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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– On dit que les filles de ta race sont habiles aux enchantements, à la divination et aux breuvages étranges. On dit que l'avenir s'ouvre devant vous, que vous savez comment provoquer le malheur, la mort... ou l'amour. Est-ce vrai ?

– Peut-être, répondit Catherine prudemment.

Elle commençait à voir où l'autre voulait en venir et pensait qu'il y avait là une chance. Que cette femme, avide et perverse, crût à son habileté ou à son dévouement, et elle l'amènerait peut-être où elle voulait l'amener, et son époux avec elle.

– Connais-tu, reprit la comtesse d'une voix plus basse, le philtre qui donne l'amour, qui fait couler le feu dans les veines, qui abolit la sagesse, la pudeur, même la répulsion ! Connais-tu cette potion magique qui livre un être à un autre ?

Catherine releva la tête et obligea son regard à rencontrer celui de son ennemie. Elle se souvenait de la brûlante expérience vécue dans les bras de Fero et ne mentit qu'à peine en affirmant : Oui, je la connais. Le besoin d'amour qu'elle donne devient torture et dévore tout le corps si l'on ne le satisfait pas. Il n'est personne, homme ou femme, qui puisse lui résister.

Un éclair de triomphe illumina le visage avide qui se penchait sur elle. La comtesse s'élança soudain, courut à l'autre bout de la pièce, ouvrit un petit coffre et y plongea ses mains qu'elle retira ruisselantes de pièces d'or.

– Regarde, fille d'Egypte. Tout cet or sera à toi si tu me donnes ce breuvage.

Lentement, Catherine hocha la tête. Devant son dédaigneux sourire, la dame de La Trémoille laissa lentement retomber, dans le coffret, la pluie d'or qui rendit un son argentin.

– Tu n'en veux pas ? fit-elle incrédule.

– Non. L'or fond et s'envole dans le vent. Plus précieuse, noble dame, est votre protection. Donnez-moi votre confiance, laissez-moi vous servir... et je serai beaucoup mieux payée.

– Par le chef de ma mère ! Fille d'Égypte, tu parles fièrement et tu me plais. Comment t'appelles-tu ?

– On me nomme Tchalaï. Un nom barbare pour vous.

– Un nom étrange. Écoute, je te l'ai dit, tu me plais. Donne-moi le breuvage que je te demande, tu ne le regretteras pas !

– Je ne l'ai pas sur moi et, pour le composer, il faut deux choses.

La comtesse se précipita vers elle, serra convulsivement les mains de la jeune femme, possédée qu'elle était par une mystérieuse passion.

– Parles ! Tu auras tout ce que tu veux !

– Il faut que je retourne chez les miens... oh ! pas longtemps, ajouta-t-elle très vite en voyant les sourcils roux se froncer, juste le temps de prendre certaines choses...

– Accordé. Au lever du jour, quand les portes s'ouvriront, je te ferai escorter jusqu'au campement. Prends garde de ne pas chercher à t'enfuir : les archers qui t'escorteront auront ordre de tirer.

Catherine haussa dédaigneusement les épaules.

– Pour quoi faire ? Je me plais dans ce château.

– Fort bien. L'autre condition ?

– Je dois savoir à qui vous destinez ce breuvage. Pour qu'il prenne toute sa puissance il faut y ajouter des conjurations où l'on mêle le nom de celui qui doit le boire.

Il y eut un silence. Catherine devinait que cette dernière partie de ses exigences déplaisait, mais, connaissant son adversaire, elle voulait savoir quel homme avait su inspirer à la comtesse une passion, assez violente pour lui faire rechercher jusqu'à l'aide d'une zingara. Il était possible que ce fût une arme intéressante.

Au bout d'un moment, la dame de La Trémoille fouilla dans un coffre, en sortit une houppelande de velours noir et s'en revêtit. Puis elle tordit hâtivement ses cheveux, les fixa sur sa tête et posa dessus un voile d'argent. Elle se tourna alors vers Catherine.

– Viens avec moi. Tu vas savoir.

S'emparant d'une torche, elle entraîna la jeune femme.

