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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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La lettre échappa des doigts soudain glacés de Catherine. En son âme, une effrayante douleur se mêlait à la colère. Une colère folle, torrentielle, meurtrière contre Brézé. Quel désastre avaient causé ses bavardages, ses grands cris.de passion ! La mort prochaine d'Isabelle, la fuite d'Arnaud et, pour Catherine, cet affreux remords. Arnaud était parti loin, si loin... la croyant infidèle ! Il disait qu'il l'aimait toujours, que c'était pour cela qu'il partait, mais combien de temps encore durerait cet amour qui ne se sentirait plus soutenu ? Colère contre elle-même enfin. Comment avait-elle pu oublier le vieux pèlerin et le conseil qu'il leur avait donné ? Comment n'avait-elle pas tout laissé, tout abandonné au lieu de courir après une dérisoire vengeance, pour entraîner l'homme qu'elle aimait vers ce qui pouvait être son salut ?

Pourquoi n'était-elle pas partie avec lui, depuis des mois, pour tenter l'impossible ? Dans sa fureur, elle oubliait qu'Arnaud n'eût jamais consenti à l'entraîner dans pareille aventure, lui qui n'osait même plus la toucher par crainte de la contagion ! Et puis, la colère tomba, il ne lui resta plus que la douleur. Ecroulée sur la pierre de l'âtre, Catherine sanglota sans retenue, éper– dument, appelant l'absent entre ses sanglots... La pensée qu'Arnaud pouvait se croire trahi, oublié était intolérable. Cela brûlait comme un fer rouge... Avec horreur, elle se revit, défaillant dans les bras de Pierre de Brézé, au verger de Chinon, et se maudit furieusement. De quel prix inhumain lui fallait-il payer cet instant de folie ?

Elle redressa la tête, se vit seule dans cette pièce close, enfermée comme au cœur d'une toile d'araignée. Son regard affolé courut de la porte à la fenêtre. Il fallait qu'elle fuie, elle aussi, qu'elle coure à la poursuite d'Arnaud. Il fallait un cheval, tout de suite, le cheval le plus rapide !... Il fallait voler par-dessus les murailles, les plaines, les montagnes !... Le retrouver ! C'était cela, le retrouver coûte que coûte, se traîner à ses pieds, implorer son pardon et ne plus le quitter... plus jamais !

Comme une folle, elle courut à la porte, l'ouvrit, hurla :

– Saturnin, Saturnin ! des chevaux !

Le vieil homme accourut et, devant cette femme éplorée, les yeux rouges et brûlants, s'inquiéta aussitôt :

– Dame ! Qu'avez-vous ?

– Je veux un cheval, Saturnin... et tout de suite. Il faut que je parte... Il faut que je le retrouve !

– Dame Catherine, la nuit tombe, les portes se ferment... Où voulez-vous aller ?

– Le retrouver. Lui, mon seigneur... Arnaud !

Elle avait crié, désespérément, le nom bien-aimé.

Saturnin hocha la tête et s'approcha de la jeune

femme. Jamais il ne l'avait vue si pâle, si bouleversée.

– Vous tremblez... Venez avec moi. Je vais vous ramener au monastère. J'ignore ce qu'il est advenu, mais pour cette nuit vous ne pouvez rien faire. Il vous faut du repos.

Comme pour un enfant, il ramassait le parchemin, le lui remettait dans les mains et, doucement, l'entraînait au-dehors. Elle se laissa faire comme une hallucinée, protestant tout de même comme du fond d'un rêve.

– Vous ne comprenez pas, Saturnin. Il faut que je le rattrape... Il est parti si loin... et pour toujours !

– Il était déjà parti pour toujours, dame Catherine. Et pour un lieu d'où on ne revient pas. Venez avec moi. Au couvent, il y a dame Isabelle, il y a Gauthier, il y a Sara... Ils vous aiment, ils vous aideront quand ils vous verront dans cette grande détresse. Venez, dame Catherine.

L'air frais du soir fit du bien à la jeune femme et lui permit de se ressaisir un peu. Tout en marchant, soutenue par le bras de Saturnin, elle put obliger son cerveau à cesser sa ronde affolée, à se calmer. Ne lui fallait-il pas s'apaiser, raisonner aussi froidement que possible ?

