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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Mais, ce soir-là, comme elle avait fait venir Fortunat pour lui donner ses dernières instructions avant le départ du lendemain pour Montsalvy, elle n'avait pu s'empêcher de lui dire :

– De Montsalvy à Calves, il y a plus de cinq lieues, Fortunat ! je crois qu'il te faudra te résigner à prendre un cheval ou une mule. Tu n'auras qu'à laisser ta monture à quelque distance de...

Le mot pénible qui définissait le lieu réprouvé n'arrivait jamais à franchir ses lèvres. Mais Fortunat secoua la tête.

– Je mettrai deux jours pour aller et revenir, Dame Catherine, voilà tout !

Cette fois encore Catherine ne répondit rien. Elle comprenait, au fond de sa chair, ce besoin qu'avait le petit Gascon de souffrir à sa manière pour aller vers celui dont la vie n'était plus que souffrance.

Mais, entre ses dents, pour elle-même, la jeune femme murmura, serrant ses mains l'une contre l'autre : Un jour... moi aussi, j'irai là-bas

! et je n'en reviendrai pas...

Au matin, Catherine, debout sur le rempart, Sara et Gauthier derrière elle, regarda son fils et sa belle-mère quitter Carlat. Abritée par son voile noir, elle vit l'antique litière, une lourde machine aux épais rideaux de cuir que l'on avait exhumée pour la circonstance des écuries du château, franchir la porte de l'enceinte. Un. vent glacial balayait la vallée couverte de neige, mais, clans la litière, où l'on avait accumulé les chauffe-doux emplis de braises rouges et les couvertures, Michel n'aurait pas froid entre sa grand-mère et Donatienne. Au milieu de son escorte armée jusqu'aux dents, le petit garçon s'en allait vers le calme et la sécurité, mais sa mère ne pouvait retenir ses larmes.

Puisque personne ne pouvait les deviner derrière le fragile rempart de mousseline, elle ne s'en privait pas. Sur sa bouche, elle sentait encore la fraîcheur veloutée des joues de l'enfant. Elle l'avait embrassé avec emportement, avec passion, déchirée intérieurement par cette séparation obligatoire, avant de le remettre aux bras de sa grand-mère.

Puis les deux femmes s'étaient embrassées sans rien se dire, mais, au moment de monter dans la litière, Isabelle de Montsalvy avait tracé, du pouce, un rapide signe de croix sur le front de la jeune femme.

Ensuite elle avait pris Michel dans ses bras et les rideaux de cuir étaient retombés derrière eux.

Maintenant, le cortège, serpentant sur la rampe abrupte, atteignait les premières maisons du village. De son poste d'observation, Catherine pouvait voir les bonnets rouges ou bleus de quelques paysans massés près de l'église. Des femmes sortaient de leurs maisons, certaines tenant à la main leurs quenouilles dont la laine s'enveloppait d'un capuchon d'osier tressé. Au passage de la litière les bonnets quittèrent les têtes. Un silence absolu enveloppait la campagne ensevelie sous la couverture blanche. La fumée des foyers traçait de minces volutes grises, ici et là. Au-dessus des montagnes où les châtaigniers, dépouillés de leur vêture de l'été, montraient leurs squelettes noircis, un soleil laborieux perçait les nuages de flèches pâles et fuligineuses qui faisaient briller sinistrement les lances des hommes d'armes d'escorte et jaunissaient les plumes de héron des bonnets. Ian Mac Laren, le lieutenant de Hugh Kennedy, commandait le détachement d'Écossais chargés de conduire à Montsalvy le petit seigneur et sa grand– mère. Ils devaient revenir le lendemain. Le départ vers le nord aurait lieu le mercredi.

Quand une langue boisée, coulant jusqu'à la vallée, eut avalé la petite troupe et qu'il ne resta plus, dans la neige, qu'une double trace profonde, Catherine se retourna. Sara, les mains nouées sur la poitrine et les yeux pleins de larmes, fixait l'endroit où avait disparu la troupe.

