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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– C'est pas la peine, dame Catherine, murmura Donatienne d'un ton navré. Elle n'est plus là.

– Mais si. Elle revient. Mère ! Regardez-moi. Vous me reconnaissez ?

Toute sa volonté était tendue, bandée pour tenter d'atteindre la pensée flottante de la malade. Elle souhaitait tellement faire passer ses forces, à elle, dans ce corps exténué qu'elle avait l'impression d'un courant de chaleur unissant leurs mains. Une fois encore, elle supplia

:

Regardez-moi. Je suis Catherine, votre fille, la femme d'Arnaud. Un frisson courut sous la peau sèche d'Isabelle à ce nom. Son regard, net cette fois, se posa sur le visage anxieux de la jeune femme.

– Catherine, fit-elle dans un souffle... Vous êtes revenue ?

– Oui, Mère... je suis revenue. Et je ne vous quitterai plus., plus jamais.

Les yeux sombres de la malade la regardèrent avec une anxiété nuancée de doute.

– Vous... resterez ? Mais... ce jeune homme... Brézé ?

– Il a pris ses rêves pour une réalité. Je ne le reverrai plus. Je suis Catherine de Montsalvy et je le resterai, Mère. Je suis « sa » femme...

Rien que sa femme !

Une intense expression de béatitude et de soulagement détendit les traits de la malade. Sa main, qui s'agrippait à celle de Catherine, se fit molle et souple, un léger sourire entrouvrit ses lèvres.

– Dieu soit béni, soupira-t-elle. Je peux mourir en paix.

Elle ferma les yeux un instant, les rouvrit et regarda Catherine avec tendresse. Elle lui fit signe de se pencher vers elle et, mystérieusement :

– Je l'ai revu, vous savez.

– Qui, ma Mère ?

– Lui, mon fils. Il est venu à moi... Il est toujours aussi beau. Oh oui ! Tellement beau !

Une violente quinte de toux lui coupa la parole brutalement. Son visage s'empourpra, le regard vacilla. La pauvre femme retomba en arrière luttant contre l'étouffement. L'instant de rémission était passé.

Donatienne s'approcha avec sa tasse.

– Le mire dit qu'il faut lui faire boire, quand elle tousse, une décoction de coquelicot, de mauve et de violette séchés, mais ce n'est pas facile.

Avec l'aide de Catherine, elle parvint tout de même à faire avaler à la malade quelques gouttes du liquide. La toux se fit moins caverneuse. Peu à peu, le corps crispé se détendit, mais les yeux ne se rouvrirent pas.

– Elle va peut-être dormir un peu, chuchota Dona– tienne. Allez vous reposer aussi, dame Catherine. Ce long voyage a dû vous fatiguer. Je veillerai bien encore jusqu'au matin.

– Vous êtes exténuée, Donatienne.

– Bah ! je suis solide, fit la vieille paysanne avec un courageux sourire. Et puis, vous savoir là, ça me donne courage.

De la tête, Catherine désigna la malade qui, en effet, semblait s'assoupir.

– Il y a longtemps qu'elle est malade ?

– Plus d'une semaine, gracieuse dame. Elle a voulu aller là-bas...

à Calves, avec Fortunat. Elle n'en pouvait plus d'être séparée de son fils... Quand elle est revenue, elle avait reçu toute la grosse pluie qui est tombée pendant trois jours, sans vouloir s'arrêter. Fortunat n'a pas pu l'obliger à s'abriter. Elle est revenue trempée, transie, claquant des dents. La nuit qui a suivi elle a été prise d'une grande fièvre. Depuis, le mal ne l'a plus quittée.

Sourcils froncés, Catherine avait écouté Donatienne sans l'interrompre. Le remords la rongeait. Elle comprenait si bien la réaction d'Isabelle. Dans son cœur de mère, elle avait voulu compenser le mal que Catherine avait fait à Arnaud, même si celui-ci l'ignorait. Comment, d'ailleurs, l'aurait-il su dans le tombeau qu'était la léproserie ? Tous les bruits du monde ne s'arrêtaient-ils au seuil des morts-vivants, tolérés à condition de se tenir à l'écart de tous et de se faire oublier ?