Saturnin avait raison quand il disait que Sara et Gauthier l'aideraient...

Mais il était indispensable qu'elle contrôle ses nerfs, qu'elle essaie de ne plus penser qu'Arnaud s'était séparé d'elle à jamais, qu'il avait tranché le lien si ténu qui les reliait encore.

Elle redressa la tête, tâchant de faire bonne contenance en face de ceux qu'elle croisait dans la rue. Mais,

en arrivant au monastère, Catherine et Saturnin trouvèrent l'abbé en personne près de la loge du Frère portier.

– J'allais vous faire chercher, dame Catherine, dit– il. Votre mère a eu un malaise et a perdu connaissance.

– Elle était si bien, tout à l'heure !

– Je sais. Nous parlions tranquillement, mais, tout à coup, elle s'est affaissée sur ses oreillers, le souffle court... Sara est auprès d'elle et notre Frère apothicaire.

Force était à Catherine de faire taire ses propres douleurs pour courir au chevet de la vieille femme. Courageusement, elle enferma la lettre fatale dans son aumônière, se rendit chez Isabelle. La malade était toujours inerte. Sara, penchée sur elle, essayait de la ranimer en lui faisant respirer le contenu d'un flacon tandis que le Frère apothicaire lui frictionnait les tempes avec de l'eau de la reine de Hongrie.

Catherine se pencha.

– Est-elle très mal ?

– Elle revient, chuchota Sara, les sourcils froncés. Mais j'ai bien cru que c'était fini.

– De toute façon, fit le moine, elle ne durera plus longtemps. Elle se soutient à peine.

En effet, Isabelle, peu à peu, reprenait connaissance. Avec un soupir de soulagement, Sara se redressa, sourit à Catherine, mais son sourire s'effaça aussitôt apparu.

– Mais... tu es plus pâle qu'elle. Que t'est-il arrivé ?

– Je sais où est Arnaud, répondit Catherine d'une voix blanche.

Tu avais raison, Sara, quand tu disais que si j'écoutais Pierre de Brézé je le regretterais toute ma vie. Le regret n'a pas mis longtemps à venir.

– Mais, parle, enfin !

– Non. Tout à l'heure. Saturnin doit attendre dans la grande salle.

Demande-lui de rester. Va aussi chercher Gauthier et envoie prier le Révérend Père Abbé de se joindre à nous. J'ai à dire des choses graves.

Une heure plus tard, l'espèce de conseil qu'avait souhaité Catherine se réunissait, non pas dans la salle commune de l'hôtellerie, mais dans la salle capitulaire de l'abbaye où l'abbé l'avait fait prier de se rendre avec ses compagnons. Guidés par le Frère Eusèbe, Catherine, Gauthier, Saturnin et Sara traversèrent l'église silencieuse à cette heure nocturne où une lampe à huile brûlait faiblement devant une statue de Notre-Dame à laquelle la collégiale était dédiée. Puis ils pénétrèrent dans la grande salle. Elle était éclairée par quatre torches fixées aux deux piliers isolés qui supportaient la voûte. L'abbé, mince fantôme dans sa longue robe noire, s'y trouvait seul, auprès du trône abbatial qu'il n'occupait pas. Il marchait lentement de long en large, ses mains cachées sous les amples manches, le front penché sous sa couronne rase de cheveux clairs. La lumière des torches donnait à son jeune visage ascétique les tons du vieil ivoire. C'était à la fois un homme d'action, car il menait son monastère d'une main ferme, et un homme de prières. Son amour de Dieu était immense, sa vie sans faiblesse et si sa jeunesse l'obligeait à conserver une attitude austère, voire sévère, pour asseoir son autorité, il cachait sous son abord presque glacial une immense pitié des hommes et un cœur ardent.

En voyant entrer ceux qu'il attendait, il s'arrêta, posa un pied sur la marche qui surélevait le trône et désigna, du geste, un tabouret à Catherine.

– Asseyez-vous, ma fille. Me voici prêt à vous entendre et à vous aider de mes conseils comme vous l'avez demandé.

