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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Exquise, souffla-t-il. Comment se fait-il que je ne l'aie jamais remarquée ?

– C'est une réfugiée, grogna Gilles de Rais. Il y a seulement quelques jours qu'elle est arrivée chez Fero, avec sa tante. Ce sont des esclaves échappées.

Malgré elle, Catherine poussa un soupir de soulagement. Allons, Gilles ne semblait pas disposé à révéler sa véritable identité. Elle se sentait, tout à coup, beaucoup plus à l'aise dans son personnage.

Cependant La Trémoille imposait silence à son cousin.

– Laisse-la donc répondre elle-même que j'entende au moins sa voix. Comment t'appelles-tu, petite ?

– Tchalaï, seigneur ! Cela veut dire « étoile » dans notre langage.

– Et cela te convient à merveille. Viens avec moi, belle étoile, j'ai hâte de te connaître mieux. – Déjà, il saisissait la main de Catherine et, se tournant vers Rais : Merci du cadeau, cousin. Tu sais toujours comment me faire plaisir.

Mais Gilles de Rais se plaça entre le couple et la porte. Le pli de sa bouche n'annonçait rien de bon et ses yeux sombres brillaient d'un feu dangereux.

– Un instant, cousin. C'est, en effet, pour toi que j'ai enlevé cette fille, mais je n'ai pas l'intention de te la laisser dès ce soir.

Malgré elle, Catherine regarda Gilles avec étonne– ment. Elle l'avait cru totalement inféodé à son déplaisant cousin. Et voilà qu'elle découvrait qu'ils n'étaient pas aussi unis qu'elle le pensait. Loin de là.

L'orgueil insensé de Gilles en faisait, à vrai dire, un piètre vassal. On l'imaginait mal se pliant devant qui que ce soit, mais, à cette minute, oui... c'était la flamme du meurtre qui luisait dans son regard.

Comment allait se terminer le duel du tigre et du chacal ? Les petits yeux de La Trémoille se rétrécirent sous leurs plis de graisse tandis qu'une lippe méchante déformait ses lèvres fortes. Mais il ne lâcha pas Catherine. La jeune femme constata seulement que la grosse main devenait moite sur son poignet. La Trémoille devait avoir peur de son dangereux cousin. Mais sa voix, curieusement, ne marqua aucune colère quand il demanda :

– Et pourquoi pas ce soir ?

– Parce que ce soir elle est à moi. C'est moi qui l'ai trouvée, moi qui l'ai sauvée des griffes de l'autre Égyptienne qui allait la tuer, moi encore qui l'ai ramenée ici, décrassée. Je te la donnerai demain, mais, cette nuit, c'est bien le moins que je la garde.

– Ici chacun m'obéit, dit La Trémoille avec une inquiétante douceur. Il me suffirait d'un geste pour que vingt hommes...

– Mais, ce geste, tu ne le feras pas, beau cousin, parce que tu n'aurais pas cette fille. Je la tuerais plutôt avant. Et puis, je sais trop de choses pour que tu t'attaques à moi. Que dirait, par exemple, ton épouse, ma belle cousine Catherine, si elle apprenait que ce beau collier d'or et d'émaux qu'elle désirait, tu en as fait présent à la trop jolie femme d'un échevin de cette ville contre une nuit d'amour ?

Cette fois, La Trémoille lâcha Catherine et la jeune femme, dont les yeux brillants suivaient avec passion cette joute dont elle était l'enjeu, en conclut que le tout– puissant La Trémoille, le fléau du royaume, craignait sa femme comme le feu. C'était bon à savoir. Et, pour ce soir, Rais avait gagné. Elle ne savait trop, d'ailleurs, si elle devait s'en réjouir. Le gros chambellan se dirigeait vers la porte non sans jeter sur la jeune femme un regard de regret.

– C'est bon, marmotta-t-il en haussant les épaules. Garde-la ce soir, mais demain je l'enverrai chercher. Et prends bien garde de ne pas l'abîmer, cousin, car, alors, je pourrais bien oublier cette... tendre affection que je te porte.