Machinalement Catherine demanda :

– Au fait, où est Fortunat ?

Ce fut Gauthier, qui était demeuré en contemplation auprès de Michel, qui répondit :

– C'est vendredi, aujourd'hui, dame Catherine. Fortunat est parti hier pour Calves, comme il le fait, chaque semaine. Pas une fois, il n'y a manqué et il va toujours à pied, par humilité.

– Avez-vous donc tant de vivres à envoyer là-bas ?

– Non. Parfois, Fortunat n'emporte qu'une petite miche de pain ou un fromage, parfois même rien du tout. Mais il s'assoit sur un tertre d'où l'on voit la maladrerie et il reste là des heures, à regarder... C'est un étrange garçon, mais, je vous l'avoue, dame Catherine, je n'ai jamais rencontré fidélité semblable.

Gênée, quoi qu'elle en eût, Catherine détourna la tête pour dérober la subite rougeur de son front. Certes, le petit écuyer gascon donnait là une grande leçon. Rien n'était capable de l'arracher à ce maître qu'il ne pouvait oublier. Et quand elle comparait sa propre conduite à celle de Fortunat, Catherine se disait que l'avantage allait au Gascon.

– Moi non plus, murmura-t-elle. Qui aurait pensé que ce garçon s'attacherait de la sorte ? Au fait, quand rentre-t-il... de là-bas ?

– Demain dans la journée.

Mais, le lendemain, Fortunat ne revint pas. C'est seulement vers le soir que Catherine s'en aperçut, lorsque l'on se réunit dans la salle commune pour le souper. Tout le jour, elle était demeurée auprès d'Isabelle qui semblait aller un peu mieux. De plus, elle avait eu avec le prieur de l'abbaye, une assez longue conversation. Il était temps, pour elle, de rebâtir le château et elle en avait les moyens. L'Argentier Royal lui avait compté une belle somme en écus d'or et elle possédait toujours ses bijoux, moins peut-être les quelques pierres vendues par elle-même ou par Isabelle pour subsister tous ces derniers temps.

Bernard de Calmont, le jeune abbé de Montsalvy, était un homme énergique et intelligent. Elle lui offrit, en remerciement de la protection accordée aux siens, une superbe plaque de rubis pour agrafer sa chape de cérémonie et commença de faire les premiers projets de reconstruction. L'un des moines de l'abbaye, le Frère Sébastien, fut chargé de dresser des plans, un autre de chercher la carrière d'où l'on tirerait les pierres. Comme toutes les grandes abbayes, Montsalvy offrait un ensemble de tous les corps de métiers, ou peu s'en fallait.

– De toute façon, lui avait dit l'abbé, vous pouvez demeurer ici aussi longtemps que vous le désirerez. La maison des hôtes est suffisamment à l'écart des bâtiments conventuels pour que la présence même prolongée d'une jeune femme ne soit point matière à scandale.

Tranquille sur ce point, Catherine s'était alors occupée de Tristan l'Hermite et de ses hommes qui, le matin suivant, devaient repartir pour Parthenay. Les soldats avaient reçu une généreuse gratification.

Quant à Tristan, elle lui avait offert une lourde chaîne d'or garnie de turquoises qui avait appartenu jadis à Garin de Brazey.

– Elle vous fera souvenir de nous, lui dit-elle en la lui passant au cou. Portez-la souvent en mémoire de Catherine.

Il avait eu son curieux sourire de coin et avait murmuré d'une voix sans doute plus émue qu'il ne l'aurait voulu :

– Croyez-vous qu'il soit besoin d'un joyau royal pour me souvenir de vous, dame Catherine ? Dussé-je vivre deux cents ans que je ne vous oublierais pas. Mais je porterai avec joie cette chaîne aux grands jours. Avec orgueil aussi puisqu'elle me viendra de vous.

Le souper pris en commun devait être le dernier avant leur séparation. Catherine éprouvait une peine réelle à se séparer de ce bon compagnon, peu bavard, mais qui savait se montrer tellement dévoué et d'un courage si efficace. Aussi voulut-elle que, malgré l'état de sa belle– mère, ce repas revêtit quelque éclat. Avec l'aide de Donatienne et la bonne volonté de la basse-cour du couvent, elle parvint à en faire un souper, sinon somptueux, du moins honorable.

