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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Cachant son visage dans ses mains tremblantes, elle éclata en sanglots.

Un instant, Yolande contempla la mince forme écroulée devant elle dans ses vêtements usagés. Elle aussi avait noté la lassitude du ravissant visage, le désespoir des yeux violets, toute cette douleur que chaque trait de Catherine, chacun de ses gestes proclamaient. Puis, avec une exclamation de pitié, elle se leva, saisit la jeune femme dans ses bras et, comme l'eût fait l'humble Sara, appuya maternellement contre son épaule le doux visage en larmes.

– Pleurez, mon petit, murmura-t-elle, pleurez ! Les larmes soulagent.

Sans lâcher Catherine, elle se détourna légèrement, éleva la voix.

1 Le futur et célèbre roi René.

– Laissez-nous, Madame de Chaumont ! Vous reviendrez dans un moment. Jusque-là, faites préparer une chambre pour Madame de Montsalvy.

La dame d'honneur plongea dans une révérence silencieuse et disparut sans faire plus de bruit qu'une ombre. Cependant, la Reine conduisait doucement Catherine jusqu'à une grande banquette garnie de velours où elle la fit asseoir auprès d'elle. Là, elle attendit patiemment que cessent les sanglots de la jeune femme. Quand elle la vit plus calme, elle tira de son aumônière un petit flacon d'eau de la reine de Hongrie et en versa quelques gouttes sur un mouchoir dont elle tamponna le visage de Catherine. L'odeur, douce et piquante à la fois, lui rendit pleine conscience et, honteuse, elle s'écarta de Yolande, voulut s'agenouiller de nouveau, mais on la retint d'une main ferme.

– Causons entre femmes, si vous voulez bien, Catherine ! Si j'ai envoyé Frère Étienne vers vous, ce n'est pas pour vous traiter comme n'importe quelle dame de parage et pleurer avec vous. L'heure approche où nous allons nous débarrasser de l'homme auquel vous devez votre malheur, du triste Sire qui, dans le seul et vil but de s'enrichir, vend le royaume à l'encan et tente d'achever l'œuvre misérable de la reine Ysabeau. Vous en avez trop souffert pour ne pas être là.

– Nous avons été traqués, poursuivis, proscrits comme des criminels, ruinés et privés de tout. Nous serions morts à l'heure qu'il est si le comte de Pardiac n'était venu à notre aide. Mon fils n'a plus de nom, plus de terre... et mon époux est lépreux ! fit Catherine sombrement. Que pourrait-il nous arriver de pire ?

Il peut toujours arriver quelque chose de pire, rectifia doucement la Reine, mais ce qu'il importe de faire, maintenant, c'est de rendre au nom de Montsalvy son ancien éclat et de préparer à votre fils l'avenir qui convient. Voyez-vous... j'aimais beaucoup votre époux. Sous des dehors rudes, c'était un parfait gentilhomme et l'un des plus vaillants de ce pays. Les victimes de La Trémoille sont de trop haute valeur pour ne pas les venger comme il convient. Voulez-vous nous aider ?

– Je ne suis venue que pour cela, fit Catherine farouchement, j'attends de Votre Majesté qu'elle veuille bien me guider.

Yolande allait répondre quand un bruyant appel de trompette retentit à l'extérieur du château, déclenchant un immédiat remue-ménage dans l'immense demeure. La duchesse-reine, elle-même, s'était levée et se dirigeait vers la fenêtre qui donnait sur la chapelle et la vaste cour intérieure. Catherine la suivit, machinalement. Au-dehors des hommes d'armes sortaient en courant des salles de garde et se ruaient vers le portail en s'équipant hâtivement. Du logis ducal s'échappait un flot de pages, d'écuyers et de seigneurs. Catherine songea que, dans le clair-obscur de cette fin de journée, ils avaient l'air de descendre tout juste des grandes tapisseries des murs.

Cependant Yolande d'Aragon frappait du pied avec impatience.

– Pourquoi tout ce vacarme ? Que signifie cette agitation ? Qui donc nous arrive là ?

