355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Catherine des grands chemins » Текст книги (страница 22)
Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 22 (всего у книги 29 страниц)

Catherine se tourna vers Marie d'Anjou qui se tenait à quelques pas d'elle, au milieu de ses dames et qui lui souriait spontanément. Elle alla s'agenouiller aux pieds de cette femme laide et bonne, insignifiante d'aspect, mais qui ne savait pas ce que c'était que le mal.

Marie accueillit celle qui revenait les bras ouverts.

– Ma chère Catherine, lui dit-elle en l'embrassant, je suis si heureuse de vous revoir ! Je compte que vous allez reprendre votre place parmi ces dames.

– Pour un temps, Madame... car il faudra bien m'en retourner auprès de mon fils.

– Rien ne presse. Vous le ferez venir. Place, mesdames, à la comtesse de Montsalvy qui nous revient !

L'accueil que reçut Catherine fut flatteur. Elle connaissait déjà quelques-unes d'entre elles et retrouva avec joie la gentille Anne de Bueil, dame de Chaumont, qu'elle avait rencontrée à Angers. Elle retrouva aussi Jeanne du Mesnil, qu'elle avait connue lorsqu'elle était dame de parage à Bourges, et aussi la dame de Brosset, mais elle ne connaissait ni madame de La Roche-Guyon ni la princesse Jeanne d'Orléans, fille du perpétuel prisonnier de Londres. Elle s'étonna de ne pas retrouver Marguerite de Culan, qui avait été son amie, et eut un peu de chagrin en apprenant que la jeune fille avait choisi le service de Dieu, mais elle était si heureuse en cette minute qui lui rendait son vrai cadre, sa vraie place que rien ne pouvait l'atteindre très cruellement. Elle était comme une pierre qu'un gros orage a arrachée de son mur et qu'un maçon soigneux remet dans son trou, au milieu de ses pareilles. C'était bon de se sentir entourée, de revoir de jolis visages souriants, d'entendre des paroles aimables après tant de chevauchées, tant de jours sombres ! Quelques hommes maintenant se mêlaient aux dames avides d'approcher l'héroïne du jour. Un peu grisée, elle vit venir à elle le beau duc d'Alençon, puis le bâtard d'Orléans, Jean de Dunois, qui, jadis, l'avait sauvée de la torture, le maréchal de La Fayette, d'autres encore. Elle ne savait à qui répondre, à qui sourire, cherchant Pierre parmi les hommes, Pierre qui revenait d'Auvergne et qu'elle avait hâte d'interroger, mais, soudain, une voix dont l'accent gascon résonna joyeusement derrière elle la fît retourner.

– J'avais bien dit que l'on vous reverrait à la cour du roi Charles !

Avez-vous aussi un sourire pour un vieil ami ?

Elle tendit ses deux mains au nouveau venu, luttant contre l'envie de lui sauter au cou.

– Cadet Bernard ! dit-elle affectueusement. C'est bon de vous revoir. Vous ne nous aviez donc pas oubliés ?

– Je n'oublie jamais mes amis, répondit Bernard d'Armagnac avec une soudaine gravité, surtout pas quand ils portent votre nom. Venez par ici.

Il l'avait prise par le bras, l'entraînait à l'écart. On leur laissa le champ libre. Les groupes se reformaient autour du Roi et des Reines, la vie de cour reprenait en attendant que l'on cornât le souper.

Catherine, désormais admise, était intégrée à la communauté. Tout en marchant auprès de lui, Catherine examinait le visage faunesque du comte de Pardiac. Cette figure brune aux yeux verts, aux oreilles pointues, fine et spirituelle, lui rappelait les heures cruelles et tendres de Montsalvy. Bernard les avait sauvés de la mort, Arnaud et elle ; il leur avait donné le refuge de Carlat. Sans lui, Dieu seul savait ce qu'il serait advenu d'eux...

Arrivés dans l'embrasure d'une fenêtre, Bernard s'arrêta, fit face à Catherine et, soudain grave, demanda :

– Où est-il ? Qu'est-il devenu ?

Elle pâlit, le regarda avec une sorte d'effarement.

– Arnaud ? Mais... ne le savez-vous pas ? Il n'est plus.