Vêtue d'une des robes élégantes, bien peu nombreuses, qu'elle possédait encore, elle s'installa auprès de son hôte sous un dais seigneurial et ce fut Gauthier qui servit le festin, avec plus de bonne volonté que de style.

Mais les deux amis n'en dévorèrent pas moins vigoureusement la soupe aux choux et les chapons rôtis de l'abbé.

Quand on sortit de table, Catherine vit que la nuit était tout à fait tombée, et s'informa de Fortunat. Toute la journée, elle avait attendu son retour, avec l'espoir absurde de nouvelles fraîches. Comme s'il pouvait y avoir des nouvelles quelconques lorsqu'il s'agissait d'un lépreux ?... Ce fut une déception d'apprendre qu'il n'était pas encore revenu. Et à cette déception s'ajouta une inquiétude en constatant que Gauthier semblait soucieux.

– Il a dû s'attarder, dit-elle lorsqu'il revint d'une ultime visite à la loge du frère-portier. Il reviendra demain.

Mais le Normand hocha la tête.

– Fortunat ? Il est d'une exactitude d'horloge. Il part toujours à la même heure, il revient toujours à la même heure, juste avant le souper. Ce n'est pas naturel qu'il ne soit pas là.

Son regard croisa celui de Catherine. Tous deux avaient la même pensée. Il était arrivé quelque chose a Fortunat, mais quoi ? Une mauvaise rencontre était toujours possible bien que la région fût assez sûre depuis que les Armagnacs avaient renforcé la garnison de Carlat et que l'énergique Bernard de Calmont régentait l'abbaye. L'Anglais, d'ailleurs, abandonnait une à une les places fortes d'Auvergne.

– Attendons, fit seulement Catherine.

– Demain, à l'aube, j'irai au-devant de lui.

Catherine eut envie de dire : « J'irai avec toi. » Mais elle se ravisa. Elle ne pouvait pas laisser Isabelle en ce moment. Dans ses rares instants de lucidité, la vieille dame la réclamait aussitôt et montrait une telle joie de sa présence que Catherine se faisait scrupule de l'en priver. Elle se contenta de soupirer :

– C'est bien. Tu feras comme bon te semblera.

Avant de se coucher, elle fit un tour dans la maison, soucieuse de remplir exactement tous ses devoirs d'hôtesse. Puisque l'abbé lui laissait la libre disposition de l'hôtellerie, elle entendait que tout y marchât au mieux. Elle alla même jusqu'à l'écurie, où l'on avait installé les chevaux de l'escorte, mais c'était plus pour une raison sentimentale que par souci de bon ordre. En effet, elle avait eu la surprise d'y retrouver Morgane, sa jument blanche, que l'Écossais Hugh Kennedy, fidèle à la promesse qu'il lui avait faite, avait fait ramener de Carlat. Morgane était pour elle un personnage d'importance, autant qu'une amie. Toutes deux se comprenaient à merveille et s'étaient retrouvées avec joie.

– Nous voilà destinées à vieillir doucement ensemble, dit Catherine avec un peu de mélancolie en flattant la robe neigeuse de Morgane. Tu ne seras plus que la sage haquenée d'une dame encore plus sage.

Les grands yeux intelligents de Morgane la regardèrent avec une expression que Catherine jugea diabolique et le hennissement batailleur qui l'accompagnait laissait entendre clairement que la petite jument, pour sa part, n'en croyait rien... C'était tellement frappant que Catherine se mit à rire. Elle tendit à Morgane un morceau de sucre apporté tout exprès pour elle, puis lui claqua gentiment la croupe.

– Nous avons envie d'aventures, à ce qu'il paraît ? Eh bien, ma belle, il faudra te faire une raison.

En quittant l'écurie, Catherine fut tentée de s'attarder dans la cour parce que la nuit était exceptionnellement belle, mais Donatienne vint lui dire qu'elle lui avait dressé un lit dans une chambre voisine de celle d'Isabelle.

– Je voulais réinstaller près d'elle, protesta Catherine. Vous avez suffisamment veillé, Donatienne. Il faut dormir.

