sur la paille et s'endormit aussitôt. Gervais se tourna vers Sara.

– Et toi ? Ne feras-tu pas comme elle ? As-tu moins de confiance ?

J'ai autant de confiance, fit Sara tranquille ment, mais je n'ai pas sommeil.

Causons, si tu n'as rien de mieux à faire.

Quand la nuit fut tombée et que la lune monta dans le ciel, .Gervais réveilla Catherine, lui donna une nouvelle portion de soupe, tandis que lui-même et Sara mangeaient à leur tour. Puis, s'enveloppant d'une cape noire, il saisit un bâton, jeta des cendres sur son feu.

– Venez, maintenant. Le moment est venu.

Bien longtemps Catherine devait se souvenir de cette marche nocturne à travers la vieille forêt. La peur l'avait quittée. Tout était si calme autour d'elle ! A travers les branches, elle pouvait voir la lune qui fuyait de nuage en nuage, déversant sa lumière bleutée sur toutes choses. La paix des bois était profonde et les hauts fûts des arbres formaient comme les colonnes de quelque cathédrale mystérieuse au fond de laquelle éclatait le cri d'une bête en chasse ou le vol rapide d'un oiseau. La hache du bûcheron n'avait pas encore taillé dans la vieille sylve primitive qui avait gardé toute sa splendeur sauvage et vierge. Des chênes énormes, de noirs sapins dont les jupes piquantes traînaient jusqu'à terre s'y entremêlaient avec des ressauts rocheux habillés de ronces et de mousse. Parfois, la chanson d'une source se faisait entendre, mais le vivant silence était si merveilleusement apaisant que Catherine retenait sa respiration pour ne pas le troubler. Elle marchait derrière Gervais qui allait lentement, au pas lourd et mesuré des paysans économes de leur souffle. Derrière elle, Sara fermait la marche et la jeune femme ne se posait même pas de questions. Où Gervais les conduisait– il ?

Qu'allait-elle devenir? Autant de choses qui n'avaient, pour le moment, aucune importance. L'important, c'était d'être libre, de se sentir en sûreté. Et Catherine eût marché des heures et des heures ainsi, derrière le grand vieillard. Gervais avançait sans jamais hésiter, droit devant lui, à travers la forêt sans même se soucier des sentiers. Il semblait connaître chaque pierre, chaque arbre et marchait hardiment. De temps en temps un chevreuil, un daim ou un sanglier croisaient la route des trois voyageurs. L'animal sauvage s'arrêtait parfois, comme s'il reconnaissait le vieillard. Il était, parmi les habitants de la forêt, comme un pasteur au milieu de ses troupeaux.

Dans toutes les fibres de sa chair, Catherine sentait le prochain printemps gonfler la terre d'une vie nouvelle, avec une acuité qui venait peut-être du fait qu'elle-même attendait un enfant. Le renouveau se dessinait dans l'odeur puissante de la glèbe mouillée, dans l'éclatement encore timide des bourgeons sur la rudesse noire des branches, dans le cri plus rauque des bêtes appelées par l'amour.

A la pointe du jour, Catherine et ses compagnons se trouvèrent devant une étroite rivière qui roulait des flots tumultueux entre des croupes rocheuses, chevelues d'arbres. Dans le bouillonnement neigeux de l'eau, de grosses pierres grises traçaient un gué.

– Voici le Suzon ! dit Gervais en désignant le ruisseau de son bâton.

C'est là que je vous abandonne. Quand vous l'aurez traversé, vous piquerez droit au nord. À deux lieues d'ici, environ, vous trouverez l'abbaye de Saint-Seine, lieu d'asile s'il en est. Le prieur en est messire Jean de Blaisy. Il est homme de bien et de grande charité. Il vous accueillera.