Un dernier regard, une grimace qui pouvait passer pour un sourire à l'adresse de Catherine et il avait disparu. Les soldats, impassibles, refermèrent la porte derrière eux en sortant. Catherine et Gilles de Rais furent seuls de nouveau.

Catherine sentit sa gorge se serrer. Sa situation était effroyable et elle découvrait que, dans son désir d'attirer La Trémoille hors de ce château où il était trop bien gardé, elle s'était jetée entre le marteau et l'enclume. Elle avait espéré être appelée pour danser, pour distraire le gros chambellan et, à la faveur de cette approche, le décider à un séjour à Chinon grâce à un appât dont elle avait eu l'idée. Mais là, prise entre l'effrayant Gilles de Rais et le gros chambellan, elle ne donnait plus cher de sa vie. Gilles voulait s'amuser d'elle, après quoi il la jetterait sans plus de façon au lit même de La Trémoille. Que deviendrait-elle quand elle aurait cessé de plaire ? Aurait-elle même le temps d'exécuter son plan ? Gilles n'était pas homme à rendre sa prisonnière à la liberté. Vivement, le seigneur à la barbe bleue avait couru à la porte et en avait tiré les massifs verrous. Puis il alla à la fenêtre et, se penchant un peu, respira profondément deux ou trois fois, sans doute pour calmer sa colère. Des sons étouffés de luths et de violes montaient de la nuit, légers et mélancoliques.

– Il y a concert dans la chambre du Roi ! Murmurai t-il d'une voix qui ne conservait plus trace de colère et que Catherine jugea toute changée. Comme cette musique est belle ! Il n'est rien de plus divin que la musique... surtout quand elle passe par des voix d'enfants. Mais le Roi n'aime pas les voix d'enfants...

Il parlait pour lui-même, ayant peut-être oublié Catherine, mais celle-ci sentit glisser sur elle un frisson d'horreur au souvenir des abominables nuits de Champtocé, de la confidence terrifiée du vieux Jean de Craon '. Elle noua ses mains ensemble et les serra de toutes ses forces. Il ne fallait pas qu'elle laissât voir à son geôlier la peur qu'il lui inspirait. Si elle

1 . Cf. Belle Catherine, du même auteur, éd. Pocket.

voulait gagner la dangereuse partie engagée, il lui fallait conserver tout son sang-froid et chasser vigoureusement les images d'épouvante.

Elle fit un pas vers la silhouette noire toujours appuyée à la fenêtre.

– Pourquoi n'avez-vous pas révélé à votre cousin ma véritable identité ? demanda-t-elle doucement.

Il répondit sans la regarder :

– Parce que je n'ai aucun besoin que dame Catherine de Brazey aille pourrir au fond d'une geôle ! En revanche, l'Égyptienne nommée Tchalaï a beaucoup de valeur à mes yeux.

Catherine décida de remettre les choses au point, rien que pour voir comment réagirait Gilles.

– Je ne m'appelle plus Catherine de Brazey, dit– elle. Devant Dieu et les hommes, je suis l'épouse d'Arnaud de Montsalvy !

Gilles de Rais bondit à ce nom comme si une guêpe l'avait piqué. Il se tourna vers Catherine et la considéra avec stupeur.

– Comment avez-vous fait ? Montsalvy est mort dans les cachots de Sully-sur-Loire voici près de deux ans. La Trémoille est un bon geôlier, les cachots de son château de Sully ne rendent jamais leurs prisonniers.

– Eh bien ! Il faut croire que vous êtes mal renseigné car j'ai épousé Arnaud de Montsalvy à Bourges, en l'église Saint-Pierre-le-Guillard, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1431. C'est frère Jean Pasquerel qui nous a unis. Vous vous souvenez de Frère Jean, messire de Rais ? Il était le chapelain de...

D'un geste épouvanté, Gilles lui imposa silence.

– Ne prononcez pas ce nom ! haleta-t-il en se signant précipitamment. Pas devant moi ! Jamais devant moi ! Dieu... si elle vous entendait !

– Elle est morte, fit Catherine, dédaigneuse devant cette peur abjecte qu'il montrait tout à coup. Qu'avez– vous à en craindre ?