– Bah ! je dors aussi bien sur un banc, dit la vieille paysanne avec un bon sourire. Et puis, je crois que cette nuit elle dormira bien. Le frère apothicaire m'a donné pour elle une décoction de pavots... Vous devriez bien en prendre un peu, vous aussi. Vous semblez si nerveuse.

– Je crois que je dormirai parfaitement sans cela.

Elle alla embrasser Michel qui gazouillait une prière sous l'œil impassible de Gauthier. La camaraderie qui unissait l'enfant au gigantesque Normand l'avait à la fois amusée et surprise. Tous deux s'entendaient à merveille et si Gauthier usait envers le petit seigneur d'une certaine déférence, il ne lui passait pas pour autant touâtes ses fantaisies. Quant à Michel, il adorait Gauthier dont il admirait visiblement la force.

Il avait accueilli sa mère comme si elle l'avait quitté la veille seulement. Il avait couru, sur ses petites jambes, encore hésitantes, jusque dans ses bras, du plus loin qu'il l'avait vue et, nouant ses petites mains, à son cou, il avait niché sa tête blonde contre celle de Catherine et puis il avait eu un grand soupir de bonheur.

– Maman, avait-il dit seulement.

Et Catherine en avait pleuré.

Ce soir-là, elle l'installa elle-même dans son lit puis, l'ayant embrassé, le laissa écouter l'histoire que commençait Gauthier.

Chaque soir, le Normand racontait une histoire à son petit ami, ou un fragment d'histoire si le récit était trop long, et c'étaient toujours ces étranges légendes du Nord, pleines de génies, de dieux fantastiques et de vierges guerrières. Le petit écoutait, bouche bée, et finissait par s'endormir peu à peu.

Catherine se retira sur la pointe des pieds tandis que Gauthier commençait :

« Alors, le fils d'Eric le Rouge monta dans son bateau avec ses compagnons et s'en alla avec eux sur la grande mer... »

La voix de Gauthier avait quelque chose d'endormant. L'enfant était trop jeune pour comprendre ces récits d'un autre âge, mais il ouvrait tout de même de grands yeux émerveillés, attiré par la mélopée des mots inconnus et le charme de ce timbre grave. Dans son petit lit étroit, Catherine s'y laissa aller elle aussi, sensible à l'apaisement que la voix lui apportait. Sa dernière pensée fut pour Sara. Ils avaient voyagé si vite, elle et les Bretons, qu'ils avaient pu la dépasser sans le savoir.

Mais, sans doute, ne tarderait-elle plus maintenant. L'idée qu'il pût lui arriver quelque chose ne l'effleura même pas. Sara était indestructible, elle savait les secrets de la Nature et la Nature était son amie. Bientôt elle serait là... oui, bientôt...

Le fils d'Éric le Rouge voguait depuis peu de temps sur les vagues vertes de la mer qui n'a pas de fin, que Catherine dormait profondément.

Elle eut une étrange vision, vers le milieu de la nuit. Dormait-elle toujours ou bien était-elle éveillée à demi ? Était-ce un rêve ?

Toujours est-il qu'il lui sembla ouvrir les yeux sur le décor encore étranger de sa chambre. Le silence était complet, mais la veilleuse qui brûlait chez Isabelle éclairait encore. De son lit, Catherine pouvait voir Donatienne endormie, le nez dans son giron et la coiffe de travers sur son banc garni de coussins... Soudain, une forme sombre se glissa auprès du lit de la malade... celle d'un homme vêtu de noir qui portait un masque... La terreur s'enfla dans la gorge de Catherine. Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle voulut bouger, mais ses membres, son corps étaient devenus si lourds qu'elle avait l'impression d'être liée sur son lit. Dans un cauchemar elle vit l'homme se pencher, se pencher encore sur le lit d'Isabelle, faire un geste puis se redresser. Persuadée que l'inconnu était en train d'assassiner la malade, Catherine ouvrit la bouche, mais de nouveau aucun son ne vint...

