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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Lentement, Fero leva sa lourde main et la posa sur l'épaule de Sara.

– Sois la bienvenue, ma sœur. L'homme qui t'accompagne n'avait pas menti. Tu es des nôtres et ton sang est pur car tu sais les vieux chants rituels que seuls connaissent les meilleurs d'entre nous. Quant à celle– ci... – Son regard noir détailla Catherine qui eut l'impression soudaine d'être enveloppée de flammes... – sa beauté sera le joyau de notre tribu. Venez, les femmes prendront soin de vous...

Il s'inclina devant Sara comme devant une reine puis entraîna Tristan vers le feu tandis qu'un cercle jacassant se refermait sur les deux femmes. Catherine, ahurie, les oreilles bourdonnantes, se laissa conduire vers les quelques chariots massés au pied d'une des tours.

Une heure plus tard, étendue entre Sara et la vieille Orka, la mère de l'homme qui avait été pendu, elle essayait à la fois de se réchauffer et de mettre de l'ordre dans ses idées. Tristan était reparti pour l'auberge du « Pressoir Royal » où il resterait à la disposition de ses compagnes, aux aguets, mais tout de même à l'écart du camp tzigane où sa présence pourrait surprendre. Il avait emporté les vêtements de Catherine et de Sara que le premier soin des femmes de la tribu avait été d'habiller avec ce que l'on avait pu trouver dans les coffres. Et, maintenant, vêtue seulement d'une longue chemise de toile, si rude qu'elle lui irritait la peau, et d'une sorte de couverture bariolée et passablement effrangée mais à peu près propre, drapée par-dessus à la manière d'une toge romaine, les pieds nus, Catherine se recroquevillait contre Sara, les jambes repliées sous elle, pour essayer d'avoir moins froid. Elle aurait donné n'importe quoi pour une botte de paille, mais, dans ce chariot couvert d'une bâche trouée, il n'y avait, sur les planches mal jointes, que de mauvais chiffons pour préserver des courants d'air et de la dureté du bois... Un soupir lui échappa et Sara, la sentant remuer, chuchota :

– Tu es bien sûre de ne rien regretter ?

La trace d'ironie que comportait la question n'échappa pas à.

Catherine. Elle serra les dents.

– Je ne regrette rien... mais j'ai froid.

– Tu n'auras pas froid longtemps. D'abord, on se fait à tout, et puis les beaux jours vont venir.

La jeune femme ne répondit rien. Elle sentait que Sara, peut-être parce qu'elle s'était réadaptée aussitôt à la vie difficile des siens, n'avait pour elle aucune compassion. Il y avait, dans sa voix, une sorte de contentement paisible, celui d'avoir rejoint ses sources profondes.

Et Catherine se jura d'être à la hauteur du rôle qu'elle avait voulu jouer car elle ne voulait pas perdre la face aux yeux de Sara. Elle se contenta donc de s'envelopper plus étroitement dans sa couverture, en prenant bien soin d'y enfermer ses pieds glacés, et de marmonner un vague bonsoir. À côté d'elle, la vieille Orka dormait sans plus bouger ni faire de bruit que si elle était morte.

Quand le jour revint, Catherine dut se mêler à la tribu et put, par la même occasion, en mesurer la misère. Les feux de la nuit mettaient une sorte de fard sur la vétusté des chariots, la crasse des corps et des vêtements. Le jour éclaira cruellement les enfants qui allaient à peu près nus sans paraître en souffrir, les animaux étiques, chiens, chats, chevaux errant à travers le campement à la recherche d'une quelconque nourriture et aussi le visage réel des Tziganes.

Pour vivre, certains tressaient des paniers avec les joncs du fleuve, mais la plupart étaient des chaudronniers. Leurs forges, cependant, étaient rudimentaires : trois pierres en guise de foyer, un soufflet en peau de chèvre actionné par les orteils et une autre pierre comme enclume. Quant à leurs compagnes, elles lisaient dans les lignes de la main, faisaient la cuisine et promenaient partout leur démarche nonchalante, roulant des hanches d'une manière provocante. Leur façon de s'habiller étonnait aussi Catherine ; il n'était pas rare de rencontrer une femme vaquant, les seins nus, à ses occupations, mais toutes cachaient leurs jambes jusqu'au bout des pieds.