Toutes deux sortirent de la chambre. Dans le couloir, la comtesse trouva Violaine, fidèle à son poste, et l'envoya dormir, puis elle s'engagea dans l'escalier, mais, au lieu de descendre jusqu'à la grande salle, elle poussa une petite porte prise dans la muraille et se glissa, Catherine sur ses talons, dans un étroit boyau creusé à même l'énorme mur et qui parut interminable à la jeune femme. Il devait longer la voûte de la grande salle sur toute sa longueur. L'atmosphère y était froide, humide et la torche fumait dans la main de la comtesse.

Parvenue presque au bout, elle s'arrêta, passa la torche à Catherine et promena sa main sur l'une des parois. Un petit panneau glissa, découvrant une étroite ouverture découpée dans la voûte même et, sans doute, habilement dissimulée. Le vacarme de la fête, déjà appréciable dans le boyau, devint énorme. La comtesse tira Catherine par le bras.

– Regarde près de la cheminée. Vois-tu le roi Charles ?

Catherine se pencha et vit, en effet, assis sous un dais bleu, dans un haut fauteuil doré, un homme, portant couronne d'or à son chapeau de feutre brun, et dans lequel elle reconnut le Roi. Il n'avait pas beaucoup changé, depuis le temps de Jehanne. Il avait toujours son long visage morne, ses yeux glauques et globuleux, mais il était moins maigre. Sa figure était plus pleine et son regard avait perdu cette expression traquée, si tragique chez un roi.

Pour le moment, il souriait à un très beau jeune homme, âgé de dix-huit ou dix-neuf ans, qui se tenait à ses pieds, à demi couché parmi les coussins entassés sur les marches du trône. Catherine jugea exceptionnelle la beauté de ce garçon, mais lui trouva aussi quelque chose d'un peu féminin dans sa perfection. Sans doute était-ce dû à sa jeunesse car il semblait grand, vigoureux et bien fait, mais avec encore trop de grâce. Le sourire était un miracle de séduction.

Derrière son dos, elle entendit la voix pressante de la comtesse qui soufflait :

– Vois-tu celui qui se tient aux pieds de notre sire ?

– Je le vois. Est-ce...

– Oui. C'est lui. Il est le frère de la Reine et se nomme Charles d'Anjou, comte du Maine.

Catherine retint à temps une exclamation de stupeur. Le frère de la Reine ? Le dernier des fils de la reine Yolande alors ? Ce fameux comte du Maine dont elle avait, à Angers, entendu vanter le charme et la valeur. Et c'était de lui, de ce jeune homme à peine sorti de l'adolescence, que s'était éprise la dame de La Trémoille ? Elle avait au moins vingt ans de plus que lui !

Un flot de danseurs en costumes chatoyants et multicolores vint battre les marches du trône, mais, déjà, le petit panneau glissait. La fête disparut des yeux de Catherine. Elle n'avait pas même aperçu La Trémoille. Elle se retrouva seule dans l'étroit couloir sombre avec la comtesse. Le visage de celle-ci, déformé par la passion, lui parut hideux à la lueur incertaine de la torche. Elle eut la vision soudaine de ce que serait cette femme lorsque l'âge aurait accompli sur elle ses ravages. Une affreuse sorcière... Mais le jeu était trop bien engagé. Il fallait le poursuivre jusqu'au bout. Elle regarda ingénument la comtesse.

– Et... il ne vous aime pas ? demanda-t-elle d'un ton naïf qui laissait entendre combien elle trouvait cela inconcevable.

– Non. Il me joue la comédie des grands sentiments, de l'honneur chevaleresque ; il met en avant mon époux... comme si les gens de la reine Yolande avaient jamais eu pour lui autre sentiment que la haine

? Je crains, moi, qu'il n'ait en tête quelque jouvencelle. Et je veux qu'il m'aime, entends-tu, Tchalaï ? Je veux qu'il soit à moi... au moins une nuit ! Ensuite, je saurai bien le retenir.

Catherine ne répondit pas. Certes, l'infernal breuvage de Tereina pouvait donner à la dame de La Trémoille cette nuit d'amour qu'elle désirait, mais elle éprouvait soudain une répugnance à le lui procurer.

Ce garçon frais et charmant, ce jouvenceau si gai et si pur, elle ne l'imaginait qu'avec horreur entre les bras de cette femme mûre. Il lui semblait que ce serait un sacrilège, une profanation.

