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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– C'est indispensable, fit avec onction maître Guillaume. Votre peau doit être teinte complètement.

Tristan, qui jusqu'à présent n'avait rien dit, comprit la répugnance de Catherine et prit conscience de l'air rogue de Sara. Il s'interposa.

– C'est un bain de plantes, dame Catherine, qui ne pourra vous faire aucun mal. Sara vous aidera. Mais je crois qu'auparavant il faut que je vous présente maître Guillaume. De son état, il est enlumineur et l'un des meilleurs de France. Mais il a été longtemps l'un des membres les plus brillants de la Confrérie de la Passion qui, à Paris, jouait de si beaux Mystères. L'art du grimage et des changements d'aspect n'a pas de secrets pour lui. Et plus d'une dame noble d'Angers, en voyant blanchir ses cheveux, fait appel discrètement à ses bons offices.

Le bonhomme continuait à se frotter les mains, paupières mi-closes, et ronronnait comme un chat à l'audition du petit discours louangeur du Flamand. Un peu rassurée, car elle avait craint un instant d'être dans l'antre d'un sorcier, Catherine respira et voulut se montrer aimable.

– Vous ne jouez plus de Mystères ? dit-elle.

La guerre, noble dame, et la grande misère qui règne à Paris ont dispersé notre compagnie. De plus, dans mon état, je ne peux plus guère me montrer sur des tréteaux.

– Vous avez eu un accident ?

Guillaume eut un petit rire chevrotant qui contrasta bizarrement avec sa voix normale :

– Hélas ! Un jour où j'avais l'honneur de jouer Messire Satan et où j'évoluais parmi les torches de résine qui figuraient l'Enfer, mon costume a pris feu. J'ai cru périr, mais j'ai survécu... dans l'état où vous me voyez ! Il me reste mon art d'enlumineur et les conseils que je puis donner quand, bien rarement de nos jours, on monte un spectacle. Mais si vous voulez me suivre, le bain attend et il ne faut pas le laisser refroidir.

Sara emboîta le pas à Catherine tandis qu'elle se dirigeait, conduite par Guillaume, vers le fond de la grande pièce où travaillait d'ordinaire l'enlumineur. Pièce assez agréable d'ailleurs, pleine de parchemins roulés, de petits pots de couleurs différentes, de pinceaux fins comme des cheveux, faits de martre ou de soie de porc. Sur un lutrin reposait une grande page d'évangéliaire où Guillaume, avec un art consommé, peignait, sur fond d'or, une admirable miniature représentant la Crucifixion. Au passage, le regard de Catherine accrocha l'œuvre commencée.

– Vous êtes un grand artiste, dit-elle avec un respect instinctif.

Un éclair d'orgueil brilla dans les yeux fatigués de Guillaume et il esquissa une grimace qui pouvait passer pour un sourire.

– Une louange sincère fait toujours plaisir, noble dame. Par ici, je vous prie.

Le petit cabinet où il introduisit Catherine après avoir soulevé un rideau à ramages ressemblait nettement, cette fois, à l'antre d'un sorcier. Une infinité de bocaux, de cornues, de fourneaux et d'animaux empaillés l'emplissait, gravitant autour d'un fourneau de briques et d'un grand baquet à lessive posé à terre et plein d'une eau sombre qui fumait.

Catherine regarda avec méfiance le liquide brun foncé où l'on prétendait la plonger. Quant à Sara, elle s'était tue trop longtemps à son gré.

– Qu'y a-t-il là-dedans ? demanda-t-elle d'un ton soupçonneux.

– Des plantes, uniquement, répondit placidement l'enlumineur.

Vous me permettez de garder pour moi le secret de la composition. Je consens seulement à vous dire qu'il y a, parmi elles, de l'écorce de noix. Il faut que cette belle dame se plonge entièrement dans le baquet, le visage et le cou y compris. Un quart d'heure, avec autant d'immersions que vous pourrez pour le visage, doit suffire.

– Et ensuite, je serai comment ? dit Catherine.

– Vous aurez le teint aussi brun que cette majestueuse personne qui vous accompagne.