– Je n'en crois rien, répliqua-t-il avec un geste violent qui repoussait l'image funeste un instant évoquée.

Il s'est passé à Carlat quelque chose que je ne comprends pas. Hugh Kennedy, que j'ai vu, est muet comme une carpe ; chacun ici jure qu'Arnaud est mort. Mais moi. je suis sûr du contraire. Dites-moi la vérité, Catherine, vous me la devez.

Elle hocha la tête tristement, repoussant d'un doigt machinal le voile noir qui venait frôler sa joue.

– C'est une affreuse vérité, Bernard, pire que la mort. Je vous la dois, en effet, et pourtant je voudrais que vous ne me la demandiez pas. Elle est si cruelle ! Sachez pourtant que, pour le monde entier, mon époux est mort.

– Pour le monde entier mais pas pour moi, Catherine. Je suis comme vous. Voici seulement quelques jours qu'à nouveau je suis admis dans cette cour. Jusque-là je guerroyais au nord de la Seine, avec La Hire et Xaintrailles. Eux aussi refusent la mort inexplicable, inexpliquée de Montsalvy.

– Comment se fait-il qu'ils ne soient point ici ? demanda Catherine pour tenter de faire diversion. J'aimerais les revoir.

Mais le comte de Pardiac ne voulait pas être détourné de son sujet.

Il répondit brièvement :

– Ils combattent Robert Willoughby sur l'Oise. Si je n'avais été avec eux, je fusse retourné à Carlat. J'en suis seigneur, souvenez-vous-en, et j'aurais bien su arracher la vérité à ceux du château, au besoin par la torture.

– La torture ! La torture ! Vous ne connaissez donc tous que cet abominable moyen ? riposta Catherine avec un frisson.

– Les moyens sont ce qu'ils sont, répondit-il tranquillement ; l'important, c'est le résultat. Parlez, Catherine, vous savez bien que tôt ou tard je saurai. Et je vous gage ma foi de gentilhomme que votre secret sera bien gardé. Vous savez que ce n'est pas une vaine curiosité qui m inspire.

Elle le dévisagea un moment. Comment douter de sa sincérité après tout ce qu'il avait fait pour eux ? Elle eut un geste rempli de lassitude.

– Je vais vous le dire. Aussi bien, qu'importe...

Il lui fallut fort peu de mots pour apprendre à Cadet Bernard l'affreuse vérité d'Arnaud. Mais quand elle se tut, le prince gascon était blême. Il essuya d'un revers de sa manche de brocart doré la sueur qui coulait de son front. Et, brusquement, il rougit de colère, darda sur la jeune femme un regard furieux.

– Et vous l'avez laissé dans cette ladrerie campagnarde, au milieu des rustres, s'y détruire lentement ! Lui, le plus fier de nous tous ?

– Que pouvais-je faire ? s'écria Catherine tout de suite révoltée.

J'étais seule contre la garnison ; contre le village... Il fallait qu'il en fût ainsi. Il l'a voulu lui– même. Oubliez-vous que nous n'avions plus rien, plus d'autre asile que ce Carlat que nous vous devions ?

Bernard d'Armagnac détourna la tête, haussa les épaules, puis jeta sur Catherine un regard incertain.

– C'est vrai. Pardonnez-moi... mais, Catherine, il ne peut pas rester là. N'est-il pas possible de l'installer dans quelque château écarté, de l'y faire servir par quelques serviteurs dévoués ?

– Qui oserait se dévouer quand il s'agit de la lèpre ? murmura Catherine, et pourtant, je crois, oui, je crois que ce serait possible.

Mais où ? Il ne veut pas s'éloigner de Montsalvy.

– Je trouverai, je vous dirai... Dieu Tout-Puissant ! Je ne puis supporter l'idée de le savoir là où il est.

Les larmes montèrent aux yeux de Catherine qui, sa joie envolée, balbutia :

– Et moi ? Croyez-vous que je puisse l'endurer ? Pourtant, voilà des mois qu'elle me torture, cette idée. Si je n'avais un fils, je serais partie avec lui, je ne l'aurais jamais laissé seul. Que m'importait de mourir, même de cet abominable mal, si c'était avec lui ? Mais j'ai Michel... et Arnaud m'a repoussée. J'avais une tâche à accomplir.