Mais l'autre, de nouveau, se faisait pressante :

– J'ai fait ce que tu m'as demandé, fille d'Égypte. Demain, à l'aube, on te mènera à ton campement prendre ce qu'il te faudra.

Songe maintenant à tenir ta promesse.

Catherine, au prix d'un effort de volonté, secoua l'impression pénible qui l'avait saisie. Qu'importait, après tout, que ce garçon perdît une nuit avec cette femme ? C'était sans doute l'amour de la comtesse qui l'avait sauvé jusque-là de la hargne de La Trémoille car elle n'ignorait pas combien la présence du jeune comte auprès du Roi incommodait le Grand Chambellan. Sans cela, un habile accident aurait pu faire place nette.

Elle redressa la tête, regarda la dame bien en face.

– Je tiendrai ma promesse, affirma-t-elle.

– Alors, rentrons. Tu dormiras, pour cette nuit, sur des carreaux de velours, au pied de mon lit en attendant l'aube.

L'une derrière l'autre, elles sortirent du boyau de pierre.

Sur le lit de coussins qu'on lui avait improvisé, en attendant qu'on lui en installe un dans le cabinet à robes de la comtesse, Catherine dormit mal. Elle était nerveuse, inquiète aussi de la façon dont La Trémoille réa– I girait en découvrant qu'elle avait disparu, et puis il faisait trop chaud, trop lourd dans cette chambre close j et saturée de parfums violents. Elle finit tout de même par s'assoupir, mais quand, au petit matin, Violaine vint la secouer, elle se sentait rompue de fatigue et elle avait mal à la tête. Il lui fallut un instant pour se souvenir de tout ce qui s'était passé la veille.

– Allons ! fit sèchement la fille d'honneur. Debout ! Il y a, en bas, un sergent et deux archers qui t'attendent pour t'escorter à ton campement.

Catherine se leva et passa un peu d'eau sur ses yeux, j Le ton insolent de Violaine l'irritait, mais le moyen de la remettre à sa place ?

Visiblement, la favorite de la comtesse n'avait aucune sympathie pour elle..Cette nouvelle venue, surtout d'origine si basse, excitait sa colère, La dame de La Trémoille dormait encore et, peu soucieuse de l'éveiller au bruit d'une dispute, Catherine se hâta.

Un moment plus tard, aux côtés d'un grand sergent barbu, hargneux et visiblement mécontent de l'expédition qu'escortaient deux archers, elle trottait dans la vaste cour en direction de la rampe d'accès.

L'aurore incendiait le ciel vers le levant et une fraîcheur montait de la terre humide. Tout de suite Catherine se sentit mieux, les idées plus claires et l'esprit plus net. Le vent du matin semblait bon après ces journées de claustration.

Mais, pour le moment, un problème l'occupait. Pourrait-elle réussir à voir Tereina sans que Fero s'aperçût de sa présence ? Cela semblait bien improbable et, dans ce cas, il lui faudrait certainement parlementer. La folie qu'avait commise, la veille même, le Tzigane en venant à sa recherche jusque dans l'enceinte du château, en laissait présager d'autres. N'allait-il pas tenter de l'arracher aux hommes d'armes chargés de la garder ?

Le trajet n'était pas long, jusqu'au camp des bohémiens. Une fois passée la barbacane d'entrée, il suffisait de descendre dans le fossé du château et Catherine n'eut pas beaucoup de temps pour se poser des questions. D'ailleurs, son esprit fut tout de suite détourné de ce souci.

Elle pensait, à cette heure matinale, trouver le camp encore endormi.

Or, il y régnait une agitation insolite.

Les femmes s'occupaient déjà à allumer les feux et à chercher de l'eau au fleuve, mais les anciens et les hommes étaient réunis près du chariot de la vieille phuri dai. Ils formaient un groupe silencieux morne, d'où se dégageait une pesante tristesse. Catherine, un instant, crut que la vieille était morte, mais elle l'aperçut bientôt, enveloppée d'un tas de chiffons et assise sur le sol. Tout ce monde, la tête levée, regardait le château avec une visible crainte. Fero n'était pas avec eux.