– Et... je resterai comme cela ? reprit la jeune femme inquiète en imaginant ce que penseraient son petit Michel et sa grand-mère en la retrouvant transformée en bohémienne.

– Non. Cela s'effacera progressivement. Deux mois sont, je pense, tout ce que vous pourrez tenir. Ensuite, il vous faudrait un autre bain, à moins que vous ne vous exposiez longuement au soleil.

Hâtez-vous, le bain refroidit.

Il sortit, comme à regret, suivi par Sara qui alla soigneusement refermer le rideau derrière lui et obstrua de son large dos une fente toujours possible. Pendant ce temps, Catherine se déshabillait vivement et, sans respirer, se plongeait dans l'eau. Une odeur douceâtre et, légèrement poivrée, tout à la fois, emplit ses narines.

L'eau était chaude sans excès et, une fois dedans, la répugnance de Catherine s'envola. Retenant sa respiration et fermant les yeux, elle enfonça sa tête, une fois, deux fois, dix fois.

Quand le sablier posé auprès de la cuve eut coulé le quart d'une heure, Catherine se dressa dans la cuve, laissant les gouttes sombres couler sur sa peau devenue d'un brun chaud et doré.

Comment suis-je ? demanda-t-elle anxieusement à Sara qui tendait un drap, disposé sur un escabeau, pour la sécher.

– Pour la couleur, tu pourrais être ma fille et cela produit un étrange effet avec tes cheveux blonds, bien qu'ils aient légèrement bruni eux aussi.

La voix de Guillaume leur parvint.

– Avez-vous fini ? Ne vous rhabillez pas surtout. Nous risquerions de tacher vos vêtements.

Drapée dans son drap, Catherine alla rejoindre les deux hommes dans la grande pièce. Guillaume avait disposé un tabouret garni d'un coussin rouge auprès d'un trépied supportant une jatte pleine d'une pâte épaisse et noire. Docilement, Catherine s'assit et laissa l'enlumineur enduire sa chevelure de la pâte qui avait une odeur forte et désagréable. Tristan fit la grimace et pinça les narines.

– Quelle horreur ! Une femme peut-elle être séduisante en dégageant pareil fumet ?

– Nous laverons les cheveux quand la pâte aura fait effet, dans une heure.

– Et qu'y a-t-il là-dedans ?

– De la noix de galle, de la rouille de fer, du vitriol romain et de la chair de mouton écrasés, distillés à l'alambic et mêlés à de la graisse de porc.

– Du vitriol romain ? s'insurgea Sara. Malheureux, vous allez la tuer !

– Du calme, femme ! En tout, il faut garder la mesure. Tel poison est mortel en certaines quantités, qui guérit pris en parcelles infimes.

Les mains longues et souples de l'enlumineur étaient curieusement douces, légères et caressantes. Tout en massant les cheveux de Catherine il parlait, comme pour lui seul :

– C'est un crime de noircir si brillante et claire chevelure, mais la beauté de cette belle dame n'en sera pas amoindrie. Elle n'en sera que plus dangereuse encore, je crois.

– Et cela s'atténuera aussi avec le temps ? demanda Catherine.

– Hélas non. Il faudra que vos cheveux poussent et que l'on coupe les mèches restées noires.

– Je m'en chargerai, dit Sara.

Catherine réprima un soupir. Non qu'elle regrettât le nouveau

"sacrifice qu'il lui fallait consentir, mais l'idée de couper encore ses cheveux ne lui souriait guère.

Durant une heure, elle supporta cette pâte qui lui piquait légèrement le cuir chevelu et semblait peser aussi lourd que la terre.

Pour la distraire, Guillaume avait pris une viole sur un dressoir et s'était mis à chanter à mi-voix en s'accompagnant : Avec le temps qu’ 'arbre défeuille Quand il ne reste, en branche, feuille Qui n 'aille à terre Avec pauvreté qui m'atterre Qui de partout me fait la guerre Au vent d'hiver...

La chanson était triste, la musique douce, et le curieux bonhomme l'interprétait en artiste. Catherine, saisie, charmée, en oubliait son étrange position. Sara et Tristan faisaient comme elle, ils écoutaient.