Comme pour répondre à ses questions, la porte s'ouvrit et Madame de Chaumont reparut, souriante, salua.

– Madame ! C'est Monsieur le Connétable qui nous arrive de sa terre de Parthenay. Votre Majesté...

L'exclamation de joie de la Reine lui coupa la parole.

– Richemont ! C'est le ciel qui l'envoie ! Je vais l'accueillir.

Elle se tourna vers Catherine avec un geste qui invitait à la suivre, mais se ravisa devant la mine défaite de la jeune femme.

– Allez vous reposer, ma chère, dit-elle avec bonté. Madame de Chaumont va vous conduire. Demain, je vous ferai mander et nous tirerons nos plans.

Silencieusement, Catherine s'inclina et suivit la dame d'honneur pendant que Yolande sortait par une autre porte. Elle se sentait la tête affreusement vide et se déplaçait machinalement, comme à travers des nuages.

Docilement, elle se laissa mener, sans un mot, à une chambre située à l'étage supérieur et dont les deux fenêtres donnaient sur la grande cour. Elle n'avait aucune envie de parler et Madame de Chaumont respecta son silence. C'était une aimable jeune femme blonde, au visage rond et aux grands yeux bruns, vifs et joyeux, qui semblait, avoir toutes les peines du monde à maîtriser une extrême vitalité. Très jeune puisqu'elle n'avait pas vingt ans, Anne de Bueil était toute de même mariée depuis cinq ans à Pierre d'Amboise, seigneur de Chaumont, et elle avait deux enfants, mais il n'y paraissait guère. Elle semblait faire un effort continuel pour contraindre sa nature exubérante à la vie quelque peu compassée d'une cour royale.

Visiblement, elle avait très envie de bavarder, mais, non moins visiblement, Catherine avait surtout besoin de repos et de calme. La petite Madame de Chaumont se contenta donc de lui décocher un sourire éclatant.

– Vous voici chez vous, Madame de Montsalvy. Je vais vous envoyer d'abord votre suivante et ensuite deux caméristes pour vous aider à vous installer. Aimeriez– vous un bain ?

Les yeux de Catherine brillèrent à l'évocation de ce délice oublié.

Un bain ! Il y avait des mois qu'elle n'en avait pris. Dès l'automne il avait fait trop froid dans les rudimentaires étuves de Carlat et, depuis qu'elle avait quitté l'Auvergne, son voyage ne lui avait pas offert pareil confort.

– J'aimerais bien ! fit-elle, rendant son sourire à la jeune femme.

Il me semble que je porte sur moi toutes les boues du royaume !

– C'est l'affaire de quelques instants !

Et Anne de Chaumont disparut dans un grand tourbillon de velours rouge et de satin gris. Demeurée seule, Catherine faillit se laisser tomber sur le lit, mais le vacarme qui s'élevait de la cour l'attira vers les fenêtres. Il y avait tant de torches allumées, tant de pots à feu brûlant dans leurs cages de fer que l'on y voyait comme en plein jour et que le reflet de toutes ces flammes dan sait au plafond de la chambre de Catherine, luttant victorieusement contre le bouquet de bougies et le feu de la cheminée conique qui en assuraient la lumière et la chaleur.

En bas, une véritable armée de serviteurs en livrée, de pages, d'écuyers, de soldats, de dames et de gentilshommes entouraient un groupe de cavaliers bardés de fer, impressionnant mur gris aux reflets sinistres, à peine éclairé par les tabards blancs aux queues d'hermine noire de Bretagne. Ces chevaliers se pressaient autour d'une grande bannière blanche, portant un sanglier arrêté devant un petit chêne vert et la devise « Que qui le veuille ! » brodée sur une banderole rouge. A quelques pas en avant de leur groupe, un homme, dont le heaume portait en cimier un lion d'or couronné, mettait pied à terre avec l'aide d'un écuyer. La visière pointue du casque était relevée et Catherine reconnut le visage balafré du Connétable. D'ailleurs la grande épée de France, fleurdelysée, battait le flanc gauche du redoutable Breton.