L'arrivée de Catherine, bien vêtue et escortée d'hommes d'armes, frappa les Tziganes de stupeur et d'angoisse. Que venait-elle chercher parmi eux, cette inconnue recueillie par charité et qui osait se présenter avec des soldats ? Déjà, quelques hommes se dirigeaient vers elle, le regard menaçant, mais Tereina qui rêvait, assise près d'un chaudron sous lequel elle avait allumé le feu, avait reconnu, elle aussi, celle qu'elle appelait sa sœur et accourait, son petit visage las illuminé de joie.

– Tchalaï ! Tu es revenue ! Je n'espérais plus te revoir.

– Je ne suis revenue que pour un instant, Tereina.

Et uniquement pour te voir. J'ai quelque chose à te demander et... tu vois, je suis surveillée.

En effet, l'agitation du camp tzigane ne devait pas plaire au sergent car il observait les visages basanés avec une visible méfiance, la main à la garde de son épée. Quant aux archers, leurs yeux aigus ne perdaient aucun mouvement de la foule et, déjà, des flèches étaient tirées des carquois. Tereina leur jeta un regard terrifié et dit, désolée :

– Hélas ! J'espérais que tu nous apportais des nouvelles de Fero.

Malgré la menace des hommes d'armes, les bohémiens s'étaient rapprochés des deux femmes, suffisamment pour entendre ce qu'elles disaient. L'un d'eux cria :

– Oui, Fero ! notre chef ! Dis-nous ce qu'il est advenu de lui, sinon ?...

– Taisez-vous ! coupa Tereina avec colère. Ne la menacez pas.

Oubliez-vous qu'elle est sa femme selon la loi ?

– Et que mes hommes tirent juste, grogna le sergent. Au large, vous autres ! Il ne doit rien arriver à cette femme, sauf si elle cherche à fuir.

Il tirait déjà son épée. Les Tziganes reculèrent, montrant les dents comme des chiens battus. Le cercle s'élargit autour des deux femmes et des soldats.

– J'ignore où est Fero, fit Catherine. Hier, je l'ai vu dans la cour du château, déguisé en paysan. Les gardes l'ont jeté dehors.

– Il y est retourné hier soir. Il savait qu'il y avait fête au château.

Il est monté avec l'un des ours, dans l'espoir de montrer ses tours pendant le festin royal. L'ours est revenu dans la nuit... seul... et blessé.

– Je te le jure, Tereina, j'ignorais que Fero était remonté au château. Quelle folie d'être revenu !

La jeune fille baissa la tête. Une grosse larme roula sur l'étoffe rouge qui la vêtait.

Il t'aime tellement. Il voulait te reprendre à tout prix. Et maintenant...

Je voudrais savoir ce qui lui est arrivé.

Les yeux en pleurs de la petite bohémienne attendrirent peut-être le cœur rude du sergent car il marmotta :

– L'homme à l'ours ? On l'a surpris en train d'escalader le donjon pour entrer par une fenêtre. Il s'est défendu comme un diable quand on l'a pris et sa bête est devenue folle. Il y a eu du grabuge. Et puis, l'ours s'est échappé...

– Et Fero ? Et mon frère ?

– On l'a jeté au cachot en attendant son jugement.

– Pourquoi le juger ? s'écria Catherine. On l'a pris essayant d'escalader le donjon, c'est entendu. Est-ce un crime si grand qu'il faille le cachot et un jugement ? Ne suffisait-il pas de le jeter dehors ?

Le visage de l'homme se ferma et ses yeux devinrent durs.

– Il était armé. Il a tué l'un des piquiers de garde. Il est juste qu'il soit jugé. Maintenant, la fille', fais ce que tu as à faire au plus vite et rentrons. Je n'aime pas m'attarder ici.

Catherine ne répliqua pas et entraîna Tereina qui avait éclaté en sanglots. La jeune fille avait compris, comme Catherine elle-même, quel sort attendait Fero. Le Tzigane avait tué, il serait pendu... sinon pire. Malgré elle, Catherine sentait des larmes brouiller ses yeux en faisant rentrer la petite bohémienne dans son chariot. Ce qu'elle avait à dire ne pouvait l'être devant tout le monde. Les soldats se contentèrent de leur emboîter le pas et de prendre la garde aux deux extrémités du véhicule.