Et la jeune femme regretta presque de voir se terminer l'attente tellement elle avait pris plaisir à entendre Guillaume. Elle le lui dit, tout simplement. L'enlumineur eut son bizarre sourire.

– Parfois, quand elle est bien lasse, notre reine me fait appeler pour que je lui chante. Je sais tant de ballades et de sirventès !... et aussi les chansons de son pays d'Aragon. Et moi, j'aime chanter pour elle parce que c'est une haute et noble dame et que son cœur est grand.

Tout en parlant, il avait débarrassé prestement Catherine de son emplâtre malodorant. Les cheveux de la jeune femme, devenus d'un beau noir, furent lavés, vigoureusement séchés avec une infinité de linges ; après quoi, Guillaume sortit d'un coffre un paquet enveloppé de soie. Il contenait de longues mèches noires qu'il compara d'abord au résultat obtenu puis, satisfait, il se mit à les fixer avec des épingles parmi les cheveux de Catherine en montrant à Sara comment il fallait s'y prendre.

– Plus d'une belle dame dont les cheveux se font rares avec les années a recours à ce petit stratagème en même temps qu'à mes bons offices.

Avec un soin méticuleux, il dessina les sourcils de Catherine avec une pâte prise dans une petite boîte d'argent, en passa légèrement sur les cils de la jeune femme.

– Ils sont très épais et déjà foncés, dit-il, mais il vaut mieux les noircir encore. Savez-vous que vous êtes très belle ainsi ?

Bouche bée, Sara et Tristan contemplaient le résultat sans rien trouver à dire. Sur une table posée dans un coin, Guillaume alla prendre un miroir rond qu'il tendit à Catherine sans mot dire. La jeune femme poussa une exclamation de surprise. C'était elle et c'était quelqu'un d'autre à la fois. Sourcils et cils noirs faisaient plus sombres ses yeux violets, des mèches noires mangeaient son front, ses lèvres étaient plus rouges et, dans ce visage foncé, ses dents éclataient de blancheur. Elle n'était pas plus belle qu'avant, mais elle était différente, d'une beauté plus perverse, plus dangereuse aussi et que Tristan contemplait avec une satisfaction non déguisée.

– Il aura du mal à résister, fit-il tranquillement. Vous avez bien travaillé, maître Guillaume. Prenez ceci... et tenez votre langue.

Il tendait une bourse confortablement arrondie, mais, à sa grande surprise, l'enlumineur repoussa doucement ce qu'on lui offrait.

– Non, dit-il seulement.

– Comment ? Vous ne voulez pas être payé d'une peine certaine ?

Si... mais pas comme cela ! – Il se tourna vers Catherine qui, le miroir en main, continuait à se regarder. Je ne manque pas d'or et, si cette dame si belle voulait m'accorder la grâce de baiser sa main, je serais payé au centuple.

Spontanément, Catherine, oubliant la répugnance qu'il lui avait inspirée, lui tendit ses deux mains.

– Merci, maître Guillaume. Vous m'avez rendu un service que je n'oublierai pas.

– Un petit coin dans votre mémoire fera de moi le plus heureux des hommes. Et aussi dans vos prières... car j'en ai grand besoin.

Avant de laisser la jeune femme aller se rhabiller, il lui fit présent de la petite boîte d'argent contenant la pâte noire, d'une autre, toute semblable, contenant une sorte de crème épaisse d'un beau rouge vif, et d'un petit flacon.

– Le rouge sera pour aviver vos lèvres. Les filles de Bohême ont l'air d'avoir du feu sous la peau et les vôtres sont d'un rose trop tendre.

Quant au flacon, il contient un parfum fortement musqué. Usez-en modérément car il en faut bien peu pour incendier le sang d'un homme !

Il était tout près de minuit quand Catherine et ses deux compagnons parvinrent à la poterne du château. Ils n'avaient pas rencontré une âme dans les ruelles, rien qu'un gros chat noir qui fila en miaulant devant eux et qui fit se signer Sara précipitamment.

– Mauvais présage, marmonna-t-elle.