Elle est morte, mais son âme vit et l'âme des sorciers est redoutable. II suffit pour les évoquer de pro noncer leur nom. Je ne veux plus jamais entendre ce nom-là !

– Comme vous voudrez, fit Catherine en haussant les épaules.

Mais il n'en demeure pas moins que je suis dame de Montsalvy et que j'ai même un fils.

Du moment que Catherine renonçait à évoquer Jehanne d'Arc, Gilles consentait à se calmer. Son visage, devenu blême, retrouvait un peu de couleur.

– D'où vient que vous soyez seule ici, dans ce cas V Où est Montsalvy ?

Le visage de Catherine se fit de pierre. Elle baissa les paupières pour qu'il ne vît pas la douleur qu'elle éprouvait chaque fois qu'il lui fallait prononcer les mots cruels.

– Mon époux est mort, lui aussi. Voilà pourquoi je suis seule.

Il y eut un silence qui devint vite insoutenable. Pour le dissiper Catherine demanda, presque sur un ton de conversation mondaine, afin d'alléger un peu l'atmosphère trop tendue :

– Puis-je savoir comment va messire Jean de Craon, votre grand-père, et Dame Anne son épouse qui fut bonne pour moi lorsque j'étais chez vous ?

Elle regretta aussitôt ses paroles. Une effroyable colère tordit le masque démoniaque de Gilles. Il la regarda avec des yeux de fou.

– Mon grand-père est mort à l'automne passé, le 15 novembre...

en me maudissant. C'est à mon frère, vous entendez, à ce pâle avorton René, qu'il a légué son épée. Et vous osez me demander de ses nouvelles ? J'espère qu'à l'heure actuelle son âme damnée flambe en Enfer ! J'espère que...

– Finissons-en, monseigneur, fit-elle durement. Oubliez les vôtres et les griefs que vous croyez avoir contre eux et dites-moi plutôt pourquoi vous avez tant besoin de l'Égyptienne nommée Tchalaï ?

Parce que je veux l'objet même que vous êtes venue chercher dans ce château : je veux le diamant noir ! Une fille de Bohême, cela sait tricher, cela sait voler, cela sait envoûter !

– Je ne suis pas une vraie fille de Bohême...

Brusquement, Gilles abandonna tout à fait le ton de courtoisie qu'il s'était efforcé de garder jusque-là. Une flamme cupide embrasait son regard. Il marcha vers Catherine, la saisit aux épaules, si violemment qu'elle gémit.

– Non, mais tu en sais aussi long que ces chèvres noires. Tu n'es pas une fille de Bohême, mais tu es une fille du Diable ! Toi aussi, tu es sorcière ! Tu envoûtes les hommes ; seigneurs ou vilains, ils viennent manger dans ta main comme des oiseaux craintifs. Tu échappes aux pires dangers et toujours tu reparais, plus forte, plus belle ! Tu es mieux qu'une Égyptienne ! N'as-tu pas été élevée par ce démon femelle que je voulais brûler ?

Sara ! Catherine se fit aussitôt de violents reproches. Comment avait-elle pu, durant tout ce temps, oublier Sara... Et cet homme, tout à l'heure, avait dit qu'elle était arrivée chez les Tziganes avec sa tante.

– J'ai perdu ma vieille Sara. Je ne sais même pas où elle est.

Depuis ce matin, elle a disparu.

– Moi, je le sais. L'un de mes hommes l'a reconnue tantôt quand elle courait la ville à la recherche de ce Tristan l'Hermite. Elle est désormais sous bonne garde... mais, rassure-toi, elle ne craint rien. Du moins pour le moment. Son sort dépendra de ton obéissance.

– Je vous serais reconnaissante de ne pas me tutoyer, fit Catherine sévèrement. Et de me dire, en outre, ce qu'il est advenu de maître Tristan.

– Cela, je l'ignore, fit Gilles qui, sans tenir aucun compte de la défense, poursuivit : Lorsque j'ai envoyé des hommes pour arrêter ton complice, à l'auberge du « Pressoir Royal », il a réussi, je ne sais par quel sortilège, à leur échapper en sautant par une fenêtre. Depuis, personne ne l'a revu.