– Soyez-en remercié, mon père, car je suis en grande détresse. Un événement imprévu a bouleversé ma vie. Aussi j'ai voulu vous demander votre secours. Ceux-ci sont mes fidèles serviteurs pour lesquels je n'ai rien de caché.

– Parlez, le vous écoute.

– Tout d'abord, je dois vous dire la vérité sur la prétendue mort de mon époux, Arnaud de Montsalvy. Il est temps que vous la sachiez.

La main pâle de l'abbé se tendit vers Catherine pour l'arrêter.

– Épargnez-vous cette peine, ma fille. Dame Isabelle, en confession, m'avait déjà confié ce secret douloureux. Il n'en est plus un puisque vous désirez en parler.

– Alors, mon père, veuillez lire cette lettre... et veuillez la lire tout haut. Gauthier, que voici, ne sait pas lire et Sara déchiffre avec peine.

Bernard de Calmont accepta d'un signe de tête, prit la lettre et commença de la lire. Catherine avait croisé ses mains et fermé les yeux. La voix lente et grave de l'abbé donnait aux paroles de l'adieu un charme déchirant qui la bouleversait malgré les efforts qu'elle faisait pour garder son calme. Derrière son dos, elle entendit les exclamations étouffées de ses trois compagnons, mais ne les regarda pas. Elle rouvrit les yeux seulement quand l'abbé cessa de lire.

Elle vit alors que tous les regards étaient fixés sur elle, que dans ceux de l'abbé il y avait une pitié profonde. La main de Sara vint se poser rassurante sur son épaule.

– Quels conseils désirez-vous que je vous donne, ma fille ?

demanda l'abbé. Et quelle sorte d'aide ?

Je vais partir, mon père, malgré le chagrin que j'aurai à me séparer de mon enfant, la douleur que me causera cet arrachement puisque je n'ai plus que lui et qu'il n'a plus que moi, il faut que je parte, qu'à tout prix je retrouve son père. Un affreux malentendu est né entre lui et moi. Je ne peux le supporter. Messire de Brézé a cru, de bonne foi, parce que je lui montrais de l'amitié, que j'accepterais d'être sa femme. Il ignorait la vérité et ne pouvait savoir qu'à aucun prix je n'accepterais de porter un autre nom que celui de Montsalvy. Il a agi par naïveté, par amour aussi... et il a causé un affreux désastre. Je veux vous demander de prendre soin de mon fils, de veiller sur lui comme un père, de me remplacer totalement à la seigneurie de Montsalvy, de vous intéresser à la reconstruction du château. Mes serviteurs demeureront... moi, je pars.

– Où allez-vous ? A sa poursuite ?

– Naturellement. Je ne veux pas le perdre à jamais.

– Il est déjà perdu à jamais, fit l'abbé sévèrement. Il se tourne vers Dieu. Pourquoi voulez-vous le ramener à la terre ? La lèpre ne pardonne pas.

– Sauf si Dieu le veut ! Est-ce moi qui dois vous rappeler, mon père, qu'il est des miracles ? Qui vous dit qu'au tombeau de saint Jacques, en Galice, il ne guérira pas ?

– Alors, laissez-le s'y rendre comme il l'entend, et seul.

– Et s'il guérit ? Dois-je aussi le laisser partir, loin de moi, se faire tuer en combattant les Infidèles ?

– Que faisaient d'autre les femmes des anciens Croisés ?

– Certaines partaient avec eux. Moi, je veux retrouver l'homme que j'aime, lança Catherine avec, dans sa voix, une note de passion si sauvage que l'abbé détourna les yeux, fronçant légèrement les sourcils.

– Et... s'il ne guérit pas ? dit enfin l'abbé. C'est une grâce rare, qui ne s'obtient pas facilement.

Il y eut un silence. Jusque-là, les répliques de Catherine et de l'abbé s'étaient croisées à cadence rapide, comme les épées de deux duellistes. Mais les derniers mots évoquèrent la grande terreur du mal maudit. Un frisson parcourut l'échiné de tous les assistants. Catherine se leva, marcha jusqu'au grand christ en croix qui ouvrait ses bras décharnés au mur de la salle capitulaire.