– La pudeur, chez nous, s'attache aux jambes, déclara Sara avec dignité. La poitrine n'a d'autre importance que celle de son rôle : la nourriture des enfants.

Quoi qu'il en soit, songeait Catherine, les hommes avaient l'air de démons avec leurs yeux sauvages et leurs dents blanches, les femmes de diablesses effrontées quand elles étaient jeunes, d'inquiétantes sorcières quand elles étaient vieilles. Et la jeune femme s'avouait secrètement que tous ces gens lui faisaient peur.

Plus que tous, peut-être, le grand Fero. Le visage rude du chef semblait se faire plus farouche encore lorsqu'il la regardait. Son regard noir luisait comme celui d'un chat tandis qu'il se mordait nerveusement les lèvres.

Mais il ne lui adressait jamais la parole et passait son chemin lentement, se retournant parfois pour la regarder encore.

Complètement dépaysée, Catherine s'accrochait désespérément à Sara qui, elle, évoluait parmi ses frères de race avec une souveraine aisance. Tous lui montraient une déférence dont Catherine bénéficiait, comprenant par ailleurs fort bien que, sans Sara, on l'eût sans doute méprisée, elle, cette Tzigane de raccroc qui ne parlait même pas le langage commun. Pour éviter les curiosités, Sara, par prudence, la faisait passer pour simple d'esprit... Évidemment, c'était assez commode, mais, malgré tout, Catherine s'habituait mal à voir les Tziganes cesser de parler quand elle s'approchait et la suivre des yeux lorsqu'elle s'éloignait. Elle était environnée de regards dans lesquels elle pouvait lire bien des choses : moquerie envieuse chez les femmes, convoitise sournoise chez la plupart des hommes.

– Ces gens ne m'aiment pas, dit-elle à Sara au bout de trois jours.

Sans toi, ils ne m'auraient jamais acceptée.

– Ils sentent en toi une nature étrangère, répondit la bohémienne, cela les étonne et les offusque. Ils pensent que tu as quelque chose de surnaturel, mais ils ne savent pas bien ce que c'est. Certains croient que tu es une keshalyi, une bonne fée, qui leur portera chance – c'est ce que Fero tente de leur faire croire – d'autres disent que tu as le mauvais œil. Ce sont les femmes, en général, parce qu'elles savent lire dans les yeux de leurs hommes et que tu leur fais peur.

– Que faire alors ?

Sara haussa les épaules et désigna, d'un mouvement de tête, le château dont la masse noire les dominait.

– Attendre. Peut-être que le temps viendra bientôt où le seigneur La Trémoille demandera qu'on lui envoie d'autres danseuses. Deux des filles de la tribu sont là– haut depuis huit jours et il est inhabituel, d'après ce que dit Fero, qu'on les garde aussi longtemps. Il pense qu'on a dû les tuer.

– Et... il accepte cela ? s'écria Catherine la bouche soudain sèche.

– Que peut-il faire ? Il a peur, comme tous ceux d'ici. Il ne peut qu'obéir et livrer ses femmes, même s'il porte la rage au cœur. Il sait trop bien que, s'il plaisait au Chambellan d'aligner une compagnie d'archers sur la courtine et de faire tirer sur le camp, personne ne viendrait l'en empêcher, surtout pas les gens de la ville qui craignent, les errants comme le diable.

Une amertume passait dans la voix de Sara ; Catherine comprit qu'elle partageait la rage de Fero parce que les femmes sacrifiées au plaisir de La Trémoille étaient de sa race. Elle eut envie, soudain, de la réconforter.

– Cela ne durera plus maintenant. Prions le ciel pour que l'on me fasse bientôt monter là-haut.

– Prier pour que le danger vienne à toi ? fit Sara tristement. Tu dois être folle !

Mais Catherine ne songeait qu'à cet instant où le caprice du Grand Chambellan les mettrait face à face. Chaque soir, autour du feu, après le repas pris en commun, elle observait soigneusement les filles que Fero faisait danser pour pouvoir les imiter quand le temps serait venu.