Maintenant, à dire vrai, elle l'est.

Cadet Bernard la regarda avec une curiosité avide en mordillant ses lèvres minces.

– Alors, qu'allez-vous faire ?

Elle n'eut pas le temps de répondre : une haute silhouette vêtue de bleu se dressait auprès d'eux tandis qu'une voix sèche demandait :

– Feriez-vous pleurer Madame de Montsalvy, seigneur comte ? Il y a des larmes dans son regard.

– Vous avez de bons yeux, à ce qu'il paraît, rétorqua Bernard avec hauteur, mécontent d'être dérangé. Puis-je vous demander en quoi cela vous regarde ?

Mais, si l'intrusion de Brézé avait choqué Bernard d'Armagnac, le ton de Bernard parut déplaire souverainement au seigneur angevin.

– Aucun des amis de dame Catherine n'aime la voir souffrir.

– Je suis de ses amis plus que vous ne le serez jamais, messire de Brézé, et, ce qui vaut mieux, je suis celui de son époux.

– Vous étiez, rectifia Brézé. Ignorez-vous que le noble Arnaud de Montsalvy est mort glorieusement ?

– Votre attitude pleine de sollicitude envers sa ... veuve laisse supposer que cela ne vous chagrine guère. Quant à moi...

Le ton s'envenimait. Catherine, effrayée par la querelle qu'elle sentait venir, s'interposa :

– Messeigneurs ! Je vous en prie ! Vous n'allez pas marquer d'une altercation mon retour en grâce ? Que dirait le Roi, que diraient les reines ?

L'attitude brusquement agressive de Bernard l'étonnait. Mais elle savait depuis longtemps que la vieille rivalité entre seigneurs du Nord et du Midi subsistait. Ces deux-là devaient se détester tandis qu'elle n'était sans doute qu'un prétexte. Les deux hommes se turent, mais le regard qu'ils échangèrent prouvait qu'ils avaient de la mauvaise humeur de reste. Ils s'affrontaient en silence, comme deux coqs de combat. Catherine comprit qu'ils brûlaient d'envie de vider leur querelle, qu'elle ne les retiendrait pas longtemps. Instinctivement, elle chercha du secours autour d'elle, aperçut Tristan l'Hermite qui se tenait modestement dans un coin et lui adressa des yeux un appel muet. Il accourut, souriant, aimable.

– La reine Yolande vous cherchait, dame Catherine ; vous plaît-il que je vous mène à elle ?

Hélas, Pierre de Brézé était bien décidé à garder Catherine pour lui.

Il adressa à Tristan un sourire sec.

– Je vais la mener moi-même, dit-il vivement.

Et, en voyant Cadet Bernard ouvrir la bouche, Catherine désolée comprit que tout allait recommencer. Pourtant elle mourait d'envie d'interroger Pierre. Il revenait de Montsalvy, il devait avoir tant de choses à lui dire ! Mais comment s'isoler avec lui sous le regard méfiant de Cadet Bernard qui semblait s'être constitué le défenseur des droits d'Arnaud ? Heureusement, à cet instant précis, les serviteurs du château cornèrent l'eau et, au même moment, le Grand Maître de l'Hôtel du Roi s'approcha de Catherine.

– Le désir de notre sire est que vous soupiez à sa table, Madame.

Permettez-moi de vous conduire.

Un soupir de soulagement dégonfla la poitrine de Catherine. Elle adressa au comte de Vendôme un sourire plein de gratitude et, acceptant la main que lui offrait le vieux gentilhomme, elle adressa un bref salut aux deux adversaires, un sourire à Tristan et s'éloigna vers la salle du banquet.

Le souper royal fut, pour Catherine, à la fois un triomphe et une épreuve. Un triomphe parce qu'assise à la droite de la reine Marie elle était le point de mire de tous les regards. Dans ses sévères voiles noirs, sa beauté éclatait au milieu des satins clairs, des chairs laiteuses des belles révélées par les profonds décolletés, des pourpoints rebrodés de fleurs ou de devises précieuses, comme le malfaisant diamant noir avait brillé parmi les pierreries de Garin.

Continuellement, le regard du Roi se tournait vers elle. Il lui faisait porter des mets pris à son propre plat et l'échanson royal lui servait le même vin qu'au souverain, ce cru d'Anjou qu'il aimait entre tous.