Catherine vit que ses lèvres tremblaient. Alors, elle chercha le regard de Gauthier, mais il ne s'occupait pas d'elle. Tourné vers l'occident il semblait écouter quelque chose. L'expression de son lourd visage était si tendue que Catherine, connaissant son flair de chien de chasse, s'inquiéta tout de suite.

– Que se passe-t-il ? Est-ce que tu entends quelque chose ?

Il fit signe que oui, puis, sans répondre, courut vers l'escalier.

Catherine le suivit, mais elle fut rapidement distancée par les longues jambes du Normand. Elle le vit traverser la cour à toute vitesse, s'engouffrer sous l'auvent où travaillait le maréchal-ferrant et en ressortir l'instant suivant avec Kennedy. En même temps, le cri d'un guetteur éclatait au sommet du donjon.

– Troupe armée en vue !

Du coup, elle remonta les quelques marches déjà descendues et, relevant ses robes, Sara sur les talons, se mit à courir le long du chemin de ronde vers la tour Noire. L'annonce de cette troupe l'emplissait de terreur pour son fils, bien qu'elle semblât venir du côté opposé au chemin suivi par l'escorte. Elle parvint dans les hourds de la tour juste comme Gauthier et le gouverneur, rouges et essoufflés d'avoir grimpé quatre à quatre, débouchaient de l'escalier. D'un même mouvement, ils se précipitèrent aux créneaux. En effet, sur le chemin d'Aurillac, une troupe nombreuse venait de faire son apparition. Cela faisait sur la neige une longue traînée grise comme une coulée de boue luisante qui avançait, avançait... Peu de bannières, aux couleurs d'ailleurs indistinctes à cette distance, mais, en tête, une longue chose rouge claquait au vent. Catherine plissa les paupières pour essayer de distinguer les armes brodées dessus et dut y renoncer. Mais le regard d'épervier de Gauthier les avait déjà déchiffrées.

– Ecu écartelé, fit-il brièvement, des croissants et des burelles !

j'ai déjà vu ça quelque part...

Catherine s'accorda un mince sourire.

– Tu deviens savant, fit-elle. Bientôt tu égaleras les rois d'armes eux-mêmes.

Mais Kennedy ne souriait pas. Son visage couleur brique aux traits accusés avait une lippe de mauvais augure. Il se détourna, hurla quelque chose dans son rude dialecte, puis ajouta :

– Baissez la herse, relevez le pont ! les archers aux murailles !

Instantanément, la forteresse grouilla d'activité. Traînant arcs et hallebardes, les hommes escaladaient les murailles tandis que d'autres manœuvraient le pont et la herse. Des cris gutturaux, des appels, des cliquetis d'armes, des galopades dans tous les sens. Le château, endormi sous la neige l'instant précédent, se réveillait avec violence.

Déjà, sur les chemins de ronde, on empilait les bûches, on traînait des marmites pour l'huile bouillante. Catherine s'approcha de Kennedy.

– Vous mettez le château en défense ? Pourquoi ? demanda-t-elle.

Qui donc s'approche de nous ?

Villa-Andrado, le chien de Castille ! fit-il brièvement. – Et pour bien montrer l'estime dans laquelle il tenait le nouveau venu, l'Écossais cracha superbement puis ajouta – : La nuit passée, les guetteurs ont aperçu des lueurs d'incendie du côté d'Aurillac. Je n'y avais pas prêté autrement attention, mais il faut croire que j'avais, tort. C'était lui !

Catherine se détourna et alla s'appuyer à l'un des énormes merlons.

Elle arrangea son voile noir que le vent faisait voler pour mieux cacher la rougeur subite qui lui était montée au visage puis fourra dans ses larges manches ses mains transies. Le nom de l'Espagnol réveillait tant de souvenirs !