Le chef ne lui adressait jamais la parole, mais elle savait que c'était pour elle qu'il demandait des danses tous les soirs et, souvent, elle croisait son regard sombre, énigmatique et lourd.

Pourtant, parmi les femmes, Catherine s'était fait deux amies : la vieille Orka d'abord, qui ne parlait pas, mais qui pouvait rester des heures à la regarder en hochant la tête. On disait que la mort de son fils lui avait fait perdre l'esprit, mais Catherine trouvait un réconfort à rencontrer ce vieux visage amical. L'autre femme qui ne se montrait pas hostile était la propre sœur de Fero. Tereina devait avoir une vingtaine d'années ; malheureusement elle était restée bossue et contrefaite à la suite d'une chute quand elle était enfant et ne paraissait pas avoir beaucoup plus de douze ans. Elle avait un visage ingrat, que l'on oubliait cependant en regardant ses yeux : deux lacs noirs, immenses et lumineux, qui

avaient toujours l'air de voir plus loin et plus profond que les autres.

Tereina était venue vers Catherine dès le lendemain de son arrivée.

Sans rien dire, avec un sourire timide, elle lui avait tendu un canard dont elle avait proprement tordu le cou. Catherine avait compris que c'était là un présent de bienvenue et elle avait remercié la jeune fille.

Mais elle n'avait pu s'empêcher d'ajouter :

– Où l'as-tu pris ?

– Là-bas, répondit la jeune fille. Près de la mare du couvent.

– C'est généreux à toi de me l'apporter, mais tu sais ce que tu risques à prendre le bien d'autrui ?

Tereina alors avait ouvert de grands yeux surpris.

– Autrui ? Qui est autrui, sinon le Créateur ? Il a créé les bêtes pour nourrir les. hommes. Pourquoi donc certains les garderaient-ils pour eux seuls ?

Catherine n'avait rien trouvé à répondre à cette logique. Elle avait partagé le canard, préalablement rôti, avec Tereina. Depuis, la jeune fille s'était attachée à elle et l'aidait à s'habituer à son nouvel état.

Dans la tribu, la sœur du chef jouissait d'un rang particulier. Elle connaissait les vertus des simples et, à cause de cette connaissance, elle était la drabarni, la femme aux herbes qui peut écarter la maladie, adoucir la mort ou faire naître l'amour. Cela lui valait le respect un peu craintif de tous.

Le quatrième jour, quand vint le crépuscule, Fero ne fit pas appeler les deux femmes auprès de son feu, comme les autres soirs, pour partager le repas. Elles restèrent autour de la marmite de la vieille Orka et avalèrent en silence le ragoût de blé noir et de lard fortement parfumé d'ail sauvage qu'elle avait préparé. Le campement était silencieux et morne car on n'avait toujours pas de nouvelles des deux filles montées au château. D'autre part, une dizaine d'hommes s'étaient éloignés pour pêcher dans la Loire sans risquer de tomber sous la lourde main des forestiers royaux. Ils ne reviendraient que dans deux ou trois jours.

Fero, retranché dans son chariot, était invisible et il n'y aurait ce soir ni chants ni danses. Le ciel, tout le jour, avait charrié de gros nuages noirs. Il avait fait une chaleur inaccoutumée pour la saison. Cela sentait l'orage et Catherine, oppressée, avait du mal à respirer. Elle avait à peine touché à la soupe trop grasse dont l'odeur forte lui faisait mal au cœur et elle allait remonter dans le chariot pour dormir quand, soudain, Tereina était apparue auprès du feu. Une pièce d'étoffe rouge sombre drapait. son corps contrefait et son visage pâle, jailli de l'ombre, était semblable à celui d'un fantôme. Sara lui désignait déjà, de la main, une place auprès d'elle, mais la jeune fille n'avait regardé que Catherine.

– Mon frère te demande, Tchalaï. Je vais te conduire auprès de lui.

– Que lui veut-il ? demanda vivement Sara en se levant.

– Qui suis-je pour le lui demander ? Le chef ordonne, il doit être obéi.