Mais ce fut une épreuve aussi car elle pouvait voir les coups d'œil menaçants qu'échangeaient Bernard d'Armagnac et Pierre de Brézé, placés non loin l'un de l'autre. Et le plaisir de Catherine fut gâché par la crainte que la présence même du Roi n'arrêtât pas les deux hommes si leur colère se rallumait. Elle avait l'impression désagréable d'être assise sur un tonneau rempli de poudre. Aussi fut-elle satisfaite quand le souper prit fin et que l'on revint dans la Grande Salle pour danser.

Son deuil l'en dispensant facilement, elle pria la reine Marie et la reine Yolande, sa mère, de bien vouloir lui permettre de se retirer, permission qui lui fut aussitôt gracieusement accordée tandis que deux porteurs de torches étaient chargés de l'accompagner à son nouveau logis. Elle quitta la salle, la tête haute, suivie par bien des regards admiratifs.

La chambre qu'on lui avait attribuée se trouvait dans la tour du Trésor et Sara l'y attendait déjà, amenée tout à l'heure en même temps que les bagages. La mine soucieuse de Catherine l'inquiéta.

– Tu as été reine, ce soir, pourquoi cet air inquiet ?

Elle le lui dit, expliquant son désir bien naturel de bavarder un moment avec celui qui revenait de Montsalvy et le fait que le comte d'Armagnac l'en avait empêchée.

– Je voudrais tout de même bien savoir comment va mon fils, s'écria-t-elle enfin. Je ne pensais pas que cela pût risquer de provoquer un duel.

Il y a des moments où tu ne réfléchis pas beaucoup, remarqua Sara.

Ou alors tu crois le comte de Pardiac plus bête qu'il n'est réellement.

Comment n'aurait-il pas été surpris de voir un aussi grand seigneur qu'un Brézé galoper jour et nuit pendant je ne sais combien de temps pour rapporter un vieux parchemin jauni alors que n'importe lequel des chevaucheurs royaux, avec un ordre dûment signé du Chancelier, eût suffi ? C'était une déclaration d'amour, cette équipée, comme en sont une autre ces rubans noirs et blancs que le jeune Brézé promène partout avec autant d'orgueil que s'il portait Notre Seigneur en personne.

– Et alors ? s'insurgea Catherine mécontente. Que Pierre de Brézé se déclare mon chevalier et affiche même son amour, je ne vois pas en quoi cela regarde messire Bernard d'Armagnac ? Le fait d'être le cousin du Roi ne lui donne pas le droit de s'intégrer dans les affaires d'autrui, j'imagine !

Les yeux de Sara se rétrécirent tandis qu'elle fixait Catherine.

– Ce n'est pas le cousin du Roi qui s'est mêlé de tes affaires. C'est l'ami d'enfance de ton époux, Catherine. Catherine !... déjà une fois je t'ai mise en garde contre le penchant qui t'entraîne vers le jeune Brézé.

Déjà il t'incline à l'ingratitude. Tu ne reprochais pas à Cadet Bernard de se mêler de ce qui ne le regardait pas lorsqu'il éteignait le bûcher de Montsalvy, quand il te donnait Carlat comme demeure. Rappelle-toi l'affection réelle, profonde qui le lie à messire Arnaud. Cet homme-là n'admettra jamais de te voir à un autre. Il a l'instinct du chien qui, en l'absence du maître, protège son bien. Tu appartiens à son ami et nul ne doit l'oublier.

– Si c'était mon désir, personne n'aurait rien à dire, fit Catherine sèchement.

Elle se sentait mal à l'aise, aussi, bien dans son personnage que dans ces voiles noirs qui emprisonnaient son visage. La nuit de juin était chaude et elle voulut détacher l'une des mousselines, mais ses doigts nerveux étaient maladroits ; elle se piqua, déchira un morceau du léger tissu.

– Aide-moi donc ! fit-elle avec irritation. Tu vois bien que je n'y arrive pas.