En effet, Gauthier comme elle-même avaient déjà vu la bannière rouge et or. C'était un an plus tôt sur les remparts de Ventadour dont Villa-Andrado avait, chassé les vicomtes. Et Arnaud s'était battu contre les hommes du Castillan. Vivement, la jeune femme ferma les yeux, tentant vainement de retenir une larme brûlante. Elle revoyait la grotte, au fond de l'étroite vallée qui servait de fossés à Ventadour, précaire refuge de bergers où cependant elle avait mis son fils au monde. Elle revoyait le rougeoiement du feu et la haute silhouette noire d'Arnaud, dressée en rempart entre sa faiblesse et la férocité des routiers. Mais elle revoyait aussi le visage anguleux de Villa-Andrado agenouillé devant elle, une flamme de convoitise au fond des yeux. Il lui avait dit un poème dont elle avait oublié les paroles et aussi, ennemi courtois, il avait envoyé des victuailles pour restaurer les forces de la mère et de l'enfant. Au fond, elle eût gardé de lui un souvenir reconnaissant n'eût été: l'affreuse surprise qu'elle et les siens avaient trouvée au terme du voyage : Montsalvy rasé, brûlé jusqu'aux fondations par ce Valette, lieutenant de Villa-Andrado, agissant sur son ordre. Bernard d'Armagnac avait pendu Valette, mais le crime de son maître s'en trouvait-il diminué ? Et maintenant il approchait de Carlat, vivante image de la malédiction qui poursuivait les Montsalvy.

Quand elle rouvrit les yeux, elle vit que Frère Étienne se tenait auprès d'elle. Les mains au fond de ses manches, le petit moine considérait attentivement la colonne en marche. Attentivement mais sans inquiétude visible Même Catherine crut voir un léger sourire flotter sur ses lèvres.

– Ces gens qui approchent vous amusent ? dit-elle assez sèchement.

– M'amuser est beaucoup dire. Ils m'intéressent... et ils m'étonnent. Curieux homme, ce Castillan ! Il semble avoir reçu du ciel le don précieux d'ubiquité. J'aurais juré qu'il était à Albi où les habitants n'avaient guère à se louer de sa présence. D'autre part, quelqu'un, à Angers, m'a affirmé que ce chacal puant...

– Le terme est-il bien adapté à votre pensée, Frère Etienne ? fit Catherine en appuyant volontairement sur le mot Frère.

Le petit moine rougit comme une jeune fille, mais offrit à la jeune femme un sourire épanoui.

– Vous avez mille fois raison. Je voulais dire que messire de Villa-Andrado passait l'hiver en Castille, à la cour du roi jean. Il est bien évident qu'à Angers on ne saurait se montrer indulgent pour ce personnage... et j'aimerais que vous entendiez la reine Yolande lorsqu'elle parle de lui. Toujours est-il que le voici. Que vient-il faire ?

– Je crois que nous allons le savoir.

En effet, la bande armée était arrivée à l'aplomb de la tour et l'homme qui portait la bannière s'avançait maintenant, dirigeant son cheval d'une seule main jusqu'au pied de la muraille rocheuse sur laquelle s'érigeait le château. Un autre homme venait derrière portant le costume assez fantastique des hérauts, mais un costume dont les rouges, les ors et les plumes se ressentaient des mauvais chemins et de l'hiver. Tout le reste de la troupe avait fait halte.

Parvenus près des palissades qui encerclaient le roc cyclopéen, les deux hommes s'arrêtèrent et, d'un même mouvement, levèrent la tête.

Qui commande ici ? demanda le héraut.

Kennedy se pencha, posant un large pied chaussé de cuir épais sur le créneau, et vociféra :

Moi, Hugh Allan Kennedy, de Gleneagle, capitaine du roi Charles VII, et je tiens ce château pour Monseigneur le comte d'Armagnac.

Vous avez quelque chose contre ?

Décontenancé, le héraut bredouilla quelque chose, toussa pour s'éclaircir la voix, redressa la tête d'un air superbe puis clama :

– Moi, Fermoso, poursuivant d'armes de Messire Rodrigue de Villa-Andrado, comte de Ribadeo, seigneur de Puzignan, de Talmont et de...

– Au fait ! coupa impatiemment l'Écossais. Que nous veut messire Villa-Andrado ?

L'intéressé, jugeant sans doute que les négociations duraient trop longtemps, poussa son cheval et vint se ranger entre sa bannière et son héraut. Sous la ventaille relevée du casque, orné de deux ailes d'or, d'un tortil et de lambrequins rouges, Catherine, cachée derrière son merlon, put voir étinceler les dents aiguës, très blanches, parmi la courte barbe noire.