Catherine vit la reine Yolande descendre vivement les marches du perron et s'avancer, les deux mains tendues, un rayonnant sourire aux lèvres, vers l'arrivant. Elle vit le dur visage de Richemont s'adoucir tandis qu'il s'agenouillait pour baiser la belle main qu'on lui offrait.

D'où elle était, Catherine ne pouvait entendre ce qui disait, mais elle remarqua qu'entre la duchesse-reine et le chef de guerre l'entente semblait complète, absolue et en tira un profond réconfort. Elle se souvenait de la sympathie que Richemont avait toujours montrée à Arnaud et de l'obstination avec laquelle cet homme de fer menait ses affaires. Yolande, Richemont, c'étaient les deux indestructibles piliers sur lesquels elle comptait bâtir l'avenir de son petit Michel.

Une demi-heure plus tard, enfouie dans un grand cuveau plein d'eau chaude et parfumée, elle avait presque oublié et sa misère des derniers jours et sa fatigue. Les yeux clos, le cou appuyé au rebord habillé de draps, Catherine se laissait aller, corps abandonné, muscles et nerfs détendus. La chaleur de l'eau pénétrait chacune des fibres de son être, leur communiquant un engourdissement bienfaisant. Elle avait la sensation profonde d'abandonner, au fond de ce bain tout embaumé d'herbes balsamiques, en même temps que la saleté, sa peur, sa souffrance et même dix ans d'âge. Son esprit était plus clair, son sang circulait mieux. De nouveau, elle savait qu'elle était jeune, forte et que ses armes féminines demeuraient intactes. Cela, elle l'avait lu dans les yeux admiratifs des deux servantes qui l'avaient aidée à entrer dans son bain et qui maintenant, ouvrant des coffres, sortant des linges et des draps, s'activaient à préparer son coucher tandis qu'elle se reposait.

Oui, elle était toujours aussi belle et c'était bon de le savoir !

Sara dormait dans le réduit où on l'avait portée plutôt que conduite.

C'était tout juste si elle avait ouvert un œil entre la galerie du bord de l'eau et son lit, mais, pour une fois, Catherine pouvait se passer d'elle.

Maintenant, le lit était prêt, l'eau du bain couverte de plaques grisâtres qui en disaient long sur le degré de crasse que Catherine avait apportée d'Auvergne et l'une des caméristes tendait déjà un drap chauffé au feu pour en envelopper la baigneuse. Celle-ci se leva et demeura un instant debout dans la cuve, chassant, de ses deux paumes, les gouttelettes qui roulaient sur ses hanches. Au même instant, les dalles de l'étroite galerie, au– dehors, claquèrent sous un pas rapide chaussé de fer, la porte s'ouvrit sous la poussée d'une main péremptoire et un homme entra dans la chambre.

Son exclamation de stupeur fit écho au cri horrifié de Catherine. De l'homme si soudainement apparu, ses yeux agrandis ne détaillèrent rien, ils virent seulement que c'était presque un géant et qu'il était blond. D'un geste brusque, elle arracha le drap des mains de la servante et s'en drapa sans se soucier de le tremper à moitié.

– Comment osez-vous ? Sortez ! Sortez immédiatement ! s'écria-t-elle.

Le spectacle qui s'était offert à lui, joint à l'apostrophe furieuse de Catherine, avait plongé l'arrivant dans une complète stupeur. Il arrondit les yeux, ouvrit la bouche sans parvenir à articuler une seule parole tandis que Catherine, outrée, hurlait :

– Eh bien, qu'attendez-vous ? Je vous ai déjà dit de sortir ! Vous devriez être loin !

Apparemment, il était changé en pierre et, quand enfin il retrouva l'usage de la parole, ce fut pour bredouiller :

– Qui... qui êtes-vous ?

– Cela ne vous regarde pas ! Et quant à vous, je peux vous dire ce que vous êtes : un malappris ! Allez– vous-en !

– Mais..., commença le malheureux.

– Pas de mais ! Vous êtes encore là ?