Mais Catherine avait décidé de fermer les oreilles à ses propos pessimistes. Depuis qu'elle avait quitté la maison de Guillaume l'enlumineur, elle se sentait une autre femme. Sous ce nouvel aspect, elle ne porterait plus le nom de Montsalvy, mais un nom quelconque qui ne risquerait pas d'être compromis ou sali dans les sentiers ténébreux où elle voulait s'enfoncer. Elle ne redeviendrait Catherine de Montsalvy qu'une fois sa vengeance accomplie. Alors, elle effacerait à l'esprit-de– vin, comme le lui avait enseigné Guillaume, les dernières traces de son grimage, elle couperait ces cheveux noirs qui lui semblaient maintenant aussi faux que ceux rajoutés et elle reprendrait, avec son deuil hautain,

le chemin de l'Auvergne pour y vivre aussi proche que possible de son bien-aimé.

Mais, une fois dans sa chambre, elle rejeta tous ses vêtements et alla se placer devant un grand miroir d'argent poli où elle se voyait presque tout entière. Sa peau avait la couleur foncée de celle de Sara avec quelque chose d'un peu plus doré. Elle était lisse et luisait doucement sous la lumière de la lampe à huile, comme un satin bruni.

Ainsi teinté, son corps semblait plus mince et plus nerveux. Les longues mèches noires croulaient dessus comme de minces serpents et glissaient jusqu'à ses hanches. Ses lèvres pourpres éclataient comme une fleur sensuelle et ses grands yeux scintillaient, étoiles sombres nichées sous l'arc orgueilleux des sourcils.

– Tu as l'air d'une diablesse, murmura sourdement Sara.

– Et diablesse je serai tant que l'homme que je hais ne sera pas abattu.

– As-tu songé aux autres, à tous ceux que tu vas attirer et qui oseront tout maintenant que ton nom et ton rang ne te défendront plus

? Tu ne seras plus qu'une fille de Bohême, que l'on peut violer ou pendre à son gré quand on ne la destine pas au bûcher, une créature dangereuse et maudite.

– Je sais. Et je me défendrai avec les armes de mon personnage.

Tous les moyens me seront bons pour réussir.

– Te donnerais-tu à un homme s'il le fallait ? demanda Sara gravement.

– Au bourreau lui-même si c'était nécessaire. Je ne suis plus Catherine de Montsalvy, je suis une fille de ta race. Et je m'appelle...

au fait, comment vas-tu me nommer ?

Sara réfléchit un instant, clignant des yeux et mordillant la croix d'or pendue à son cou. Au bout de ce laps de temps, elle décréta : Je t'appellerai Tchalaï... Cela veut dire « étoile » dans notre langue...

mais, jusqu'à ce que nous soyons arrivées, tu resteras Catherine comme devant. Non, décidément, je n'aime pas beaucoup cette aventure.

Catherine se détourna et, sauvagement, elle s'écria :

– Et moi ? Crois-tu que je l'aime ? Mais je sais bien que, si je ne pouvais mener ma tâche à bonne fin, je n'aurais plus de repos, ni dans ce monde ni dans l'autre. Il faut que je venge Arnaud, que je venge Montsalvy brûlé, mon fils dépouillé ! Sinon, que pourrait valoir encore la vie ?

Dans la matinée, Catherine, assise sagement sur un tabouret, laissait Sara rattacher les faux cheveux noirs et en faire de longues nattes quand on frappa à la porte. Sara alla ouvrir. Sur le seuil, Tristan l'Hermite apparut. Il avança de quelques pas et entra dans le rayon de soleil léger qui tombait de la haute fenêtre. Sa pâleur alors se révéla, frappante, si tragique que les deux femmes, instinctivement, se rapprochèrent.

– Vous êtes blême, balbutia Catherine. Qu'avez– vous ?

– Moi, rien. Mais Guillaume l'enlumineur a été égorgé cette nuit dans sa maison. Sa servante a trouvé son corps en venant l'éveiller et...

il a été torturé avant de mourir !

Un effrayant silence suivit ces terribles paroles. Catherine sentit le sang abandonner son visage et ses membres pour refluer à son cœur, mais trouva la force de demander :

– Pensez-vous que ce soit... à cause de nous ?