– Vous rendre visite, fit-il aimablement, et causer...

– Avec moi ? fit Kennedy d'un air de doute.

– Que non pas ! N'allez cependant pas en conclure que je dédaigne votre compagnie, mon cher Kennedy,; mais ce n'est pas à vous que j'ai affaire. C'est à la comtesse de Montsalvy. Je sais qu'elle est ici.

– Que lui voulez-vous ? répliqua l'Écossais toujours aussi rogue.

Dame Catherine ne reçoit personne.

– Ce que j'ai à dire, je le lui dirai à elle-même, avec votre permission. Et j'ose espérer qu'elle voudra bien faire exception pour un voyageur venu de loin. Ajoutez que je ne partirai pas avant de l'avoir vue.

Sans se montrer, Catherine chuchota :

– Autant savoir ce qu'il veut. Dites que je le recevrai... mais seul

! Qu'il vienne ici sans aucune escorte... Cela donnera à mon fils le temps d'arriver à destination, je pense.

Kennedy fit signe qu'il avait compris et se remit à discuter avec l'Espagnol tandis que Catherine, escortée de Sara et de Frère Etienne, quittait le chemin de ronde. Elle avait pris sa décision sans hésiter parce que VillaAndrado était l'homme de La Trémoille et parce qu'elle avait toujours su regarder le danger en face. Si le Castillan devait représenter un péril, et elle voyait mal comment il pouvait en être autrement, autant valait le savoir tout de suite.

Un moment plus tard, Rodrigue de Villa-Andrado, suivi d'un seul page qui portait son heaume, pénétrait dans la grande salle où l'attendait Catherine. La jeune femme, flanquée de Sara et de Frère Étienne debout de chaque côté de son siège, avait pris place dans un fauteuil à haut dossier que deux marches surélevaient. Très droite, ses jolies mains nouées sur ses genoux, elle regardait entrer le visiteur.

Son aspect était si imposant qu'à la vue de cette femme, ou plutôt de cette statue voilée et noire, l'Espagnol, surpris, marqua un temps d'arrêt au seuil de la salle puis, d'un pas qui hésitait, il s'avança tandis que le sourire vainqueur, arboré en entrant, s'éteignait comme une chandelle que l'on souffle.

Parvenu devant Catherine, il se courba presque jusqu'à terre mais sans pouvoir s'empêcher de jeter, par en dessous, un rapide regard à la jeune femme.

– Madame, dit-il d'une voix contenue, je vous rends grâce pour ces instants que vous voulez bien m'accorder. Mais c'est seul à seul que je souhaiterais vous entretenir.

– Messire, vous comprendrez aisément que je ne saurais vous souhaiter la bienvenue avant de savoir ce qui vous amène. Au surplus, je n'ai rien de caché pour Dame Sara qui m'a élevée ni pour Frère Étienne Char– lot, mon confesseur.

Le moine retint un sourire à ce mensonge flagrant mais s'y laissa aller en constatant que le Castillan le considérait avec méfiance.

– Je connais Frère Étienne, marmotta Villa– Andrado.

Monseigneur de La Trémoille donnerait cher pour ce cuir usé et ces quelques cheveux gris.

Catherine bondit comme si une abeille l'avait piquée. Elle sentit une brusque colère empourprer son visage et gronda :

– Quelle que puisse être la raison qui vous a guidé jusqu'ici, seigneur Villa-Andrado, sachez que c'est bien mal débuter votre visite en insultant ceux que je révère et qui me sont chers. Veuillez donc, sans autres tergiversations, nous dire la raison de cette visite !

Rodrigue, à son tour, s'était relevé. Et, malgré les deux marches surélevant le trône de Catherine, son visage fut presque au niveau de celui de Catherine, son regard où s'allumait la colère tentait, insolemment, de percer le rempart du voile noir. Mais il s'obligea à sourire.

– Voici, en effet, un bien mauvais préambule et je vous prie de m'excuser. D'autant plus que je suis venu avec les meilleures intentions ainsi que vous allez pouvoir en juger.