Folle de colère, Catherine ramassa dans la cuve une grosse éponge et la projeta vigoureusement, toute gonflée d'eau, sur l'ennemi. Elle avait bien visé. L'éponge atteignit l'intrus en plein visage. En un instant, la cotte d'armes en soie bleue qu'il portait sur son armure fut trempée. Et, cette fois, il battit en retraite. Balbutiant de vagues excuses, le chevalier s'enfuit en courant, dans un grand bruit de ferraille. Catherine alors sortit de son bain avec la dignité d'une reine offensée, mais les deux servantes, médusées, ne firent pas un mouvement pour l'aider.

– Eh bien ? fit-elle d'un ton sec.

– Est-ce que la noble dame sait qui elle vient de traiter comme voilà ? articula enfin l'une d'elles. C'était monseigneur Pierre de Brézé

! Il tient de fort près à Madame la Reine dont il est très écouté. De plus...

– Cela suffit ! coupa Catherine. Eût-il été le Roi en personne que je n'aurais pas agi autrement. Essuyez– moi : j'ai froid !

Catherine avait chassé de sa pensée, avec quelque humeur, l'indiscret visiteur et souhaitait surtout ne plus le rencontrer car elle avait conscience de la position ridicule où il l'avait mise. Ce fut pourtant lui qu'elle vit le premier quand, le lendemain matin, elle pénétra dans la grande salle du château où la duchesse-reine l'avait fait appeler, mais, chose bizarre, elle en fut moins affectée qu'elle ne l'eût cru. Une bonne nuit, un copieux déjeuner et une toilette soignée avaient opéré, en elle un miracle. Elle se sentait une tout autre femme, prête à tous les combats.

Yolande, devant son évident dénuement, lui avait envoyé quelques robes à choisir. Celle que Catherine avait revêtue était de lourd brocart noir sous un surcot de drap d'argent ourlé de zibeline. Le grand hennin pointu qui coiffait la jeune femme était du même brocart et supportait un flot de mousseline noire givrée d'argent composant ainsi un deuil somptueux et bien propre à mettre en valeur la beauté de Catherine. Si, d'ailleurs, son miroir lui avait laissé là-dessus quelques doutes, le murmure qui accueillit son entrée dans la salle du conseil les lui eût ôtés. Mais ce fut dans un profond silence qu'elle s'avança vers le trône où était assise la reine Yolande.

Il n'y avait là, hormis la reine et elle-même, que des hommes, en petit nombre d'ailleurs, sept ou huit, dont le plus grand était Pierre de Brézé et le plus imposant le connétable de Richemont, debout sur les marches du trône. À côté du haut fauteuil de Yolande, mais un peu plus bas, une chaire supportait un très vieil homme en habits sacerdotaux encore droit malgré ses quatre-vingt six ans et dont les yeux faibles s'ornaient d'une paire de lunettes : Hardouin de Bueil, évêque d'Angers.

La salle était immense et Catherine dut vaincre une soudaine timidité pour s'y engager. Des bannières multicolores bougeaient, doucement contre les voûtes de pierre et les murs disparaissaient sous une immense et fastueuse tapisserie dont les tons dominants étaient le bleu et le rouge et qui retraçait les scènes fantastiques de l'Apocalypse de saint Jean. Le silence était si profond que le bruissement soyeux de sa robe emplissait les oreilles de Catherine, mais, comme elle avait parcouru à peu près la moitié du trajet, un pas rapide fit sonner les dalles : le connétable venait au-devant d'elle.

En la rejoignant, Arthur de Richemont s'inclina devant elle, et, offrant son poing fermé pour qu'elle y posât sa main, dit doucement :

– La bienvenue parmi nous, Madame de Montsalvy ! Plus que quiconque nous sommes heureux de vous voir, vous qui avez tant souffert pour une cause qui est nôtre ! Votre époux était encore bien jeune lorsqu'il combattit à mes côtés, à Azincourt, mais sa vaillance le faisait déjà remarquer. Je l'aimais profondément et j'ai le cœur navré de sa mort !