Sara sourit et, calmement, se mit à enlever les épingles l'une après l'autre. Elle avait fait asseoir Catherine sur un tabouret et, durant un moment, n'ouvrit pas la bouche. Si la colère s'emparait de cette nature hypertendue, il valait mieux la laisser un moment dans le silence pour se calmer. Quand elle l'eut débarrassée du fragile édifice, elle délaça la robe, la lui ôta. Puis, lorsque Catherine n'eut plus sur le corps qu'une mince chemise de batiste, elle commença à brosser les courts cheveux qui bouclaient déjà sur le crâne de la jeune femme, lui conférant un visage étrange et charmant de pâtre grec. Alors sentant que Catherine se détendait peu à peu, elle demanda, doucement :

– Puis-je te poser une question ?

– Mais... oui.

– Comment, crois-tu, aurait réagi messire de Xaintrailles en face du sire de Brézé ?... ou bien le capitaine La Hire ?

Catherine ne répondit pas et Sara se tint pour satisfaite de ce silence qui, selon elle, était la meilleure des réponses. Bien sûr, l'irascible La Hire eût provoqué sur place, roi ou pas roi, l'impudent osant afficher pour la femme de son ami un amour qu'il eût certainement jugé indécent. Quant à Xaintrailles, Catherine imaginait sans peine l'éclair de colère de ses yeux bruns, le menaçant sourire qui retroussait ses lèvres comme les babines d'un loup. Et elle avait trop d'honnêteté pour ne pas comprendre que le droit eût été de leur côté, mais elle n'admettait pas qu'on la traitât en irresponsable, en petite fille incapable de se conduire et qu'il fallait surveiller. Le besoin d'affirmer son indépendance s'empara d'elle, impérieux, la poussant au défi.

Lorsqu'elle fut coiffée, elle se fit donner une robe d'intérieur de léger cendal blanc, frais et bruissant, que retenait sous la poitrine une haute ceinture d'argent, toucha ses lèvres d'un peu de rouge puis se tourna vers Sara et lui lança un regard plein de défi.

– Va me chercher messire de Brézé ! ordonna-t-elle.

La stupeur rendit Sara muette un instant. Puis elle devint très rouge, répéta :

– Tu veux que...

... Que tu ailles me le chercher, mais oui, fit Catherine avec un sourire. Je veux lui parler sur l'heure. Et arrange-toi pour que Cadet Bernard ne le suive pas comme un limier. Rassure-toi, tu pourras assister à notre entretien.

Sara hésita un instant. Elle avait bonne envie de refuser, mais elle savait Catherine capable d'y aller elle– même.

– Oh ! répliqua-t-elle enfin, après tout, ce sont tes affaires. Cela te regarde.

Elle opéra une sortie pleine de dignité qui arracha un nouveau sourire à la jeune femme. Sa vieille Sara connaissait à merveille l'art des attitudes et cultivait la tragédie avec un rare bonheur... C'était sa manière, à elle, de protester.

Quelques instants plus tard, la zingara revenait avec un Pierre de Brézé pâle de joie, qui, le seuil à peine franchi, se jeta aux pieds de Catherine dont il saisit les mains pour les couvrir de baisers.

– Ma douce dame ! Le désir de vous approcher me dévorait.

Vous l'avez senti et vous m'avez fait appeler. Comme je suis heureux

!...

Il brûlait de passion, prêt de nouveau à toutes les folies, et Catherine, un instant, goûta le plaisir de voir, si étroitement enchaîné à ses pieds, ce jeune lion dont la force s'alliait à la beauté. Quelle femme n'eût été flattée d'inspirer pareil amour à un homme tel que lui

?... Elle n'en remarqua pas moins que Sara, malgré les paroles désabusées qui avaient marqué sa sortie, s'était installée au fond de la chambre, debout dans l'ombre des rideaux du lit, les mains nouées sur son ventre, invisible mais présente dans une attitude pleine de détermination qui n'annonçait rien de bon. Il valait mieux ne pas exciter sa colère.

– Relevez-vous, messire, dit-elle gentiment, et asseyez-vous près de moi sur ce banc. Je voulais vous voir sans témoins... d'abord pour vous remercier d'être allé jusqu'à Montsalvy alors que vous eussiez pu laisser partir un chevaucheur de la Grande Écurie. C'est une délicate pensée et je vous en sais gré.

Pierre de Brézé secoua sa tête blonde et sourit.