Tereina pleurait toujours, à gros sanglots désespérés, et Catherine désolée cherchait les mots capables d'atténuer cette douleur. Malgré elle, la nouvelle de la mort prochaine de Fero lui faisait mal. Cet homme l'avait aimée jusqu'à la folie et, pour une nuit d'amour involontaire qu'elle lui avait donnée, avait tout risqué pour elle. Et maintenant, il allait mourir de cet amour insensé... Il fallait faire quelque chose. Si elle lui rap portait le philtre désiré, peut-être que la dame de La Trémoille ne lui refuserait pas la grâce du Tzigane. Mais il fallait faire vite.

Brusquement, elle saisit Tereina aux épaules, la secoua sans trop de douceur.

– Écoute-moi. Cesse de pleurer. Il faut que je remonte là-haut et que j'essaie de le sauver. Mais, avant, il faut que tu me donnes ce que je suis venue chercher.

Tereina essuya ses yeux et tenta un pauvre sourire.

– Tout ce que j'ai est à toi, ma sœur. Qu'es-tu venue chercher ?

– Il me faut ce philtre que tu m'as fait boire la nuit où... tu te souviens ? La nuit où Fero m'a appelée. Apprends-moi comment on le confectionne. Notre vie à tous dépend peut-être de cette drogue. Il m'en faut à tout prix et le plus vite possible. Peux-tu m'apprendre à la composer ?

La jeune fille la regarda avec étonnement.

– Je ne sais pas dans quel but tu me demandes cela, ; Tchalaï, mais, si tu dis que des vies humaines peuvent dépendre de ce breuvage, je ne te poserai pas d'autres questions. Sache seulement que ce philtre est long à composer, et que sa recette ne peut se communiquer. Pour le faire, il faut, outre la connaissance, quelque chose d'autre... une sorte de don ; sinon, il n'est pas pleinement efficace. Il y a les incantations qu'il faut dire et que...

– Alors, peux-tu m'en faire un peu ? coupa Catherine impatiemment. C'est très grave... très urgent !

– T'en faut-il beaucoup ? Veux-tu l'expérimenter sur plusieurs personnes ?

– Non. Sur une seule.

– Dans ce cas, j'ai ce qu'il te faut.

Tereina se glissa vers le fond de son chariot, fouilla dans une boîte cachée sous des oripeaux et en tira un petit flacon, rond, en terre brune, qu'elle vint mettre dans les mains de Catherine en refermant sur lui, tendrement, les doigts de son amie.

– Tiens. Je l'avais préparé pour toi... pour la nuit de ton mariage.

Il est donc à toi.

Fais-en l'usage que tu voudras. Je sais que, de toute façon, ce sera pour le bien.

Saisie d'une brusque impulsion, Catherine prit la petite sorcière aux épaules et l'embrassa chaleureusement.

– Même s'il arrivait du mal à Fero, je resterai ta sœur, Tereina. Je voudrais t'emmener avec moi. Mais, pour le moment, je ne peux pas.

– Et je dois rester ici. Ils ont besoin de moi, tu sais ?

Au-dehors, cependant, le sergent d'armes s'impatientait. Il écarta de son poing ferré le feutre qui fermait le chariot et passa la tête.

– Dépêche-toi un peu, femme ! J'ai des ordres. Assez parlé.

Pour toute réponse, Catherine embrassa encore une fois Tereina et glissa le flacon dans son aumônière.

– Merci, Tereina, et prends soin de toi. Moi, je vais voir si je peux quelque chose pour Fero. Adieu !

D'un souple mouvement, elle se glissa hors du chariot et rejoignit les hommes d'armes.

– Rentrons. J'ai fini.

Ils l'encadrèrent de nouveau puis, traversant la tribu rassemblée et silencieuse, ils remontèrent le fossé pour rejoindre la rampe d'accès.

