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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Je me doutais que tu te tourmenterais ; c'est pourquoi je suis revenue, mais il faut que je reparte.

– Pourquoi ?

– Parce que Tristan a disparu.

Catherine accusa le coup. Elle dut, un instant, chercher sa respiration et sa voix n'était plus qu'un souffle quand elle demanda :

– Disparu ? Mais quand ? Comment ?

– Il y a deux jours. Il a quitté son auberge et n'est pas revenu. J'ai visité déjà une partie de la ville dans l'espoir d'apprendre quelque chose. Il faut que je le trouve avant le coucher du soleil.

– Et, dit Catherine d'une voix blanche, si tu ne le trouves pas ?

– J'aime mieux ne pas y penser. Il faudrait, peut– être, avouer ta véritable identité, mais ce serait jouer ta vie, en même temps que celle de Fero, coupable d'avoir introduit une étrangère, une gadjii, dans la tribu.

– Que m'importe Fero ! Je ne veux pas mourir pour lui. Ne serait-il pas plus simple de dire à Dunicha que je n'ai aucune envie de lui disputer la place et que je renonce bien volontiers à Fero ?

– Tu offenserais mortellement le chef qui ne peut se permettre d'être dédaigné. Ton sort n'aurait rien d'enviable car tu ne vivrais pas longtemps pour t'en souvenir. Et puis, les autres ne comprendraient pas. Tu serais accusée de lâcheté. Ce serait le fouet... et la suite.

Un cri de colère échappa à Catherine. De quelque côté qu'elle se tournât elle trouvait des murailles. Tout la renvoyait à cette mort dont elle ne voulait plus. Elle avait oublié que, si peu de temps auparavant, elle désirait mourir. Maintenant, elle voulait vivre, de toutes ses forces, de toute l'ardeur de sa jeunesse. Cette vie lui devenait précieuse puisqu'on voulait la lui arracher.

– Laisse-moi partir, priait Sara, il faut à tout prix que je retrouve Tristan. Sois tranquille, je serai là si...

Elle n'ajouta rien. Effleurant des lèvres le front de Catherine, Sara disparut de nouveau dans les brumes du petit matin, laissant la jeune femme le cœur plus lourd que jamais. Elle eut un élan pour se glisser à la suite de sa vieille amie, mais, au prix d'un effort de volonté, se retint. Si elle fuyait, tout son plan serait compromis, il faudrait revenir à Angers en avouant qu'elle avait échoué si près du but. Au surplus, en acceptant ce rôle, elle n'ignorait pas qu'il lui faudrait risquer sa vie plus d'une fois... Il fallait donc admettre que le temps était venu de la risquer pour la première fois. Un sursaut d'orgueil remit Catherine d'aplomb. S'il fallait affronter Dunicha le couteau à la main, elle le ferait malgré tout, envers et contre toute chance parce que cela ne lui ressemblait pas de reculer. Elle eut même honte de cette peur abjecte qui, un instant, l'avait mordue au ventre. Ce qu'il fallait éviter à tout prix, c'était de penser à son petit Michel, pour que le cœur ne vînt pas à lui manquer à l'idée de ne plus jamais le revoir. Mais elle penserait à son époux bien-aimé, à Arnaud pour lequel il fallait que La Trémoille cessât d'être, afin que la mort perdît au moins pour lui ce goût de cendres amères.

Pourtant, lorsque, à l'issue d'une interminable journée, Catherine vit que le soleil descendait vers l'occident et que Sara n'était toujours pas revenue, elle eut bien du mal à empêcher la panique de s'emparer d'elle. Les autres femmes qui la gardaient n'avaient pas paru s'étonner outre mesure de l'absence de Sara. Tereina avait résumé leur pensée en murmurant, les larmes aux yeux :

– Mauvais signe. Sara la Noire n'a pas voulu voir mourir sa nièce.