Cette suggestion ne semblait pas agréer beaucoup à Catherine. Elle objecta que l'abbé de Saint-Seine était possesseur du château de Mâlain, qu'il l'avait prêté à Garin pour l'y enfermer. Mais Gervais rétorqua : Je gagerais que messire Jean ignorait à quelles fins le Grand Argentier destinait son domaine. Plus que certainement, Garin de Brazey le lui a emprunté sous un prétexte. Tu peux te rendre sans crainte à Saint-Seine.

Serais-tu la pire ennemie de sa famille que Jean de Blaisy t'accueillerait sans hésiter. Pour lui, le -malheureux qui vient s'agenouiller au seuil de son église est l'envoyé de Dieu lui-même et le duc en personne n'oserait venir lui arracher son hôte. Va, te dis-je. Tu ne peux continuer à courir les chemins. Il te faut un port de salut. À Saint-Seine tu ne craindras rien...

Catherine réfléchissait. La longue marche nocturne l'avait fatiguée car on avait parcouru deux bonnes lieues en terrain difficile. Mais peu à peu son visage s'éclaira. Elle se souvenait maintenant que ce Jean de Blaisy était le cousin d'Ermengarde et cela lui rendait confiance. Et puis Gervais avait raison en disant qu'elle ne pouvait errer ainsi pendant des jours et des jours.

La trahison de Pâquerette pouvait se reproduire. Garin était riche. Quelques sacs d'or ne lui coûteraient pas pour reprendre sa victime. Elle tendit la main au vieillard.

– Tu as raison. J'irai à Saint-Seine. Mais toi, si tu vois revenir au village un jeune homme vêtu de vert, un chevaucheur de la Grande Écurie...

– Je sais, coupa Gervais brusquement, l'amant de Pâquerette. Je lui dirai où tu es. Car il doit revenir te chercher, n'est-ce pas ?

– Il doit revenir, en effet. Maintenant, je veux te dire merci. Je n'ai rien pour te prouver ma gratitude, mais plus tard, peut-être, je pourrai le faire et...

Gervais lui coupa la parole d'un geste sec.

– Je ne te demande rien et ne veux rien. En te sauvant, j'ai seulement réparé le mal que Pâquerette m'avait fait commettre. Nous sommes quittes.

Je te souhaite d'être heureuse.

Ayant dit, le vieillard s'éloigna rapidement, revenant sur ses pas. Catherine et Sara virent sa silhouette imposante se dissoudre parmi les arbres. Elles se retrouvèrent seules auprès du ruisseau tumultueux.

– Allons ! fit seulement Sara.

Et, la première, elle s'engagea dans le chemin de pierres qui franchissait les eaux blanches. Le passage du gué s'effectua sans encombre. Parvenues sur l'autre rive, les deux femmes mangèrent un peu de pain que Gervais leur avait remis, burent de l'eau du ruisseau et se trouvèrent prêtes à se remettre en marche. Sara coupa deux fortes branches avec le couteau qu'elle avait toujours sur elle, en fit deux bâtons et donna l'un à Catherine.

– Nous avons encore deux lieues à faire et le chemin est difficile, dit-elle. Lentement, l'une derrière l'autre, elles commencèrent à remonter la pente du val du Suzon en direction de Saint-Seine. Le soleil se levait, le premier vrai soleil depuis tant de jours. Bientôt ses rayons enveloppèrent la terre encore transie d'une belle couleur dorée qui magnifiait toutes choses.

Quelques heures plus tard, au creux profond d'un plissement du plateau de Haute Bourgogne où courait une petite rivière, Catherine et Sara, exténuées mais heureuses, découvraient les grands toits gris de l'abbaye de Saint-Seine, la haute tour carrée couronnée d'échafaudages de l'église abbatiale et, tout auprès, comme une couvée de poussins auprès d'une mère poule grise et blanche, le moutonnement doux des toits brunis d'où s'échappaient de minces panaches de fumée.

– Nous sommes arrivées, fit Sara. Il était temps, je n'en pouvais plus !