Au passage, Catherine reconnut Dunicha, la fille qui l'avait obligée au combat, et détourna la tête. Mais pas assez vite cependant pour n'avoir pas saisi au vol le regard brûlant de haine de la Tzigane. Dunicha devait la rendre responsable de la capture de Fero et, sans doute, à cette heure, la détestait cent fois plus que lors du combat... Catherine, d'ailleurs, ne lui en voulut pas de ce sentiment. Dunicha, puis qu’elle aimait Fero, avait toutes les raisons de haïr celle qui le lui avait pris et pour laquelle il allait mourir. Elle se promit cependant de veiller sur elle-même ; Dunicha n'était pas fille à laisser sa haine inactive et à ne pas chercher vengeance.

Un appel de trompettes, derrière elle, la fit se retourner. Le jour, maintenant, était bien clair... Sous les rayons du soleil, la Loire scintillait entre ses rives herbeuses comme un fleuve de feu, et, sur ce fond éblouissant, passant les ponts, se détachaient les couleurs éclatantes d'un important cortège. Des chevaliers en harnois de guerre contrastant vigoureusement avec un escadron de dames en robes claires montées sur de paisibles haquenées, entouraient une grande litière dont les rideaux de soie bleue frappés de lys d'or étaient relevés. À l'intérieur, une dame soigneusement emmitouflée de mousselines blanches, une nourrice portant un bébé, deux suivantes et trois petites filles échelonnées entre trois et huit ans. Une compagnie d'archers, des pages et des hérauts précédaient le lourd véhicule au-devant duquel un porte-étendard tenait une lourde bannière sur laquelle Catherine, le cœur battant soudain un peu plus fort, lut les armes de France accolées à celles d'Anjou. D'instinct, elle s'était arrêtée, mais le sergent, déjà, la bousculait pour l'obliger à monter sur le talus herbeux avec les archers.

– La Reine ! Place ! Et n'oublie pas de t'agenouiller, l'Egyptienne, quand notre bonne dame passera.

Catherine n'avait garde d'oublier la recommandation. Marie d'Anjou, reine de France, était une femme timide et effacée, mais elle avait une excellente mémoire et Catherine, durant de longs mois, avait été de ses dames d'honneur. Il était bien improbable qu'elle la reconnût sous son déguisement d'Égyptienne, mais là, dans cette robe de servante de bonne maison, avec ce béguin de toile qui dissimulait ses cheveux, il ne restait guère pour la cacher que la teinte un peu trop foncée du visage et l'arc noir des sourcils. Déjà, la nuit passée, tandis qu'elle se mettait au lit, la dame de La Trémoille avait considéré sa nouvelle servante d'un air songeur.

– C'est drôle, avait-elle dit. Il me semble que je t'ai déjà vue quelque part. Tu me rappelles quelqu'un... mais je ne saurais dire qui...

Catherine avait béni ce bienheureux trou de mémoire et s'était hâtée de répondre que, sans doute, la noble dame se souvenait d'une de ses sœurs, venue danser au château. Il ne fallait pas que la comtesse cherchât trop longtemps. Et, de fait, elle avait paru n'y plus penser. Ce serait une catastrophe si, maintenant, la Reine la reconnaissait.

Aussi, quand la cavalcade royale suivie des cris de joie des gens d'Amboise passa auprès d'elle, se hâta-t-elle de s'agenouiller et de baisser la tête en grande humilité... d'autant plus qu'au même moment une troupe de seigneurs sortait du château pour accueillir la souveraine et qu'à la tête de cette troupe il y avait Gilles de Rais.

Heureusement il ne lui prêta aucune attention et, la litière entrée sous la voûte des remparts, Catherine crut pouvoir relever la tête ; ce fut pour voir les jambes d'un cheval arrêté devant elle tandis qu'une voix juvénile et sèche demandait :

– Qu'a fait cette femme, sergent ? Et pourquoi l'emmènes-tu ?

La hauteur du ton fit rougir Catherine qui, sans trop savoir pourquoi, se sentit coupable. Pourtant, le questionneur ne devait pas avoir beaucoup plus de dix ans. Maigre, le teint jaune, le cheveu noir et raide, ce jeune garçon était pourvu de larges épaules osseuses, d'un grand nez et d'une paire de petits yeux noirs étrangement vifs et perspicaces chez un être si jeune. 11 n'avait rien de séduisant, mais, à la manière de porter fièrement la tête, à la beauté du cheval qu'il maintenait fermement de ses mains nerveuses et, surtout, au costume mi-partie rouge, mi-partie noir et blanc, apanage des princes du sang, qu'il portait, Catherine comprit qu'elle avait en face d'elle le Dauphin Louis, fils aîné du Roi.