L'homme maintenant reculait, se retournait, son masque à la main, et la peur de Catherine se changea en une joie immense qui la submergea. Elle reconnaissait si bien le profil fier, les yeux sombres, la bouche ferme de son époux. Arnaud ! C'était Arnaud ! Une merveilleuse vague de bonheur, comme seuls les rêves en procurent, envahit Catherine. Il était là, il était revenu... Dieu, sans doute, avait fait un miracle car le beau visage dont elle avait gardé un souvenir si net était intact. Aucune trace de l'affreuse maladie ne s'y voyait. Mais pourquoi donc était-il si pâle, si mortellement triste ?

Soulevée par l'amour qu'elle avait cru un moment assoupi et qui revenait, plus impérieux que jamais, elle voulut l'appeler à elle, tendre les bras... et se retrouva aussi impuissante. La brume qui l'enveloppait l'étouffait

presque...

Là-bas,

elle

vit

Arnaud

disparaître

inexorablement dans ce brouillard, en direction de la chambre de Michel. Et puis, il n'y eut plus rien, qu'une abominable sensation d'abandon, de solitude irrémédiable.

« Il a disparu, songeait Catherine désespérée ; cette fois, je ne le reverrai plus... plus jamais ! »

Elle s'éveilla à l'aube. Au-dehors, la corne de Tristan appelait les Bretons en selle. L'heure du départ était proche et Catherine se leva pour y assister. Non sans peine. Elle se sentait affreusement lasse, la tête lourde et les jambes molles. Mais, à travers l'étroite fenêtre de sa cellule, un beau rayon de soleil, encore un peu timide à cette heure matinale, arrivait jusqu'à elle et, dans l'autre pièce, elle entendit gazouiller Michel dans son petit lit... Elle se passa un peu d'eau sur le visage, se hâtant d'enfiler ses vêtements et luttant de son mieux contre une impression de plus en plus pénible.

Elle ne parvenait pas à effacer le rêve de cette nuit. Plus elle y pensait, plus il lui donnait envie de pleurer car elle se souvenait avoir entendu raconter des histoires terrifiantes de gens qui, à l'heure de leur mort, étaient apparus à ceux qu'ils aimaient, comme pour les avertir.

Ce rêve tellement réaliste de la nuit passée n'était-il pas l'une de ces prémonitions tragiques ? Et Arnaud n'était-il pas... Non, elle ne pouvait pas même imaginer le mot. Pourtant... cette absence prolongée de Fortunat ? S'il avait appris, là-bas, quelque affreuse nouvelle ? Le mal, peut-être, avait fait des progrès trop rapides.

– C'est à devenir folle, pensa Catherine tout haut. Il faut que je sache, que Gauthier y aille sur l'heure... ou plutôt non, j'irai avec lui...

Donatienne gardera bien ma belle-mère aujourd'hui encore et, pour les jambes rapides de Morgane, cinq lieues pour aller et autant pour revenir ne sont pas une affaire. Nous serons rentrés ce soir.

Elle courut embrasser son fils, constata, en passant, que dame Isabelle dormait encore et se précipita dans la cour. Les Bretons étaient déjà à cheval, mais, près de l'écurie grande ouverte, Tristan s'entretenait avec Gauthier. Ils se séparèrent en voyant arriver Catherine. Elle s'efforça de sourire à celui qui partait malgré la tristesse de son cœur et lui tendit la main.

– Bonne route, ami Tristan. Dites bien à Monseigneur le Connétable combien je lui suis reconnaissante de vous avoir envoyé à moi.

– Il désirera certainement savoir quand nous aurons le bonheur de vous revoir, dame Catherine.

– Pas avant longtemps, je le crains, à moins que vous ne veniez jusqu'ici. J'ai tant à faire en Auvergne ! II faut que tout redevienne comme par le passé.

– Bah ! L'Auvergne n'est pas si loin. Je sais que le Roi songe à y venir et, quand il sera enfin réconcilié avec Richemont, nous serons peut-être bientôt tous réunis.

– Dieu vous entende ! Au revoir, mon ami.

Il baisa la main qu'il tenait toujours, sauta en selle. Les portes de l'abbaye s'ouvrirent au large devant lui, découvrant la place du village où s'attroupaient déjà les ménagères. Tristan l'Hermite se mit à la tête de sa troupe, mais, au moment de franchir le seuil sacré, il se retourna, ôta son chapeau de feutre noir et l'agita en l'air.