– S'il ne guérit pas, je resterai avec lui, vivant tant qu'il vivra, mourant de son mal, mais avec lui, dit-elle fermement, les yeux fixés à la croix comme pour la prendre à témoin.

– Dieu défend le suicide. Vivre avec un lépreux, c'est chercher la mort volontaire, objecta l'abbé sèchement.

– J'aime mieux vivre avec lui lépreux qu'avec le reste du monde en bonne santé. J'aime mieux la mort

avec lui que la vie sans lui... et même la damnation si c'est offenser Dieu qu'aimer au-delà de soi-même !

La voix de l'abbé tonna tandis que sa main maigre se levait vers le ciel :

– Taisez-vous ! La passion humaine vous fait offenser Dieu plus sûrement encore ! Repentez-vous, si vous voulez être exaucée, et songez que les cris de l'amour charnel insultent à la pureté de Dieu.

– Pardonnez-moi... Mais je ne puis mentir quand il s'agit de tout ce qui fait ma vie, ni parler autrement. Répondez-moi seulement, mon père. Acceptez-vous de me remplacer à Montsalvy, de protéger encore les miens, d'être le seigneur en même temps que l'abbé jusqu'à mon retour ?

– Non !

Le mot avait claqué, net, définitif.

De nouveau le silence, étouffant. Derrière Catherine, les trois témoins muets de cette scène retenaient leur souffle. La jeune femme regarda le mince et sévère visage d'un air incrédule.

– Non ?... Mon père... Pourquoi ?

Ce fut un véritable cri de douleur. Lentement, elle se laissa tomber à genoux, tendit les mains dans le geste instinctif des suppliants.

– Pourquoi ? répéta-t-elle avec des larmes dans la voix. Laissez-moi partir ! Si le perds à jamais son amour, mon cœur s'arrêtera de battre de lui-même, je ne pourrai plus vivre.

Les traits rigides s'adoucirent d'une profonde mansuétude. Bernard de Calmont descendit jusqu'à la jeune femme, se pencha vers elle et, prenant les mains suppliantes, la releva doucement.

– Parce que vous ne pouvez partir maintenant, ma fille. Vous ne songez qu'à votre humaine passion, qu'à votre douleur légitime et peut-être méritée. N'aviez– vous pas encouragé ce jeune seigneur à espérer votre amour ? Non, ne me répondez pas. Dites-moi seulement si cet amour vous pousse à la cruauté, s'il n'y a dans ce cœur entièrement donné aucune pitié pour autrui ?

– Que voulez-vous dire ?

– Ceci, sans parler de votre fils qui doit vous retenir ici, laisserez-vous mourir seule, sans votre tendresse, cette vieille femme qui n'a plus que vous, cette mère dont la souffrance est sans doute pire que la vôtre car vous gardez au fond de vous, tenace, l'espoir obscur de retrouver votre époux. Tandis qu'elle sait que jamais elle ne reverra son fils... Aurez-vous cette dureté ?

Catherine baissa la tête. Dans son désespoir elle avait oublié Isabelle qui se mourait dans son étroite cellule de l'hôtellerie conventuelle. Pour Michel seul son cœur avait redouté de souffrir de la séparation. Il avait été toute son hésitation, tout ce qui avait pu la retenir. Elle n'avait pas songé à la vieille femme. Elle avait honte maintenant, mais, derrière les reproches que lui faisait sa conscience, elle entendait encore protester son amour. Personne ne comptait lorsqu'il s'agissait d'Arnaud. Pourtant, elle s'avoua vaincue sans hésitation.

– Non, dit-elle seulement. – Mais elle se détourna pour chercher le réconfort des bras de Sara qui, tendrement, la serra contre elle.

Avec un soupir, elle ajouta : Je resterai.

Alors, s'éleva la voix rude de Gauthier.

– Vous devez rester, dame Catherine, pour celle qui meurt et pour l'enfant. Mais, moi, je suis libre si vous me donnez la permission de partir. Je peux courir après messire Arnaud. Qui donc m'en empêcherait ? – D'un mouvement violent, il se tourna vers l'abbé qu'il dominait de la tête : Donne-moi un cheval et une hache, homme de Dieu ! Les grands chemins ne me font pas peur, ni les longues chevauchées.