Cependant, le sergent, rouge d'orgueil, se hâtait de répondre :

– Je ne l'emmène pas, Monseigneur, je l'escorte seulement, d'ordre de Très Haute et Très Noble Dame de La Trémoille.

Bouche bée, Catherine vit le Dauphin hausser les épaules, se signer précipitamment puis cracher à terre sans cérémonie.

Quelque esclave maure, sans doute. Je hais cette engeance maudite, mais rien ne m'étonne de la Dame, Qui se ressemble...

Il n'acheva pas la phrase commencée, un autre cavalier s'était approché vivement et lui parlait à l'oreille, ' sans doute pour lui conseiller plus de modération dans ses propos. La vue de ce nouveau venu fit rougir Catherine jusqu'à la racine des cheveux et changea ses inquiétudes en panique. Malgré l'armure qui emprisonnait l'homme tout entier, elle avait reconnu les croix de Jérusalem brodées sur la cotte d'armes et, surtout, le beau visage blond sous la ventaille relevée du heaume. Pierre de Brézé ! L'homme qui, à Angers, s'était épris d'elle dès la première entrevue et au point de lui demander sa main. Il faisait partie du complot contre La Trémoille et ne démasquerait pas Catherine. Mais elle pouvait craindre un geste de surprise en la retrouvant aussi inopinément au bord du chemin.

Pourtant, à le revoir, elle éprouvait une joie soudaine, inexplicable et ne pouvait s'empêcher de le regarder avec admiration. Il était vraiment très beau, ce Pierre de Brézé, et de très noble allure sur son grand destrier gris. Le lourd vêtement de fer semblait ne rien peser à ses larges épaules, non plus que la longue lance de frêne qu'il appuyait à sa cuisse. La voix du jeune homme la tira de sa contemplation.

– Monseigneur, disait Brézé, nous nous attardons ; et la Reine vous attend.

Mais, tout en parlant, son regard bleu accrochait celui de Catherine en même temps qu'un léger sourire détendait les lèvres fermes du chevalier. Ce ne fut qu'un bref regard, l'espace d'un instant, mais dans lequel la jeune femme lut toute la passion qu'il lui vouait. Il n'était là que pour elle, bravant le déplaisir du Roi et la haine de La Trémoille en venant, avec l'escorte de la Reine, dans ce château où l'on ne le souhaitait pas. Non seulement il l'avait reconnue, mais il trouvait moyen de lui redire, sans un mot, sans un geste, son amour... Pourtant, si discret qu'eût été ce sourire, il n'avait pas échappé à l'œil aigu du prince Louis qui décocha au chevalier un regard moqueur.

– Hum ! Il semble, sire chevalier, que vous ayez le goût aussi dépravé que la dame de La Trémoille. Allons !

Sans plus s'occuper de Catherine, le Dauphin poussa son cheval et force fut à Brézé de le suivre. Il ne se retourna pas, mais le regard de Catherine suivit, jusqu'à ce qu'elle ait disparu sous la voûte, la fière silhouette du jeune homme. En se remettant en route, un instant plus tard, elle avait le cœur chaud d'une confiance et d'un courage nouveaux. N'avait-elle pas remarqué, attachée au bras de Brézé, une écharpe de soie noir et argent, les couleurs de deuil qu'elle lui avait dit être les siennes et qu'il portait, fidèlement ?

Il s'était déclaré son chevalier et, apparemment, il entendait le rester. Désormais, dans ce château où elle avait peur de tout, elle sentirait cette présence rassurante. Elle pouvait, s'il le fallait, mourir sans crainte, sûre d'être vengée car elle se souvenait du serment qu'il avait fait, à ses genoux. Si elle échouait, il tuerait La Trémoille de ses propres mains, quitte à porter ensuite sa tête au bourreau.

Pourtant, en franchissant le pont-levis, Catherine s'efforça de chasser ces douces pensées, si réconfortantes fussent-elles. Dans ce même château, il y avait un autre homme qui pouvait mourir à cause d'elle.