Et Catherine, le cœur chaviré, en vint à se demander s'il n'y avait pas un peu de vrai dans cette opinion. Néanmoins, quand arriva l'heure fatale et que les trois femmes l'entraînèrent au-dehors, elle serra les dents, et tête haute fit face à ce qui l'attendait. Elle n'avait plus d'espoir qu'en elle-même ; curieusement, elle puisait dans cette certitude une sorte de calme fataliste. Et puis, elle avait trop souvent regardé la mort en face pour lui tourner le dos cette fois-ci.

En quittant le chariot, Tereina lui avait tendu, de nouveau, un gobelet dont, sans hésitation, elle avait avalé le contenu. Elle avait même eu un petit sourire. Si ce liquide destiné à lui donner du courage était aussi efficace que celui de l'autre nuit, elle allait se battre comme une lionne.

Dehors, elle vit qu'un grand espace vide avait été aménagé au centre du campement, déblayant l'aire où travaillaient ordinairement les forgerons. La tribu, silencieuse, se tenait tout autour, pareille, sous les rayons rouges du soleil couchant, à un peuple de statues de cuivre.

Fero et la vieille phuri dai se tenaient au centre, assis sur un tronc d'arbre abattu recouvert d'une peau de bête. Quand Catherine franchit le cercle humain, Dunicha arrivait aussi, par l'autre extrémité, toujours escortée de ses quatre compagnes. Un vieux gitan, qui se nommait Yakali et semblait être le principal conseiller du chef, se tenait au centre de l'espace vide. Il portait une espèce de houppelande faite d'une infinité de morceaux bariolés qui lui tombait jusqu'aux pieds et lui conférait une vague allure sacerdotale. Sur sa tête, qui avait l'air sculptée dans du vieux bois de chêne, un bonnet de fourrure mité servait de support à une longue plume noire et, dans chacune de ses mains, il tenait un poignard.

Quand les deux femmes furent près de lui, on leur ôta leurs oripeaux, ne leur laissant que leurs chemises qu'elles serrèrent à la taille avec un lacet de cuir. Puis, sans un mot, Yakali leur tendit à chacune un couteau et s'écarta jusqu'à rejoindre le cercle. Catherine se retrouva seule en face de Dunicha. Elle regarda avec une sorte d'horreur le couteau qu'on lui avait mis dans la main. Comment s'en servir ? Ne valait-il pas mieux se laisser tuer plutôt qu'enfoncer cette lame dans le corps de cette fille ? La seule idée de faire jaillir le sang la révoltait.

Les yeux de la tzigane brillaient comme des charbons dans son visage basané, mais, à la grande surprise de Catherine, il n'y avait aucune haine dans leur expression, rien qu'une sorte de joie sauvage comme si Dunicha jouissait profondément de ce qui allait venir. Avec amertume, la jeune femme songea que sa rivale escomptait la victoire et se délectait à l'avance de sa mort prochaine.

De son côté, elle jeta un regard circulaire à ce public silencieux, espérant encore voir surgir, sinon Tristan, du moins Sara dont elle ne s'expliquait pas l'absence. Pour qu'elle fût seule à cet instant mortel, il fallait que quelque chose fût arrivé à sa fidèle compagne... quelque chose de grave. Plus rien ne viendrait l'empêcher d'affronter le combat.

Les yeux rivés à ceux de son adversaire, Catherine murmura une rapide prière puis, avec le courage du désespoir, se pencha légèrement en avant, attendant le choc. Là-bas, sur son tronc d'arbre, Fero venait de lever la main et Dunicha se mit en mouvement. Lentement, très lentement, elle se déplaçait sur le côté, un pas après l'autre, tournant autour de Catherine. Elle souriait... Catherine sentit ses jambes trembler un moment, puis sa peur diminua un peu. Une chaleur nouvelle courait dans ses muscles raidis et elle comprit que le breuvage de Tereina faisait son effet. Mais elle ne perdait aucun des mouvements de Dunicha.

Et soudain, ce fut le choc. D'une détente de ses jarrets, la Tzigane bondit sur son adversaire, le poignard levé. Catherine, qui la guettait, se baissa brusquement, évitant la lame meurtrière qui déchira seulement un morceau de sa chemise. Déséquilibrée, Dunicha roula un peu plus loin et, sans perdre une seconde, Catherine bondit sur elle, jetant au loin son propre poignard dont elle ne savait que faire. Dans ce corps à corps, deux lames étaient plus dangereuses qu'une seule et elle voulait maintenant désarmer son adversaire. Elle eut la chance de saisir Dunicha au poignet et se mit à serrer de toutes ses forces ; elle eut conscience du grondement approbateur de la foule.

