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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Encadrée par Tristan et par Sara, elle voyait, devant elle, les larges épaules de Pierre qui marchait le premier. Il avait remis l'épée au fourreau, mais elle le sentait sur le qui-vive... Jean Armenga fermait la marche, et la suivait de près, peut-être pour que les soldats qui veillaient aux créneaux ne remarquent pas cet homme d'armes de taille un peu réduite. On passa près du donjon où somnolaient deux piquiers appuyés lourdement sur leurs armes, et Catherine, instinctivement, leva la tête vers les étages. Chez Gilles de Rais, tout était sombre, mais, chez La Trémoille, la fièvre de l'or devait tenir le gros homme éveillé..., des chandelles brûlaient. L'agitation de la journée avait fait place à un calme profond. La présence de la Reine avait mis un terme aux distractions trop bruyantes et les préparatifs de départ avaient fatigué tout le monde... L'immense cour était vide, sauf aux abords du corps de garde où l'on apercevait quelques silhouettes de soldats. Tout en marchant, Catherine chuchota pour Tristan :

– Ces soldats, là-bas... Est-ce qu'ils ne vont pas nous arrêter ?

– Cela m'étonnerait. Ce sont des gardes de la Reine que nous avons fait mettre de faction, cette nuit. Je ne sais pas ce que vous avez raconté à La Trémoille, mais vous l'avez tellement bouleversé que, cette nuit, tout va à l'envers dans le château.

– Est-ce que notre fuite ne le fera pas revenir sur sa décision de partir ?

Certainement pas. Il supposera qu'elle est l'œuvre de vos frères égyptiens. La dame de La Trémoille n'a pas vu nos visages, souvenez-vous, et l'idée que nous lui aurons fait passer une nuit au cachot ne sera pas pour déplaire à son tendre époux.

– Silence ! ordonna Pierre de Brézé.

En effet, on approchait de la longue voûte d'accès et du corps de garde. Il fallait encore franchir la herse, le pont-levis, mais Catherine n'avait plus peur. L'homme qui marchait devant elle devait être l'ange de la délivrance. Sous sa protection, elle en était certaine, rien de mauvais ne pouvait lui advenir...

Des chevaux attendaient, attachés près du puits, et Catherine, inquiète, songea qu'avec l'équipement qui l'écrasait elle n'arriverait jamais à enfourcher l'un de ces animaux. Mais Brézé avait même prévu cela. Tandis qu'il s'avançait seul pour dire un mot aux archers de garde, Jean Armenga prit la pique de Catherine, la posa contre un mur, puis, empoignant la jeune femme par la taille, il l'enleva aussi aisément qu'une plume et l'installa en selle. Après quoi, mais aidé par Tristan, il rendit le même service à Sara. Une envie de rire s'emparait de Catherine en pensant aux réflexions des gardes s'ils avaient pu voir un seigneur mettre si courtoisement en selle deux simples soldats.

Mais il faisait fort noir, dans le coin du puits... Soudain elle entendit la voix de Pierre :

– Ouvrez seulement la poterne, nous ne sommes que cinq.

Service de la Reine !

– A vos ordres, Monseigneur, répondit quelqu'un.

Lentement la petite herse se leva, le pont léger

s'abaissa. Évidemment, Pierre avait voulu éviter le vacarme de l'énorme pont principal... À son tour, le jeune homme enfourchait son cheval.

– En avant, ordonna-t-il en s'engageant le premier sous la voûte.

Les trois faux soldats le suivirent. Catherine et Sara, en passant la zone éclairée du corps de garde, baissèrent autant qu'elles purent les chapeaux de fer sur leurs visages et s'efforcèrent de copier l'attitude tassée des hommes... Elles attendaient, instinctivement, un cri, une protestation, peut-être une plaisanterie. Rien ne vint...

Et soudain, devant elles, il n'y eut plus de barrière, rien que le ciel étoilé sous lequel luisaient doucement les toits d'ardoise de la cité et la grande écharpe moirée du fleuve... Avec ivresse, Catherine aspira l'air frais de la nuit, en gonfla sa poitrine, le savoura comme une liqueur enivrante. C'était si bon, ce vent léger qui portait avec lui l'odeur des roses et du chèvrefeuille, après les miasmes nauséabonds de la prison et les écœurants parfums de la comtesse.

De nouveau, elle entendit la voix de Brézé, recommandant aux gardes de la herse :

– Ne fermez pas ! Je reviens dans quelques instants. Ces hommes vont renforcer la porte sud... Au galop, vous autres!

La rampe d'accès fut dévalée en trombe. Les cinq cavaliers longèrent l'éperon rocheux du château pour gagner la porte fortifiée qui gardait la ville, vers la forêt si proche. Dans Amboise endormie, rien ne bougeait... sinon, parfois, l'appel déchirant d'un chat amoureux sur un toit ou l'aboiement d'un chien dérangé.

Le sauf-conduit de Brézé lui ouvrit la porte de la cité comme il avait ouvert la porte du château et, cette fois encore, il prévint les gardes qu'il revenait. Mais c'était à une maison forestière qu'il conduisait ses soldats. Le lieutenant qui commandait la porte n'y fit aucune objection. Le grand chemin s'ouvrit enfin devant les fuyards.

On mit les chevaux au pas. La route montait vers le foisonnement noir de la forêt. Tant que l'on ne fut pas sous le couvert des arbres, les cavaliers cheminèrent en silence. Mais, à peine la voûte bruissante des taillis se fut-elle refermée sur eux que Pierre de Brézé leva la main et mit pied à terre.

– C'est ici que nous nous quittons, dit-il. Vous allez maintenant continuer seuls car nous rentrons au château, Armenga et moi. Il faut que nous soyons aux côtés de la Reine quand elle quittera Amboise.

Quant à vous...

– Je sais, coupa Tristan. Nous allons jusqu'au castel de Mesvres, à deux lieues d'ici, où l'on nous attend.

Malgré l'obscurité qui régnait sous bois, un rayon de lune venu d'un mince croissant de premier quartier plongeait dans le layon où les voyageurs s'étaient engagés. Il permit à Catherine de voir briller les dents de Brézé qui souriait.

– Je devrais savoir, ami Tristan, que vous n'oubliez jamais rien.

Je vous confie donc dame Catherine. Vous savez combien elle m'est chère et combien précieuse m'est sa sécurité. Le castel de Mesvres appartient à mon cousin Louis d'Amboise. Vous n'avez rien à craindre. Vous pourrez vous y reposer, vous restaurer et rendre à ces dames des vêtements plus convenables à leur rang...

Au prix de sa vie Catherine eût été incapable de dire quel sentiment la poussa à s'approcher de Pierre et à demander anxieusement :

– Où allons-nous ensuite, messire Pierre ? Où nous reverrons-nous ? Je peux aller à Chinon, maintenant ? Je veux voir la fin de La Trémoille.

Il pencha sur elle sa haute silhouette, ôta le lourd chapeau de fer qui l'écrasait et le jeta dans un fourré.

– Qu'au moins je voie un peu votre doux visage avant de vous quitter. Bien sûr, vous allez à Chinon, où la reine Yolande doit venir joindre son gendre après votre succès. Vous l'y retrouverez quand tout sera fait. Vous pourriez, bien sûr, aller vers elle à Angers, mais vous devez être lasse. A Chinon, vous vous reposerez. Allez à l'auberge de la Croix du Grand Saint-Mexme, proche le Grand Carroi. Dites que je vous envoie et vous aurez l'aubergiste à vos pieds. Il est bon et fidèle sujet du Roi et, parce qu'il a, jadis, logé la Pucelle, il se ferait brûler tout vif en mémoire d'elle. Recommandez la discrétion à maître Agnelet et vous ne verrez âme qui vive. Votre deuil, d'ailleurs, vous vaudra respect et solitude.

Il y eut un silence. Si profond que Catherine et Pierre auraient pu entendre battre leurs cœurs... Les autres, par discrétion, s'étaient un peu écartés. Elle leva vers lui un regard lumineux de reconnaissance et lui tendit ses mains qu'il mit genou en terre pour recevoir, comme tout à l'heure, dans la chambre des supplices.

Merci, mon chevalier, murmura Catherine étranglée par l'émotion.

Merci pour tout. Comment vous dire tout ce que j'éprouve à cet instant ? Il faudrait tant de mots qui ne me viennent pas.

– Ma douce dame, seul me mène l'amour de vous... Si vous aviez péri, ma vie s'arrêterait. Ne cherchez pas les mots.

Il appuya ses lèvres sur les deux mains qu'il serrait. Alors, Catherine se pencha vivement et posa un baiser sur les courts cheveux blonds du jeune homme avant de dégager doucement ses mains.

– À bientôt, messire. Et Dieu vous garde ! Aidez– moi, sire écuyer. Elle se tournait vers Armenga pour qu'il la remît en selle ; à lui aussi elle dit sa reconnaissance, qu'il accepta avec un sourire courtois. Sara et Tristan se rapprochèrent. Elle leva la main, salua joyeusement Pierre qui, debout dans l'herbe, ne la quittait pas des yeux.

– Quand nous nous reverrons, je serai redevenue Catherine, lui lança-t-elle joyeusement. Oubliez vite l'Égyptienne ! Aussi vite que je veux l'oublier moi– même ! Encore merci à vous deux !

Le layon ouvrait un fossé clair entre les falaises noires de la forêt.

Il semblait mener jusqu'à l'infini. Tristan et Sara sur les talons, Catherine piqua des deux et, au grand galop, s'élança vers l'horizon.

Le soleil se couchait dans une gloire rutilante qui habillait de pourpre les hautes murailles grises de Chinon et les toits d'ardoises de la ville, solidement ceinturée de remparts qui avaient l'air de jaillir de la Vienne. Sur la rivière incendiée, les barques des bateliers glissaient sans bruit vers les arches noires du vieux pont, sous le cri des martins-pêcheurs et le vol rapide des hirondelles. C'était un beau soir, doux et tiède, déjà tout chargé de l'odeur des foins, qui s'alanguissait sur toute la vallée lorsque Catherine, suivie de Sara et de Tristan l'Hermite, franchit la première enceinte à la porte de Bessé et longea les murs de la collégiale Saint-Mexme. Un peu plus loin, une nouvelle porte et un nouveau pont– levis se montraient : la porte de Verdun qui donnait accès à la ville proprement dite. Là-haut, couronnant le tout, le triple château s'étirait en une perspective qui paraissait interminable. Fort Saint-Georges, jadis construit par les Plantagenêts, château du Milieu et, tout là– bas, le Coudray dominé par les trente-cinq mètres de son énorme donjon cylindrique... Certes, Chinon-la-Villefort méritait son surnom et Catherine contemplait avec une joie profonde le majestueux piège de pierre où viendrait bientôt se prendre son ennemi.

Mais que le temps marchait vite. Déjà l'aventure d'Amboise, avec ses rebondissements tragiques ou simplement douloureux, lui semblait loin. Et il n'y avait que trois jours, trois jours que Tristan et Pierre de Brézé l'avaient arrachée à la mort dans les caves du château royal. Après la séparation dans la forêt, Catherine, Sara et Tristan, toujours sous leurs costumes de soldats, avaient gagné le petit château de Mesvres où, enfin, Catherine avait pu redevenir elle-même. Après un bain, un savonnage et un brossage vigoureux de sa peau, elle s'était frottée à l'esprit-de-vin puis enduite d'une crème grasse à base de graisse de porc, puis lavée encore et elle avait eu la joie de voir sa peau redevenir presque aussi claire que par le passé. Il ne restait plus qu'un léger hâle doré, dû beaucoup plus à la vie au grand air qu'à la teinture du pauvre Guillaume l'Enlumineur. Elle avait aussi rejeté les fausses nattes noires qu'elle avait portées, lavé ses cheveux qui montraient maintenant une assez large bande dorée, une fois débarrassée de la pâte noire dont elle enduisait les racines. Hélas, pour retrouver sa couleur normale, il fallait couper et couper très court.

Catherine n'avait pas hésité. Elle s'était assise sur un tabouret et avait tendu à Sara une paire de ciseaux.

– Allons, enlève tout ce qui est noir.

Avec une débauche de soupirs, Sara s'était exécutée. Au sortir de ses mains, la tête de Catherine ne portait plus qu'un chaume doré et dru, à peine foncé aux pointes qu'elle coiffa à la manière d'un garçon.

Elle avait l'air, sous cette courte tignasse, d'un jeune page, mais, chose curieuse, n'y perdait rien de sa féminité.

– C'est affreux, décréta Sara. Et je ne veux pas te voir comme ça !

– Sois sans crainte, moi non plus.

Maintenant, vêtue de cendal noir sous une cape de damas de même couleur, Catherine, portant une haute coiffure en forme de croissant de mousseline noire empesée qui lui enserrait le visage, était redevenue une noble dame – tandis que Sara avait retrouvé les vêtements confortables d'une servante de bonne maison et que Tristan avait réintégré son costume de daim noir. Les passants et les commères sur le pas des portes se retournaient au passage de cette femme, si belle et si éclatante dans son deuil austère.

Passé la porte de Verdun, les trois voyageurs suivirent une rue animée. Chacun, la journée faite, baguenaudait paisiblement entre les étals et les établis tandis que des enfants, armés de pots, s'en allaient au vin ou à la moutarde. Une brise légère faisait chanter les grandes enseignes peintes et découpées sur leurs tringles de fer. Par toutes les fenêtres ouvertes, on pouvait apercevoir les feux flambants dans les cuisines où les ménagères s'activaient autour des marmites. Bien sûr, les boutiques n'étaient plus garnies comme autrefois. La guerre avait sévi si durement sur le royaume que rien n'arrivait de l'étranger et que le ravitaillement se faisait mal, mais la belle saison était venue et la terre, tout de même, produisait dans ce pays où l'Anglais n'était point passé. Les drapiers, les pelletiers et les épiciers étaient les plus atteints, privés qu'ils étaient des grandes foires de jadis, mais les fruitiers montraient de beaux légumes, voire des fleurs fraîches.

La rivière donnait son poisson, les campagnes leurs volailles. Une bonne odeur de chou et de lard emplissait la rue et fit sourire Catherine.

– J'ai faim, dit-elle gaiement. Et vous ?

– Je pourrais manger mon cheval, fit Tristan avec une affreuse grimace. J'espère que cette auberge sera bonne.

Tous trois goûtaient le répit de ce voyage paisible après les événements tragiques d'Amboise, avant ceux, chargés de violence, qui les attendaient ici. C'était comme une éclaircie entre deux orages, un entracte au milieu d'un drame.

Ils arrivaient à un carrefour où des femmes bavardaient auprès d'un puits. Non loin d'elles, des enfants jouaient au palet et, sous l'auvent d'une maison, un moine, debout sur une grosse pierre, prêchait, faisant de grands gestes dans sa robe noire élimée, clamant que cette pierre qui lui servait de support avait aidé la bonne Pucelle à descendre de cheval quand elle était venue de par Dieu trouver le gentil Dauphin, et qu'elle reviendrait un jour chasser l'Antéchrist.

Un groupe d'hommes et de femmes l'entouraient, opinant gravement du bonnet. Les maisons semblaient, là, plus belles avec des pignons plus hauts, des colombages plus neufs et des tourelles plus nobles que dans le reste de la ville. Catherine comprit que c'était là le Grand Carroi, le cœur de Chinon, et Tristan se mit en quête de l'hostellerie. Elle se trouvait un peu plus loin et, du carrefour, on pouvait voir sa belle enseigne où l'on n'avait ménagé ni les rouges ni les bleus et sur laquelle le grand saint Mexme sous son auréole avait l'air très digne, mais louchait affreusement.

On se dirigea vers l'entrée. Catherine et Sara demeurèrent en selle tandis que Tristan entrait s'enquérir de l'hôte. C'était en vérité une fort belle hostellerie, étincelante de propreté. Les petits carreaux sertis de plomb brillaient comme de minuscules soleils, reflétant les feux intérieurs, et les belles poutres sculptées, qui avançaient au-dessus du seuil, semblaient époussetées de frais. Bientôt Tristan revint flanqué d'un long personnage, pourvu d'un système pileux qui lui mangeait à peu près tout le visage. De la forêt de barbe, de sourcils, de moustaches d'un beau gris souris qui lui habillait la figure, jaillissait un nez imposant qui affectait la forme gracieuse d'un pied de marmite et un fulgurant regard noir aussi peu rassurant que possible. Mais à la toile blanche immaculée qui le vêtait, à sa haute toque et à l'imposant couteau qui lui barrait le ventre, Catherine comprit que ce devait être là maître Agnelet, le propriétaire de la Croix du Grand Saint-Mexme, et réprima un sourire. Cet agnelet-là ressemblait furieusement à un vieux loup-cervier.

Mais l'imposant personnage se pliait en deux devant elle avec toutes les marques d'un profond respect et, à l'éclair blanc qui brilla au milieu de sa barbe, Catherine comprit qu'il souriait.

– C'est un grand honneur pour moi, noble dame, de vous accueillir dans ma maison. Les amis de messire de Brézé sont chez eux ici... Mais je crains de ne pouvoir vous donner qu'une petite chambre, encore que bien installée. La nouvelle est venue hier de la prochaine arrivée du Roi, notre sire et, certaines de mes chambres sont retenues d'avance.

– Ne vous tourmentez pas, maître Agnelet, répondit Catherine en acceptant la main qu'il lui offrait, galamment, pour l'aider à descendre de cheval. Pourvu que vous nous logiez, ma suivante et moi, et que nous soyons en paix chez vous, tout sera bien. Quant à maître Tristan je pense que vous pourrez...

– Ne vous souciez pas de moi, dame Catherine, interrompit le Flamand ; je repars aussitôt le souper terminé.

Catherine leva les sourcils.

– Vous repartez ? Où allez-vous donc ?

– À Parthenay, où je dois joindre le connétable, mon maître. Il n'y a plus de temps à perdre. Mais je ne ferai qu'aller et venir. Maître Agnelet, vous savez ce que vous avez à faire ?

L'hôte cligna de l'œil et sourit, derechef, d'un air complice.

– Je sais, messire, les seigneurs seront prévenus. Et la noble dame sera pleinement en sûreté chez moi. Donnez-vous la peine d'entrer, vous serez servis dans l'instant en particulier.

Les trois voyageurs, conduits par maître Agnelet, pénétrèrent dans l'auberge tandis que deux valets emmenaient les chevaux à l'écurie et qu'un troisième s'emparait des bagages. Une forte commère, dont les joues rouges semblaient vernies et dont les lèvres charnues s'ornaient d'une ombre de moustache, mais qui portait croix d'or au cou et robe de belle futaine fine, vint faire la révérence à Catherine. Agnelet la présenta avec un légitime orgueil.

– Ma femme, Pernelle ! C'est une Parisienne !

La Parisienne, en se tortillant et en minaudant beaucoup, précéda Catherine au fond de la salle et ouvrit une petite porte qui donnait sur une belle cour dallée et fleurie. Un escalier de bois en partait et menait à la galerie couverte qui desservait les chambres. Elle alla tout au bout et ouvrit une jolie porte de chêne ouvragée.

– Je crois que Madame sera bien ici. Du moins elle sera tranquille.

– Grand merci, dame Pernelle, répondit la jeune femme. Je suis, comme vous voyez, en deuil et souhaite avant tout la paix.

– Certes, certes, fit l'hôtelière. Je sais ce que c'est... Mais nous avons, ici près, l'église Saint-Maurice où le desservant est plein de compréhension et d'aménité. Il faut l'entendre, au prône ou à la confession. Sa voix est un velours pour l'âme meurtrie et...

Mais, sans doute, maître Agnelet, demeuré en bas, connaissait-il bien son épouse car il hurla :

– Holà, ma femme ! Venez céans et laissez reposer la noble dame..., coupant net le flot de paroles de dame Pernelle.

Catherine lui sourit.

– Envoyez-moi mon compagnon, dame Pernelle, et faites-nous monter à souper promptement ! Nous sommes las et affamés.

– Tout de suite, tout de suite...

Sur une dernière révérence, la bonne dame disparut laissant Catherine et Sara en tête à tête. La bohémienne inspectait déjà les lieux éprouvant le moelleux des matelas, les fermetures de la porte – et de la fenêtre. Celle-ci donnait sur la rue et permettait de surveiller les allées et venues des passants. Le mobilier était simple mais de belle qualité, de cœur de chêne et de fer forgé. Quant aux tentures, d'un joyeux rouge clair, elles faisaient de cette petite chambre un lieu agréable à vivre.

– Nous serons bien ici, fit Sara avec satisfaction.

Mais, constatant que Catherine, debout près de la fenêtre, regardait au-dehors d'un air absent, elle demanda :

– A quoi songes-tu ?

– Je pense, soupira la jeune femme, que j'ai hâte d'en finir et que, si confortable que soit cette auberge, j'aimerais ne pas m'y attarder.

Je... je voudrais revoir mon petit Michel. Tu ne peux pas savoir comme il me manque ! Il y a si longtemps que je ne l'ai vu !...

– Quatre mois, fit Sara, qui s'approcha, étonnée.

C'était la première fois que Catherine marquait un tel regret de son enfant. Elle n'en parlait jamais, craignant peut-être de laisser son courage, dans le souvenir attendrissant du petit garçon.

Mais ce soir des larmes brillaient dans ses yeux. Et Sara vit qu'elle regardait, au– dehors, une femme qui portait dans ses bras un bambin blond à peu près de l'âge de Michel. Cette femme était jeune, fraîche ; elle riait en offrant à l'enfant une dariole vers laquelle il tendait ses petites mains impatientes. C'était un tableau simple et charmant, et Sara comprit le regret qui poignait le cœur de Catherine. Elle passa son bras autour des épaules de la jeune femme et l'attira contre elle.

– Encore un peu de courage, mon cœur ! Tu en as eu tellement !

Et tu touches au but.

– Je sais. Mais je ne serai jamais comme cette femme... Elle a un époux, certainement, pour être si joyeuse. Elle doit l'aimer. Vois comme ses yeux brillent... Moi, quand je cesserai d'être une errante, ce sera pour m'enfermer dans un château et y vivre uniquement pour Michel d'abord, puis, plus tard, quand il m'aura quittée, pour Dieu et dans l'attente de la mort, comme a vécu Madame Isabelle, ma belle-mère...

Sara sentit qu'il fallait déchirer ce brouillard lugubre qui peu à peu refermait ses doigts glacés sur le cœur de Catherine. Il ne fallait pas la laisser s'abandonner au cafard. Elle l'arracha de la fenêtre, la fit asseoir sur un banc garni de coussins et bougonna : En voilà assez ! Songe à ce qui te reste à faire et laisse l'avenir où il est. Dieu seul en est le maître et tu ignores ce qu'il te réserve.

D'ailleurs laissons cela. Voici maître Tristan.

En effet, le Flamand, après avoir frappé, entrait escorté d'un valet qui portait des plats couverts de serviettes blanches et d'un autre qui était chargé de ce qu'il fallait pour mettre le couvert. En un rien de temps tout fut prêt et les trois compagnons s'attablèrent autour d'un plat de saucisses aux fèves et d'un autre plat de mouton au jaunet qui embaumaient. Catherine, rassérénée, sentit s'envoler ses idées noires en buvant un gobelet de clairet du pays qui semblait avoir d'extraordinaires vertus réconfortantes. Quand le repas fut fini, Tristan, qui n'avait presque rien dit, se leva pour prendre congé.

– Je pars maintenant, dame Catherine. Il faut que demain soir je sois à Parthenay pour prendre les derniers ordres. Vous, demeurez ici.

Le Roi arrive demain, mais, à l'aube, messire Pregent de Coétivy et messire Ambroise de Loré seront dans cette auberge où doivent se réunir tous les conjurés. Messire Jean de Bueil doit venir aussi de son château de Montrésor, peut-être dans la journée de demain. Quand tout le monde sera là, une réunion se tiendra ici même. Au fond de la cour, dans le rocher sur lequel repose le château, il y a des caves excellentes pour le vin... ou pour conspirer. Il vous reste seulement à attendre et à veiller. Mais souvenez-vous : dès que le Roi sera arrivé, il vaudra mieux pour vous ne plus sortir. La dame de La Trémoille a de bons yeux.

– Soyez tranquille, répondit Catherine en lui tendant un dernier verre de vin. J'ai beau avoir changé d'aspect, je ne suis pas devenue complètement folle. Tenez ! Le coup de l'étrier.

Il avala le contenu d'un trait, salua et disparut comme une ombre.

L'animation normale de la ville devint de l'agitation frénétique le lendemain lorsque, vers l'heure de none, le cortège du Roi entra dans Chinon. Quand l'appel des trompettes déchira l'air paisible de l'après-midi, et que toutes les cloches se mirent à sonner, malgré les consignes de prudence, Catherine s'enveloppa la tête d'un voile et se pencha à la fenêtre. Par-dessus la houle des têtes massées au Grand Carroi, elle vit les bannières, les pennons, les enseignes des hommes d'armes, les lances et les piques. L'escadron vêtu de fer des chevaliers encadrant le Roi, en armure lui aussi, et les litières dans lesquelles avaient pris place la Reine et le couple La Trémoille. Il y avait beau temps qu'aucun cheval n'était plus capable de porter le Grand Chambellan. En apercevant ses couleurs, Catherine, instinctivement, se rejeta en arrière. Bien qu'elle se sentît en sûreté dans cette auberge elle ne pouvait se défendre d'une instinctive répulsion à l'approche de son ennemi. Jusqu'à cet instant, d'ailleurs, elle avait douté de sa victoire et son imagination lui avait montré une foule d'empêchements. Mais enfin le gros La Trémoille était venu.

Le cortège traversa le carrefour au milieu du peuple qui criait «

Noël ! » et « Dieu garde ! » et disparut peu à peu dans la rue en pente raide qui montait au château... Quand le dernier chariot se fut évanoui avec le dernier valet, Catherine se retourna vers Sara, les yeux brillants de triomphe.

– Il est venu ! J'ai gagné.

– Oui, soupira la bohémienne, tu as gagné. Maintenant, c'est affaire aux chevaliers de la reine Yolande d'abattre le fauve.

– Pas sans moi ! s'écria la jeune femme. Je veux y être afin de partager, si nous échouons, le sort des conjurés. J'en ai le droit.

Sara ne répondit pas et se remit à réparer un accroc que Catherine avait fait dans son manteau de voyage. Il n'y avait que vingt-quatre heures que les deux femmes étaient entrées dans cette auberge, mais déjà Sara tournait comme un animal en cage et cherchait toutes les occasions de s'occuper. Pour Catherine aussi, cette inaction forcée était pénible. Elle passait presque tout son temps derrière les carreaux de sa fenêtre, regardant le mouvement de la rue. Les heures coulaient trop lentement pour son impatience d'agir. Elle avait eu trop peur.

Elle avait trop souvent désespéré de la réussite pour y croire vraiment avant d'avoir vu, de ses yeux vu, l'arrivée de La Trémoille. Et maintenant qu'il était là, elle brûlait de, retourner au combat.

Quand la nuit fut venue et que, là-haut, au château, dans la grande tour de l'Horloge, la cloche nommée Marie Javelle, qui rythmait la vie de la cité, eut sonné le couvre-feu, que la rue eut été rendue au silence, Catherine se risqua à ouvrir sa fenêtre et à se pencher au-dehors sans couvrir sa figure d'un voile. En fait de voile, la nuit devait suffire bien que, selon Sara, elle fût beaucoup trop claire. .

C'était vrai. La nuit était magnifique, d'un bleu foncé doux et profond et toute brillante d'étoiles... Une nuit faite pour l'amour plus que pour l'intrigue. La vue, bien sûr, ne s'étendait pas plus loin que l'autre côté de la rue où les volets de bois bien clos et le silence profond disaient le sommeil des bons bourgeois qui habitaient là, un heaumier dont le vacarme emplissait la rue tout le jour et un apothicaire qui se chargeait de la parfumer avec les produits de son négoce.

Mais, maintenant que les bruits du jour s'étaient éteints, la cité endormie prenait une sorte de mystère. Catherine avait l'impression d'être au centre d'un écrin solide et précieux tout à la fois, une sorte d'asile inviolable. Elle se demanda si ce n'était pas dû à l'ombre de Jehanne. Dans le bruit léger de la rivière, dans la chanson lointaine, presque imperceptible, des arbres mouvants, dans l'odeur même de la terre féconde qui venait à elle, mêlée à une vague senteur d'eau et de jasmin, Catherine croyait entendre encore la voix claire de la grande fille venue de si loin dont le passage fulgurant avait éclairé sa vie en la marquant d'un sceau ineffaçable... Jehanne ! Comme elle était encore présente ici, dans cette cité forte qui jamais plus ne l'oublierait

! Ce nom que, dans tout le royaume, on ne prononçait qu'à voix basse par crainte des espions de La Trémoille, Chinon l'osait proclamer dans ses carrefours et en gardait le souvenir dans chacune des pierres... La nuit venue, le fantôme blanc reprenait vie, hantait chaque demeure.

Machinalement, Catherine leva les yeux vers la voûte laiteuse du ciel comme pour y chercher le reflet d'une armure d'argent...

– Jehanne ! murmura-t-elle tout bas... Aimez-moi ! Parce que j'ai voulu vous arracher à la mort j'ai trouvé un bonheur que je croyais impossible. C'est à vous que je le devais... Faites que tant de douleurs ne soient pas vaines. Rendez-moi l'amour, le bonheur perdu...

Quelque chose de frais et de parfumé vint la frapper dans le cou interrompant sa rêverie et "la ramena brusquement sur terre.

Instinctivement, elle tendit les mains, retint le bouquet de roses juste au moment où il allait choir au-dehors, le porta à ses narines. Il embaumait de tous ses pétales fraîchement cueillis... Se penchant sur les ombres de la rue, la jeune femme chercha d'où venait l'envoi fleuri, distingua bientôt, sous l'auvent de la maison d'en face, une haute silhouette sombre, qui peu à peu sortit de son coin.

Mais, avant qu'elle ne fût devenue nettement visible, Catherine savait à qui elle appartenait. Lentement, Pierre de Brézé vint jusqu'au milieu de la rue et demeura là, immobile, quelques instants, regardant cette fenêtre où s'encadrait la forme gracieuse de la jeune femme. Elle ne pouvait distinguer les traits de son visage, mais elle entendit qu'il murmurait son nom :

– Catherine...

Elle ne répondit pas, étreinte par une émotion soudaine. Son cœur, tout à coup, s'était mis à battre plus vite. Elle se sentait rougir comme une jouvencelle parce que, dans les quatre syllabes de son nom, Pierre avait mis plus d'amour que dans un poème. Elle eut, tout à coup, envie de tendre les mains vers lui, pour l'attirer plus près, pour qu'il fût là... La lune, à cet instant, apparut au faîte d'un toit, glissa sur les ardoises qu'elle argenta, fouilla la rue et enveloppa la forme immobile du jeune homme avant d'illuminer la fenêtre et de glisser jusque dans la chambre. Du bras, Catherine repoussa instinctivement cette lumière trop vive et recula d'un pas. Elle eut le temps de voir qu'il esquissait un baiser jeté du bout des doigts...

Il faisait trop clair maintenant, il était imprudent de se montrer encore, mais la tentation fut la plus forte. Elle avait envie de revoir ce visage levé vers elle et que la passion rendait si émouvant... Elle se pencha et ne put retenir un soupir de regret. La rue était déserte.


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