Catherine, que cette explosion avait ranimée, eut pour le Normand un regard débordant de reconnaissance.

– C'est vrai. Tu es là, toi... Tu pourras lui dire que je ne l'ai jamais trahi, mais il n'acceptera pas de revenir vers moi, tu le sais bien. Personne n'a jamais pu faire plier sa volonté.

– Je ferai ce que le pourrai. Du moins le devoir perdra-t-il pour vous le goût amer que vous lui trouvez.

Si messire Arnaud guérit, je le ramènerai de force au besoin. Sinon...

je reviendrai seul vers vous. Me laissez-vous partir?

– Comment le refuserais-je ? Tu es ma seule chance.

– Alors, allons-y, s'écria Gauthier qui, comme tous les hommes d'action, n'aimait guère les paroles. Nous avons perdu assez de temps comme ça. Faites-moi ouvrir les portes de la ville, et à cheval ! Par Odin, je saurai bien le retrouver... même s'il faut courir après jusque chez Mahomet !

– Ici, c'est la maison de Dieu, s'indigna l'abbé. Les idoles n'y ont que faire. Venez avec moi, Catherine, ma fille... allons demander à Notre-Dame du Ciel de veiller sur ce sauvage qui ne la connaît même pas. Ensuite, nous le ferons partir ensemble... Je vous aiderai.

Une heure plus tard, debout près de la porte sud de Montsalvy, entre Sara et Saturnin, Catherine écoutait décroître vers la profonde vallée du Lot le galop du cheval de Gauthier. Lesté d'un peu de provisions, de vêtements solides et d'une bourse bien garnie, monté sur un vigoureux percheron qui rattrapait en puissance ce qu'il perdait en finesse, le Normand se lançait sur la trace d'Arnaud et de Fortunat.

Quand le bruit se fut éteint au cœur de la nuit semée d'étoiles, Catherine resserra autour d'elle la mante sombre dont elle était enveloppée, chercha au firmament la trace blanche de la Voie lactée, que l'on appelait alors le chemin de saint Jacques, et soupira :

– Parviendra-t-il à le retrouver ? Ces régions du sud lui sont aussi étrangères que le pays du Grand Khan.

– Monseigneur l'abbé lui a dit qu'il devait suivre le chemin marqué de coquilles. Il lui a appris le nom des premières étapes puisqu'il ne pouvait les lui écrire, dit Saturnin. Il faut avoir confiance, dame Catherine. Bien qu'il ne croie pas en eux, je sais que Madame la Vierge et Monseigneur saint Jacques veilleront sur Gauthier. Ils n'abandonnent jamais ceux que leur générosité pousse sur les grands chemins.

– Il a raison, renchérit Sara en prenant le bras de Catherine. Gauthier a pour lui la force, l'intelligence et la ruse. Il a en lui-même une foi capable de soulever des montagnes. Viens maintenant, rentrons. Dame Isabelle a besoin de nous et, en embrassant ton fils, tu trouveras le courage de poursuivre la tâche qui t'attend encore.

Catherine ne répondit pas. Elle étouffa le soupir de regret qui lui venait et, silencieusement, remonta vers l'abbaye. Mais elle savait bien qu'elle avait seulement plié devant la raison et que le désir de s'élancer, elle aussi, sur les traces d'Arnaud ne la quitterait pas de sitôt. Longtemps, ce soir-là, elle berça Michel dans ses bras, réchauffant son cœur douloureux à son amour pour l'enfant.

Isabelle de Montsalvy mourut au lendemain de la Saint-Michel, sans souffrance et sans agonie, presque paisiblement.

Elle avait eu, à la veille de sa mort, une dernière joie : celle de voir son petit-fils recevoir pour la première fois les hommages de ses vassaux...

Saturnin, en effet, en tant que bailli et en accord avec les notables de Montsalvy, avait décidé que, pour le jour de sa fête, l'enfant serait reconnu officiellement seigneur de la petite cité... Maintenant que le Roi avait rendu aux Montsalvy leurs titres et leurs biens, la date du 29

septembre avait paru, à l'excellent homme, tout indiquée pour cette solennité, d'autant plus qu'elle coïncidait avec la fête des bergers qui, chaque année à pareille époque, rassemblait sur le plateau de Montsalvy tous les gardeurs de moutons de toute la région.