Catherine fit un effort pour échapper aux mains nerveuses qui meurtrissaient ses épaules, mais ce fut en vain. Il la tenait bien et rapprocha de son visage celui de la jeune femme presque à le toucher.

L'odeur de vin dont son haleine était chargée lui fit faire la grimace.

– Lâchez-moi, messire ! dit-elle les dents serrées et tâchons de nous expliquer clairement car nous nageons en plein malentendu. Je ne suis pas, quoi que vous en pensiez, venue ici pour le diamant noir.

En fait, j'ignorais même qu'il fût entre les mains de votre cousin.

Impressionné par la netteté du ton, Gilles de Rais lâcha la jeune femme qui, calmement, alla s'asseoir dans la grande chaire d'ébène qu'il occupait tout à l'heure. Il la regarda avec une sorte de stupeur, comme s'il ne comprenait pas bien ce qu'elle venait de lui dire, et garda le silence un moment.

Puis il hocha la tête et demanda avec une sorte d'incrédulité :

– Ce n'est pas le diamant que vous cherchez ? murmura-t-il. Que cherchez-vous alors ?

– Réfléchissez, monseigneur. Je suis veuve et j'ai un fils. D'autre part, nous, les Montsalvy, sommes proscrits, ruinés, en danger de mort si l'on nous met la main dessus. Et de qui dépend notre sort ? De votre cousin La Trémoille. Voilà pourquoi j'ai voulu entrer ici : pour l'approcher, le séduire si je le peux et parvenir enfin à lui arracher ma grâce, celle des miens, ainsi que les terres qui rendront un apanage à mon fils. Est-ce que cela ne vous semble pas une raison suffisante ?

– Pourquoi, alors, ce déguisement ?

Catherine haussa les épaules..

– Aurais-je seulement franchi la première barba– cane du château sans être arrêtée si je m'étais présentée sous mon aspect normal ? – Et comme Gilles secouait la tête sans répondre, elle continua : Le hasard a voulu que j'apprenne le goût de votre cousin pour les chants et les danses des Egyptiennes. Avec l'aide de Sara, il m'était facile de me glisser parmi elles. Vous savez la suite... Maintenant, je voudrais savoir, à mon tour, ce que vous entendez faire de moi.

Gilles ne répondit pas tout de suite. La mine sombre, il jouait nerveusement avec une dague à poignée d'or qu'il avait prise sur un coffre. La jeune femme osait à peine respirer, craignant de troubler ce silence plein de menaces. Mais, soudain, elle sursauta. Gilles venait de planter la dague dans le bois précieux du coffre et, sans regarder Catherine, articulait :

– Je veux que vous voliez pour moi le diamant noir, que vous me le remettiez ensuite...

– Vous oubliez qu'il m'appartient. Au fait, j'aimerais savoir comment il est venu entre les mains de votre cousin.

– Un tavernier de je ne sais quel pays aurait entendu l'homme auquel vous l'avez confié, un certain pelletier de Bourges, dire qu'il engagerait le diamant chez un juif de Beaucaire, nommé je crois Abrabanel. Espérant une bonne récompense, le tavernier est venu conter l'affaire au Grand Chambellan. Dès lors, la chose était facile.

– Il a fait tuer maître Cœur ? s'écria Catherine douloureusement.

– Ma foi non. Votre émissaire ayant déjà touché son or avait pris le large. Le juif avait le diamant. Il n'a pas voulu le remettre aux émissaires de mon cousin... et il en est mort.

Catherine poussa un cri d'horreur qui s'acheva en un rire à la fois douloureux et ironique.

– La mort ! Encore !... Et vous voulez cette pierre maudite ? Car elle est maudite. Elle traîne après elle le malheur, le sang, la souffrance. Ceux qui la possèdent connaissent les pires destins ou bien en meurent, tout simplement. Et j'espère qu'il en sera de même pour votre beau cousin. Si vous voulez ce diamant, venu tout droit de l'enfer, vous n'avez qu'à le prendre vous– même !

Exaspérée, sa voix était montée jusqu'au cri, mais déjà les mains de Gilles s'étaient abattues brutalement sur elle et pesaient impitoyablement sur ses épaules tandis que le visage tordu de colère et de peur se rapprochait du sien.