– Je vais avec elle.

– Fero a dit Tchalaï seule. Il n'a pas dit Tchalaï et Sara. Viens, ma sœur. Il n'aime pas attendre.

Et la jeune fille, reculant d'un pas, rentra dans l'ombre. Catherine, alors, suivit sans un mot le petit fantôme rouge. L'une derrière l'autre, elles traversèrent une bonne partie du camp silencieux. Les feux s'éteignaient déjà et les Tziganes se retiraient pour dormir. La nuit était sombre. L'on y voyait mal. Soudain, comme le chariot à roues pleines qui servait de logis au chef, éclairé à l'intérieur par une lampe à huile, n'était plus qu'à quelques pas, Tereina s'arrêta et se tourna vers Catherine. Celle-ci vit briller, dans l'ombre, les grands yeux de la Tzigane.

– Tchalaï, ma sœur, tu sais que je t'aime, dit-elle gravement.

– Je le crois, du moins. Tu as toujours été bonne avec moi.

– C'est parce que je t'aime. Mais, ce soir, je veux te le prouver.

Tiens... prends ceci et bois.

Elle avait tiré de son vêtement une petite fiole et la mettait dans la main de Catherine, toute chaude de sa propre chaleur.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda la jeune femme soudain méfiante.

– Quelque chose dont tu as grand besoin. J'ai lu en toi, Tchalaï.

Ton cœur est froid comme le cœur d'une morte et je veux que ton cœur revive. Avec ce que je te donne, ton cœur revivra. Bois sans hésiter, à moins que tu ne te défies de moi ? ajouta-t-elle avec tant de tristesse que Catherine sentit sa méfiance s'amollir.

– Je ne me méfie pas de toi, Tereina, mais pourquoi ce soir ?

– Parce que c'est ce soir que tu en auras besoin. Bois sans crainte, ce sont des herbes bénéfiques. Tu ne sentiras plus ni fatigue ni découragement. J'ai fait ce mélange pour toi... parce que je t'aime.

Quelque chose de plus fort qu'elle poussa Catherine à porter à ses lèvres le petit flacon. Il dégageait un parfum d'herbes, puissant mais agréable. Elle n'avait plus aucune crainte. On n'offre pas le poison avec cette tendresse dans la voix... D'un trait, elle avala le contenu puis toussa. C'était comme une flamme parfumée qui avait coulé en elle et, instantanément, elle se sentit plus forte et plus vaillante. Elle sourit au visage tendu de la jeune fille.

– Voilà, tu es contente ?

Doucement, Tereina serra sa main, sourit à son tour.

– Oui... Va, maintenant. Il t'attend.

En effet, sous la toile soulevée du chariot, la silhouette de Fero se découpait en noir sur le fond éclairé. Tereina disparut comme par enchantement tandis que Catherine, prise d'un nouveau courage, s'avançait vers le logis du chef. Il tendit la main sans rien dire, l'aida à monter dans le véhicule et laissa retomber la toile sur eux. Au même instant, un éclair livide illumina le ciel tandis qu'au bout de l'horizon le tonnerre éclatait. Catherine, surprise, sursauta. Les dents blanches de Fero étincelèrent entre ses lèvres rouges.

– Tu as peur de l'orage ?

– Non. J'ai seulement été surprise. Pourquoi aurais-je peur ?

Un nouveau coup de tonnerre, plus brutal que le premier, lui coupa la parole. Et aussitôt la pluie se mit à tomber ; une pluie violente, hargneuse, qui frappait comme un tambour le feutre tendu du chariot.

Fero alla s'étendre sur les couvertures pliées qui lui servaient de lit. Il avait ôté son pourpoint et portait seulement ses chausses écarlates. La lampe à huile accrochée à un des arceaux de fer de la voiture faisait briller sa peau brune et ses longs cheveux noirs rejetés en arrière. Son regard ne quittait pas Catherine demeurée près de l'entrée. Il eut un nouveau sourire, lent, un peu moqueur.

– Je crois, en effet, que tu n'as pas peur de grand– chose... puisque tu es ici. Sais-tu pourquoi je t'ai fait venir ?