Elles descendirent le versant pelé du coteau, les yeux fixés sur la tour que les ouvriers abandonnaient. Les cloches appelaient les moines à quelque office, égrenant dans l'air calme leurs notes hautes et graves. Malgré un peu de repos pris vers le milieu du jour, Catherine ne sentait plus ses pieds. Les souliers qu'elle tenait de Pâquerette avaient plus d'un trou et chaque pas lui causait une souffrance. Mais la terreur de Garin était plus forte que toutes les douleurs. Elle courait presque, malgré l'écrasante fatigue, en dévalant la pente qui menait au couvent, avide du refuge des hauts murs et d'un peu de paille où s'étendre.

Une demi-heure plus tard, les deux fugitives s'écroulaient plutôt qu'elles ne s'agenouillaient devant le vantail de chêne noir armé de fer de la porterie.

Les femmes du village avaient regardé avec méfiance ces deux créatures aux vêtements déchirés par toutes les ronces de la grande forêt, aux visages salis et tirés par la fatigue. On s'attroupait, on les regardait et à travers les rues du village on les suivait. Des gamins déjà ramassaient des pierres pour les leur jeter. Catherine sentit la menace qui pesait sur elle et sur Sara. On n'aimait pas les vagabonds dans cette bourgade riche, aux poulaillers bien garnis, aux jardins bien entretenus. Et Sara avec ses cheveux bleus, son teint bistré n'inspirait pas confiance. La peur, toujours latente au fond de son âme depuis son enlèvement, s'enfla en Catherine comme un vent de tempête. Elle se pelotonna contre Sara, baissant la tête pour éviter la première pierre qu'un gamin aux joues rouges lançait déjà. Elles étaient prises entre les paysans qui les entouraient et la porte close de l'abbaye vers laquelle elles tournaient des yeux affolés. Derrière la petite fenêtre étroite de la tour, Sara crut voir la tête rase d'un moine. Entourant les épaules de Catherine d'un bras, elle cria d'une voix enrouée :

– Asile... Pour l'amour de Dieu ! Asile !

Une autre pierre tomba. Mais, lentement, le lourd portail tournait sur ses gonds. La silhouette austère d'un moine en robe noire, un scapulaire sur les épaules, apparut. La troisième pierre lancée contre les deux femmes vint rouler à ses pieds. Il la repoussa de sa sandale, laissant peser sur les gamins et les commères un regard sévère, puis s'approcha du groupe lamentable et terrorisé que formaient Catherine et Sara dans les bras l'une de l'autre.

– Entrez ! fit-il d'une voix grave. L'asile vous est ouvert !

Mais cette ultime frayeur avait eu raison de la résistance de la jeune femme. Il fallut l'emporter, évanouie, jusqu'à la maison des hôtes du monastère.

Jean de Blaisy, abbé de Saint-Seine, était bien tel que Gervais l'avait décrit : d'une charité sans limite. Deux femmes avaient demandé asile, il leur accordait sans condition le refuge de son monastère. Mais en apprenant que l'une des deux mendiantes admises à la maison-Dieu, enclose dans l'abbaye pour le réconfort du pèlerin et les soins aux malades, demandait à lui parler, il montra quelque étonnement. Malgré la tonsure et la bure noire qui le vêtait, il demeurait un homme de haute naissance et n'était pas complètement parvenu à se défaire d'un sentiment de distance envers les gens de basse caste, les misérables, dont, cependant, au jour du Jeudi Saint, il lavait lui-même les pieds, humblement agenouillé dans la poussière. Pourtant, comme l'étrangère se réclamait de sa cousine Ermengarde de Châteauvillain, il donna l'ordre qu'elle fût conduite à l'église où il la rencontrerait, le lendemain matin, après avoir dit sa messe.