J'ai moins peur de Satan que de tes maléfices, maudite sorcière ! Et tu n'as pas le choix. Demain, tu seras livrée à La Trémoille : ou bien tu voleras pour moi le diamant ; ou bien tu mourras dans les supplices, et ton Égyptienne avec toi. Tu n'es rien ici, qu'une ribaude sans importance que l'on peut supprimer à son gré. Les bonnes gens du pays ne sont jamais si heureux que lorsqu'ils voient le corps d'un de tes frères se balancer au gibet.

– Alors, il faudra me faire couper la langue, lança Catherine froidement. Car, dans les supplices, je parlerai, je dirai qui je suis et pourquoi vous m'avez entraînée ici. De toute façon, conclut-elle amèrement, je mourrai. Vous ne me laisserez pas sortir d'ici vivante.

Je n'ai donc aucun intérêt à voler cette pierre pour vous.

– Si ! Contre la pierre tu auras la vie sauve. C'est de nuit qu'il te faudra agir. La Trémoille habite cette tour même. Le diamant en ta possession, tu n'auras qu'à me l'apporter et moi je te ferai sortir d'ici. Il te restera à faire décamper ta tribu au plus vite car votre salut dépendra de la vitesse de vos jambes. Vous aurez la fin de la nuit pour fuir... car, bien entendu, tu seras accusée et les tiens avec toi.

– Les hommes d'armes nous auront vite retrouvés, fit Catherine.

Votre « vie sauve » n'est qu'un sursis mal déguisé et qui fera couler le sang d'une foule de braves gens.

– Cela ne me regarde plus. À toi de ne pas te faire prendre. Au surplus, si cela t'arrivait, sache bien qu'il ne te servirait à rien de dire la vérité. Entre la parole d'une fille d'Égypte et celle d'un maréchal du Roi, personne n'hésiterait. Tu ne réussirais qu'à faire rire.

– Et... si je refuse ?

– Ta Sara va être conduite sur l'heure à la chambre des tortures Tu pourras assister au spectacle avant d'y participer toi-même.

Catherine détourna la tête avec dégoût. Le masque convulsé de Gilles avait quelque chose de diabolique et le rendait hideux. Elle haussa les épaules et soupira.

– C'est bien, j'obéirai... Je crois bien qu'en effet je n'ai pas le choix.

– Tu voleras le diamant et tu me le donneras ?

– Oui..., dit-elle avec lassitude. Je vous le donnerai en espérant qu'il vous portera malheur à vous comme aux autres ; au surplus je n'ai vraiment pas envie de garder une...

La gifle que lui assena Gilles lui coupa la parole sur un cri de douleur. Elle avait été si violente qu'elle avait cru sa tête emportée.

– Je n'ai que faire de tes malédictions, coquine. Tu n'as qu'à obéir si tu ne veux pas qu'il t'en cuise. À obéir, tu entends, avec humilité !

La douleur avait fait perler des larmes aux cils de Catherine. Elle les ravala courageusement, mais sa tête sonnait encore comme une cloche. Elle regarda haineusement l'homme qui, maintenant, se dressait devant elle et ordonnait :

– Aide-moi à me dévêtir !

Il s'était assis et tendait un pied botté pour qu'elle le déchaussât.

Elle hésita un instant, mais elle le connaissait trop pour résister. À

quoi bon ? Pour risquer un coup de dague dans un accès de fureur ?

Apparemment, il marquait sa volonté de l'humilier... Avec un soupir elle s'agenouilla.

Tandis que Catherine lui enlevait les différentes pièces de son costume, Gilles avait saisi sur la table un hanap de vin et buvait, à longues gorgées avides. Quand il fut vide, il le jeta et en prit un autre qu'il se mit à ingurgiter avec autant d'ardeur. Un troisième suivit.

Catherine, horrifiée, voyait son visage gonfler et s'empourprer, ses yeux s'injecter comme si le vin épais coulait directement sous sa peau.

Quand il n'eut plus rien sur le corps, il saisit sur un siège une longue robe de velours noir, l'enfila, serra la cordelière autour de ses reins et jeta à la jeune femme un coup d'œil mauvais tout en s'approchant d'un dressoir qui supportait des flacons.