Mais la Tzigane, plus grande et plus forte qu'elle, était difficile à maintenir. De tout près, Catherine voyait son visage brun, grimaçant sous l'effort. Elle grinçait des dents et ses narines palpitaient comme celles d'un fauve qui flaire le sang. D'un mouvement brutal, elle rejeta en arrière Catherine qui poussa un cri de douleur. Dunicha, à pleines dents, avait mordu son bras, l'obligeant à desserrer sa prise. Elle se retrouva couchée sur le sol avec tout le poids de la Tzigane sur elle.

Un réflexe lui fit saisir de nouveau le bras armé qui allait frapper, mais elle savait bien, maintenant, que l'autre allait avoir le dessus, qu'elle luttait pour rien, que la mort viendrait dans moins d'une minute. Elle pouvait la lire clairement dans le regard déjà triomphant de l'autre. Lentement, avec un éclat de rire haletant, la Tzigane se mit à lui tordre le bras en déplaçant sa main armée tandis que de l'autre elle saisissait Catherine à la gorge, cherchant déjà l'endroit où elle trancherait.

Une imploration angoissée monta alors du cœur affolé de la malheureuse. Tout était fini pour elle. Ses forces étaient épuisées. Elle n'en pouvait plus ; aucun secours, elle le savait, ne lui viendrait de ce cercle impassible qui la regardait. Aucune voix ne s'élèverait pour retenir la main de Dunicha. Elle ferma les yeux.

– Arnaud, murmura-t-elle..., mon amour !

Son bras pliait déjà sous la douleur, quand une voix impérieuse éclata à ses oreilles :

– Séparez ces femmes ! Immédiatement !

Catherine crut entendre les cloches de Pâques sonnant la résurrection.

Sa poitrine se dégonfla en un énorme soupir de gratitude qui eut pour écho le hurlement de rage de Dunicha que deux archers arrachaient brutalement à son adversaire. Deux autres, sans plus de douceur, remirent sur pied une Catherine titubante qui ne parvenait pas à croire à son bonheur. Les deux femmes se retrouvèrent face à face, mais, cette fois, maintenues par les poignes solides des hommes d'armes.

Entre elles, un méprisant sourire aux lèvres, se tenait un homme de haute taille, somptueusement vêtu de velours vert et de brocart noir.

Et la joie s'éteignit dans le cœur de Catherine, tandis que le soleil, lui sembla-t-il, devenait noir. Une folle terreur s'empara d'elle parce que le salut était pire encore que le danger : l'homme qui l'avait sauvée c'était Gilles de Rais !

En une rapide vision, sa mémoire lui restitua les tours de Champtocé, les sombres horreurs de ce château maudit, l'abominable chasse à l'homme dont Gauthier avait failli être la victime, le bûcher où Gilles voulait faire monter Sara, enfin le visage révulsé du vieux Jean de Craon, la plainte déchirante de son orgueil écrasé, de son cœur humilié quand il avait découvert quel monstre était son petit-fils...

Catherine songea que sous son déguisement misérable elle devait être méconnaissable, mais, comme les yeux noirs du maréchal s'attardaient, insolents et ironiques, sur son visage maculé de poussière, elle baissa la tête comme si elle avait honte de sa semi-nudité. La grossière chemise, en effet, avait beaucoup souffert durant la bataille... Cependant, Dunicha se tordait aux mains des archers et la voix de Gilles claqua :

– Laissez aller celle-là et renvoyez-moi cette racaille d'Egypte dans ses tanières à coups de fouet.

– Et cette femme, monseigneur ? demanda l'un des hommes qui tenaient Catherine.

Le cœur de celle-ci manqua un battement quand la voix dédaigneuse ordonna :

– Emmenez-la !