Lentement, la jeune femme se rassit, mais négligea de désigner un siège à ce visiteur dont elle ne savait pas encore s'il venait en ami ou en ennemi. Il parlait de bonnes intentions. C'était possible, après tout, si l'on se souvenait du panier de victuailles dans la grotte, mais les ruines fumantes de Montsalvy incitaient à la méfiance. Ce sourire aigu n'était-il pas celui du loup ?

– Parlez, dit-elle seulement.

– Belle comtesse, commença-t-il en ployant un genou jusqu'à la première marche, le bruit de votre malheur est venu jusqu'à moi et mon cœur s'est ému. Si jeune... si belle et chargée d'un enfant, vous ne pouvez demeurer sans défenseurs. Il vous faut un bras, un cœur...

– Il ne manque pas, dans ce château, de bras... ni de cœurs fidèles pour veiller sur moi et sur mon fils, coupa Catherine. Je vous comprends mal, seigneur, soyez plus clair !

Le visage olivâtre du Castillan s'empourpra d'une rougeur fugitive.

Il serra les lèvres mais, une fois encore, parvint à dompter sa colère.

– Soit, je vais donc parler aussi clair que vous le désirez. Dame Catherine, je suis venu vous dire ceci ; par la grâce du Roi Charles de France, que je sers fidèlement...

– Hum ! toussota Frère Étienne.

– ... Fidèlement, tonna l'Espagnol. Par la grâce aussi de mon suzerain le roi Jean II de Castille, je suis seigneur de Talmont, comte de Ribadeo en Castille...

– Bah ! coupa aimablement le moine, le roi Jean II n'a fait que vous rendre ce qui vous appartenait. Votre grand-père, qui épousa jadis la sœur du Bègue de Villaines, était déjà comte de Ribadeo, ce me semble ? Quant à la seigneurie de Talmont, je vous en fais mon compliment. Le Grand Chambellan est généreux pour ceux qui le servent bien... surtout avec ce qui ne lui appartient pas !

Au prix d'un énorme effort, Villa-Andrado ignora l'interruption, mais Catherine vit se gonfler les veines de son front et crut un instant qu'il allait éclater. Il n'en fut rien. Le Castillan se contenta de respirer rapidement deux ou trois coups, très fort.

– Quoi qu'il en soit, poursuivit-il les dents serrées, je suis venu mettre ces titres et ces biens à vos pieds, Dame Catherine. Les voiles de deuil ne siéent point à si grande beauté. Vous êtes veuve, je suis libre, riche, puissant... et je vous aime. Acceptez-vous de m'épouser ?

Si prévenue qu'elle fût contre toute surprise, Catherine eut un haut-le-corps. Son regard s'effara et ses mains se serrèrent nerveusement l'une contre l'autre.

– Vous me demandez...

– D'être ma femme ! Vous aurez en moi un époux, un esclave soumis, un bras vaillant pour défendre votre cause. Et votre fils aura un père...

Le rappel à son petit Michel souleva l'indignation de Catherine. Que cet homme osât prétendre remplacer Arnaud auprès de son enfant et que cet homme fût justement celui qui... Non ! Cela ne se pouvait tolérer ! Tremblante de colère, elle releva d'un geste brusque le voile sous lequel elle étouffait, offrant aux regards de Villa-Andrado son mince visage pâle où les grands yeux violets brillaient comme des améthystes au soleil. Elle agrippa solidement les deux bras de son fauteuil, cherchant instinctivement un soutien.

– Messire, il vous plaît à dire que je suis veuve. J'en porte les vêtements en effet, mais sachez que je ne me considérerai jamais comme telle. Pour moi, mon époux bien-aimé est vivant et vivra tant que moi-même je respirerai. Mais en allât-il autrement que vous seriez le dernier, oui, le dernier, que je lui donnerais comme successeur !

– Et pourquoi, je vous prie ?

– Allez demander la réponse aux ruines de Montsalvy, messire.

Pour moi je vous ai dit ce que j'avais à vous dire. Je vous souhaite le bonjour.