– Maintenant, déshabille-toi, ordonna-t-il.

Une lente rougeur monta aux joues de Catherine qui serra les poings.

Un éclair de colère brilla dans ses yeux tandis que sa bouche se pinçait sur un pli d'obstination.

– Non !

Elle s'attendait à une explosion de fureur. Il n'en fut rien. Gilles poussa un soupir et, se dirigeant d'un pas nonchalant vers le fond de la pièce, il prit, sur un meuble, un long fouet de chasse.

– C'est bien, dit-il seulement. Je vais le faire moi– même... avec ceci.

Et, joignant le geste à la parole, il frappa. La longue mèche souple siffla et s'enroulant, avec une habileté diabolique, autour d'une manche flottante l'arracha d'un coup sec, non sans brûler au passage le bras de Catherine qui retint à grand-peine un gémissement. Elle comprit qu'elle était vaincue, qu'il lui fallait obéir sous peine d'être assommée à coups de fouet par cette brute.

– Arrêtez, dit-elle d'une voix morne. J'obéis !

L'instant suivant, la dalmatique soyeuse et la fine chemise tombaient à ses pieds...

Lorsque revint le jour, Catherine n'avait plus de larmes. Recrue d'horreur et de souffrance, elle était parvenue aux limites de l'épuisement. De cette nuit aux mains du sire de Rais, elle devait garder un terrible, un ineffaçable souvenir...

L'homme était fou, il n'y avait pas d'autre explication. C'était un maniaque du sang et du vice et, durant des heures, la malheureuse avait dû subir les odieuses fantaisies que dictaient à Gilles son esprit détraqué et sa virilité déclinante. Son corps meurtri, griffé, malmené, lui interdisait le sommeil et le sang coulait encore de son épaule dans laquelle le forcené avait mordu à pleines dents.

Durant toute cette nuit de cauchemar, il n'avait cessé de boire, de boire jusqu'au délire, et Catherine, plus d'une fois, avait cru sa dernière heure venue, mais Gilles s'était contenté de la rouer de coups sans presque cesser de l'injurier bassement.

En constatant la quantité de vin absorbée par son bourreau, Catherine avait espéré qu'il finirait par s'endormir, mais, quand l'aurore parut et que les guetteurs cornèrent l'ouverture des portes de la ville, Gilles n'avait pas encore fermé les yeux. Il avait seulement rejeté les couvertures et s'était levé, étirant dans la fraîcheur du matin son corps nu. Il avait revêtu ses habits, et sans même un regard à la jeune femme, inerte sur le lit dévasté, il était sorti pour aller chasser comme chaque matin. Du fond des courtines où elle essayait de trouver une position meilleure, Catherine avait entendu les appels de trompe ; les aboiements des chiens impatients de partir, puis le grondement du pont-levis que l'on abaissait.

Au-dehors, le jour de printemps devait s'annoncer beau, mais, derrière les épaisses murailles du donjon, il pénétrait à peine par les étroites fenêtres, franchissant, gris et terne, les petites vitres serties de plomb. Le feu était éteint si les chandelles, près d'en faire autant, brûlaient encore. L'épaule de Catherine lui faisait si mal que, malgré sa lassitude, elle se leva pour chercher de l'eau dans une aiguière posée un peu plus loin. Mais à peine eut-elle mis le pied à terre que la chambre se mit à tourner autour d'elle tandis que tout se brouillait dans son esprit. Elle poussa un gémissement et se laissa retomber sur le lit, vidée de ses forces. Elle se sentait affreusement faible et misérable.

Secouée de frissons, elle ramena les draps sur son corps exténué. Si elle appelait ? Peut-être qu'une servante viendrait s'occuper d'elle.

A cet instant même, la porte s'ouvrit doucement, laissant passer d'abord la tête barbue, puis l'énorme corps de La Trémoille. Avant d'entrer, le gros chambellan jeta un coup d'œil circulaire dans la chambre, puis, rassuré par l'absence de Gilles, referma la porte sur lui avec beaucoup de soin et s'avança vers le lit sur la pointe des pieds.