Débarrassé du heaume, le visage volontaire du prince breton – il devait succéder à son père comme duc de Bretagne – ravagé de balafres anciennes mais éclairé d'une paire d'yeux bleu clair au regard direct, s'offrait en pleine lumière. Catherine retrouva intacte l'impression de confiance qu'il lui avait donnée, la première fois qu'elle l'avait vu au moment de ses fiançailles avec la sœur de Philippe de Bourgogne, déjà veuve du Dauphin de France Louis de Guyenne. Cet homme avait la solidité d'un rempart, la netteté d'une lame d'épée, la valeur de l'or pur. Pour lutter contre les larmes qui lui venaient, elle lui sourit et plongea dans une révérence tout en posant sa main sur celle qu'on lui offrait.

– Monseigneur, votre accueil m'émeut et me touche plus que je ne saurais dire. Mais je vous prie de disposer de moi comme vous auriez disposé de mon époux bien-aimé s'il avait plu à Dieu de me le laisser ! Je n'ai plus, ici-bas, d'autre désir que le venger et rendre à son fils ce qui lui est dû !

– Il en sera fait selon votre désir. Venez !

Côte à côte, ils s'avancèrent vers le trône où Yolande attendait. Elle sourit à la jeune femme.

– Saluez Sa Révérence l'évêque de notre bonne ville puis venez vous asseoir ici, dit-elle en désignant un coussin de velours disposé sur les marches du trône.

Lorsque Catherine y fut installée, on lui présenta les hommes présents. Il y avait là, outre Pierre de Brézé dont les yeux ne la quittaient pas, le seigneur de Chaumont, époux de la gentille Anne, le frère de celle-ci, Jean de Bueil, gouverneur de Sablé, Ambroise de Loré, Pregent de Coetivy, ami personnel du connétable, enfin, un peu à l'écart, un homme d'aspect modeste et de mine taciturne qui était l'écuyer de Richemont et se nommait Tristan l'Hermite. Tous étaient jeunes, le plus vieux étant le connétable qui atteignait tout juste la quarantaine et tous vinrent baiser respectueusement la main de la jeune femme. Seul, Brézé y ajouta un soupir et un regard qui firent rougir Catherine jusqu'aux oreilles.

Elle chassa cette gêne avec impatience. Qu'avait-elle à faire de cet homme à la minute où tant de choses graves allaient être dites ? C'était de vengeance qu'il était question et non de se laisser conter fleurette par le premier damoiseau venu ! Elle lui jeta un regard sévère et détourna la tête.

Mais, déjà, la Reine prenait la parole.

– Messeigneurs, nous voici maintenant au complet puisque nous ne pouvons espérer la présence des capitaines La Hire et Xaintrailles qui guerroient en Picardie. Lors de votre précédente réunion qui eut lieu en septembre dernier, à Vannes, aux funérailles de la duchesse de Bretagne, Madame Jeanne de Valois, vous avez conclu un accord visant à la perte de Georges de La Trémoille. Il est, je pense, inutile que je vous rappelle ses méfaits. Non content d'avoir livré Jehanne la Pucelle, de faire régner la terreur dans le royaume, de réduire le Roi à la misère tandis qu'il s'enrichit lui– même scandaleusement, de le jeter en prison et de ruiner les meilleurs d'entre nous, tels Louis d'Amboise qui vous est cousin à tous, et Arnaud de Montsalvy, de livrer aux Anglais la ville de Montargis qui est à Madame de Richemont, d'avoir porté la guerre sur nos propres terres et fait piller et ravager par son valet Villa-Andrado l'Auvergne, le Limousin et le Languedoc, cet homme ose encore s'opposer aux tentatives de rapprochement que, depuis des mois, patiemment, nous avions entreprises avec le duc de Bourgogne. Depuis près d'une année, le légat du pape, le cardinal de Sainte-Croix, Nicolas Albergati, tient conférence sur conférence avec les envoyés de Bourgogne pour aboutir à la paix. Et que fait pendant ce temps La Trémoille ? En octobre passé, il essaie d'assiéger Dijon et lance en même temps une maladroite tentative d'assassinat contre le duc Philippe au moment précis où la mort de la duchesse de Bedford, sœur de Philippe, le détournait de l'alliance anglaise. Cela ne peut durer ! Jamais nous ne parviendrons à chasser l'Anglais et à rendre la paix à ce royaume tant que le Grand Chambellan tiendra le Roi sous sa griffe. Vous avez juré, messeigneurs, d'en purger la France.