Elle se levait pour indiquer la fin de l'entretien, mais un sourire ambigu étira les lèvres rouges du Castillan.

– Il apparaît, Madame, que vous m'avez mal compris. Je vous ai demandé votre main... par courtoisie pure, mais, en fait, vous « devez

» m'épouser. C'est un ordre...

– Un ordre ? Quel étrange mot ! De qui, s'il vous plaît ?

– De qui voulez-vous que ce soit ? Du roi Charles, Madame ! Sa Majesté, sur les représentations du Grand Chambellan Georges de La Trémoille, a bien voulu oublier les torts, dont vous vous êtes rendue coupable envers la couronne, conjointement à feu votre époux, à la condition qu'en devenant ma femme vous rejoigniez à l'avenir les rangs des épouses soumises... et de vie convenable !

De pâle, le visage de Catherine devint rose, puis rouge, puis écarlate sous la poussée d'une telle colère que Sara, effrayée, posa une main qui se voulait apaisante sur son bras. Mais Catherine, folle de rage, était au-delà de tout apaisement. Était-il donc écrit au grand livre de son destin que, toujours, un prince disposerait d'elle ? Après le duc de Bourgogne, le Roi de France !

Les poings crispés, faisant des efforts inouïs pour empêcher sa voix de trembler, elle s'écria :

– J'ai rarement entendu plus impudent coquin que vous, messire !

Quand je pense que, par reconnaissance pour quelques victuailles, je vous accordais un souvenir indulgent malgré vos méfaits, vous m'en faites aujourd'hui amèrement repentir. Ainsi, non content d'avoir réduit mon époux là où il en a été réduit, La Trémoille prétend disposer de moi ? J'aimerais savoir comment vous entendez me contraindre, seigneur ? Car, bien entendu, vous avez songé à cette éventualité ?

– L'armée que je mène, fit l'Espagnol avec une grâce insultante, vous montre clairement le prix que j'attache à votre main. J'ai deux mille hommes sous Carlat, Madame... et si vous refusez je mettrai le siège devant cette taupinière jusqu'à ce que vous en veniez à merci.

– Cela peut durer longtemps...

– J'ai tout mon temps... et je serais fort étonné que vous ayez du ravitaillement pour de longs mois. Vous vous rendrez, Madame, avant qu'il ne soit longtemps, ne fusse que pour ne pas voir votre fils mourir de faim.

Catherine retint un soupir de soulagement. Il ignorait le départ de Michel et mieux valait qu'il l'ignorât encore longtemps. Mais elle cacha ses sentiments sous un haussement d'épaules.

– Le château est fort, ses défenseurs sont valeureux. Vous perdrez votre temps, messire !

– Et vous, vous ferez tuer stupidement bien du monde. Vous feriez mieux d'accepter, Madame, puisque aussi bien il vous faudra en venir là. Songez que, pour vos beaux yeux, j'ai éludé une fort flatteuse proposition. La main même de Madame Marguerite, fille de Monseigneur le duc de Bourbon...

– Fille... de la main gauche ! insinua doucement Frère Étienne.

Le sang demeure princier ! D'autre part, votre gouverneur est Écossais, Dame Catherine. Les Écossais sont pauvres, besogneux, avares... et aiment l'or pardessus tout...

Il n'eut pas le temps d'achever. Pris par leur dispute, ni lui ni Catherine n'avaient vu Kennedy, suivi de Gauthier, pénétrer dans la salle. Ce fut quand l'Écossais fondit sur lui que l'Espagnol s'aperçut de sa présence. Avec un rugissement, Kennedy empoigna Villa-Andrado par le col de son armure et par le bas du dos puis, le soulevant à demi de terre, l'emporta ainsi, hurlant et vociférant, jusqu'à la porte.

– Il y a une chose que les Écossais aiment encore plus que l'or, maître larron, c'est leur honneur ! Va dire cela à ton maître ! hurla-t-il furieusement.

Ce que voyant, Gauthier, d'un air mécontent qu'on lui eût laissé si pauvre gibier, mit le page sous son bras et emboîta le pas à l'irascible gouverneur. Quand ils eurent disparu tous deux, Frère Étienne se tourna vers Catherine, encore tremblante, avec un bon sourire.