Vous n'auriez pas voulu que je laisse un étranger s'occuper de ce qui vous touche de si près ? Je voulais qu'outre ce parchemin vous receviez, de ma bouche, des nouvelles des vôtres dont vous devez languir.

Un sourire de bonheur entrouvrit les lèvres de Catherine.

– C'est vrai, dit-elle doucement. Parlez-moi de mon fils...

Comment va-t-il ?

– A merveille ! Il est beau, fort, joyeux... Il parle déjà très bien et, là-bas, tout le monde lui obéit... à commencer par une sorte de géant que l'on appelle Gauthier et qui le suit partout. C'est le plus bel enfant que j'aie jamais vu. Il vous ressemble.

Mais Catherine hocha la tête.

– Ne vous croyez pas obligé à ces mensonges que les parents semblent toujours demander, mon ami. Michel est Montsalvy de la tête aux pieds.

– Il a votre charme... c'est le principal.

– Pour être un vrai chevalier, il vaudrait mieux qu'il ait celui de son père, grogna Sara derrière ses rideaux. Joli compliment à faire à une femme que lui dire que son fils est son vivant portrait.

Interdit, Pierre jeta un coup d'œil vers le lit. Catherine se mit à rire, un peu jaune à vrai dire. Elle sentait venir l'orage, Sara n'étant pas femme à garder pour elle ses impressions.

– Allons, Sara, ne bougonne pas. Messire de Brézé a seulement voulu me faire plaisir. Viens ici.

La bohémienne s'approcha de mauvaise grâce. Elle avait visiblement toutes les peines du monde à dissimuler l'aversion que lui inspirait le jeune homme.

– Moi, cela ne me ferait pas plaisir. Comme cela ne me fera pas non plus plaisir si l'on jase, demain, parce que messire de Brézé sera passé par cette chambre.

– Je saurai bien faire taire les mauvaises langues, s'écria le jeune homme. Je ferai rentrer les calomnies dans la gorge de leurs auteurs et à coups d'épée s'il le faut.

Là où passe la calomnie, il en reste toujours quelque chose. Si vous aimez vraiment dame Catherine, ne restez pas, messire. C'est la première nuit qu'elle passe dans ce château et elle est veuve. Vous n'auriez pas dû accepter de venir.

– C'est vous qui êtes venue me chercher. Et puis quel homme refuserait un instant de bonheur quand on le lui offre, ajouta-t-il en regardant Catherine avec admiration. Chaque fois que je vous vois, je vous trouve plus belle, Catherine... Pourquoi refusez-vous de me laisser prendre soin de vous pour toujours ?

– Parce que, s'écria Sara perdant définitivement patience en voyant que Pierre ne bougeait pas, ma maîtresse est assez grande fille pour prendre soin d'elle– même. Et moi je suis là aussi pour cela.

– Sara ! s'écria Catherine qui rougit de colère. Tu passes les bornes. Je te prie de nous laisser seuls.

– Et moi je refuse de te laisser saccager ta réputation. Si ce seigneur y tient autant qu'il le prétend, il me comprendra.

– Tu oublies qu'il nous a sauvées.

– Si c'est pour mieux te perdre, je ne lui en saurai aucun gré.

Interloqué par cette scène inattendue Pierre de Brézé avait hésité un instant sur ce qu'il devait faire. Il était partagé entre l'envie d'imposer silence rudement à cette forte femme qu'il considérait seulement comme une servante insolente et la crainte de déplaire à Catherine. Il préféra cependant capituler.

– Elle a raison, Catherine. Il vaut mieux que je vous laisse.

Encore que je ne comprenne pas bien ce qu'elle me reproche. Je ne fais rien d'autre que vous aimer de tout mon être, de tout mon cœur.

– C'est justement cela que je vous reproche, fit Sara gravement.

Mais vous ne pouvez pas comprendre. Bonsoir, seigneur. Je vais vous reconduire.

Ce fut au tour de Catherine de retenir le jeune homme par la main.

Pardonnez-lui cet excès de dévouement, Pierre. Elle veille un peu trop jalousement sur moi. Mais, j'y pense, vous ne m'avez rien dit de ma belle-mère ? Comment se porte-t-elle ?