Les yeux grands ouverts, Catherine le regardait approcher avec angoisse. La Trémoille portait une vaste robe de chambre en soie vert pomme, abondamment garnie d'or à son habitude, et un bonnet de nuit se drapait sur son crâne à peu près chauve. Cette tenue terrifia

"Catherine : le gros chambellan avait-il l'intention de prendre immédiatement la place abandonnée par Gilles ? Prête à hurler, la jeune femme mordit le drap pour s'en empêcher.

Cependant, La Trémoille, un large sourire aux lèvres, se penchait sur elle et, lui voyant les yeux ouverts :

– J'ai entendu partir mon cousin et j'ai pensé à te rendre une petite visite, ma jolie biche. De toute cette nuit je n'ai pas dormi tant j'étais occupé de toi. Heureusement, elle est terminée, cette maudite nuit, et, de cette heure, tu m'appartiens.

Sa main grasse se tendait vers la rondeur d'une épaule dessinée par la couverture et, impatiemment, faisait glisser le tissu, cherchant la douceur de la peau. C'était l'épaule meurtrie de Catherine qui gémit de douleur tandis que La Trémoille retirait précipitamment sa main et la considérait avec stupeur : elle était tachée de sang.

– Par pitié, messire, gémit Catherine, ne me touchez pas. J'ai si mal !

Pour toute réponse, La Trémoille empoigna les draps et les rejeta au pied du lit. Le corps, marbré de bleu, griffé et maculé de sang sec ou frais, apparut. Le gros chambellan devint violet de colère.

– Le chien puant. Comment a-t-il osé l'abîmer de la sorte ; quand elle m'était réservée ! Il me le paiera ! Oh ! oui ! il me le paiera !

Malgré sa souffrance, Catherine regardait avec stupeur cette masse de graisse que la colère faisait trembloter comme une gelée, mais La Trémoille prit cet étonnement pour de la terreur. Avec une douceur inattendue, il remonta le drap de soie sur le corps blessé.

N'aie pas peur, petite ! Je ne te ferai aucun mal, moi... Je ne suis pas une brute et je vénère trop la beauté pour en user avec cette barbarie.

Tu m'appartenais et il a osé te frapper, te blesser alors que tu devais venir chez moi dès ce matin.

Apparemment, songea Catherine, c'était ce qu'il pardonnait le moins : que Gilles eût osé abîmer quelque chose qu'il considérait comme son bien. Son indignation eût sans doute été aussi forte pour un chien, ou un cheval, ou une pièce d'orfèvrerie... Mais elle décida d'en profiter tout de même.

– Seigneur, pria-t-elle, ne pourriez-vous envoyer une servante qui soignerait mon épaule ? Elle me fait affreusement mal et...

– Je vais non seulement envoyer des servantes, mais encore des valets. On va te transporter chez moi sur l'heure, belle Tchalaï... c'est bien là ton nom, n'est-ce pas ?... Tu seras soignée, réconfortée, et moi je veillerai sur toi jusqu'à ton rétablissement total.

– Mais... monseigneur de Rais ?

Un pli méchant se forma au coin des grosses lèvres humides.

– Tu n'en entendras plus parler ! Chez moi, nul n'ose entrer sans ma permission, lui comme les autres ! Il sait trop que, s'il se le permettait, je le renverrais au plus vite dans son manoir d'Anjou.

Attends-moi... je reviens.

II allait sortir, mais, poussé par une convoitise qu'il ne pouvait tout de même pas maîtriser, il posa, pardessus le drap, sa main sur la cuisse de Catherine et la caressa.

– Plus vite tu seras guérie, petite, et plus vite je serai heureux !

Car, ensuite, tu seras très gentille avec moi, n'est-ce pas ?

– Je suis votre servante, seigneur..., balbutia Catherine, inquiète d'entendre son souffle se faire plus court, mais, pour l'heure, je me sens si mal, si mal...

Il retira sa main à regret, mais ce fut pour lui tapoter la joue.

– Allons, il faut être raisonnable ! Ce n'en sera que plus agréable plus tard.