Tandis qu'il achevait l'office divin, Catherine s'était tapie contre l'une des pierres tombales dressées le long du mur et attendait patiemment. Quand elle vit s'avancer vers elle le grand moine-seigneur, si imposant dans l'austère froc noir d'où émergeait une tête étroite cerclée d'une mince couronne de cheveux gris et dont le profil était celui d'un oiseau de proie, elle tomba à genoux mais ne baissa pas la tête. Debout devant elle, les mains dans les manches de sa robe, l'abbé considéra avec attention le visage menu entre les lourdes nattes blondes.

– Vous avez demandé à me parler, dit-il. Me voici, parlez !

– Très Révérend Père, fit Catherine sans quitter sa posture de suppliante, je vous dois la vie. Hier, vous avez permis que les portes de cet asile s'ouvrissent devant deux femmes traquées, poursuivies. C'est cette protection que je veux vous demander de me continuer, au nom de votre cousine.

Un sourire sceptique étira les lèvres minces de Jean de Blaisy. Il ne pouvait se défendre de trouver outrecuidante cette paysanne en haillons qui se réclamait de l'une des plus hautes dames de la province, encore qu'elle le fît en termes choisis et que sa distinction fût indéniable.

– Vous connaissez Madame de Châteauvillain ? Vous m'étonnez...

– Elle est mon amie... ma meilleure amie. Révérend Père, vous ne m'avez demandé ni mon nom ni d'où je viens. Je vous dois ces deux marques de confiance. Je m'appelle Catherine de Brazey, j'étais dame de parage de feu la duchesse Marguerite. C'est là que j'ai connu Ermengarde. Et si vous me voyez ainsi, fugitive, en haillons, c'est parce que je fuis l'affreuse prison où mon mari m'avait jetée... dans le donjon de votre château de Mâlain...

L'abbé fronça les sourcils. Se penchant, il releva Catherine, puis, s'apercevant que quelques femmes du village, venues entendre la messe, regardaient de ce côté avec curiosité, il l'entraîna vers la sacristie.

– Venez par ici. Nous serons mieux pour parler.

Dans l'étroite pièce qui sentait l'encens, l'huile sainte et le linge amidonné, il la fit asseoir sur un tabouret, prit place dans un banc à haut dossier après avoir renvoyé d'un geste les moinillons qui s'activaient à ranger les ornements.

– Racontez-moi votre histoire. Et d'abord, pourquoi avez-vous été enfermée à Mâlain ?

Lentement, en pesant bien ses mots pour ne pas risquer d'être prise pour une folle, Catherine raconta son aventure. L'abbé, le menton appuyé sur la paume de sa main, l'écouta jusqu'au bout sans l'interrompre. L'histoire était fantastique, mais la femme qui parlait avait, dans ses yeux violets, une flamme de sincérité qui ne trompait pas.

– Je ne sais plus que faire, dit enfin Catherine lorsqu'elle eut terminé son récit. Je dois à mon mari de le suivre et de lui obéir. Mais revenir chez lui c'est aller à la mort. Il me renfermera dans une geôle plus profonde, plus terrible encore, dont je ne pourrai sortir. Le duc seul...

L'abbé posa vivement sa main sèche sur celle de Catherine et l'interrompit:

– N'ajoutez rien, ma fille. Vous devez bien comprendre que vos relations adultères avec le duc ne sauraient trouver secours auprès de moi. Je reconnais que votre cas est difficile à trancher pour un prêtre. Votre époux a tous droits sur vous et, s'il vous réclame, je n'ai pas celui de vous refuser.

Mais, d'autre part, vous êtes en danger de mort et vous avez réclamé l'asile...

Il s'était levé, arpentait lentement les dalles blanches de la sacristie.

Catherine suivait avec angoisse cette promenade monotone.

– Ne me livrez pas, mon Père, je vous en supplie ! Si vous avez quelque pitié pour une femme malheureuse, ne laissez pas Garin me reprendre !

Songez que je porte un enfant, qu'il veut tuer cet enfant.

– Je sais !... Écoutez, je ne puis prendre de décision en quelques minutes. Il me faut réfléchir, examiner dans le calme ce qu'il convient de faire pour régler ce difficile problème. Je vous ferai savoir ce que j'ai décidé.