La nuit était tombée, comme un rideau noir, quand Catherine étourdie se retrouva dans une chambre du donjon où les archers l'avaient poussée sans trop de douceur. Elle avait eu un mouvement de terreur lorsque ses gardiens l'avaient entraînée au centre du château, vers cette énorme tour, si haute que, de son couronnement, on pouvait apercevoir les toits de Tours, car elle avait craint d'être jetée dans une de ces basses-fosses affreuses dont elle avait fait l'expérience à Rouen.

Mais non, la pièce où elle se trouvait était vaste, bien meublée. Ses murs de pierre disparaissaient sous des tentures de toile brodée et des soieries orientales dans les tons rouge sombre et argent tandis que des coussins, jetés un peu partout, étoilaient de bleu le dallage timbré aux armes, pals rouge et or, de la famille d'Amboise, dépossédée depuis si peu de temps de son domaine par la volonté royale.

Catherine résista à l'attraction du grand lit carré, tapi dans un coin, sous ses courtines relevées, qui lui offrait la douceur de ses draps de lin blanc et de ses couvertures veloutées. Dormir ! Étendre là son corps meurtri, couvert de contusions et d'ecchymoses. Mais la grande épée posée sur une table, l'armure dressée dans un coin, les vêtements masculins jetés sur les sièges et les coffres, ouverts sur de précieux objets de toilette ou débordants de soieries et de fourrures, tout cela lui disait trop clairement qu'elle se trouvait dans la propre chambre de Gilles de Rais. Elle ne savait plus très bien où elle en était, mais la peur, elle, était toujours là, tenace, accablante. Les souvenirs qu'elle gardait de son séjour chez Gilles de Rais se révélaient trop cuisants pour qu'il en fût autrement. Au fond, elle n'avait fait que changer de cauchemar, en échappant au couteau de Dunicha, et celui-ci était pire que l'autre. Ce qui la tourmentait, c'était ce que Gilles allait faire d'elle. Pourquoi l'avoir amenée ici ? Il ne pouvait pas l'avoir reconnue.

Alors ? Si elle était démasquée, sa mort était une affaire sûre, simplement différée. Mais si elle ne l'était pas ? Elle connaissait assez son goût du sang pour savoir qu'il n'hésiterait pas à tuer une Tzigane s'il en avait envie. Il pouvait aussi la violer, puis la tuer... De toute façon elle en arrivait au même point navrant : la mort. Quelle raison, autre que s'en amuser, pouvait avoir Gilles de Rais de traîner chez lui une fille de Bohême ? Sur ses pieds nus, elle alla jusqu'à la cheminée où ronflait un grand feu et se laissa tomber sur un banc garni de coussins. La chaleur lui fit du bien. Elle lui tendit avec reconnaissance ses mains meurtries. Sous la grossière chemise déchirée, qui, seule, la vêtait, son corps tremblait de froid, mais le feu luttait victorieusement contre l'humidité du fleuve et la fraîcheur de la nuit. Sans que la jeune femme y prît garde, ses yeux s'étaient emplis de larmes. Une à une, elles roulaient sur la toile rude. Catherine avait faim... D'ailleurs, depuis son arrivée au camp tzigane, elle avait toujours eu faim. Elle avait mal partout, mais, surtout, elle était lasse, moralement plus encore que physiquement. Le bilan des derniers événements était plutôt accablant : elle était tombée aux mains de Gilles de Rais, son ennemi ; Sara avait mystérieusement disparu, sans parler de Tristan l'Hermite dont elle préférait ne pas chercher à expliquer la conduite.

Cela ressemblait trop à un abandon.

Dans son chagrin, elle ne tenait aucun compte du fait qu'après_ tout elle se trouvait enfin dans ce château où elle avait tant désiré entrer.

Ce furent les bruits extérieurs qui, curieusement, lui en rendirent conscience. Les murs formidables du donjon les étouffaient, mais, par l'étroite fenêtre ouverte, entrèrent les échos d'une chanson. Là, dans le logis royal, de l'autre côté de la cour, un homme chantait sur un accompagnement de harpe.

Belle, quelle est votre pensée ?

Que vous semble de moi ? Point ne me le celez...