Un pli se creusa sur le front de Brézé. Il ne répondit pas tout de suite et son hésitation fut sensible à Catherine qui, aussitôt, s'inquiéta.

– Elle n'est pas malade, au moins ? Qu'y a-t-il ?

– Rien, sur l'honneur ! Certes, elle ne semble pas très vigoureuse.

Sa santé m'a paru bonne, cependant. Mais quelle affreuse tristesse ! Il semble qu'un mal intérieur lui ronge le cœur. Oh ! se hâta-t-il d'ajouter en voyant les yeux de Catherine se remplir de larmes, je n'aurais pas dû vous dire cela. Peut-être me suis-je trompé.

– Non, fit Catherine tristement. Vous ne vous êtes pas trompé.

Un mal la ronge... et je connais ce mal. Bonsoir, Pierre... et merci.

Nous nous verrons demain.

Les lèvres du jeune homme s'attardèrent sur ses mains, mais elle demeura froide sous leur caresse. C'était comme si la dame de Montsalvy était entrée d'un seul coup dans la chambre avec ce visage de douleur qu'elle n'avait plus quitté depuis le jour où Arnaud s'en était allé. Sara, qui suivait la marche des pensées sur le visage mobile de Catherine, entraîna Brézé qui sortit sans un mot mais à regret, cherchant à capter un regard qui ne le voyait plus. Catherine ne s'aperçut même pas de son départ. Seulement, lorsque Sara revint, elle comprit qu'il n'était plus là et leva sur sa vieille amie un regard de somnambule.

– Il est parti ? – Et, comme Sara faisait signe que oui, elle ajouta amère : – Tu es contente ?

– Oui, je suis contente... et surtout qu'il ait suffi d'évoquer dame Isabelle pour que tu t'en détournes. Je t'en supplie, Catherine, pour toi-même... et pour nous tous, ne laisse pas ce jeune et séduisant étourneau te tourner la tête. Tu crois te réchauffer au feu de cet amour

? Tu t'y brûleras si tu ne prends garde...

Mais Catherine n'avait pas envie de discuter. Haussant les épaules, elle alla s'accouder à la fenêtre pour regarder la nuit. Les mots lui semblaient tout à coup si vides, si inutiles ! Ils résonnaient dans sa tête comme un battant de cloche. Elle avait besoin d'air, d'espace. A contempler à ses pieds la ville endormie, la douce campagne bleue, à sentir monter jusqu'à elle l'odeur vivante de la rivière, elle éprouva soudain une sorte de faim douloureuse, un sentiment de vide et de frustration...

Le triomphe de ce soir lui laissait un arrière-goût amer. Certes, La Trémoille était abattu, durement puni, et sa femme ne l'était pas moins. Certes, les Montsalvy gagnaient sur tous les terrains. Mais, elle, Catherine, quelle était sa victoire ? Elle était plus seule que jamais et, si le Roi lui avait rendu rang et fortune, elle n'en profiterait guère. Avant peu elle repartirait pour son Auvergne sauvage afin d'y travailler encore à la gloire des Montsalvy. Mais dans la solitude encore !

Au milieu de cette cour brillante, joyeuse, où chacun semblait se préoccuper surtout de saisir l'instant qui passe, on lui prêchait l'austérité, le dur devoir. Jeune et belle, l'amour lui était interdit... et cela juste au moment où elle en avait le plus besoin, au moment ou la soif de vengeance qui l'avait animée, soutenue jusqu'ici, s'était enfin apaisée.

Se retournant brusquement, elle fit face à Sara et, avec colère, s'écria :

– Et si j'ai envie de vivre, moi ? Si j'ai envie d'aimer, de ne plus être une morte vivante, un objet de respect et de vénération, mais une chair qui vibre, un cœur qui bat, un sang qui coule ! Si je veux exister enfin !

Les yeux noirs de Sara soutinrent sans un mot le regard de Catherine, mais la pitié que la jeune femme y vit passer ne fit qu'exciter sa colère. Elle cria :

– Alors ? Qu'as-tu à répondre ?

– Rien, fit Sara sourdement. Personne ne t'en empêchera... pas même moi.

– C'est bien ainsi que je l'entends. Bonsoir. Laisse– moi seule. Je veux être seule puisque c'est tout ce que l'on me laisse !