– Voilà, Madame, qui vous dispense de répondre. Qu'en pensez-vous ?

Elle ne répondit rien, se contenta de le regarder, honteuse de découvrir que, pour la première fois depuis longtemps, elle avait envie de rire. Le spectacle de Villa– Andrado gigotant au bout des bras du capitaine écossais comme une araignée rouge n'était pas près de s'effacer de sa mémoire.

Quand vint le soir, ce bref instant de gaieté était bien oublié.

Étaient réunis dans la chambre haute du donjon où Kennedy avait établi ses quartiers peu après la mort du vieux Jean de Cabanes, survenue trois mois plus tôt, Catherine, Sara, Gauthier, Frère Étienne, Hugh Kennedy et le sénéchal de Carlat, un Gascon nommé Cabriac, qui depuis dix ans occupait ce poste. C'était un homme tout rond, simple et bon enfant, qui n'aimait rien tant que sa tranquillité. Sans ambition, il n'avait jamais souhaité gouverner en personne la forteresse, trouvant infiniment plus confortable de voir les responsabilités reposer sur des épaules plus martiales que les siennes.

Mais il connaissait le fief et ses environs comme personne.

Tout à l'heure, quand le bref jour hivernal s'était éteint brutalement comme une chandelle que l'on souffle, tous étaient montés jusqu'à la loge du guetteur pour examiner les positions de l'ennemi. Celui-ci s'installait. Les tentes d'épaisses toiles poussaient comme autant de champignons vénéneux qui perçaient le manteau blanc de la neige. Quelques soldats occupaient les maisons du village. Les paysans épouvantés avaient fui et cherché refuge entre les murs cyclopéens de là forteresse. On les avait répartis un peu partout, là où il y avait de la place, dans la vieille commanderie, dans les granges vides et les étables. Dans l'enceinte du château cela faisait un tohu-bohu de jour de marché car les bêtes avaient suivi leurs propriétaires. Et, maintenant que la nuit était tombée, le camp des assaillants formait, autour du gigantesque rocher, une couronne où les feux tenaient lieu de fleurons étincelants. De rouges panaches de fumée ponctuaient la nuit d'un noir profond, éclairaient fugitivement ici ou là des faces grimaçantes, bleuies de froid, qui n'avaient pas grand-chose d'humain. Penchée au couronnement du donjon, Catherine avait l'impression de plonger ainsi sur quelque infernal abîme peuplé de démons. Mais cette nuit avait considérablement amoindri l'optimisme de Kennedy. Courbé sur l'immensité noire, il avait regardé ces menaçantes tenailles rouges se refermer autour de Carlat.

– Qu'allons-nous faire, messire ? demanda Catherine.

Il tourna vers elle son visage de dogue orgueilleux et haussa les épaules.

– Pour l'heure, Madame, je me soucie moins de nous que de Mac Laren. Nous sommes encerclés, ou peu s'en faut. Comment nous rejoindra-t-il demain, en revenant de Montsalvy ? Il tombera sur ces gens qui le feront prisonnier... ou pire ! Villa-Andrado est prêt à n'importe quoi pour vous amener à composition. On lui posera des questions... Avec tous les suppléments désagréables que comporte, chez le Castillan, ce mot-là. Notre ennemi voudra savoir d'où il venait.

Catherine se sentit pâlir. Si Mac Laren, pris, parlait sous la torture, l'Espagnol saurait où trouver Michel. Et quel plus sûr otage que le bambin pour amener la mère à résipiscence ? Pour sauver son fils des griffes de Villa– Andrado, Catherine savait bien qu'elle accepterait n'importe quoi.

– Alors, dit-elle d'une voix blanche, je répète ma question.

Messire Kennedy, qu'allons-nous faire ? Du diable si je le sais !

– II faudrait, émit calmement Frère Étienne, qu'un homme pût quitter Carlat de nuit et marcher vers Montsalvy de façon à les rencontrer demain et à les prévenir. Le tout est de faire passer cet homme. Il semble bien que l'investissement de la place ne soit point encore complet. Il y a là, vers le mur nord, un large endroit où je ne vois briller aucun feu.