J'attends ce que vous avez à me proposer !

Un silence suivit le réquisitoire de la Reine. Catherine retenait son souffle, pesant au fond d'elle-même les nouvelles qu'elle apprenait ici.

Elle découvrait combien elle avait été éloignée de tous ces événements et aussi, non sans surprise, qu'une tentative d'assassinat contre son ancien amant, Philippe de Bourgogne, la laissait insensible.

Les liens qui les avaient unis étaient rompus, sans plus laisser de trace que l'amarre tombée d'un navire qui s'éloigne de la terre. Et c'était comme si une autre qu'elle-même eût vécu ces heures brûlantes dans les bras du beau duc et comme si ce ne fût pour elle rien d'autre qu'une histoire entendue un soir, à la veillée.

Cependant, tous les regards, y compris celui de Catherine, se tournaient vers le connétable. Tête basse, les bras croisés sur sa poitrine, il semblait réfléchir profondément. Ce fut l'évêque octogénaire qui rompit le silence. Sa voix grelotta comme une clochette fêlée.

– Par deux fois, Sire Connétable, vous avez débarrassé le Roi, et cela malgré lui, de ses indignes favoris. Une troisième fois vous ferait-elle peur ? Qu'a le Sire de La Trémoille de plus que Pierre de Giac ou le Camus de Beaulieu ? Vous avez fait coudre le premier dans un sac jeté à l'Auron, égorger le second ; pourquoi donc La Trémoille vit-il encore?

Parce qu'il se garde mieux que les autres. Giac se croyait protégé du Diable auquel il avait vendu sa main droite. La tête de Beaulieu n'était qu'un grelot vide. Celle de La Trémoille est pleine d'une dangereuse astuce. Il se sait haï et agit en conséquence. Nous avons juré sa perte, mais il semble que ce ne soit pas chose facile à réaliser.

L'évêque eut un rire sec.

– Il s'agit seulement de frapper. Je vois mal ce qui vous retient.

Vous êtes tenu à l'écart de là cour, soit ! Mais vous avez suffisamment d'hommes dévoués...

– Et que ferait l'un de ces hommes dévoués ? coupa sèchement Richemont. Approcher La Trémoille est impossible pour qui n'a pas sa confiance. Il a fait du Roi, qu'il ne quitte jamais, son premier gardien. Depuis l'été il s'est enfermé avec lui dans la forteresse d'Amboise, et n'en est pas sorti à l'exception d'un court séjour, toujours avec le Roi, dans son propre château de Sully. Ce n'est pas le désir de tuer qui nous manque, c'est le moyen !

– Le ton morne du connétable glaça le sang de Catherine. Sur l'accoudoir du trône, elle vit se crisper la main de Yolande, sentit son agacement dans sa propre chair. Pourquoi ces atermoiements, ces questions qui semblaient devoir rester sans réponse. A quoi bon ce conseil si l'on devait seulement y constater l'impuissance des conjurés

? Mais, comme la reine se taisait, elle n'osa pas davantage parler.

D'ailleurs l'évêque se levait avec agitation.

– Un habile archer peut atteindre n'importe quelle cible, n'importe où. Quand La Trémoille sort...

– Il ne sort jamais ! Il est devenu si gros et si lourd qu'aucun cheval ne saurait plus le porter. Il voyage en litière fermée, cernée de gardes et porte cotte de mailles pendant son sommeil, j'imagine !

– Frappez la nuit...

– Il ne partage même pas le logis du Roi qu'il juge trop peu sûr.

La nuit, c'est dans le donjon, sous la garde de cinquante hommes armés, que La Trémoille se laisse aller au sommeil.

– Le poison, alors, durant les repas.

Richemont poussa un soupir de lassitude. Ce fut son ami Prégent de Coetivy qui répondit, d'une voix sombre :

– Ses mets et ses vins sont goûtés par trois officiers du Roi.

Monseigneur de Bueil poussa un cri de colère, arracha ses lunettes et les jeta à terre.