En attendant, demeurez ici, en paix. Je ferai donner des ordres pour que vous et votre suivante soyez séparées des malades de notre maison Dieu et installées dans une chambre convenable...

– Mon Père... commença Catherine aussi peu rassurée que possible.

Mais il l'arrêta d'un geste, traça sur sa tête un signe de croix qui l'obligea à se courber.

– Allez en paix, ma fille ! Vous êtes dans la main de Dieu. Cette main ne se peut tromper.

Il n'était pas possible de poursuivre l'entretien. Catherine n'insista pas mais, en rejoignant Sara, elle était plus angoissée qu'elle ne voulait le laisser paraître. Si l'abbé décidait qu'il lui fallait suivre son mari, rien, elle en avait l'absolue certitude, ne pourrait la sauver d'un sort pire que la mort. Or, un prêtre pouvait-il séparer ce que Dieu avait uni ? Pouvait-il sous le prétexte de l'asile refuser à un époux de reprendre sa femme légitime ? De plus, Catherine n'était pas bien sûre qu'il eût accordé pleine créance à son récit. Il ne la connaissait pas, ne pouvait savoir si elle n'était pas l'une de ces femmes perverties dont la vie dissolue est la honte des familles et les oblige parfois à prendre de sévères mesures. Elle regretta de ne pas l'avoir supplié d'écrire à Ermengarde pour lui demander une garantie...

Mais sans doute Jean de Blaisy cachait-il derrière ses traits austères plus de finesse que Catherine ne le supposait, car le lendemain soir la grande porte de l'abbaye s'ouvrit à l'appel d'une sonnerie de trompettes. Une cavalcade s'engouffra dans la première cour en soulevant un nuage de poussière. En tête, sur un immense cheval blanc d'écume, agitant au bout de sa main gantée un fouet à manche d'or, galopait une grande femme vêtue de rouge et de noir qui faillit se rompre le cou en sautant à bas de sa monture.

Ermengarde de Châteauvillain en personne !

Avec des cris de joie, la bouillante comtesse se jeta dans les bras de Catherine qui l'avait reconnue et accourait. Elle riait et sanglotait tout à la fois, tellement émue que, dans son désarroi, elle embrassa Sara aussi vigoureusement que Catherine elle-même. Puis, revenant à son amie :

– Petite misérable ! s'écria-t-elle. Où diable étiez-vous passée ? Je me suis rongé les sangs pendant des jours et des jours. Mordiable !...

– Je vous serais très reconnaissant de ne pas jurer comme un capitaine de routier quand vous franchissez le seuil de mon monastère, Ermengarde, coupa derrière elle la voix paisible et distinguée de l'abbé de Blaisy qui arrivait à son tour, prévenu de l'entrée tumultueuse de sa cousine. Je ne pensais pas, en vous envoyant ce message, que vous nous feriez l'honneur d'une visite particulière. Vous m'en voyez ravi cependant...

La majesté du prieur ne devait pas impressionner beaucoup Ermengarde car elle lui rit au nez sans cérémonie.

– Vous n'avez pas honte de mentir de la sorte, Jean ? Vous, un moine ?

Vous n'êtes pas ravi du tout de me voir. Je fais trop de bruit, je tiens trop de place et je perturbe toujours votre vie tranquille. Mais le cas était grave et, autant vous le dire tout de suite, vous allez encore être perturbé !

– Parce que ? fit l'abbé avec un haut-le-corps.

Parce qu'avant de rendre cette pauvre enfant à sa brute d'époux, il vous faudra me passer sur le corps, mon ami, acheva tranquillement Ermengarde en ôtant ses gants de cheval et en tirant de son aumônière un immense mouchoir de soie brodée dont elle s'épongea le visage avec énergie.

Maintenant, faites– nous donc servir à dîner car je meurs de faim, moi ! Et j'ai à parler avec Catherine.