– Je pense que tu vas me l'apprendre.

– En effet, je voulais te dire que cinq de mes hommes t'ont déjà demandée pour femme. Ils sont prêts à se battre pour toi. Il va te falloir choisir celui avec lequel tu prendras le pain et le sel et casseras la cruche des épousailles.

Catherine eut un haut-le-corps et abandonna aussitôt le tutoiement de son rôle.

– Vous perdez la tête, je pense. Oubliez-vous qui je suis et pourquoi je suis ici ? Je veux entrer au château, un point c'est tout.

Une flamme cruelle s'alluma dans les yeux du chef tzigane et il haussa les épaules.

– Je n'oublie rien. Tu es une grande dame, je sais. Mais tu as voulu vivre parmi nous et, bon gré, mal gré, il te faut subir nos coutumes. Quand plusieurs hommes demandent une femme libre, elle doit choisir parmi eux, à moins qu'elle n'accepte le combat qu'ils se livreront et n'appartienne au vainqueur. Tous mes hommes sont braves et tu es belle : le combat sera chaud.

Une flamme de colère monta au visage de Catherine.

Ce garçon insolent, étendu à demi nu devant elle, disposait de sa personne avec un cynisme révoltant.

– Vous ne pouvez me contraindre à ce choix. Messire l'Hermite...

– Ton compagnon ? Il n'oserait s'immiscer dans les coutumes de mon peuple. Si tu veux rester ici, tu dois vivre comme une vraie tzingara ou, du moins, faire semblant. Nul ne comprendrait, parmi les miens, qu'une de mes sujettes repousse la loi.

– Mais je ne veux pas, gémit Catherine d'une voix qui se brisait tandis qu'un sanglot montait dans sa gorge. Ne pouvez-vous m'éviter cela ? Je vous donnerai de l'or... ce que vous voudrez. Je ne veux pas appartenir à l'un de ces hommes, je ne veux pas qu'ils se battent pour moi, je ne veux pas !

Elle avait noué ses mains en une inconsciente supplication et ses grands yeux noyés de larmes imploraient. Quelque chose s'adoucit dans le masque farouche du chef.

– Viens ici, dit-il doucement.

Elle ne bougea pas, continuant à le regarder sans comprendre.

Alors, il répéta, plus durement :

– Viens ici !

Et, comme elle demeurait figée, il se redressa, tendit un bras. Sa main empoigna Catherine par le bras et, d'une secousse, il la fit tomber à genoux auprès de lui. Elle poussa un cri de douleur, mais il se mit à rire :

– Pour quelqu'un qui n'a jamais peur, tu fais une étrange mine, mais je ne te ferai pas de mal. Ecoute-moi seulement, belle dame, noble dame... je suis noble, moi aussi. Je suis duc d'Égypte et je porte en moi le sang du maître du monde, du conquérant qui asservit les rois eux-mêmes.

Sa main remontait lentement le long du bras nu de Catherine, cherchait la rondeur de l'épaule qu'elle emprisonnait. La jeune femme le voyait de tout près, maintenant, et s'étonnait de la finesse de cette peau brune, de l'éclat de ces yeux étincelants qui la fascinaient. Cette main, sur sa peau, était chaude, comme devenait chaud, tout à coup, son sang à elle... Un brouillard passa devant les yeux de Catherine tandis que des vagues brûlantes parcouraient son corps. Cette main qui caressait son épaule, elle avait soudain envie qu'elle osât davantage...

Épouvantée de ce désir d'amour qui montait en elle, impérieux, et combien primitif, elle eut un sursaut, tenta d'échapper à la main qui la tenait, mais en vain.

– Que voulez-vous ? murmura-t-elle le souffle écourté.

La main glissait de nouveau sur son bras, le serrait pour l'attirer plus près encore de Fero. L'haleine chaude du chef brûla les lèvres de Catherine.

– Il y a pour toi un moyen d'échapper à mes hommes, un seul : on ne convoite pas le bien du chef...

Elle essaya de rire avec mépris, constata rageusement que son rire sonnait faux.

– Voilà donc où vous vouliez en venir ?