Lorsque Catherine et ses gardes pénétrèrent dans la cour du château, elle était pleine de monde. Au cortège de la Reine s'étaient joints les serviteurs du château qui déchargeaient les bagages, les officiers et dignitaires. Elle aperçut même la mince silhouette du Roi qui, menant sa femme par la main, la conduisait vers l'escalier.

Instinctivement, elle chercha, dans la foule des dames et des chevaliers, un profil fier, de larges épaules, un regard chaud, mais, déjà, les archers l'entraînaient vers le petit escalier, la tourelle qui menait chez la dame de La Trémoille.

Elle trouva la porte close et Violaine, débout devant, drapée dans un grand manteau. D'un signe, la jeune fille renvoya les hommes d'armes, mais ne s'écarta pas pour laisser passer Catherine.

– Tu ne peux pas entrer, l'Égyptienne.

– Pourquoi donc ?

Violaine dédaigna de répondre, se contentant d'un haussement d'épaules. En effet, malgré l'épaisseur du chêne dont était faite la porte, de violents éclats de voix la traversaient, parvenant jusqu'à la jeune femme. Elle reconnut la voix haut perchée de la comtesse.

– Je garderai cette fille autant qu'il me plaira. Et je ne vous conseille pas de m'en empêcher !

– Quelle mouche vous a piquée de vous mêler de mes affaires ?

– Qu'avez-vous besoin de cette fille ?

– Cela me regarde. Ayez patience... Je vous la rendrai quand je n'en aurai plus besoin.

Les voix se firent plus sourdes, mais Catherine avait compris. Les deux époux étaient aux prises à cause d'elle... et elle n'avait rien à attendre de la femme qu'elle avait cru maîtriser. Violaine suivait le cheminement de sa pensée sur son visage et se mit à rire, d'un rire mauvais. Puis elle chuchota :

– Cela te surprend ? Qu'espérais-tu donc ? Devenir dame d'honneur ?

Catherine haussa les épaules à son tour, avec une fausse désinvolture.

– J'espérais que les nobles dames savaient reconnaître les services rendus... Mais qu'importe, après tout.

La tranquillité qu'elle affectait dut impressionner la fille d'honneur car elle cessa de rire et, par en dessous, glissa un coup d'œil méfiant à Catherine avant de se signer précipitamment comme si elle avait tout à coup rencontré le Diable. La conversation en resta là. D'ailleurs, la porte s'ouvrait. La Trémoille en jaillit, sa houppelande rouge et or claquant au vent de sa fureur. Il s'arrêta court en reconnaissant Catherine, la toisa d'un œil étincelant puis s'engouffra dans l'escalier, sans dire un mot et à une allure incroyable pour un personnage de sa dimension.

Le regard de Catherine croisa celui de Violaine, avec l'implacabilité de deux lames d'épée. Le bruit des pas du gros chambellan décroissait dans l'escalier. Un sourire de dédain arqua les lèvres de la fille d'honneur qui, d'un geste presque négligent, poussa le battant de chêne.

– Tu peux entrer maintenant.

Tête haute, sans broncher, Catherine passa devant elle et eut la satisfaction d'entendre la porte claquer derrière son dos.

– Pas tant de bruit, Violaine, cria la dame de La Trémoille avec irritation. Ma tête me fait un mal affreux.

Déjà vêtue mais non coiffée, elle arpentait furieusement sa chambre au milieu d'un effroyable désordre. D'un coup d'œil Catherine devina la fuite des chambrières, abandonnant leurs peignes, leurs flacons, leurs épingles et leurs pots à onguents devant l'entrée du Grand Chambellan. La dispute entre les deux époux avait dû parachever la déroute des objets qui avaient roulé de tous les côtés. Avec un sourire intérieur, elle eut la sensation d'entrer dans la cage de l'un de ces fauves que gardaient si soigneusement, au fond de leurs chenils, les grands seigneurs et les princes. Le chacal était parti, il ne restait plus que la femelle en furie, cent fois plus dangereuse que lui d'ailleurs, mais Catherine s'était juré de ne pas donner à cette femme le plaisir de la voir trembler. Tout de suite, la colère de la comtesse se tourna contre elle.


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