Ce jour-là, on avait dressé sur la place du village, à la porte de l'église, un banc seigneurial surmonté d'un dais aux couleurs de la famille et, après la messe solennelle dite par l'abbé Bernard, Michel et sa mère s'y installèrent pour recevoir l'hommage de leurs vassaux revêtus pour la circonstance de leurs plus beaux vêtements. Saturnin, habillé de fin drap brun, portant une chaîne d'argent au cou, avait offert sur un coussin les épis de blé des champs et les raisins des treilles. Il avait fait un beau discours, un peu embrouillé peut-être, mais que chacun avait jugé superbe, puis tous les habitants de Montsalvy, tous les paysans des fermes d'alentour étaient venus, un à un, baiser la menotte de Michel. L'enfant riait de joie, heureux du beau costume de velours blanc dont Sara l'avait paré, mais s'intéressant visiblement beaucoup plus à la chaîne d'or et de topazes que sa mère lui avait passée au cou. La cérémonie était un peu longue, à vrai dire, pour un petit seigneur qui n'avait pas deux ans. Mais les danses des bergers et les luttes à main nue auxquelles ils se livrèrent ensuite déchaînèrent son enthousiasme. Grimpé sur son siège, malgré les efforts de Catherine qui faisait tout ce qu'elle pouvait pour le retenir, Michel s'agitait comme un petit diable dans un bénitier. Tout près de lui, sa grand-mère, que l'on avait apportée sur un brancard et installée sous un vélum pour qu'elle puisse assister à la fête, le regardait avec adoration.

La journée s'acheva par un grand feu de joie, allumé sur le plateau par Michel lui-même dont Catherine guidait la main. Puis, tandis que garçons et filles attaquaient bourrées et caroles sur l'herbe encore verte, au son aigre des cabrettes, on emporta au lit le nouveau seigneur exténué qui, d'ailleurs, dormait déjà depuis un moment, sa tête blonde nichée contre l'épaule de Sara.

Toute la nuit, Catherine entendit chanter et danser ses vassaux, heureuse de leur joie que son deuil austère ne parvenait pas à ternir.

Sa tristesse profonde, elle l'avait cachée tout le jour pour ne pas leur montrer combien cette fête lui était cruelle. L'avènement de Michel repoussait son père dans le passé, ce père dont, depuis un mois et demi, personne ne savait plus rien.

Mais, au matin suivant, les bonnes gens de Montsalvy, qui s'étaient endormis, fort tard il est vrai, si joyeux et si contents de vivre, furent réveillés par les battements lugubres du glas et apprirent ainsi que leur vieille châtelaine avait cessé de vivre...

Sara, en lui portant, au matin, un bol de lait, l'avait trouvée morte dans son lit. Isabelle était étendue bien droite, les yeux clos, les mains jointes sur son chapelet, et, sur les doigts pâles, un rayon de soleil faisait étinceler l'émeraude de la reine Yolande. Sara était d'abord restée un instant au seuil de la chambrette, stupéfaite par l'extraordinaire beauté de la morte. Les ravages de la maladie avaient disparu, laissant le visage lisse et détendu, infiniment plus jeune que la veille. Ses cheveux blancs l'encadraient, en deux nattes épaisses, et sa ressemblance avec ses fils était redevenue frappante.

Sara s'était signée puis, déposant son écuelle de lait à la porte, elle était entrée chez Catherine qui avait fini par s'endormir au petit matin.

Elle l'avait secouée doucement. Et comme la jeune femme, avec un sursaut nerveux, se dressait sur son séant et la regardait avec les yeux effarés de quelqu'un que l'on éveille brusquement, elle avait murmuré

: – Dame Isabelle a cessé de souffrir, Catherine. Il faut que tu te lèves. Moi, je vais aller prévenir l'abbé. Pendant ce temps, enlève Michel de la chambre voisine et confie-le à Donatienne. La mort n'est pas un spectacle pour un enfant.