– Pourquoi pas ? Mais la demande de mes hommes est réelle.

J'ajoute que, si tu tiens au combat, je me battrai moi aussi pour t'avoir.

La poigne du Tzigane la maintenait à terre, presque contre sa poitrine. Il se pencha encore davantage et sa bouche frôla le visage tendu.

– Regarde-moi bien, belle dame. Dis-moi ce qui me différencie de ces grands seigneurs auxquels tu es réservée. Le Grand Chambellan à qui tu vas peut-être t'offrir est gras et repoussant. Il est vieux déjà et l'amour est pour lui un jeu difficile. Moi, je suis jeune, mon corps est vigoureux. Je peux t'aimer durant des nuits et des nuits sans me lasser. Pourquoi donc ne me choisirais-tu pas ?

Sa voix rauque avait un pouvoir envoûtant et, dans le corps tremblant de Catherine, le sang, incendié, bouillait. Avec horreur, elle découvrait qu'elle n'avait pas envie de résister, qu'elle désirait encore l'entendre, qu'elle avait faim d'amour... L'impulsion qui était si près de la jeter vers cet homme était si violente et si animale en même temps que Catherine sentit l'épouvante glisser dans son sang. En un éclair, elle comprit ce que Tereina lui avait fait boire. Un philtre d'amour !

Quelque infernale mixture destinée à la livrer, soumise et consentante, au chef tzigane.

Un sursaut d'orgueil vint à son secours. Sauvagement, elle s'arracha des bras qui la serraient déjà, se traîna à genoux au fond de la voiture et, s'agrippant aux montants, se releva. Contre son dos, elle sentit la rugosité du bois, l'humidité du feutre mouillé. Elle tremblait de tous ses membres et devait serrer les dents pour les empêcher de claquer.

Du fond de son cœur désespéré, une prière monta vers un ciel, devenu plus que jamais inaccessible, tandis que sa main cherchait machinalement, à sa ceinture, la dague à l'épervier, la dague d'Arnaud qu'elle avait l'habitude de porter. Mais Tchalaï la bohémienne n'avait pas de dague et la main sans défense s'agrippa à l'étoffe grossière du vêtement. Toujours accroupi dans l'ombre, pareil à quelque grand félin, Fero l'observait avec des yeux injectés de sang.

– Réponds, gronda-t-il. Pourquoi ne me choisirais-tu pas ?

– Parce que je ne vous aime pas. Parce que vous me faites horreur.

– Menteuse. Tu en as envie autant que moi. Tu ne vois pas tes yeux déjà troubles, tu n'entends pas ton souffle haletant.

Catherine eut un cri de rage.

– C'est faux ! Tereina m'a fait boire je ne sais quelle mixture diabolique et vous le savez, et vous comptez là-dessus ! Mais vous ne m'aurez pas parce que je ne le veux pas !

– Crois-tu ?

Une détente souple et il était debout contre elle, la bloquant entre sa poitrine et les arceaux de bois. Elle tenta de glisser de côté, mais elle pouvait à peine respirer. Et il y avait toujours cette brûlure au fond de son corps, primitive et avilissante, mais qui, au contact de cet homme, devenait impérieuse... Catherine serra les dents, appuya ses deux mains sur la poitrine de Fero, tentant vainement de le repousser.

– Laissez-moi, souffla-t-elle... Je vous ordonne de me laisser.

Il se mit à rire doucement, presque contre sa bouche, malgré l'effort que faisait Catherine pour détourner la tête.

– Ton cœur bat comme un tambour. Mais si tu « ordonnes » que je te laisse, je peux obéir... Je peux aussi appeler ces hommes qui veulent se battre pour toi et, comme je n'ai pas envie de perdre l'un d'eux à cause de tes grands yeux, je vais t'attacher dans ce chariot et je te livrerai à eux. Lorsque chacun t'aura possédée, ils sauront, du moins, s'ils ont encore envie de se battre. Je passerai le dernier... Est-ce que tu « ordonnes » toujours que je te laisse ?

Un nuage rouge passa devant les yeux de Catherine, né d'une soudaine bouffée de fureur. Cet homme osait parler d'elle comme d'une chose sans importance, que l'on dédaigne après l'avoir prise ?