Catherine redressa la tête, rejetant la mèche noire qui lui mangeait le front. Cette chanson était la chanson favorite de Xaintrailles et, derrière la voix étudiée du chanteur, il lui semblait entendre encore celle, nonchalante et plutôt fausse, de son vieil ami. C'était cela que chantait Xaintrailles dans le champ clos d'Arras et ce rappel de ses plus chers souvenirs galvanisa Catherine. Ses idées se firent plus claires. Son sang coula mieux dans ses veines et peu à peu elle recouvra la maîtrise d'elle-même. Quelques mots prononcés par le connétable de Richemont lui revenaient : « La Trémoille ne partage même pas le logis du Roi. C'est dans le donjon, sous la garde de cinquante hommes armés, qu'il passe la nuit... » Le donjon ? Mais elle y était ! Instinctivement, elle leva la tête vers la voûte de pierre dont les croisées d'ogive se perdaient dans l'ombre. Cette chambre était au premier étage. L'homme qu'elle cherchait devait vivre là, au-dessus de sa tête... à portée de sa main et, à cette pensée, son cœur bondit.

Elle était si bien absorbée par ses pensées qu'elle n'entendit pas la porte s'ouvrir. Silencieusement, Gilles de Rais s'approcha de la cheminée. C'est seulement quand il se dressa devant elle que Catherine s'aperçut de sa présence. Pour demeurer fidèle à son personnage, elle se leva vivement avec une mine effrayée, que d'ailleurs elle n'avait pas besoin de feindre ; la seule présence de cet homme avait le don de la terrifier. Son cœur affolé battait sur un rythme effrayant, mais elle n'eut même pas le temps d'ajouter un mot.

Gilles l'avait saisie aux épaules d'un geste brusque et il avait pris ses lèvres. Mais il la rejeta aussitôt :

– Pouah ! Tu empestes, ma belle ! C'est qu'aussi on n'est pas sale comme tu l'es !

Elle s'attendait à tout sauf à cela. Pourtant, chose étrange, elle se sentit ulcérée. Elle savait bien qu'elle était sale, mais se l'entendre dire était insupportable. Cependant, s'écartant d'elle, il frappait dans ses mains. Un garde parut, armé jusqu'aux dents. Il s'entendit intimer l'ordre d'aller chercher deux chambrières. Quand l'homme revint avec les servantes, Gilles de Rais leur désigna Catherine qui, méfiante, demeurait blottie sur son banc.

– Conduisez cette aimable personne aux étuves. Et prenez-en grand soin. Toi, l'archer, tu veilleras à ce que ma prisonnière ne nous échappe pas.

Bon gré mal gré, il fallut que Catherine, furieuse et infiniment plus vexée qu'elle ne voulait l'admettre, suivît ses gardiens. Un peu d'amusement se glissait dans sa mauvaise humeur car, derrière son dos, elle avait vu l'une des chambrières diriger contre elle deux doigts en forme de corne. Les deux filles devaient avoir une peur bleue de cette zingar'a dont il leur fallait s'occuper. C'était tout à l'honneur de son déguisement, mais, d'autre part, une inquiétude lui venait troublant désagréablement sa joie d'être bientôt débarrassée de sa crasse ; la teinture de Guillaume l'Enlumineur allait-elle résister au bain ? Ses cheveux étaient toujours du plus beau noir, encore qu'une bonne dose de poussière s'y mêlât et, dans une pochette que Sara avait confectionnée à l'intérieur même de sa chemise, elle avait toujours les deux petites boîtes que le vieil artiste lui avait données. Mais sa peau ?

Elle fut vite rassurée. La couleur tenait bon. C'est à peine si le bain prit une légère teinte jaunâtre et Catherine s'abandonna tout entière à la volupté de l'eau chaude et des huiles parfumées. Son corps malmené y trouva un extraordinaire bien-être tandis que son esprit s'y délassait aussi. Elle ferma les yeux, essayant de mettre un peu d'ordre dans ses pensées, de calmer l'angoisse tenace qui lui serrait la gorge.