Tristan haussa les épaules et, sans cérémonie, se

laissa choir sur un tabouret. Les soucis marquaient tellement son visage impassible qu'il semblait avoir vieilli de dix ans. Sans rien dire, Sara alla prendre un flacon de vin de Malvoisie posé sur un dressoir, emplit un gobelet et vint tendre le tout au Flamand.

– Buvez ça. Vous en avez besoin.

Il accepta le gobelet avec reconnaissance et avala le vin d'un trait Catherine avait noué ses mains sur ses genoux pour les empêcher de trembler et luttait contre la terreur qui l'avait saisie.

– Répondez-moi franchement, reprit-elle d'une voix qui demeura calme à force de volonté. Est-ce à cause du travail que nous lui avons demandé ?

Tristan l'Hermite écarta les bras dans un geste d'ignorance.

– Qui peut savoir ? Guillaume avait sûrement des ennemis car ses activités n'étaient pas toujours avouables. Plus d'une fille en mal d'enfant a été discrètement délivrée par ces mains habiles que vous admiriez hier. Il se peut que ce ne soit qu'une coïncidence.

– Mais vous n'y croyez pas ?

– Honnêtement, je ne sais pas ce que je crois. J'ai seulement voulu vous avertir pour savoir ce que vous décidiez. Vous pouvez changer d'avis et, dans ce cas, je vais convoquer de nouveau le conseil.

Il se levait déjà, mais Catherine l'arrêta d'un geste preste.

– Non ! Demeurez ! J'ai eu peur un instant tout à l'heure, je l'avoue. Vous étiez si pâle. Mais maintenant cela va mieux. Je n'ai pas envie de reculer. Il est trop tard. Le plan est bon, je le suivrai jusqu'au bout. Libre à vous d'abandonner.

Le lourd visage du Flamand se plissa en une affreuse grimace.

– Vous me prenez pour un lâche, dame Catherine ? Quand j'entreprends quelque chose, je vais jusqu'au bout, quelles qu'en puissent être les conséquences. Et je ne tiens nullement à être jeté dans un cul-de-basse– fosse par les ordres de Monseigneur le Connétable. Si vous êtes d'accord, nous partirons cette nuit. Un sauf-conduit que j'ai déjà nous ouvrira les portes de la ville. Il vaut mieux qu'on ne vous voie pas partir. De même qu'il est préférable que vous ne quittiez pas votre chambre aujourd'hui. Reposez-vous, vous en aurez besoin. La reine viendra ce soir, après vêpres, vous voir ici même.

C'est entendu ainsi. Je n'avais pas non plus l'intention d'agir autrement.

Dans ce cas... je peux dire à messire de Brézé que vous êtes souffrante et ne voulez voir personne ? – Le pouce de'Tristan, retourné, désignait la porte. Il ajouta : Il est là dans le couloir, à faire les cent pas.

Dites ce que vous voudrez... par exemple, que je le recevrai demain.

Le mince sourire du Flamand répondit à celui qu'elle lui adressait et, comme par miracle, l'atmosphère s'en trouva détendue. Seule, Sara conserva une mine sombre.

Nous allons nous jeter dans un affreux guêpier, Catherine, fit-elle. Je pense que tu t'en doutes ?

Mais la jeune femme haussa les épaules avec impatience et reprit le miroir qu'elle avait posé.

– Et après ? fit-elle durement.

– Voilà la tanière d'où il faut débusquer la bête fauve, dit Tristan l'Hermite en désignant de son fouet le château de l'autre côté du fleuve. Vous voyez qu'il se garde bien.

Arrêtés sur la rive droite de la Loire, près de l'antique pont romain, les trois cavaliers examinaient le lieu de leurs futures activités.

Sanglée dans un costume de garçon en drap brun dont le camail ne laissait passer que son visage bruni, Catherine supputait du regard l'éperon rocheux, couché le long du fleuve comme un lion sommeillant et la forteresse qui le couronnait : des courtines sévères et noires, une dizaine de tours massives enfermant un donjon sans légèreté, des hourds et des mâchicoulis qui avaient l'habitude de servir, tout cela contrastait avec la grâce de ce paysage fluvial, tendrement reverdi par le printemps. Seule, une forêt de bannières flottant sur les murs et dominées par l'emblème royal mettait quelque gaieté dans le rude édifice.