Blessée dans son amour-propre et horrifiée devant la menace que Fero faisait luire à ses yeux, Catherine se sentit, tout à coup, plus indulgente pour les appels de sa chair bouleversée. En même temps, elle éprouva un besoin irrépressible de soumettre ce sauvage insolent, de le réduire à cet esclavage passionné où elle avait vu déjà tant d'autres hommes. Et puisque aussi bien c'était le seul moyen d'échapper au pire...

Elle cessa soudain de détourner la tête. Surpris de rencontrer sous ses lèvres cette bouche qui ne se défendait plus, Fero s'en empara avec avidité... Ses lèvres à lui étaient douces et avaient une odeur de thym.

Déjà triomphante, Catherine sentit qu'elles tremblaient légèrement, mais n'eut pas le temps de se réjouir. Le philtre maudit avait maintenant déchaîné en elle toutes les puissances de l'enfer. Elle ne pouvait plus lutter contre lui. Son cœur fou cognait contre ses côtes.

La violence de son sang l'étouffait et, sous les mains du Tzigane, ses hanches vibraient déjà... Il n'était d'ailleurs plus possible d'arrêter le délire amoureux de Fero, sourd et aveugle pour tout ce qui n'était pas ce corps de femme qu'il pressait contre le sien.

Catherine, alors, ferma les yeux et s'abandonna à la tempête! Mais, agrippant des deux mains les épaules moites du Tzigane, elle murmura

: – Aime-moi, Fero, aime-moi de toutes tes forces... mais sache que je ne te pardonnerai que si tu parviens à me faire oublier jusqu'à mon nom.

Pour toute réponse, il se laissa tomber à terre, l'entraînant avec lui.

Tous deux roulèrent, enlacés, sur le plancher crasseux.

Pendant toute la nuit, la tempête fit rage, secouant les chariots, tordant les arbres, arrachant les ardoises des toits, obligeant les archers de garde, aux créneaux du château, à se courber derrière les énormes merlons. Mais, dans le chariot au creux du fossé, Catherine ni Fero n'en entendirent rien. Au désir sans cesse renaissant de l'homme répondait cette étrange folie qui avait fait de la jeune femme une bacchante sans pudeur, criant de passion sous la violence du plaisir.

Quand la première lueur du jour glissa furtivement sur le fleuve, touchant de sa clarté blême et fumeuse les berges dévastées, la fraîcheur humide de l'aube s'infiltra sous le feutre détrempé, toucha les corps en sueur des deux amants. Catherine s'éveilla avec un frisson du pesant sommeil où elle avait sombré avec Fero quelques instants plus tôt. Elle se sentait lasse à mourir, la tête vide et la bouche amère, comme si elle avait trop bu. Au prix d'un pénible effort, elle repoussa le grand corps inerte de son amant, sans même l'éveiller, se remit debout. Tout se mit à tourner autour d'elle et elle dut s'appuyer aux arceaux pour ne pas tomber. Ses jambes tremblaient, une nausée lui souleva l'estomac. Une sueur froide perla à ses tempes et un instant elle ferma les yeux. Le malaise passa, mais l'envie de dormir revenait, insurmontable...

À tâtons, elle chercha sa chemise, l'enfila avec peine, ramassa sa couverture et sortit du chariot. Au-dehors, la

pluie avait cessé, mais de longues écharpes de brume jaune traînaient sur le fleuve. La terre était détrempée, des branches brisées par l'orage traînaient partout. Les pieds nus de Catherine enfoncèrent dans une boue épaisse et molle.. Elle fit trois pas et, malgré ses paupières lourdes, remarqua une forme rougeâtre blottie sous un chariot et qui bougea à son approche. Avec stupeur, elle reconnut Tereina. La jeune fille la regardait venir, et tout, dans son visage, criait le triomphe.

Alors Catherine se souvint de ce qui lui était arrivé par la faute de cette fille. La colère la réveilla. Elle se jeta sur la bohémienne, la saisit par son châle rouge :

– Que m'as-tu fait boire ? gronda-t-elle. Je t'ordonne de me répondre. Qu'est-ce que j'ai bu ?