Ce bain était un répit bienfaisant, inattendu, avant une suite qu'elle osait à peine imaginer. Étendue de tout son long, elle s'efforça de faire le vide dans son esprit. Cet instant de rémission serait peut-être le dernier. Il fallait en profiter pleinement. Après...

Catherine aurait voulu demeurer des heures dans cette eau tiède où ses douleurs s'apaisaient, où la brûlure des écorchures se faisait plus sourde. Mais, apparemment, Gilles de Rais n'entendait pas la laisser l'oublier trop longtemps. Les chambrières la sortirent enfin de l'eau, la vêtirent d'une fine chemise de soie, puis d'une dalmatique à larges manches, faite d'un lourd samit1 blanc rayé de vert.

Mais quand les deux femmes voulurent s'occuper de ses cheveux, elle les repoussa et leur montra la porte d'un geste si farouche que les servantes apeurées, craignant sans doute quelque maléfice, n'insistèrent pas et se hâtèrent de lui obéir. Catherine, en effet, ne se souciait pas de leur faire constater que son opulente chevelure noire n'était pas tout à fait à elle.

Demeurée seule, elle défit ses nattes, brossa et peigna longuement ses cheveux pour les débarrasser de la poussière, puis refit posément sa coiffure qu'elle consolida en tressant des rubans blancs dans ses cheveux, vrais et faux. Ensuite, elle rectifia le tracé de ses sourcils, les lissa d'un doigt soigneux, aviva la teinte de ses lèvres. Pour se battre, même en désespérée, il valait mieux être bien armée et Catherine aimait être en pleine possession de tous ses moyens de femme.

1 Soie épaisse.

Propre et bien vêtue, sûre d'être belle malgré son apparence étrange, elle se retrouvait Catherine de Montsalvy comme devant. D'ailleurs, elle s'avouait volontiers qu'elle avait peine à assimiler la personnalité d'emprunt qu'elle avait choisie. Mais, puisqu'elle s'était jetée à l'eau, il fallait bien nager. Si seulement elle pouvait calmer les crampes de son estomac affamé...

Avec décision, elle ouvrit la porte de l'étuve, se retrouva en face des chambrières et des gardes. Son apparition fit briller les yeux des hommes d'armes, mais elle s'en soucia peu.

– Je suis prête ! dit-elle seulement.

Et elle se mit en marche d'un pas ferme, comme si elle allait à la bataille. Quelques instants plus tard, elle réintégrait la chambre de Gilles de Rais. Ce fut pour constater avec soulagement qu'une table toute servie l'y avait précédée. Elle nota le fait avec satisfaction.

Quand on a envie de tuer quelqu'un, en général, on ne commence pas par le nourrir !

Evidemment, le maître des lieux était là, lui aussi, nonchalamment assis dans une haute chaire d'ébène sculpté, mais Catherine, oubliant sa terreur et devant qui elle se trouvait, ne vit que l'appétissante volaille, dorée à point, qui fumait dans un plat d'argent répandant une odeur délicieuse. Des pâtés, des bassins de confitures et des flacons l'entouraient. Les narines de la jeune femme se mirent à palpiter...

Cependant, Gilles de Rais observait sa prisonnière. Un geste autoritaire de sa main pâle l'appela auprès de lui.

– Tu as faim ?

Sans répondre, elle secoua la tête affirmativement.

– Alors, assieds-toi... et mange !

Elle ne se le fit pas dire deux fois. Attirant un escabeau, elle s'installa à table, s'empara d'un pâté et s'en tailla une large tranche qu'elle se mit à faire disparaître avidement. Jamais elle n'avait rien mangé de si bon.

Après les abominables brouets des bohémiens, ce pâté était un vrai délice. Elle en avala une deuxième tranche puis la moitié de la volaille suivit le même chemin tan dis que Gilles emplissait pour elle un grand gobelet d'un vin épais et rutilant. Catherine accepta le vin comme le reste et vida le gobelet d'un trait. Elle se sentit ensuite tellement mieux qu'elle ne remarqua pas le regard aigu dont son hôte l'enveloppait : l'exact regard du chat guettant la souris. Elle se sentait, tout à coup, capable d'affronter Satan lui-même. La chaleur du vin sans doute.