Sara rejeta en arrière le capuchon monastique qui la coiffait et regarda le château avec méfiance.

– Si jamais nous entrons là-dedans, nous n'en sortirons pas vivantes.

– Nous sommes sorties de châteaux plus dangereux. Rappelle-toi Champtocé et Gilles de Rais.

– Merci, je n'ai pas oublié que le seigneur à la barbe bleue voulait me faire griller toute vive, répondit la bohémienne en frissonnant.

Durant tout le temps que nous sommes restées à Angers j'ai pensé que nous en étions bien proches. Mais puisque nous voici à destination, que faisons-nous ?

Tristan se détourna sur sa selle et son fouet désigna une petite auberge qui se dressait de l'autre côté du chemin, face au pont et dont l'enseigne verte, jaune et rouge proclamait qu'au « Pressoir Royal » on buvait le meilleur vin de Vouvray.

– Vous allez entrer ici et m'attendre. Je dois voir le chef de la tribu. Installez-vous, reposez-vous, mangez, mais ne buvez pas trop.

Le vin de Vouvray est agréable... mais il monte à la tête.

– Nous prenez-vous pour des ivrognesses ? s'insurgea Sara.

– Nullement..., mon révérend. Mais les moines ont si mauvaise réputation ! Ne bougez surtout pas avant que je ne revienne.

Tandis que le faux moine et le faux écuyer allaient attacher leurs chevaux au montoir du « Pressoir Royal », Tristan s'engagea résolument sur le pont et disparut bientôt aux yeux de ses compagnes.

La petite auberge était vide et l'aubergiste s'empressa de servir ses hôtes inattendus. Il avait encore des cochons au saloir et put leur servir une soupe aux choux qui, escortée du fameux vin, fit un repas des plus convenables. On était au milieu du jour et les deux femmes, qui avaient voyagé pendant plus de trois jours, étaient affamées.

Restaurées convenablement, elles se sentirent mieux et Sara vit les choses sous un jour plus optimiste.

Tristan revint quand le jour tomba. Il semblait las, soucieux, mais il y avait dans ses yeux bleus une lueur encourageante. Il refusa de parler avant d'avoir avalé un pichet de vin parce que, dit-il, son « gosier était sec comme de l'étoupe et qu'il suffirait de la moindre flamme pour l'incendier». Dévorée d'impatience, Catherine le regardait avaler son vin, mais elle n'y tint pas longtemps.

– Alors ? fit-elle nerveusement.

Tristan reposa son pichet, s'essuya les lèvres à sa manche et lui jeta un regard moqueur.

– Vous êtes si pressée de vous jeter dans la gueule du loup ?

– Très pressée, fit la jeune femme sèchement. Et je veux une réponse.

– Alors, soyez contente, tout est arrangé. Dans un sens, vous avez de la chance... mais dans un sens seulement car, le moins que l'on puisse dire, est que les relations entre le château et le camp des Tziganes sont assez tendues.

– D'abord, intervint Sara, ces Tziganes, que sont– ils ? Avez-vous pensé à vous informer ?

– Vous allez être satisfaite, et là encore vous avez de la chance.

Ce sont des Kalderas. Ils se disent chrétiens et prétendent détenir un bref du pape Martin V, mort voici deux ans. Ce qui n'empêche pas leur chef, Fero, de se dire duc d'Egypte.

Tandis qu'il parlait, le visage de Sara s'éclairait. Quand il eut fini elle frappa joyeusement dans ses mains.

– Ils sont de ma race. Dès lors, je suis certaine de leur accueil.

– Vous serez, en effet, bien accueillie. Seul, le chef sait la vérité en ce qui concerne dame Catherine. Pour tous les autres, elle passera pour votre nièce, vendue elle aussi comme esclave quand elle était enfant.

– Et, dit Catherine, que pense le chef de mes projets ?