Kennedy haussa impatiemment ses lourdes épaules vêtues de cuir.

– Avez-vous jamais regardé le rocher en cet endroit ? Une falaise lisse et noire, tombant à pic sur la vallée et dont la courtine double presque la hauteur. Il faudrait une damnée longueur de corde et un rude courage pour descendre ça sans se rompre le cou.

– Je veux bien tenter l'expérience, fit Gauthier en s'avançant dans le cercle lumineux dessiné par les flammes de la cheminée.

Catherine ouvrait déjà la bouche pour protester quand le sénéchal la devança.

– Point besoin de corde, ni pour la muraille, ni pour le rocher... Il y a un escalier.

Immédiatement, il fut le point de mire de tous les regards. Kennedy l'empoigna par une épaule pour le voir de plus près.

– Un escalier ? Tu rêves ?

– Oh non, messire. Un véritable escalier, étroit bien sûr et taillé à même le roc Il part de l'intérieur d'une des tours. Seuls, le vieux sire de Cabanes et moi le connaissions. C'est même par là qu'Escornebœuf s'est enfui, dame Catherine, le jour où...

Catherine frissonna au souvenir de ce jour où, dans ce même donjon, le reître gascon avait tenté de la jeter dans l'oubliette. Parfois, dans ses cauchemars, elle revoyait la face rouge et suante, révulsée d'un hideux désir de tuer, du gros sergent.

1. L'escalier existe toujours, mais, la forteresse ayant été rasée, il est à ciel ouvert.

– Comment savait-il le secret ? articula-t-elle.

Le petit sénéchal baissa la tête et tortilla son bonnet entre ses mains.

– Nous... nous étions du même pays de Gascogne, balbutiât-il. Je n'ai pas voulu qu'il lui advînt mal de mort... à cause de ça.

Catherine s'abstint de répondre. Ce n'était pas au moment où cet homme apportait un renseignement de cette valeur qu'il fallait songer à lui demander des comptes pour avoir protégé un assassin. Kennedy, qui réfléchissait profondément, ne l'eût d'ailleurs pas toléré. Bras croisés, la tête penchée sur une épaule, il regardait le feu avec une totale absence d'expression. Machinalement, il demanda si l'escalier était praticable pour des femmes et, sur l'affirmative :

– Alors, nous allons faire mieux. Il faut profiter du fait que VillaAndrado n'a pas encore eu la possibilité d'encercler complètement le château. Il suppose d'ailleurs, vu la hauteur, que, sur la face nord, ce n'est pas si urgent ; mais il peut changer d'avis demain. Nous n'avons donc pas de meilleure chance que cette nuit. Dame Catherine, préparez-vous à partir.

Une légère rougeur monta aux pommettes de la jeune femme et elle serra ses mains l'une contre l'autre.

– Dois-je partir seule ? dit-elle simplement.

– Non. Sara, Frère Étienne et Gauthier vous accompagneront.

Bien entendu, Gauthier vous quittera une fois hors de Carlat et, tandis que vous irez l'attendre à Aurillac, il rejoindra Mac Laren. Il lui portera l'ordre de se rendre auprès de vous avec ses hommes et de vous servir d'escorte pour le reste de votre voyage.

– Mais vous, pendant ce temps ?

L'Écossais eut un bon rire qui, par une sorte de miracle, fit éclater en mille morceaux l'atmosphère tendue où baignait la haute pièce voûtée. Avec ce rire s'enfuyaient tous les démons de la peur et de l'angoisse.

Moi ? Je resterai tranquillement ici quelques jours, pour amuser VillaAndrado. D'abord, je dois attendre qu'arrive le nouveau gouverneur, mais celui-ci n'approchera pas tant que Carlat sera investi. Dans quelques jours, juste ce qu'il faudra pour vous laisser prendre une belle avance sur une éventuelle poursuite, je convoquerai VillaAndrado ici et saurai bien lui démontrer que vous avez vidé les lieux.


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