Gilles s'accouda sur la nappe de lin brodé pour mieux la voir grignoter des prunes confites. Sa faim calmée, Catherine lui jeta un regard rapide, attendant qu'il parlât. Mais il ne se décidait pas et le silence devenait insupportable. Alors ce fut elle qui commença. Essuyant ses lèvres et ses mains à une serviette de soie, elle poussa un soupir de satisfaction, parvint à sourire à son inquiétant vis-à-vis. Elle savait que montrer sa peur la dénoncerait à coup sûr.

– Grand merci du repas, gentil seigneur. Je crois bien que, de toute ma vie, je n'ai mangé d'aussi bonnes choses !

– Jamais... vraiment ?

– Vraiment. Nos feux de plein vent ne savent pas cuire de telles merveilles ! Nous sommes de pauvres gens, seigneur, et...

– Je ne parlais pas des misérables marmites d'Egyptiens, coupa Gilles de Rais froidement, mais bien des cuisines de Philippe de Bourgogne qui se fait appeler le Grand Duc d'Occident. Je les aurais crues plus raffinées.

Et comme Catherine, pétrifiée, ne trouvait rien à répliquer, il se leva et vint jusqu'à la jeune femme sur laquelle il se pencha.

– Vous jouez la comédie en grande artiste, ma chère Catherine, et j'ai apprécié en connaisseur votre... création, surtout dans la scène du combat. Je n'aurais jamais cru que la dame de Brazey sût se battre nomme une fille des rues. Mais ne croyez-vous pas qu'avec moi il vaudrait mieux jouer franc jeu ?

Un sourire amer arqua les lèvres de Catherine.

– Ainsi, vous m'avez reconnue ?

– Je n'ai pas eu grand mal : je savais que vous étiez ici, sous le déguisement d'une zingara.

– Comment avez-vous pu le savoir ?

– J'ai des espions partout où il est utile d'en avoir. J'en ai, entre autres, au château d'Angers. L'un d'eux vous a reconnue pour vous avoir vue à Champtocé. Il vous a suivie lorsque vous êtes allée chez Guillaume l'Enlumineur. Je dois dire que cet affreux bonhomme a fait quelques difficultés pour nous parler de vous et de votre déguisement, bien que nous nous soyons montrés très persuasifs...

– C'est vous qui l'avez torturé... égorgé ? s'écria la jeune femme épouvantée. J'aurais dû reconnaître votre manière !

– C'est moi, en effet. Malheureusement, il ne nous a pas confié la raison de cette mascarade, malgré nos instances.

– Pour l'excellente raison qu'il l'ignorait !

– J'étais déjà parvenu à cette conclusion. Aussi, je compte sur vous pour me l'apprendre. Notez, cependant, que je m'en doute...

Cette haute silhouette sombre penchée sur elle communiquait à Catherine un malaise insupportable. Pour s'en dégager, elle se leva, s'éloigna vers la fenêtre ouverte et s'y adossa. Son regard croisa celui de Gilles et le soutint.

– Et que suis-je venue faire ici, selon vous ?

– Reprendre votre bien. C'est assez légitime et c'est un genre d'entreprise que je peux comprendre.

– Mon bien ?

Gilles de Rais n'eut pas le temps de répondre. On avait frappé à la porte qui s'ouvrit sans que le visiteur attendît la permission d'entrer.

Deux gardes armés de pertuisanes pénétrèrent et s'immobilisèrent de chaque côté de la porte basse. Sur le seuil apparut un personnage aussi large que haut, véritable masse de graisse drapée dans des aunes de velours ciselé d'or que dominait un visage rouge, bouffi et arrogant terminé par une courte barbe brune.

– Mon cousin, s'écria le visiteur. Je viens souper avec toi ! On meurt d'ennui chez le Roi.