Ainsi mis en demeure par sa terrible cousine, Jean de Blaisy se retira en soupirant. Il allait franchir la porte cintrée qui menait de la grand-cour à son logis, quand Ermengarde le rappela.

– N'oubliez pas, cousin, si Garin de Brazey se présente à votre porte, vous fermez cette porte et vous refusez de le laisser entrer.

– Je n'en ai pas le droit, je le crains !

– Vous le prendrez ! Vous ferez ce que vous voudrez, vous armerez s'il le faut vos bénédictins et nous soutiendrons un siège en règle si besoin est, mais retenez bien ces deux choses : d'abord le droit d'asile est inviolable, pour qui que ce soit. Même le roi ne saurait passer outre. Ensuite... la meilleure manière de vous faire un mortel ennemi de Philippe de Bourgogne sera de remettre Madame de Brazey à son aimable époux.

– Ermengarde, vous êtes insupportable ! fit aigrement l'abbé en haussant les épaules. Soutenir un siège ! Comme vous y allez !

Ce que l'abbé avait pris pour une boutade d'Ermengarde n'allait cependant pas tarder à prendre les couleurs d'une cruelle réalité. À l'heure où les bénédictins, revenus des champs à l'appel de l'Angélus, se rangeaient deux par deux sous les arches romanes du cloître et entonnaient un chant à la gloire de Dieu, à l'heure où le frère portier repoussait les grands vantaux de la porte charretière, roulant sur leurs gonds avec un bruit de tonnerre et où Ermengarde, Catherine et Sara se disposaient à aller prier à la chapelle, un terrible cortège entra dans Saint– Seine et s'avança jusqu'à la porte de l'abbaye.

C'était une troupe de soudards, armés jusqu'aux dents de longues lances, de larges épées solides et de haches, montés sur de lourds chevaux capables de porter cent livres de fer en plus de leur cavalier. Les hommes étaient de mauvaise mine et appartenaient visiblement à l'une de ces bandes de routiers dont il était facile de se procurer, alors, les services pourvu que l'on eût la bourse pleine. Gens de sac et de corde, sans foi ni autre loi que l'or et la ripaille, qui portaient le crime inscrit sur chaque trait de leurs figures brutales. Leurs casaques de cuir, protégées de plaques de fer aux endroits vulnérables, montraient des taches de sang séché, des traces de brûlures et leurs casques de bon acier étaient bosselés à maints endroits, mais ils offraient un aspect redoutable, si effrayant que, sur leur passage, les gens de Saint– Seine se barricadèrent en hâte, entassant derrière leurs portes les meubles les plus lourds, priant Dieu de leur épargner la colère de ces gens.

La troupe avait débouché si subitement dans la vallée que nul n'avait pu donner l'alarme et que l'on n'avait pas eu le temps de chercher refuge à l'abbaye comme cela se faisait au temps jadis, au temps des Grandes Compagnies qui traînaient après elles le meurtre, le viol et l'incendie. L'effet de surprise avait joué à plein. Endormis dans la paix prospère que leur valait la sage administration de leur duc, les Bourguignons en général et les gens de Saint-Seine en particulier avaient oublié le chemin du sûr refuge de jadis.

Tapis derrière leurs étroites fenêtres, les paysans regardèrent défiler dans le crépuscule l'effrayante troupe.

En tête chevauchaient deux hommes. L'un était vêtu à peu près comme le reste de la bande, mais l'expression arrogante de sa figure et la chaîne d'or pendue sur sa poitrine indiquaient qu'il en était le chef. L'autre était Garin.