– À bientôt, dame Catherine !

– À bientôt, si Dieu le veut, ami Tristan !

Quelques instants plus tard, les lourds vantaux étaient refermés, la cour vide. Catherine s'approcha de Gauthier qui se tenait toujours près de la porte ouverte.

– J'ai fait un rêve étrange cette nuit, Gauthier... Je suis assaillie de tristes pensées... Aussi, j'ai décidé de partir avec toi à la rencontre de Fortunat. Même s'il faut aller jusqu'à Calves, je pense que nous pourrons rentrer dans la journée. Prends un cheval et selle-moi Morgane.

– Je voudrais bien, répondit calmement le Normand, malheureusement, c'est impossible.

– Et pourquoi donc ?

– Parce que Morgane n'est plus là.

– Comment ?

– Je dis la vérité. Morgane a disparu. Voyez vous même...

Catherine, abasourdie, suivit Gauthier dans l'écurie obscure. Plusieurs chevaux s'y trouvaient encore, mais il n'était que trop vrai qu'aucune jument blanche ne s'y montrait. Immobile au milieu de l'écurie, Catherine regarda Gauthier.

– Où est-elle ?

– Comment voulez-vous que je le sache ? Personne n'a rien vu, rien entendu... J'ajoute qu'il manque également un autre cheval, Roland, l'un de ceux que l'abbé nous avait donnés.

– C'est invraisemblable ! Comment ces deux bêtes ont-elles pu sortir d'ici sans que personne ne s'en aperçoive ?

– Sans doute parce que celui qui les a emmenées avait la possibilité d'entrer sans attirer l'attention... Il devait bien connaître l'abbaye.

– Alors, fit Catherine en se laissant tomber sur une botte de paille, qu'est-ce que tu en conclus ?

Gauthier ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait. Au bout d'un moment, il glissa vers Catherine un regard incertain.

– Il se trouve, dit-il, que Roland, le cheval qui a été volé avec Morgane, était celui dont Fortunat avait l'habitude de se servir quand il allait à Aurillac ou ailleurs...

– Mais pas quand il allait à Calves ?

– Non. Vous savez bien qu'il ne consentait jamais à y aller autrement qu'à pied... à cause de messire Arnaud.

Ce fut au tour de Catherine de garder le silence. Elle avait tiré un brin de paille et le mâchonnait distraitement. Une foule d'idées l'assaillait... Enfin, elle releva la tête.

– Je me demande si j'ai vraiment rêvé, dit-elle... Si ce n'était pas l'une de ces prémonitions...

– Que voulez-vous dire ?

Rien. Je t'expliquerai. Selle deux chevaux et préviens que nous partons pour la journée. Je vais mettre mon costume de garçon.

– Où .allons-nous ?

– À Calves, voyons. Et plus vite que jamais !

À la croisée de deux chemins, les cavaliers arrêtèrent leurs montures, hésitant sur celui qu'il fallait prendre. Le pauvre village de Calves était tout proche maintenant, et, à l'horizon, Catherine pouvait voir, avec une émotion bien naturelle, se dresser la falaise basaltique de Carlat, hérissée de tours et de murailles. Elle avait vécu là les heures les plus crucifiantes de toute sa vie, elle l'avait fui sous la menace, mais, à revoir cet imposant décor devenu familier, elle sentait son courage fléchir.

Un paysan qui revenait des champs, sa houe sur l'épaule, approchait du croisement. Gauthier l'interpella du haut de son cheval :

– Sais-tu, brave homme, où se trouve la maison des lépreux ?

L'homme se signa précipitamment, désigna l'un des chemins.

– Descendez jusqu'à la rivière... Vous verrez un gros bâtiment clos. C'est là. Mais ne venez pas au village après.

Il s'éloigna vers le hameau, pressant le pas. Catherine tourna la tête de son cheval dans la direction indiquée.

– Allons, dit-elle seulement.