Instinctivement, Catherine avait eu un mouvement de recul en reconnaissant Georges de La Trémoille. Une vague de sang lui monta au visage, joie, colère et haine mélangées. Elle ne s'attendait pas à voir, si vite, l'homme qu'elle était venu chercher au prix de tant de peines. Avec une joie féroce, elle constata qu'il était plus gros que jamais, que sa peau, enflée de mauvaise graisse, était jaune et que son souffle court disait assez la santé délabrée par les excès. Mais, comme elle poursuivait l'examen minutieux de son ennemi, elle demeura bouche bée, étranglée de stupeur en contemplant la bizarre coiffure que portait le Grand Chambellan. C'était une sorte de turban d'or qui accentuait encore son allure de satrape oriental, mais, dans les plis du turban, un diamant noir étincelait de tous ses feux..., l'unique, l'inimitable et très reconnaissable diamant noir de Garin de Brazey !

Le sol et les murs se mirent à tourner autour de Catherine qui se crut en train de devenir folle. Dans le coin d'ombre où elle s'était reculée en voyant entrer La Trémoille, elle chercha à tâtons un tabouret, s'y laissa tomber

sans

prendre

garde

aux

quelques

phrases

qu'échangeaient les deux hommes. Elle cherchait désespérément à comprendre comment le fabuleux diamant était arrivé entre les mains du Chambellan. Elle se voyait encore remettant la pierre unique à Jacques Cœur dans l'auberge d'Aubusson. Que lui avait-il dit alors ?

Qu'il allait gager le diamant chez un Juif de Beaucaire dont elle avait même retenu le nom : Isaac Abrabanel ! Comment, dans ce cas, le diamant pouvait-il briller au turban de La Trémoille ? Jacques avait-il été rattrapé sur la route d'Aubusson à Clermont ? Était-il tombé dans un piège ? Et s'il était... Elle n'osa pas formuler, même dans sa pensée, le mot fatal, mais une brusque envie de pleurer lui serra le cœur. Oui, pour que le gros chambellan pût se parer du joyau, il fallait que Jacques Cœur eût cessé de vivre. Jamais, de son plein gré, il n'eût abandonné le dépôt confié par Catherine... Surtout pas à cet homme qu'il haïssait autant qu'elle-même. Elle ferma les yeux un instant et ne vit pas que La Trémoille, après l'avoir considérée un moment avec curiosité, s'approchait d'elle. Aussi sursauta-t-elle quand un gros doigt mou, chargé de bagues, lui releva le menton.

– Tudieu, la belle fille ! Où as-tu trouvé cette merveille, cousin ?

– Au camp des Égyptiens ! répondit Gilles de mauvaise grâce.

Elle se battait avec une autre chèvre noire. Je les ai séparées et j'ai gardé celle-ci parce qu'elle était belle.

La Trémoille daigna sourire, montrant des dents malsaines dont la couleur oscillait entre le vert et le noir. Sa main s'était posée sur la tête de Catherine dans un geste qui se voulait possessif et qui la fit trembler de dégoût.

– Tu as bien fait, cousin, après tout. Tu as eu bon esprit de garder cette biche sauvage. Lève-toi, petite, que je te voies mieux.

Catherine obéit, inquiète de ce qui allait suivre. Si Gilles de Rais dénonçait sa véritable identité, elle était perdue. La Trémoille et lui étaient non seulement cousins mais alliés, unis par un véritable pacte, dûment signé ; Gilles lui-même lui avait parlé de ce pacte à Champtocé. Néanmoins, elle fit quelques pas dans la pièce suivie par le regard gourmand du gros chambellan qui commentait, exactement comme si elle eût été un simple objet d'art.

– Très belle en vérité. Un véritable joyau, digne du lit d'un prince.

La gorge est ronde et fière, les épaules superbes... la jambe semble longue... et le visage est exquis ! Ces grands yeux sombres... ces belles lèvres.

Le souffle asthmatique de La Trémoille se faisait plus court encore et il passait continuellement sa langue sur sa bouche sèche. Sentant qu'il lui fallait jouer le tout pour le tout et qu'une attitude trop modeste ne pouvait convenir à une fille d'Égypte, Catherine s'obligea, au prix d'un violent effort, à sourire avec coquetterie à son ennemi. Sa démarche se fit onduleuse et elle lui adressa même une œillade qui amena au violet le teint du chambellan.


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