Tout de noir vêtu à son habitude, le chaperon enfoncé sur les yeux, un manteau noir l'enveloppant jusqu'au cou, il avançait sans rien regarder de ce qui se passait autour de lui. Mais, ce qui terrifia le frère-portier en voyant la troupe monter vers l'abbaye, ce furent les deux prisonniers que traînaient les chevaux de tête. Deux lambeaux humains encore doués de vie titubaient, enchaînés aux selles de Garin et de son compagnon : un homme et une femme. Tous deux avaient été traités avec une atroce barbarie. Les longs cheveux blonds de la femme, souillés de sang et de poussière, cachaient mal son corps nu, zébré de coups de fouet. L'homme était un vieillard comme l'attestaient ses cheveux et sa barbe blanche. Il portait une longue robe noire en lambeaux qui laissait voir ses jambes maigres, ses pieds nus. Ses membres portaient des traces de brûlures au fer rouge. De longues traînées de sang séché traçaient des rigoles sur les figures des deux suppliciés. On leur avait crevé les yeux...

Tout courant, épouvanté de voir la bande faire halte devant la porte de l'abbaye, le frère-portier s'en alla prévenir le père-abbé qui commençait l'office du soir à la chapelle et qui accourut. Ermengarde, Catherine et Sara, mues par le même pressentiment, le suivirent ainsi qu'une bonne partie des moines.

Quand ils parvinrent aux créneaux dominant le grand portail, Ermengarde d'un geste brusque, rejeta Catherine derrière son large dos, laissant Jean de Blaisy s'avancer seul. La nuit était presque tombée mais, au-dehors, les routiers avaient allumé des torches qui jetaient sur leur groupe et sur leurs misérables prisonniers une lueur sanglante.

– Que voulez-vous ? lança l'abbé d'une voix rude. Que signifient ces armes, cet homme et cette femme torturés ?

– Que signifie, seigneur abbé, cette porte fermée ? répondit une voix que Catherine reconnut avec un frisson.

L'attrait de la peur fut plus fort en elle que la peur même. Tendant le cou, elle regarda entre Ermengarde et le merlon auquel la comtesse s'appuyait, vit la figure pâle de Garin éclairée par les lueurs d'incendie. De son mari, son regard glissa sur les deux victimes aveugles qui s'étaient laissées tomber sur le sol, plus qu'à demi mortes. Malgré le sang qui maculait leur visage, elle les reconnut avec un cri rauque qui s'étrangla dans sa gorge : c'étaient Pâquerette et Gervais ! Sara, rapide comme l'éclair, étouffa ce cri sous sa main, tirant Catherine en arrière d'un bras énergique. Un silence profond s'était fait sur le village et le vallon. La voix calme de l'abbé en prit une résonance plus profonde :

– Ma porte se ferme chaque fois que le soleil se couche, dit-il, Es-tu donc un tel mécréant pour ignorer les coutumes des maisons de Dieu ?

– Je ne les ignore pas. Je désire seulement entrer.

– Pour quoi faire ? Demandes-tu l'asile ? J'en doute à te voir ainsi entouré. Les armes des hommes doivent tomber au seuil du Seigneur. Si tu veux entrer, Garin de Brazey, tu entreras... mais seul !

Le compagnon de Brazey prit la parole. Sa voix éraillée passa comme une lime sur les nerfs tendus de Catherine.

– Pourquoi me refuserais-tu l'entrée, moine ? Je suis le Bègue de Pérouges.

Je le sais, fit Jean de Blaisy sans s'émouvoir. Je t'ai reconnu et je connais le chemin de sang qui est le tien : les femmes égorgées, les enfants embrochés et les villages en flammes ont depuis longtemps crié vers le ciel contre toi.

Tu es une bête puante et les bêtes puantes n'entrent pas ici ! Jette tes armes, couvre ta tête de cendres et demande pardon à Dieu. Alors seulement tu entreras. Je reconnais ta marque à ces deux malheureux que tu traînes à ta suite. Si tu veux que je t'écoute, laisse mes frères les recueillir.

L'autre eut un gros rire insultant.

– Tu perds ta pitié, moine ! Deux sorciers adorateurs de Satan, des traîtres de surcroît ! Seul le bûcher peut leur convenir !


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