Le front de Tristan l'Hermite se rembrunit.

Il vous aidera de tout son pouvoir, la haine le brûle. Le caprice de La Trémoille lui interdit de quitter les fossés du château où il est campé, parce que le chambellan aime les danses des filles de sa tribu. Mais, d'autre part, l'un de ses hommes a été pris hier à voler dans un courtil et pendu ce matin. S'il ne craignait de voir exterminer les siens sur le grand chemin, Fero s'enfuirait. Voilà pourquoi je dis que vous avez de la chance dans une certaine mesure, mais que, d'autre part, vous allez mettre le pied dans un véritable chaudron de sorcières."

– Qu'importe ? Il faut que j'y aille.

– Le temps est encore froid, il vous faudra aller pieds nus, coucher à la belle étoile ou dans un mauvais chariot, vivre rudement et...

Catherine lui éclata de rire au nez, si brusquement qu'elle lui coupa la parole.

– Ne soyez pas stupide, messire Tristan. Si vous connaissiez ma vie dans ses détails, vous sauriez que je ne crains rien de tout cela.

Assez tergiversé. Préparons– nous !

L'aubergiste payé, les trois complices sortirent, se dirigèrent vers le pont. Depuis deux jours, le temps s'adoucissait et la nuit, si elle était humide, n'était pas froide. Catherine rejeta son camail sur ses épaules, libérant ses nattes qu'elle secoua ; son humeur batailleuse lui revenait.

Le silence n'était troublé que par le bruit soyeux de l'eau dans les hautes herbes et le pas des chevaux. Une bonne odeur de terre mouillée emplissait les narines de Catherine qui prit deux ou trois grandes respirations. Le pont aboutissait d'abord à une longue île boisée où cependant brillait une faible lumière. Dans la journée, la jeune femme avait pu remarquer la petite chapelle Saint-Jean et l'ermitage qui s'y appuyait. Ce devait être la chandelle de l'ermite. L'île traversée, un nouveau pont menait au pied même du château et, cette fois, Catherine put voir, sur le rocher, les reflets de feux allumés dans les fossés ; le camp des Tziganes était encore en pleine activité.

Sur les tours et les chemins de ronde, parfois, une torche passait comme une étoile filante, portée par un sergent faisant sa tournée d'inspection et, à mesure que l'on approchait, on pouvait entendre le cri des guetteurs, se répondant d'une tour à l'autre. De la petite ville d'Amboise, enfermée dans ses remparts à l'ombre de l'éperon rocheux, Catherine devinait seulement la silhouette qui devait s'étirer vers le sud, le long de l'Amasse. Par-dessus le tout, le ciel taché de nuages avait des pâleurs qui annonçaient la lune.

Au bord du fossé, les trois cavaliers s'arrêtèrent et Catherine, les yeux agrandis, se crut un instant au bord de l'enfer. Un feu flambait au milieu du campement et, autour de ce feu, toute la tribu était assise à même le sol, dans une bizarre immobilité, mais, de toutes les bouches fermées, s'échappait une sorte de plainte mélodique, monotone et sourde à laquelle répondait, par instants, le ronflement des peaux d'âne sous les doigts secs des hommes.

Les flammes rouges dansaient sur les peaux cuivrées dont certaines portaient des tatouages. Les femmes, vêtues de haillons, avaient d'épais cheveux noirs, gras et luisants, des lèvres pour la plupart charnues, de minces nez aquilins, des yeux de braise, même les vieilles dont la peau montrait plus de plis qu'un vieux parchemin.

Certaines étaient belles ainsi que le montraient largement les grossières chemises, mal attachées, qu'elles portaient. Les hommes étaient effrayants. Déguenillés, crasseux, ils avaient des cheveux crépus, laineux, de longues moustaches sous lesquelles brillaient des dents très blanches. Ils se coiffaient de chapeaux en loques ou de casques bosselés, ramassés au hasard des chemins ou des cadavres.