– Est-ce là tout ce que vous avez à nous dire, Sire Connétable ?

Vous avouez ici votre impuissance ou bien La Trémoille est-il le démon incarné ? Par la mort-Dieu, Monseigneur, il s'agit d'un homme de chair et de sang, entouré d'autres hommes faibles ou cupides que l'on doit pouvoir acheter et qui vendraient leur dévouement au poids de l'or peut-être.

– Je me méfie des dévouements que l'on achète, seigneur évêque.

Certes, il nous faudrait un homme capable non seulement de se dévouer, mais encore de sacrifier sa vie, car il faudrait frapper sous les yeux mêmes du Roi et le meurtrier n'en sortirait pas vivant. Lequel d'entre vous, messires, est prêt à aller plonger sa dague dans la gorge de La Trémoille et à tomber aussitôt sous les coups des gardes ?

Un pesant silence suivit la question sarcastique du connétable. Les chevaliers se regardaient avec embarras et une bouffée de colère gonfla la poitrine de Catherine. Ces hommes n'avaient plus à faire leur réputation de vaillance. Parmi les plus braves, ils étaient les meilleurs et, pourtant, aucun d'eux n'osait avancer, n'osait mettre sa vie en jeu contre celle de leur ennemi. Ils voulaient bien combattre au grand jour, aux clairs rayons du soleil de la gloire, dans le fracas des armes et le claquement soyeux des oriflammes, mais tuer dans l'ombre, frapper par surprise et tomber ensuite sous les coups des valets, cela, leur orgueil le repoussait de toutes ses forces. Peut– être aussi se jugeaient-ils trop importants pour le royaume, trop nécessaires à l'éclat des armes de France pour se ravaler au rang d'exécuteur de basses œuvres ? Ou peut-être qu'ils n'avaient pas assez souffert de La Trémoille ? Sinon, ils ne désireraient rien d'autre que sa vie, son sang... par tous les moyens ? Ils lui vouaient une haine sans chaleur et leur combat était celui de la politique, du désir noble mais froid d'arracher le pouvoir et la personne du Roi de ses mains indignes. Mais ce n'était pas sa haine à elle, cette fureur née de ses entrailles mêmes de femme désespérée, frustrée de tout ce qui avait été son unique raison de vivre. Ils étaient, ces hommes, seulement indésirables à la cour et certains avaient vu un de leur proche pâtir de La Trémoille, mais ils n'avaient pas vu leurs châteaux en flammes, leurs noms salis, leurs vies menacées et l'être qui leur était le plus cher retranché à tout jamais du nombre des vivants.

Un goût de fiel emplit la bouche de Catherine tandis qu'une poussée de furieuse colère parcourait ses veines. Et, comme la voix grave de la Reine articulait, avec une pointe de mécontentement : «

Enfin, messires, il faut tout de même décider de quelque plan », elle quitta son siège et vint s'agenouiller devant le trône.

– S'il plaît à Votre Majesté, je suis prête, moi, à faire ce geste devant lequel reculent ces chevaliers ! Je n'ai plus rien à perdre, que la vie... et ce m'est fort peu de chose si je puis venger mon époux bien-aimé. Daignez seulement vous souvenir, Madame, que j'ai un fils et veiller sur lui.

Un grondement de colère salua ses paroles. D'un même mouvement, les seigneurs s'étaient rapprochés des marches sur lesquelles Catherine était agenouillée et tous avaient crispé leur main sur la garde de leur épée.

– Dieu me pardonne ! s'écria Pierre de Brézé d'une voix altérée.

Je crois que Madame de Montsalvy nous prend pour des lâches ! Lui laisserons-nous, messeigneurs, de telles idées en tête ?

De tous côtés jaillirent des protestations indignées que vinrent arracher brusquement quelques paroles prononcées d'une voix glaciale.

Avec la permission de la Reine et celle de Monseigneur le Connétable, j'oserai dire, messeigneurs, que ceci ne sert à rien, que vous perdez votre temps et vos paroles ! Il ne s'agit point ici de disputer à qui montrera le plus d'héroïsme, mais de discuter froidement de la mort d'un homme et des moyens d'y parvenir. Or, aucun de ceux que j'ai entendu avancer jusqu'ici ne m'a paru bon.