Catherine avait obéi, comme une somnambule. Depuis son retour, elle s'attendait à cette fin. Elle savait que la vieille dame la désirait comme une délivrance et sa raison lui soufflait qu'il ne fallait pas s'en attrister, qu'Isabelle enfin avait gagné la paix. Mais la raison ne pouvait rien contre le chagrin brusque qui l'envahissait... Elle découvrait que la présence d'Isabelle lui était plus précieuse qu'elle ne le croyait. Tant qu'avait vécu la mère d'Arnaud, Catherine avait eu quelqu'un avec qui parler de l'absent, quelqu'un qui le connaissait encore mieux qu'elle-même, dont les souvenirs étaient intarissables. Et voilà que cette voix douce s'était tue, elle aussi, aggravant encore la solitude de celle qui restait... Arnaud avait disparu, Gauthier, depuis un mois, s'était enfoncé dans l'inconnu et, maintenant, c'était Isabelle...

Quand, un moment plus tard, elle eut fait, avec l'aide de Sara, la dernière toilette de la défunte, toutes deux demeurèrent debout au pied du lit où elle reposait, vêtue de l'habit religieux des Clarisses dans lequel, depuis longtemps déjà, Isabelle avait exprimé le désir de dormir son dernier sommeil. L'austérité des amples vêtements noirs lui conférait une extraordinaire majesté et, sous leurs paupières violettes, les yeux semblaient prêts à se rouvrir.

Très doucement, en lui passant l'habit, Catherine avait ôté du doigt d'Isabelle l'émeraude gravée dont la splendeur profane n'était plus compatible avec le vêtement monastique. Puis, avec Sara, elle avait longuement contemplé la morte avant de s'agenouiller pour les premières prières, au moment précis où arrivait l'abbé précédé de deux clercs portant l'encensoir et le bénitier.

Les trois jours qui suivirent se déroulèrent pour la jeune femme comme un rêve lugubre. Le corps fut exposé dans le chœur de l'église, veillé par des moines. Mais Catherine, Sara et Donatienne se relayèrent sur le coussin posé au pied du catafalque. Pour Catherine, ces heures de veille dans l'église silencieuse avaient quelque chose d'irréel. Les moines qui encadraient le corps, debout, le capuchon baissé jusqu'à la bouche et les mains au fond de leurs larges manches, avaient l'air de fantômes et la lumière tremblante des gros cierges de cire jaune donnait à leur immobilité quelque chose d'effrayant. Pour échapper à cette vague terreur qu'elle éprouvait, Catherine s'efforçait de prier, mais les mots venaient mal... Elle ne savait plus comment s'adresser à Dieu. Aussi trouvait-elle plus facile de s'adresser tout simplement à la défunte.

– Mère, chuchotait-elle tout bas, là où vous êtes parvenue, tout doit être tellement plus simple, tellement facile... Aidez-moi ! Faites qu'il me revienne ou que, du moins, il sache que je n'ai jamais cessé de l'aimer ! J'ai tant de peine !...

Mais le visage de cire demeurait immobile et le demi– sourire des lèvres closes gardait son mystère. Le cœur de Catherine, à mesure que passait le temps, se faisait plus lourd.

Au soir du quatrième jour, le corps d'Isabelle de Ventadour, dame de Montsalvy, fut descendu au tombeau en présence de tout le pays.

Derrière les grilles de bois de leur clôture, les voix fortes des moines de l'abbaye chantaient le Miserere. Et Catherine, sous les voiles de deuil qui, ce soir, prenaient une nouvelle et double signification, regarda disparaître sous les dalles de pierre de l'église la forme frêle de celle qui, trente-cinq ans plus tôt, avait donné le jour à l'homme qu'elle adorait.

En quittant le sanctuaire, le regard de la jeune femme croisa celui de l'abbé qui avait prononcé le dernier Requiem. Elle y lut à la fois une interrogation et une prière, mais détourna la tête comme pour éviter de répondre. À quoi bon ? La mort d'Isabelle ne la libérait pas.

Les petites mains de Michel la retenaient fermement à sa place. Et elle n'avait aucune raison de le quitter puisque Gauthier était parti à la poursuite d'Arnaud. Tant qu'il n'aurait pas donné de ses nouvelles, il fallait demeurer ici et attendre... Attendre !

L'automne fit flamber la montagne de tous ses ors, de toutes ses pourpres. Les alentours de Montsalvy se couvrirent de splendeur rutilante tandis qu'au ciel plus bas les nuages se faisaient plus gris et que les hirondelles fuyaient vers le sud, en bandes rapides et noires.

Catherine les suivait du regard, du haut des tours du monastère, jusqu'à ce qu'elles aient disparu. Mais, à chaque vol passant au-dessus de sa tête, la jeune femme se sentait un peu plus triste, un peu plus découragée. Elle enviait, de toute son âme, les oiseaux insouciants qui, avides seulement de soleil, s'en allaient vers ces pays où elle eût tant aimé les suivre.

Jamais les jours n'avaient coulé si lents, si monotones. Chaque après-midi, quand le temps le permettait, Catherine allait, avec Sara et Michel, jusqu'à la porte Sud où moines et paysans avaient commencé de creuser les fondations du nouveau château. Sur le conseil de l'abbé, on avait décidé de ne pas reconstruire la forteresse là où elle se trouvait jadis, aux flancs du puy de l'Arbre, mais bien à la porte même de Montsalvy, là où château et village pourraient se porter le plus efficace secours. Les ravages du routier Valette étaient encore présents à tous les esprits.

Les deux femmes et l'enfant passaient toujours un long moment sur le chantier puis poussaient un peu plus loin, pour voir travailler les bûcherons. En effet, maintenant que s'éloignait la menace anglaise, il fallait reconquérir sur la forêt les terres qu'au temps de la grande détresse on avait laissées retourner à la sauvagerie. Le taillis, qui tant de fois avait servi de refuge, les avait faites siennes. Il fallait les lui reprendre pour en tirer de nouveau le blé ou le fourrage. Mais les yeux de Catherine s'évadaient toujours au-delà de la ligne sombre des arbres, vers les lointains profonds et bleus qui avaient vu passer Arnaud. Puis, la petite main de Michel bien serrée dans la sienne, elle retournait, à petits pas, vers la maison.

Et, une nuit, le vent souffla en tempête et les arbres furent dépouillés, une autre nuit et la neige couvrit le pays. Les nuages étaient si bas qu'ils semblaient rejoindre la terre et les brouillards glacés du matin étaient longs à se dissoudre. C'était l'hiver et Montsalvy entra dans le sommeil. Le travail cessa sur le chantier du château, chacun s'enferma au chaud de sa maison. Catherine et Sara firent comme les autres. La vie, rythmée par la cloche du monastère, devint d'une désespérante monotonie où, malgré tout, s'endormait la douleur de Catherine. Les jours succédaient aux jours, tous semblables. Ils se passaient à filer au coin de l'âtre en regardant jouer Michel sur une couverture. Le paysage était devenu immuablement blanc et Catherine en venait à douter qu'il pût un jour revêtir un autre aspect. Le printemps reviendrait-il jamais ?

Chaque jour, pourtant, la jeune femme s'obligeait à sortir. Elle chaussait des socques, s'enveloppait d'une grande mante à capuchon et quittait le monastère pour une promenade, toujours la même...

Elle s'en allait jusqu'au-delà de la porte du Sud. Mais ce n'était pas pour contempler le chantier de sa future demeure sous la neige. Elle allait s'asseoir un moment sur une antique borne, et elle demeurait là, un long moment, insensible aux tourbillons du vent et bourrasques neigeuses, regardant le chemin qui venait du Lot, guettant avec l'espoir tenace de voir surgir enfin une silhouette connue. Il y avait si longtemps que Gauthier était parti maintenant...

Cela fit trois mois quand vint la Noël. Et personne n'était encore venu apporter le moindre message. C'était comme s'il s'était dissous tout à coup dans cette immensité... Lorsque le jour commençait à baisser les jours ! d'hiver sont si courts – Catherine retournait lentement chez elle, l'âme un peu plus lourde d'angoisse, un peu plus pauvre d'espoir.


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