Le sourire extasié de Tereina ne contenait pas une once de crainte.

– Tu as bu l'amour... Je t'ai donné le plus puissant de mes breuvages d'amour pour que ton cœur se réchauffe au feu qui brûlait dans celui de mon frère. Maintenant, tu es à lui... et vous serez heureux ensemble. Tu es vraiment ma sœur.

Avec un soupir, Catherine lâcha le châle. Elle retint les reproches qui lui venaient. À quoi bon ? Tereina ne savait rien de sa véritable personnalité. Elle n'avait vu en elle qu'une fille de sa race, une réfugiée que son frère désirait, et elle avait cru faire leur bonheur à tous les deux en la jetant dans les bras de Fero. Elle ne savait pas que l'amour et le désir peuvent être frères ennemis.

La petite bohémienne avait pris sa main et y posait sa joue dans un geste d'adoration.

– Je sais combien vous avez été heureux, chuchota-t-elle d'un ton de confidence... Toute la nuit, j'ai écouté... et j'étais heureuse, moi aussi.

Catherine sentit son visage s'empourprer. Au souvenir de ce qui s'était passé durant cette nuit diabolique, une vague de honte la submergea.

Elle se revit, elle, Catherine de Montsalvy, délirant sous les baisers d'un vagabond et, pour cela, elle se haïssait maintenant. Le philtre avait, certes, joué son rôle aphrodisiaque, mais Catherine avait pourtant une conscience d'une sorte de dualité inconnue dans son être.

Cette fille folle que le breuvage avait éveillée n'existait-elle pas réellement dans le tréfonds de son âme ? C'était elle, déjà, qui lui avait fait trouver du plaisir dans les bras de Philippe de Bourgogne, qui, sans l'intervention de Gauthier, l'aurait livrée à l'Écossais Mac Laren, qui faisait lever en elle ces vagues troubles au contact de certains hommes, qui, enfin, faisait taire les cris de son cœur, donné tout entier à son époux, sous ses exigeantes revendications et son besoin d'amour physique... La boue où s'enfonçaient ses pieds n'était ni moins épaisse ni moins puante que celle dont se formait la misérable nature humaine.

Doucement, elle posa sa main sur la tête de Tereina toujours courbée à ses pieds.

– Va dormir, lui dit-elle gentiment, tu es trempée, transie...

– Mais tu es heureuse, n'est-ce pas, Tchalaï ? Tu es vraiment heureuse ?

Encore un effort, le dernier, pour ne pas briser le cœur de cette innocente.

– Oui... murmura Catherine... très heureuse !

Refoulant ses larmes, le cœur lourd, Catherine poursuivit son chemin, s'enfonçant dans la brume comme pour y cacher sa honte.

Elle descendit jusqu'au fleuve, sans prendre garde aux cailloux qui la meurtrissaient, et ne s'arrêta que lorsque l'eau vint lécher ses pieds nus.

La Loire était grise et se confondait avec le ciel, mais des traces presque imperceptibles de lumière dorée frisaient déjà, de loin en loin, à la surface. L'eau bouillonnait, grosse de la grande pluie nocturne, gonflée d'une vigueur nouvelle. Catherine eut soudain envie de s'y plonger. Le fleuve-roi avait toujours été son ami et, dans cette aube triste, elle revenait tout naturellement vers lui pour lui demander d'apaiser son cœur malade.

Avec des gestes d'automate, elle laissa glisser ses vêtements et s'avança dans le courant. Il était fort et elle avait du mal à marcher sur le fond où roulaient des pierres. L'eau était fraîche et, quand elle atteignit son ventre, Catherine frissonna. Elle eut la chair de poule, mais continua d'avancer. Bientôt, elle en eut jusqu'aux épaules et ferma les yeux. Le courant massait son corps. Seuls, ses pieds crispés dans la vase la retenaient encore au sol. Il y eut tout à coup en elle un grand silence intérieur. Est-ce qu'il ne serait pas mieux que tout s'arrêtât là ? Qu'elle en finisse une bonne fois avec sa vie sans espoir ?


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