Cette fois, il sortit réellement, à une vitesse dont Catherine, soulagée, eût cru pareille masse incapable. La porte claqua derrière lui avec un bruit de tonnerre. Ne pouvant penser davantage, la jeune femme ferma les yeux, attendant qu'on vînt s'occuper d'elle. La pensée d'aller chez La Trémoille ne lui faisait pas peur. Rien ne pouvait être pire que la nuit affreuse qu'elle venait de vivre... et puis n'était-ce pas cela qu'elle était venue chercher : l'entrée chez son ennemi ?

Quelques instants plus tard, deux vieilles servantes, si laides et si ridées qu'elles rappelèrent à Catherine la vieille phuri dai, vinrent s'occuper d'elle. Ses blessures furent lavées, enduites de baume, pansées sans que les deux vieilles eussent proféré une parole. Elles étaient extraordinairement semblables et, dans leurs vêtements noirs, ressemblaient à des statues funèbres, mais leurs mains avaient une agilité et une souplesse extrêmes. Quand elles en eurent fini avec elle, Catherine se sentit déjà mieux. Et lorsqu'elle voulut les remercier, les deux vieilles s'inclinèrent sans répondre et allèrent s'asseoir au pied du lit, sans plus bouger que des souches. Au bout d'un moment, l'une d'elles claqua dans ses mains et des valets apparurent portant une sorte de civière sur laquelle les deux vieilles placèrent Catherine revêtue d'une chemise, de sa dalmatique blanche et d'une couverture de laine.

Le cortège s'engagea dans l'étroit escalier du donjon pour gagner l'étage supérieur à la porte duquel attendaient deux valets porteurs de torches. L'un d'eux se pencha lorsque la civière passa auprès de lui et Catherine retint une exclamation de surprise. Sous la livrée aux aiglettes d'azur de La Trémoille, elle venait de reconnaître, barbu et abondamment chevelu, Tristan l'Hermite en personne !

Elle ne chercha même pas à comprendre comment il était venu là.

Une véritable marée de soulagement la submergea ; fermant les yeux, elle se laissa emporter vers sa nouvelle prison.

La façon dont on installa Catherine lui donna une idée du prix que le Grand Chambellan attachait à sa personne. Introduite dans l'une des tourelles qui accolaient le donjon, elle ne vit d'abord qu'un grand lit à courtines de serge rouge qui occupait la plus grande partie de cette petite chambre, éclairée par une mince fenêtre. Catherine y fut couchée fort soigneusement sur des matelas fort doux puis laissée à la garde des deux vieilles, ce qui ne lui causa aucun plaisir. Il y en avait toujours une dans sa chambre accroupie au pied du lit, aussi immobile et silencieuse qu'une pierre.

La jeune femme découvrit bientôt la raison de ce silence. Les deux femmes, deux jumelles, étaient muettes. Il y avait bien longtemps qu'on leur avait coupé la langue afin de les rendre définitivement discrètes. Elles étaient Grecques d'origine, comme La Trémoille en informa Catherine, mais sans lui apprendre par quel obscur cheminement ces femmes étaient venues du marché aux esclaves d'Alexandrie à la cour du roi Charles VII. Le Grand Chambellan les avait gagnées aux échecs, voici bien des années, au prince d'Orange.

Depuis, Chryssoula et Nitsa le servaient fidèlement et le suivaient dans les méandres les plus sombres de son existence. Elles avaient toujours la garde des femmes que La Trémoille attirait et se réservait.

Et elles étaient tellement semblables l'une à l'autre qu'au bout de cinq jours Catherine était encore incapable de les distinguer.

La présence continuelle de ces femmes l'obsédait. Elle eut cent fois préféré la solitude à ces ombres silencieuses, ces visages murés sur leur secret où les yeux seuls avaient l'air de vivre. Encore Catherine éprouvait– elle un malaise quand le regard de sa gardienne du moment tournait dans son orbite et glissait vers elle... De plus, la joie qu'elle avait ressentie en reconnaissant Tristan sous la défroque d'un valet s'était estompée. Elle avait espéré qu'il viendrait auprès d'elle dans les heures suivantes, mais, en dehors de La Trémoille, aucun homme n'avait franchi le seuil de sa chambrette. Seules, les deux vieilles Grecques paraissaient en avoir la permission.


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