Pour la première fois depuis bien longtemps, Sara, cette nuit-là, ne dormit pas dans la chambre de Catherine, mais dans le cabinet à robes voisin.

Dans les jours qui suivirent, Pierre de Brézé ne quitta guère Catherine. Il portait son missel pour aller à la chapelle, s'asseyait auprès d'elle à table, l'accompagnait à la promenade et, le soir, bavardait longuement avec elle, dans l'embrasure d'une fenêtre pendant que jouaient les musiciens du roi et que les autres dansaient.

Des sourires naissaient sur leur passage. La reine Marie avait même dit à Catherine, en faisant de la tapisserie auprès d'elle :

– Pierre de Brézé est un bien charmant garçon, n'est-ce pas, ma chère ?

– Charmant, Madame... Votre Majesté a tout à fait raison.

– C'est aussi un homme de valeur. Il ira loin et je crois que celle qui l'élira pour époux ne fera point un mauvais choix.

Catherine avait rougi et baissé la tête sur son travail, mais sa gêne n'avait pas duré. C'était autour d'elle comme une conspiration. Choses et gens semblaient la pousser vers Pierre et leur ménager des instants de solitude. Seul, sans doute, Cadet Bernard aurait pu s'interposer entre les deux jeunes gens, mais, par une sorte de miracle, le comte de Pardiac avait disparu. Il s'était rendu à Montrésor, chez Jean de Bueil.

Quant à Sara, elle gardait avec Catherine l'attitude réservée d'une suivante bien stylée, mais ne lui adressait la parole que pour les choses indispensables. Plus de bavardages interminables durant la toilette, plus de remontrances ou de conseils. Le visage de Sara était devenu curieusement inexpressif. Il paraissait figé, mais, parfois, le matin, Catherine y découvrait des traces de larmes qui éveillaient un instant le remords dans son cœur. Cela ne durait pas. Pierre apparaissait, avec son sourire, ses yeux chargés d'amour, et la jeune femme, repoussant tout ce qui pouvait ternir sa griserie nouvelle, se tournait avidement vers cette source de jouvence et d'insouciance qu'il représentait. La nuit, dans le silence de sa chambre, elle s'avouait qu'elle avait de plus en plus de mal à se défendre contre la cour pressante que Pierre lui faisait, contre ses mots d'amour, contre la caresse de ses lèvres sur sa main, contre ses regards qui demandaient sans cesse davantage ; c'était comme une douce pente herbeuse, un peu glissante, mais tellement fleurie que l'on s'y laissait aller volontiers. Et, pour le cœur meurtri de Catherine, cet amour d'été avait la fraîcheur d'une rosée bienfaisante sous laquelle il pouvait de nouveau s'épanouir.

Un soir, alors qu'ils se promenaient tous deux sous les arbres du verger, la douceur de la nuit, l'ombre épaisse des branches de feuilles et de fruits en formation, les paroles de passion que Pierre murmurait à son oreille poussèrent Catherine à un demi-abandon. Elle laissa aller sa tête sur l'épaule du jeune homme, lui permit de glisser son bras autour de sa taille...

Doucement, il la serra contre lui et ils demeurèrent là un bon moment, n'osant bouger, écoutant leurs deux cœurs dans leurs poitrines rapprochées. Catherine se laissait envahir par le délicieux sentiment d'être enfin à l'abri, d'être protégée, défendue. Il l'aimait, il était tout à elle.. D'un seul mot elle pouvait l'enchaîner pour la vie. Et ce mot, justement, il le réclamait.

– Elle leva la tête pour chercher, à travers les branches, la voûte étoilée du ciel, mais un long frisson la secoua : les lèvres du jeune homme s'étaient doucement emparées des siennes, doucement d'abord puis avec une sorte d'âpreté. Elle le sentit trembler contre elle, s'accrocha plus fermement à ses larges épaules vêtues de soie.

Pourtant ce baiser était encore timide, Catherine sentait que Pierre se faisait violence pour ne pas la broyer entre ses bras, l'entraîner avec lui sur l'herbe douce... Contre son oreille, elle l'entendit supplier : Catherine. Catherine ? Quand serez-vous à moi ? Vous voyez bien que j'en meurs.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю