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Catherine des grands chemins
  • Текст добавлен: 10 октября 2016, 00:53

Текст книги "Catherine des grands chemins"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Noël passa sans lui apporter d'apaisement. Son esprit, sans cesse, vagabondait à la suite des absents. Arnaud d'abord. Sans doute avait-il atteint Compostelle de Galice ? Mais avait-il obtenu du ciel la guérison demandée ? Et Gauthier ? Avait-il pu rejoindre le fugitif ?

Etaient-ils ensemble, à cette minute où son esprit les réunissait ?

Autant de questions, qui, à force de demeurer sans réponse, devenaient torturantes.

– Quand le printemps reviendra, se promettait Catherine, si aucune nouvelle ne m'est parvenue, je partirai, moi aussi. J'irai à leur recherche.

– S'ils reviennent, ce sera au printemps, pas avant, répondit Sara, un jour où la jeune femme, par mégarde, avait pensé tout haut.

Qui songerait à passer les montagnes quand la neige en a effacé les chemins ? L'hiver dresse d'infranchissables barrières que même la volonté la mieux trempée, même l'amour le plus obstiné ne sauraient franchir ! Il te faut attendre.

– Attendre ! Attendre !... Toujours attendre ! Je n'en peux plus de cette attente qui n'en finit pas, avait alors crié Catherine. Suis-je donc destinée à voir ma vie s'écouler dans une attente sans fin ?

Ce genre d'interrogation, Sara préférait ne pas y répondre. Il valait mieux laisser tomber la conversation, ou bien parler d'autre chose car tenter de raisonner Catherine servait tout juste à lui faire creuser plus profondément son chagrin. La bohémienne ne croyait pas à la guérison possible d'Arnaud. La lèpre, nul ne se souvenait d'avoir entendu dire qu'elle avait, un jour, lâché l'un de ceux qu'elle tenait. Il était même étonnant que saint Méen de Jaleyrac, le saint spécialiste du terrible mal, conservât encore des clients. Évidemment, le renom de saint Jacques de Compostelle était grand, mais le christianisme de Sara était trop fortement teinté de paganisme pour qu'elle eût grande confiance. En revanche, elle était persuadée qu'à moins d'un accident fatal on aurait tôt ou tard des nouvelles de Gauthier. Cela ne l'empêchait pas de soupirer quand elle voyait Catherine, petite silhouette noire et frêle, s'en aller dans la neige pour voir s'il n'arrivait pas par le chemin de la vallée.

Un soir de février, alors que la jeune femme avait gagné son observatoire, après une pénible période de claustration forcée due au gel, il lui sembla soudain distinguer un point sombre sur le chemin blanc, un point qui grandissait entre les hautes formes noires des sapins. Aussitôt elle fut debout, cœur battant et souffle haletant...

C'était bien un homme qui montait de la vallée... Elle pouvait voir voltiger dans le vent un pan du grand manteau qui l'enveloppait. Il allait à pied, péniblement, courbant le dos contre la bise...

Instinctivement, elle fit quelques pas à sa rencontre, mais, parvenue à la lisière des arbres, elle s'arrêta déçue. Ce n'était pas Gauthier, encore moins Arnaud. L'homme, qu'elle distinguait facilement maintenant, était de petite taille, mince apparemment et très brun. Un instant elle crut que c'était Fortunat, mais cet espoir-là s'évanouit à son tour. Le voyageur lui était totalement inconnu.

Il portait un chapeau vert dont le bord, baissé devant, se relevait derrière sur une plume qui n'avait plus guère que son arête et quelques poils, mais le visage brun qui s'abritait dessous avait des yeux vifs et gais et la grande bouche sinueuse sourit en découvrant cette silhouette féminine au bord du chemin. Catherine put voir que son dos, sous le manteau, était déformé par la forme oblongue d'un objet qu'il devait porter à l'épaule.

– Un colporteur, songea Catherine, ou un ménestrel...

Elle opta pour le ménestrel quand il fut tout près d'elle. Sous le manteau noir, le costume était vert et rouge, vif et gai, quoique fatigué. L'homme ôta son chapeau fané pour la saluer.

– Femme, dit-il avec un fort accent étranger, quel est ce bourg, s'il vous plaît ?

– C'est Montsalvy. Est-ce là que vous allez, sire ménestrel ?

– C'est là que je vais pour ce soir. Ma, per la Madona, si toutes les paysannes sont aussi belles que vous, c'est le Paradiso, ce Montsalvy.

– Hélas non, ce n'est pas le Paradis, fit Catherine amusée par l'accent du garçon. Et si vous espérez l'accueil d'un château, sire ménestrel, vous serez déçu. Le château de Montsalvy n'existe plus.

Vous ne trouverez qu'une antique abbaye où l'on chante fort peu de chansons d'amour.

– Je sais, fit le ménestrel. Mais s'il n'y a plus le château, il y a toujours la châtelaine. Connaissez-vous la dame de Montsalvy ? C'est la plus belle dame de l'univers, à ce que l'on m'a dit... mais je crois qu'elle doit avoir du mal à vous surpasser.

– Vous allez être déçu tout de même, reprit Catherine. Je suis la dame de Montsalvy.

Le sourire s'effaça du joyeux visage du voyageur. De nouveau il ôta son feutre verdi, mit genou dans la neige.

– Très noble et très gracieuse dame, pardonnez à l'ignorant une familiarité...

– Vous ne pouviez deviner. Les châtelaines courent rarement les chemins par un temps pareil, surtout seules.

Comme pour lui donner raison, une brutale bourrasque de vent fit envoler le chapeau du ménestrel et obligea Catherine à s'accrocher au tronc d'un arbre.

– Ne restons pas ici, fit-elle, il fait un temps affreux et la nuit tombe. Le château est ruiné, mais l'hôtellerie du monastère où j'habite peut vous offrir l'hospitalité. D'où vient que vous me connaissez ?

Le ménestrel s'était relevé et époussetait machinalement ses genoux maigres. Un pli soucieux s'était creusé entre ses sourcils et sa bouche ne retrouvait plus le gai sourire de tout à l'heure.

– Un homme que j'ai rencontré dans les hautes montagnes du Sud m'a parlé de vous, noble dame... Il était très grand, et fort. Un vrai géant ! Il m'a dit qu'il s'appelait Gauthier Malencontre...

Catherine poussa une exclamation de joie et, sans souci de cérémonial, saisit le ménestrel par le bras pour l'entraîner plus vite.

– Gauthier vous envoie ? Oh, soyez béni, qui que vous soyez !

Comment va-t-il ? Où était-il quand vous l'avez rencontré ?

A toute allure, remorquant le ménestrel qui semblait tout à coup très inquiet, elle remontait vers le village, franchissait la porte et lançait au passage à Saturnin qui réparait un volet de sa maison :

Cet homme a vu Gauthier. Il a de ses nouvelles ! Avec une exclamation de joie, le vieux bailli les rejoignit. Le ménestrel le regarda avec une espèce de terreur.

– Par grâce, noble dame, gémit-il, vous ne m'avez même pas laissé le temps de vous dire mon nom et...

– Dites-le alors, fit Catherine joyeusement. Mais pour moi, vous vous appelez Gauthier.

L'homme hocha la tête d'un air accablé.

On m'appelle Guido Cigala... Je suis de Florence, la belle cité, mais, pour le pardon de mes péchés qui sont nombreux, j'ai voulu aller prier en Galice, au tombeau de l'apôtre... Dame, n'ayez pas tant de joie et ne me faites pas si bel accueil ! Les nouvelles que j'apporte ne sont pas bonnes.

Catherine et Saturnin s'arrêtèrent tout net au milieu de la rue.. Le rose joyeux qui était monté au visage de Catherine fit place à une pâleur tragique.

– Ah, fit-elle seulement.

Son regard alla du ménestrel à Saturnin, inquiet, presque suppliant.

Mais elle se reprit, redressa le cou.

– Bonnes ou mauvaises, vous n'en avez pas moins besoin de vous reposer et de vous restaurer. L'accueil demeure le même, sire ménestrel. Dites-moi seulement : Comment va Gauthier ?

Guido Cigala baissa la tête, comme un coupable.

– Dame, murmura-t-il, je crois bien qu'il est mort.

– Mort !

Le même cri avait échappé à Catherine et à Saturnin, mais ce fut le vieil homme qui traduisit leur commune pensée.

– Ce n'est pas possible. Gauthier ne peut pas mourir.

– Je n'ai pas dit que j'en étais sûr, fit Cigala penaud, j'ai dit que je le croyais.

– Vous allez nous raconter, coupa Catherine. Rentrons.

À l'hôtellerie, Sara s'occupa de l'arrivant, lava ses pieds meurtris, le réconforta d'une soupe chaude, de pain et de fromage et d'un coup de vin avant de l'envoyer dans la grande salle où Catherine l'attendait, avec Saturnin et Donatienne ; les lois de l'hospitalité avaient prévalu sur son impatience. Elle sourit tristement en voyant que le ménestrel tenait sa viole à la main.

– Il y a bien longtemps qu'une chanson n'est pas entrée ici, dit-elle doucement. Et je n'ai guère le cœur d'en entendre.

– La musique est bonne pour l'âme, surtout quand elle est meurtrie, fit Guido en posant son instrument sur un banc. Mais, d'abord, je répondrai à vos questions.

– Quand avez-vous vu Gauthier, et où ?

– C'était au col d'Ibaneta, bien avant l'hospice de Roncevaux.

J'étais tombé dans un ravin et ce Gauthier est venu à mon secours.

Nous avons passé la nuit ensemble, dans un abri de montagne. Je lui ai dit que je rentrais dans mon pays, mais que je m'arrêterais dans tous les châteaux que je rencontrerais. Il m'a demandé si je pouvais venir jusqu'ici pour vous donner des nouvelles. Naturellement, j'ai promis de venir. Après le service qu'il m'avait rendu, je n'avais rien à lui refuser. Et puis, pour nous, un peu plus de chemin ou un peu moins, cela compte si peu... Alors, il m'a donné un message.

– Quel message ? demanda Catherine en se penchant vers le jeune homme.

– Il a dit : « Dites à dame Catherine que la jument blanche n'a plus guère d'avance sur moi. Demain, j'espère là rejoindre. »

– Et... c'est tout ?

– C'était tout... Je veux dire : il ne m'a rien confié de plus, mais il s'est passé quelque chose. Au matin, nous nous sommes séparés. Il devait prendre la route d'où je venais et j'ai continué vers Roncevaux, mais le chemin que je suivais montait et, longtemps, j'ai pu voir votre ami, noble dame. Il suivait la route tranquillement, au pas de son cheval. Et, juste au moment où il allait disparaître à mes yeux, le drame a éclaté. Il faut dire que la population de ce pays est sauvage et rude, les brigands y pullulent. Ils ne se sont pas attaqués à moi parce que, sans doute, ils m'ont jugé trop misérable gibier. Mais le grand voyageur était bien habillé, bien monté... De loin, je les ai vus surgir des rochers, l'entourer comme un essaim de guêpes. Il s'est défendu magnifiquement, mais ils avaient le nombre... Je l'ai vu tomber sous leurs coups et puis, tandis que l'un emmenait le cheval, l'autre le bagage, trois hommes ont déshabillé le corps et l'ont jeté dans l'un de ces ravins sans fond dont la seule vue produit l'effroi... Il était mort, bien certainement, ou bien la chute l'a achevé. Mais je ne peux pas jurer sa mort.

Et, s'indigna Saturnin, vous n'êtes pas revenu sur vos pas ? Vous n'avez pas cherché à savoir si celui qui vous avait porté secours vivait encore ou s'il était réellement mort ?

Le ménestrel hocha la tête, haussant les épaules et écartant les mains en un geste d'impuissance.

– Les bandits devaient avoir leur repaire tout près car ils sont restés sur les lieux, attendant sans doute d'autres voyageurs...

Qu'aurais-je pu faire, moi, faible et seul, contre ces sauvages ? Et puis le précipice était effrayant. Comment y descendre ? Dame, ajouta-t-il en se tournant vers Catherine d'un air suppliant, je vous prie en grâce de croire que s'il avait été possible de faire quelque chose pour aider votre ami, ou votre serviteur, je ne sais, je l'aurais fait, même au risque de ma vie. Guido Cigala n'est pas un lâche... il faut le croire.

– Mais je vous crois, sire ménestrel, je vous crois, fit Catherine avec lassitude. Vous ne pouviez rien faire, je l'ai bien compris... Mais pardonnez-moi si, devant vous, je me laisse aller à la douleur. Voyez-vous, Gauthier était mon serviteur, mais sa vie m'était plus précieuse que celle du plus intime ami, et la pensée qu'il n'est plus...

L'émotion lui coupa la parole. Les larmes embuaient ses yeux et sa gorge serrée ne pouvait plus articuler un mot. Quittant précipitamment la salle, elle courut jusqu'à sa chambre et, se laissant tomber sur son lit, se mit à sangloter. Cette fois, tout était fini, et bien fini. Elle avait tout perdu car, avec la mort de Gauthier, s'envolait aussi l'espoir de retrouver Arnaud. Guéri ou non, son époux ignorait toujours qu'elle lui demeurait fidèle et que son amour pour lui était plus profond que jamais. Il avait maintenant disparu pour elle aussi complètement que si la dalle du tombeau était tombée sur lui. Pour Catherine, c'était le dernier coup...

Elle pleura longtemps sans s'apercevoir que Sara l'avait rejointe et qu'elle se tenait debout devant elle, muette et impuissante, cette fois, à consoler cette immense douleur. Au bout de longues minutes, enfin, Sara risqua :

– Peut-être le ménestrel a-t-il mal vu ?... Peut-être que Gauthier n'est pas mort ?

– Comment aurait-il pu échapper à la mort ? fit la jeune femme avec un hoquet nerveux. Et s'il n'était pas encore mort il a dû expirer peu après...

Le silence tomba entre les deux femmes. Au loin, dans la grande salle, on entendait les accords légers de la viole qui jouait pour les quelques serviteurs, pour Donatienne et Saturnin et aussi pour certains notables de Montsalvy qui avaient demandé la faveur d'entendre le chanteur errant, plaisir qu'ils n'avaient pas goûté depuis bien longtemps... La voix souple et bien timbrée du Florentin parvint jusqu'à la cellule silencieuse où les deux femmes demeuraient face à face sans rien trouver à se dire. Guido chantait un antique virelai des amours du chevalier Tristan et de la reine Yseut.

« Iseut ma dame, Iseut ma mie En vous ma mort, en vous ma vie... »

Catherine étouffa un sanglot. Par-delà le chant plaintif du ménestrel, il lui semblait entendre encore la voix chaude et passionnée d'Arnaud qui chuchotait à son oreille : « Catherine...

Catherine, ma mie. » Et le regret qui la transperça fut si poignant qu'il lui fallut serrer les dents pour retenir le cri de douleur qui montait. Si, de sa vie terrestre, elle ne devait plus le revoir, lui, son amour, alors mieux valait quitter ce monde immédiatement que traîner une éternité de souffrance... Elle ferma les yeux un instant, noua ses doigts bien serrés pour reprendre le plein contrôle d'elle-même et, quand elle rouvrit les yeux, ce fut pour diriger vers Sara un regard plein de détermination.

– Sara, dit-elle d'une voix si calme que la bohémienne tressaillit, je vais partir. Puisque Gauthier est mort, c'est moi qui dois me mettre en quête de mon époux.

– Te mettre en quête ? Mais où ?

Là où je sais, avec certitude, qu'il s'est rendu : à Compostelle de Galice. Il n'est pas possible que je n'apprenne pas là ce qu'il est devenu. Et, chemin faisant, j'essaierai de retrouver le corps du pauvre Gauthier pour qu'au moins il repose en un lieu convenable. La pensée qu'à cette heure et depuis si longtemps il est la proie des oiseaux de mort m'est intolérable.

– Mais le chemin est long, dangereux... Comment feras-tu, pauvrette ? Comment réussiras-tu là où Gauthier a échoué?

– Le Saint Jour de Pâques n'est plus très éloigné.

Traditionnellement, ce jour-là, un groupe de pèlerins part du Puy-en-Velay pour se rendre au tombeau de saint Jacques. Je partirai avec eux. Ainsi, le danger sera moindre et je ne serai pas seule.

– Et moi ? protesta Sara aussitôt révoltée. Est-ce que je ne vais pas avec toi ?

Catherine secoua négativement la tête. Elle se leva, posa ses deux mains sur les épaules de sa vieille amie et la regarda tendrement.

– Non, Sara... Cette fois, je partirai seule... Pour la première fois, la première vraie fois, car notre brouille de Chinon ne comptait pas, je vais m'en aller sans toi. Mais c'est parce qu'il faut que tu veilles sur ce que j'ai de plus précieux au monde... sur mon petit Michel. Si tu partais, qui donc s'occuperait de lui ? Donatienne est trop vieille et Saturnin n'est pas plus jeune. Ils te seront d'un grand secours, mais c'est à toi que je confie mon fils. Tu es tellement moi-même, Sara, qu'avec toi je sais qu'il sera aussi heureux, aussi bien soigné que si j'étais là. Tu seras à la fois ma pensée, mes mains, mes lèvres. Tu lui parleras de moi, de son père. Et si Dieu voulait que je ne revienne pas...

– Tais-toi ! cria Sara. Je t'interdis de dire de pareilles choses. Cela me fait si mal.

A son tour elle avait les larmes aux yeux. Catherine, émue de son chagrin, l'embrassa chaleureusement.

Préparer l'avenir n'a jamais fait mourir personne, ma bonne Sara. Si je ne revenais pas, tu enverrais des messagers à Xaintrailles et à Bernard d'Armagnac, afin qu'ils prennent en tutelle le dernier des Montsalvy, qu'ils se chargent de son avenir. Mais, ajouta-t-elle avec un beau sourire courageux, j'espère bien revenir.

Rageusement, Sara essuya ses yeux, puis, détachant les bras de Catherine, s'éloigna de quelques pas.

– C'est bon, maugréa-t-elle. Admettons, je reste et tu pars. Mais comment feras-tu pour quitter Montsalvy ? Crois-tu que l'abbé te laissera partir plus facilement maintenant qu'en septembre ?

– Il ne le saura pas. Depuis longtemps, j'ai fait vœu d'aller au Puy offrir à Notre-Dame le diamant maudit que j'ai toujours en ma possession. Il faut que je m'en sépare... il le faut à tout prix, et le plus tôt sera le mieux. Vois comme le malheur s'acharne sur moi. Gauthier, mon émissaire, mon seul espoir, Gauthier l'indestructible est tombé sur le chemin. Ma cause sera mauvaise tant que je le posséderai.

L'abbé sait combien je désire accomplir ce vœu. Il me laissera partir.

Les fêtes de Pâques sont une bonne époque pour célébrer Notre-Dame. Il trouvera mon désir tout naturel.

– Tu as réponse à tout, fit Sara avec un peu d'amertume. Et j'ai peine à croire que ce plan te soit venu d'un seul coup, depuis que ce maudit ménestrel est arrivé...

– Non, avoua Catherine. Il y a longtemps que j'y pense. Mais toi, acceptes-tu ce que je te demande ?

Sara haussa les épaules et alla ouvrir le lit dans lequel, tout à l'heure, elle passerait la bassinoire pleine de braises pour réchauffer les draps.

– En voilà une question ! Ce serait la première fois que je te refuserais quelque chose. Et puisqu'il n'y a vraiment pas moyen de faire autrement... Dieu sait ce qu'il m'en coûte, pourtant !

Comme Sara ouvrait la porte pour gagner la cuisine avec sa bassinoire, la voix de Guido Cigala envahit la petite chambre. Il chantait maintenant une antique chanson du troubadour Arnaud Daniel et les paroles du vieux lai frappèrent tellement les deux femmes qu'elles demeurèrent un moment immobiles, se regardant sans parler.

« L'or se vendra à aussi vil prix que le fer Avant qu'Arnaud desaime celle à qui il a voué son

[cœur... »

Catherine d'un seul coup eut l'air frappée par la foudre. Elle avait pâli jusqu'aux lèvres, mais, dans ses yeux sombres, des étoiles s'allumaient, les brillantes étoiles de l'espoir. La voix du ménestrel, mystérieusement, répondait aux questions qu'elle n'osait plus se poser.

Sara serra farouchement son ustensile contre son cœur.

– Je voudrais bien savoir qui nous envoie ce damné chanteur. Le Diable ? Ou le bon Dieu ? En tout cas, il a une voix qui ressemble singulièrement à celle du destin.

Catherine avait deviné juste en pensant que l'abbé de Montsalvy ne l'empêcherait pas de se rendre au Puy– en-Velay pour les fêtes de Pâques. Il se borna seulement à lui offrir comme escorte le Frère Eusèbe, le portier du couvent, car il n'était pas convenable qu'une noble dame courût les chemins seule. La compagnie d'un moine éloignerait d'elle les dangers, tant terrestres que spirituels.

– Le Frère Eusèbe est un homme doux et de mœurs pacifiques, dit l'abbé, mais il n'en sera pas moins pour vous une efficace protection.

À vrai dire, la compagnie du digne portier n'enchantait pas Catherine. Sa figure ronde et rose lui paraissait trop candide et elle avait appris à se méfier de tout. Elle se demandait si l'abbé Bernard, en le lui donnant comme garde du corps, ne lui donnait pas aussi une sorte d'espion qui allait poser un nouveau problème : comment, une fois au Puy, se débarrasserait-elle du saint homme et le convaincrait-elle de rentrer sans elle, à Montsalvy ?

Mais les difficultés de sa vie passée avaient appris à la jeune femme qu'à chaque jour suffit sa peine et que rien ne sert de se tourmenter à l'avance. Sur place, elle trouverait bien un moyen de fausser compagnie à son ange gardien. Et elle ne songea plus qu'à ce grand voyage dans lequel, avec infiniment plus d'amour que d'espoir, elle allait s'engager.

Le temps de Carême fit éclater la croûte blanche dont se couvrait le pays. La neige et le verglas fondirent en une multitude de minces ruisseaux qui se mirent à courir dans tous les sens, striant le haut plateau et les ravins montagneux comme une chevelure de fils argentés. La terre réapparut par plaques noires d'abord puis par grandes étendues qui, timidement, se mirent à reverdir. Un peu de bleu effilocha les éternels déserts gris du ciel et Catherine pensa que le temps était venu de se mettre en route.

Le mercredi qui suivit le dimanche de la Passion, Catherine et Frère Eusèbe quittèrent Montsalvy, tous deux montés sur des mules que leur avait prêtées l'abbé. Le temps était doux, légèrement pluvieux, et les nuages couraient, rapides, poussés par le vent qui venait du sud. Le vent qui, d'après Saturnin, « donnait le tournis aux moutons... ».

Les adieux entre Catherine et Sara avaient été rapides. L'une comme l'autre, d'un commun accord, refusaient l'attendrissement qui abat le courage et liquéfie la volonté. D'ailleurs, des adieux déchirants eussent tout juste servi à donner l'éveil à l'abbé Bernard. On ne pleure pas pour une séparation de quinze jours...

Le plus cruel fut l'arrachement d'avec Michel. Les yeux lourds de larmes retenues, Catherine ne pouvait se lasser d'embrasser son petit garçon. Elle avait l'impression que ses bras, jamais, ne pourraient s'ouvrir pour le laisser aller. Il fallut que Sara le lui enlevât et l'emmenât pour le confier à Donatienne. Gagné par l'émotion de sa mère, l'enfant, sans même savoir pourquoi, allait se mettre à pleurer.

– Quand le reverrai-je ? murmura Catherine qui, d'un seul coup se sentait affreusement misérable.

Il s'en fallait de peu, tant son chagrin était grand, qu'elle renonçât à cette folle expédition.

– Quand tu voudras, fit Sara calmement. Nul ne t'empêchera de revenir si tu ne parviens pas à ton but. Et, je t'en supplie, Catherine, ne tente pas Dieu ! Ne va pas au-delà de tes forces. Il est des cas où il vaut mieux accepter son destin, même s'il est cruel. Songe que, même si je suis là, rien ne peut remplacer une mère... Si les obstacles sont trop grands, reviens, je t'en conjure... Et, pour l'amour de Dieu...

– Pour l'amour de Dieu, coupa Catherine souriant à travers ses larmes, n'en dis pas davantage. Sinon, dans cinq minutes, je n'aurai plus le moindre courage.

Mais, quand les portes de l'abbaye s'ouvrirent devant les sabots de sa mule, Catherine éprouva une extraordinaire impression de liberté, une sorte de griserie. Elle n'avait pas peur de ce qui l'attendait dans les jours à venir. Il fallait que sa volonté triomphât de toutes les embûches. Elle se sentait plus forte, plus jeune et plus vaillante que jamais...

Contre sa gorge, dans un petit sac de peau suspendu à son cou par un ruban, elle emportait le diamant noir. II avait perdu à ses yeux toute valeur, hormis une seule : celle de clef des champs. L'offrir à la Vierge du Puy, c'était ouvrir d'un même coup le long chemin qui, peut– être, la mènerait à son époux.

Quand elle eut laissé derrière elle les murs de Montsalvy, Catherine remonta sur ses épaules le grand manteau qui glissait, retrouvant le geste antique du colporteur qui remonte la lourde charge. Puis, redressant la tête, elle refusa de se laisser distraire par l'appel des cloches qui, de loin, l'accompagnaient.

Les yeux fixés droit devant elle, dans l'herbe encore rase du chemin, elle poursuivit sa route, sans faiblesse et sans larmes.

Le Puy-en-Velay ! Une ville coulait comme un fleuve du porche gigantesque et multicolore d'une immense église romane couronnée de coupoles et de tours. Lorsque Catherine et Frère Eusèbe y arrivèrent, ils s'arrêtèrent un moment pour contempler l'incroyable spectacle qu'elle offrait. Les yeux émerveillés de la jeune femme allaient de la colline sainte, l'antique mont Anis qui se détachait sur les lointains bleus du pays vellave, à l'énorme rocher qui lui tenait compagnie et, plus loin, à l'étrange pic volcanique de Saint-Michel-d'Aiguilhe dressé, comme un doigt, vers le ciel et lui tendant fièrement sa petite chapelle. Tout, dans cette ville étrange, semblait fait pour le service de Dieu, tout venait de lui et retournait à lui... Mais, à mesure que, les portes franchies, l'on avançait dans la cité, l'extrême bariolage des rues et leur agitation frappèrent les voyageurs. Partout ce n'étaient que bannières, oriflammes, tapisseries tendues, pièces de soie glissant des fenêtres... Partout s'étalaient les armes royales de France et, avec une certaine stupeur, Catherine vit soudain passer devant elle un groupe bruyant d'archers écossais, traînant leurs armes.

– La ville est en fête, déclara Frère Eusèbe qui ne disait pas dix paroles dans une journée. Il faut savoir pourquoi.

Catherine, en sa compagnie, avait cultivé le silence. Elle ne jugea pas utile de répondre, mais héla un gamin qui passant en courant, une cruche à la main, s'en allait visiblement tirer de l'eau à une fontaine proche.

– Pourquoi ces bannières, ces tentures, tout ce monde ?

Le gamin leva vers la jeune femme une figure criblée de taches de rousseur où deux yeux clairs brillaient joyeusement, mais il ôta, avec politesse, le bonnet vert effrangé qui lui couvrait la tête.

– C'est que notre sire, le Roi, est entré avant-hier dans la ville avec Madame la Reine et toute la cour, pour venir prier Notre-Dame et célébrer Pâques avant de s'en aller à Vienne où se réunissent les États... Si vous cherchez à vous loger vous aurez du mal. Toutes les auberges sont pleines car, en outre, on dit que Monseigneur le Connétable doit arriver aujourd'hui.

– Le Roi et le Connétable ? s'étonna Catherine. Mais ils sont brouillés.

– Justement. Notre Sire a choisi la cathédrale pour l'y recevoir de nouveau dans sa grâce. Ils feront ensemble la veillée de Pâques, cette nuit.

– Est-ce que des pèlerins ne se réunissent pas ici, qui partiront bientôt pour Compostelle ?

– Si, gracieuse dame. L'Hôtel-Dieu, près de la cathédrale, en est plein. Il vous faut presser si vous désirez vous joindre à eux.

L'enfant indiqua encore à Catherine le chemin de l'Hôtel-Dieu. Il était simple : il suffisait de suivre cette longue, longue rue qui de la tour Panessac, près de laquelle ils se trouvaient, montait vers Notre-Dame et s'achevait en escaliers. Des escaliers qui, eux-mêmes, s'engouffraient sous le porche. Avant de quitter son interlocutrice, le jeune garçon ajouta :

– Tous les pèlerins se fournissent chez maître Croisât, près de l'Hôtel-Dieu. C'est chez lui qu'on trouve les vêtements les plus solides pour le grand voyage et... Je te remercie, coupa Catherine en voyant l'œil de Frère Eusèbe, habituellement dénué de toute expression, s'attacher à elle avec curiosité. Nous allons chercher un logis.

– Dieu vous aide à le trouver ! Mais vous n'avez guère de chance.

Le palais de l'évêque lui-même, Monseigneur Guillaume de Chalençon, est plein à craquer. Le Roi y tient sa cour.

Le gamin s'éloigna en courant. Catherine réfléchit un moment. Il n'y avait pas de temps à perdre. Demain, après la messe solennelle, les pèlerins partaient. Et elle voulait partir avec eux. Elle se laissa glisser de sa mule, se tourna vers Frère Eusèbe qui, placidement, attendait sa décision.

– Prenez les bêtes, mon frère, et allez sans moi jusqu'à l'Hôtel-Dieu où vous demanderez que l'on veuille bien nous donner logis.

Voilà de l'or pour payer notre écot. Quant à moi, je veux, dès maintenant, monter à la cathédrale, but de notre pèlerinage. J'ai hâte de remettre à Notre-Dame ce que je lui porte et il ne convient pas que j'approche à cheval du lieu saint. Allez sans moi. Je vous retrouverai plus tard.

Le digne Frère portier de Montsalvy se contenta d'un signe de tête pour montrer qu'il avait compris et, réunissant dans sa main les brides des deux mules, poursuivit tranquillement son chemin.

Lentement, Catherine monta la rue pavoisée où les enseignes étaient nombreuses : marchands d'objets de piété y côtoyaient les auberges, les rôtisseries, les échoppes de toute sorte et, assises devant leurs portes, sur des marches de pierre, des femmes, courbées sur des coussins couverts de fils ténus, faisaient voltiger de leurs doigts agiles des multitudes de petits fuseaux... Un instant, la voyageuse s'arrêta auprès de l'une de ces dentellières, qui était jeune et jolie et qui, tout en travaillant, lui sourit avec gentillesse. Elle n'eut pas été aussi profondément femme si les fragiles merveilles nées sous ces doigts de fée ne l'avaient attirée. Mais une procession de pénitents descendait de la cathédrale en chantant

à pleine voix les cantiques de la mort, et Catherine, rappelée à son vœu, reprit son ascension. Et, à mesure qu'elle montait, elle oublia peu à peu tout ce qui l'entourait...

Sur les degrés de l'immense escalier qui, là-haut, se perdait dans l'ombre des hautes arches romanes, des gens s'échelonnaient montant à genoux péniblement les marches usées déjà par les siècles de ferveur. Le bourdonnement des invocations entourait Catherine comme un bruit d'abeilles, mais elle ne les entendait pas. La tête levée, elle regardait approcher la haute façade polychrome où d'étranges dessins arabes évoquaient les lointains pays, les mystérieux artisans du fond des âges. Elle ne voulait pas s'agenouiller, pas maintenant. C'est debout qu'elle approcherait de l'autel insigne, comme elle approcherait, debout, du tombeau de l'Apôtre. L'ombre du porche l'engloutit. Des mendiants, vrais ou faux estropiés, s'y traînaient, geignant sur un ton monocorde, en réclamant l'aumône.

D'autres entouraient l'antique pierre des Fièvres, où chaque vendredi s'étendaient quelques malades, en criant que la veille encore, Vendredi saint, un perclus avait retrouvé l'usage de ses jambes. Mais Catherine ne leur prêta aucune attention.

Son regard était fixé sur une marche, située à la hauteur des grandes portes dorées du sanctuaire. Quelques mots écrits en latin s'y lisaient : « Si tu ne crains pas le péché, crains de toucher ce seuil, car la Reine du Ciel veut des serviteurs sans tache... » Approchait-elle vraiment sans péché, elle qui, au prix d'un mensonge, allait conquérir sa liberté ? Elle demeura un instant immobile, regardant l'inscription, le cœur étreint d'une angoisse subite. Mais l'élan qui la portait était trop fort pour s'arrêter là. Elle franchit les portes, continua son ascension dans l'ombre épaisse de l'église. Les degrés montaient en une sorte de tunnel au fond duquel scintillaient les cierges jusqu'au cœur même du sanctuaire. Là-haut, c'était comme la gloire lumineuse de l'aurore au sortir de la nuit noire. Un chant grave, lugubre et monotone, emplissait le vaisseau de pierre... Quand, enfin, elle émergea de l'ombre, Catherine crut avoir quitté ce monde tant le décor était étrange. Sur un autel de pierre érigé entre deux colonnes de porphyre couleur de sang, environnée d'une multitude de cierges et de lampes de verre rouge, la Vierge Noire la regardait de ses yeux d'émail...


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