Le chemin descendait vers l'Embène, la petite rivière qui, plus loin, contournait le rocher de Carlat. Une ligne de saules en marquait le cours. Catherine, marchant en tête, chevauchait en silence, balancée au pas de sa monture. Une profonde émotion l'étreignait en approchant ce lieu dont si souvent elle avait rêvé sans oser l'aborder. Dans quelques instants, elle serait tout près d'Arnaud, à quelques pas de l'endroit où il vivait... Peut– être parviendrait-elle à le voir. À cette seule idée son cœur battait plus fort, mais, malgré cela, elle avait du mal à s'arracher de l'esprit le mauvais pressentiment qu'elle traînait depuis le matin.

Le chemin déviait maintenant pour plonger à travers un petit bois aux taillis inextricables. Le sol, raboteux, malaisé, creusé de profondes ornières anciennes et de trous demeurés boueux dans ce bas-fond, ne devait pas être foulé souvent. Le ciel de cette fin de journée -

Catherine et Gauthier avaient mis infiniment plus de temps qu'ils ne pensaient pour atteindre Calves disparaissait derrière l'épaisse voûte de feuillage. Ce bois avait l'air d'une barrière végétale établie par les hommes pour se protéger des réprouvés de Calves... Et puis, soudain, au bas de la pente, les deux cavaliers contournèrent un rocher à pic et se retrouvèrent au bord de la rivière, hors du bois.

Le val resserré, où l'on entendait seulement la chanson mélancolique de l'eau, était d'une tristesse affreuse. A l'orée des arbres, Catherine arrêta brusquement son cheval. Gauthier la rejoignit et tous deux, botte à botte, restèrent là, immobiles, frappés de stupeur. Devant eux, à quelques toises, les murs d'enceinte d'une sorte de grosse ferme se dressaient... les murs d'enceinte seulement, car, au milieu, il n'y avait plus rien que des pans noircis, une ogive encore debout qui avait dû être l'entrée de la chapelle. Le grand portail, arraché, pendait sur ses gonds et montrait la cour intérieure de la léproserie, pleine de décombres calcinés... Seuls, les sinistres croassements des corbeaux qui tournoyaient dans le ciel troublaient le silence.

Catherine devint pâle comme une morte, ferma les yeux et vacilla sur sa selle, au bord de l'évanouissement.

– Arnaud est mort, balbutia-t-elle... C'est son fantôme que j'ai vu cette nuit !

D'un bond, Gauthier fut à terre. Ses bras vigoureux arrachèrent la jeune femme de sa monture. Il l'étendit, blême et les dents claquantes, sur le talus du chemin, puis se mit à frictionner vigoureusement ses mains qui se glaçaient.

– Dame Catherine ! Allons... Reprenez-vous ! Ayez du courage...

Je vous en prie, implora-t-il, affolé.

Mais elle perdait conscience de plus en plus, avec l'affreuse sensation que sa vie lui échappait, coulait de son corps comme de l'eau. Alors, par deux fois, il la gifla, contrôlant malgré tout sa force qui aurait pu la tuer. Les joues blêmes devinrent rouge vif, Catherine ouvrit les yeux, le regarda avec stupeur. Il lui sourit d'un air contrit.

– Pardonnez-moi. Je n'avais pas le choix. Attendez, je vais vous chercher un peu d'eau.

Contournant les bâtiments incendiés, il courut à la rivière, emplit le gobelet qu'il portait pendu à sa ceinture et revint faire boire Catherine avec des gestes de mère. La réaction vint, aussitôt, brutale : la jeune femme éclata en sanglots.

Debout près d'elle, il la laissa pleurer, sachant le pouvoir apaisant des larmes. Il ne dit pas un mot, ne fit pas un geste pour arrêter les sanglots terribles qui la déchiraient. Et, peu à peu, Catherine se calma... Au bout d'un long moment, elle releva sur le Normand un visage marbré, des yeux rouges au regard désolé.

– Il faut savoir ce qui s'est passé, dit-elle d'une voix qui se raffermissait.

Gauthier lui tendit la main pour l'aider à se relever. Elle ne la lâcha pas, heureuse de sentir cette force, cette chaleur pour ce qui allait suivre. Aidée par lui, elle marcha jusqu'au portail détruit au-dessus duquel se voyaient encore les armes de l'abbaye Saint-Géraud d'Aurillac dont dépendait la léproserie. Mais son cœur manqua un battement en passant ce seuil qu'un jour Arnaud avait franchi... pour toujours.