Tous portaient aux oreilles de lourds anneaux d'argent. Ces faces immobiles, ces yeux à l'éclat dangereux fixés au cœur ardent du feu, cette plainte qui ne cessait pas, tout cela fît courir un frisson sous la peau de Catherine. Elle chercha le regard de Sara et, comme elle allait parler, la bohémienne posa vivement son doigt sur ses lèvres

– Il ne faut rien dire, chuchota-t-elle, si bas que la jeune femme l'entendit à peine. Pas maintenant. Ni bouger.

– Pourquoi ? demanda Tristan.

– Ceci est un rite funèbre. Ils attendent sans doute le corps de l'homme qui a été pendu ce matin.

En effet, venant du château, une petite procession descendait vers le camp. Un homme grand et maigre ouvrait la marche, portant une torche pour éclairer ses quatre compagnons sur les épaules desquels reposait un corps inerte. L'homme, sur qui tombait d'aplomb la lumière, était vêtu de chausses collantes, écarlates, et d'un pourpoint de même nuance, abondamment taché et déchiré, mais qui montrait encore des traces de broderie d'or. Les lacets rompus du pourpoint l'ouvraient largement, découvrant jusqu'à la taille une poitrine brune dont les muscles luisants dénonçaient la force. L'homme était jeune et de mine arrogante. Quant à la longue et mince moustache noire qui encadrait ses fortes lèvres rouges, elle accentuait encore leur pli cruel tandis que les yeux sombres s'étiraient vers les tempes, dénonçant le sang asiatique. Les cheveux épais, à travers lesquels on voyait briller les anneaux, d'argent des oreilles, tombaient jusque sur les épaules.

– C'est Fero, le chef, souffla Tristan l'Hermite.

La mélopée funèbre s'arrêta quand les porteurs déposèrent le cadavre devant le feu. Les bohémiens s'étaient levés et, seules, quelques femmes vinrent se placer, à genoux, autour de l'homme mort. L'une d'elles, si vieille et si ridée que sa peau paraissait coller à son squelette, se mit à chanter, d'une voix abominablement cassée ; une sorte de chant plaintif où le fil mélodique se brisait continuellement. Une autre, jeune et vigoureuse celle-là, le reprit quand la vieille s'arrêta.

– La mère et la femme du mort, chuchota Sara. Elles chantent ses vertus.

Le reste de la cérémonie fut bref. Le chef se courba, glissa une pièce de monnaie entre les dents du mort, puis les quatre hommes reprirent leur fardeau et descendirent avec lui jusqu'au bord du fleuve.

L'instant suivant, le cadavre s'en allait au fil de l'eau noire.

– C'est fini, fit Sara. L'homme, par le chemin de l'eau, va rejoindre le pays de ses ancêtres.

– Nous pouvons approcher, alors, dit Tristan. Puisque...

Mais il s'interrompit. Sara, brusquement à pleine voix, s'était mise à chanter, faisant sursauter Catherine. Il y avait longtemps que la jeune femme n'avait entendu chanter Sara, tout au moins de cette manière.

Bien sûr, elle avait souvent fredonné de vieilles ballades pour endormir le petit Michel, mais ces mélopées étranges, venues du fond des âges, rauques, sauvages et incompréhensibles, Catherine ne les avait entendues que deux fois : jadis, dans la taverne de Jacquot de la Mer, à Dijon, et auprès du feu des gitans qui, un moment, avaient entraîné Sara avec eux. Quelque chose se noua dans sa gorge en l'écoutant. La voix de Sara, ample, puissante, semblait peupler la nuit et lui porter tous les profonds échos de la terre lointaine d'où était venue l'étrange femme... Toute la tribu s'était tournée vers elle et l'écoutait, fascinée.

Lentement, Sara, sans cesser de chanter, se mit en marche, descendant la pente du fossé. Catherine et Tristan suivirent, le dernier menant les chevaux par la bride, et, devant eux, les Tziganes ouvrirent leurs rangs. C'est seulement en arrivant devant le chef que Sara se tut.

– Je suis Sara la Noire, dit-elle alors simplement, et mon sang est frère du tien. Celle-ci est ma nièce, Tchalaï ; et l'homme que voici nous a menées jusqu'à toi, à travers bien des périls. Nous acceptes-tu ?


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