L'autorité tranquille de cette voix avait fait retourner Catherine. Le cercle des chevaliers s'ouvrit, livrant passage à l'homme que l'on avait nommé Tristan l'Hermite et qui occupait le poste assez modeste d'écuyer du connétable. La jeune femme le regarda plus attentivement tandis qu'il s'avançait. C'était un Flamand d'une trentaine d'années, blond avec des yeux d'azur pâle et le visage le plus froid le plus immobile que Catherine eût jamais vu. Pas un muscle n'y bougeait.

Visage lourd, d'ailleurs, aux traits vulgaires, mais auquel sa totale impassibilité conférait une sorte de majesté. Il plia le genou devant la Reine, attendant la permission de poursuivre. Richemont consulta Yolande du regard puis dit :

– La Reine permet que tu parles ! Qu'as-tu à dire ?

– Ceci : le Grand Chambellan ne peut être atteint de l'extérieur puisqu'il ne sort pas, il faut donc que ce soit à l'intérieur et à l'intérieur d'une demeure royale, puisqu'il les a faites siennes et qu'il se retranche derrière leurs garnisons.

– C'est tout juste ce que nous venons de dire, fit Jean de Bueil avec une grimace. Autrement dit, c'est impossible !

– C'est impossible à Amboise, reprit Tristan l'Hermite sans se démonter. Parce que le gouverneur est à lui, mais ce serait possible dans un château dont le gouverneur serait à nous. Chinon, par exemple, dont le gouverneur, messire Raoul de Gaucourt, s'est rallié secrètement à Monseigneur le Connétable et lui est tout dévoué.

Un frisson glacé courut rétrospectivement le long du dos de Catherine

; Raoul de Gaucourt ! L'ancien gouverneur d'Orléans, l'homme qui l'avait jadis mise à la torture, condamnée à la potence ! Il haïssait Jehanne d'Arc et l'avait combattue sourdement. Qu'avait bien pu lui faire La Trémoille pour qu'il changeât aussi radicalement de camp ?

Mais Richemont, d'un ton rogue, répondait à son écuyer :

– En effet, nous aurions une chance si l'on pouvait amener. La Trémoille, et le Roi bien entendu, à Chinon. Mais le Grand Chambellan n'aime pas Chinon. L'ombre de la Pucelle y est trop présente et les petites gens de la ville lui ont gardé leur cœur. Le Roi est trop facilement influençable. La Trémoille craint qu'il entende encore, dans la Grande Salle, l'écho de la voix de Jehanne. Il ne sait pas que Gaucourt nous est revenu, mais il n'acceptera jamais de ramener le Roi à Chinon!

– Et pourtant, s'écria Catherine, il faut qu'il l'y ramène ! N'y a-t-il personne qui ait quelque influence sur lui ? Il s'agit seulement d'une répugnance sentimentale que l'on pourrait tourner. Tout homme, selon moi, a son point faible qu'il suffit d'exploiter. Quel est-il pour le Grand Chambellan ?

Cette fois, la réponse vint d'Ambroise de Loré, un Angevin roux qui ne souriait jamais.

– Il en a deux : l'or et les femmes ! lança-t-il. Sa soif de l'un n'a d'égale que son insatiable désir des autres. Qu'il se trouve une fille assez belle pour lui mettre la folie dans le sang et il en arriverait peut-

être à faire une sottise !

Tandis que Loré parlait, son regard détaillait Catherine avec une insolence brutale qui lui mit le feu aux joues. L'intention de l'Angevin était si claire qu'une soudaine révolte étrangla la jeune femme. Pour qui la prenait-il, ce grand seigneur cynique ? Pensait-il mettre au lit de La Trémoille la femme d'Arnaud de Montsalvy ? Pourtant, elle retint la réplique acerbe qui lui montait aux lèvres... Peut-être y avait-il là une idée, après tout ? Entre affoler un homme et se donner à lui, il y a une marge et qui sait si...


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