Les larmes coulaient encore sur ses joues, lentes, intarissables, mais elle ne s'en souciait pas. Le désastre, à l'intérieur, était complet, total...

Il ne restait que des décombres noircis, tordus, qui rappelèrent à Catherine la ruine de Montsalvy. L'incendie avait tout ravagé, hormis quelques murailles particulièrement épaisses qui avaient résisté. Mais il n'y avait plus un seul toit, plus une seule porte, rien que des pierres écroulées sur lesquelles se pencha Gauthier.

– L'incendie est récent, dit-il. Les pierres sont encore chaudes.

– Mon Dieu, gémit Catherine d'une voix faible... Dire qu'il doit être là-dessous... mon époux bien-aimé... mon amour.

Elle se laissa tomber à genoux sur les décombres et tenta d'ôter les pierres auxquelles ses mains tremblantes, maladroites, s'écorchaient.

Gauthier la releva de force.

– Ne restez pas là, dame Catherine, venez avec moi.

Mais elle se débattit avec une violence inattendue.

– Laisse-moi... Je veux rester ! Il est là, te dis-je...

– Je n'en crois rien... et vous non plus. Mais, même s'il en était ainsi, à quoi vous servirait de vous blesser à ces pierres brûlantes.

– Moi, je te dis qu'il est mort, cria Catherine hors d'elle. Je te dis que j'ai vu son fantôme, cette nuit ! Il est apparu masqué, dans la chambre de ma belle-mère, il s'est penché sur son lit et il a disparu.

– Et il n'est pas entré dans votre chambre à vous ! Dame Isabelle était-elle éveillée ou dormait-elle ?

. – Elle dormait. Elle n'a rien vu. J'ai cru d'abord à un rêve, mais, maintenant, je sais que je ne rêvais pas, que j'ai vu le spectre d'Arnaud.

Elle se remettait à sangloter. Gauthier l'empoigna aux épaules, la secoua d'importance et se mit à hurler.

– Et moi je vous dis que vous n'avez pas vu de fantôme ! Que vous n'avez pas rêvé non plus... Un fantôme serait venu à vous. Bien sûr, messire Arnaud ignorait votre retour, il n'a donc pas cherché à vous approcher.

– Que veux-tu dire ?

Calmée d'un seul coup, Catherine demeurait bouche bée, regardant Gauthier comme s'il devenait subitement fou.

– Je veux dire qu'un fantôme sait tout ce qui concerne les vivants.

Il se serait tourné vers vous. Et puis, pourquoi le masque ?

– Tu ne supposes pas que j'aurais vu Arnaud ?... Arnaud en personne ?

– Je n'en sais rien. Mais il se passe d'étranges choses. Admettez que Fortunat ait approché messire Arnaud, qu'il lui ait appris que sa mère était mourante ? Au seuil de la mort, la lèpre n'est plus à craindre... Il a peut-être voulu la revoir une dernière fois. Tandis qu'il n'est pas venu vers vous parce qu'il ignorait votre retour. Fortunat l'ignorait bien, lui.

– Où serait-il alors maintenant ? Et que s'est-il passé ici ?

Pourquoi ces ruines, ce silence, ce désert ?

– Je l'ignore, répliqua Gauthier songeur, mais je vais essayer de l'apprendre. Quant à savoir où il est, j'ai idée que Fortunat pourrait nous le dire... comme il pourrait peut-être nous dire aussi où sont passés Morgane et Roland.

Doucement, il l'entraînait maintenant hors des ruines. Catherine s'accrochait à lui comme un enfant peureux et le regardait avec des yeux émerveillés.

– Tu penses vraiment ce que tu dis ?

– Ai-je dit quelquefois des choses que je ne pensais pas ? Surtout à vous ?

Elle eut un sourire tremblant, encore si proche des larmes que le Normand sentit son cœur fondre de pitié. Il l'aimait assez pour oublier son propre amour et ne désirer rien d'autre que la voir heureuse. Hélas


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